IV. Sea, Surf and Sun

Max m'a proposé une séance de surf.

- Surfer ? Mais tu es fou, je ne sais pas faire ! Et puis les vagues, c'est pas mon truc.

- Tu verras, tu vas adorer !

Mais qu'est-ce qu'ils ont tous avec ce mot « adorer » ? Je me suis inscrite à un stage UCPA multi-activité, niveau sensations, ou quoi ?

Bon, pour l'instant, c'est Max qui surfe, hyper bien d'ailleurs, et moi je regarde.

Les fesses calées sur une plage de sable noire, un surf à côté de moi. Un joli surf décoré d'une grande fleur d'hibiscus rouge, le look qui fait assez pro, pour cette planche pourtant spéciale débutant (dixit Max). D'ailleurs, j'ai été dispensée de wax, ce pain de savon collant au parfum de fraise synthétique qu'il faut normalement tartiner allégrement sur son surf avant chaque session.

Alors j'en profite pour m'imprégner de la fraîcheur matinale et des chants des oiseaux, plus profonds et plus intenses à cette heure. Pas un pet de vent, pas un bruissement dans le ciel pâle qui hésite encore entre le blanc grisé, le jaune et le bleu. Le temps s'est arrêté.

Seul le claquement intense des vagues rythme le concert de Dame Nature. Entre le frémissement de la crête et l'épaisse mousse blanche, Max et d'autres funambules des mers glissent sur les reflets bleus translucides des creux. Alliance parfaite de l'homme et de la nature.

Il devait être fou le premier qui a eu l'idée de faire du rodéo dans les vagues, juché sur un si petit morceau de bois.

Rien que pour ce tableau, ça valait le coup de me lever aux aurores. Ce qui, avouons-le, n'est pas un exploit si gigantesque en période de décalage horaire (Décalage Horaire©facilite votre réveil matinal. Décalage Horaire© est un médicament, respectez les doses prescrites).

Bon par contre, pour la baignade, je vais attendre un peu que ça se réchauffe. Je deviendrai frileuse, à vivre sous les tropiques ?

- Oh, mais tu tiens un journal de bord ?

C'est Max qui vient de sortir de l'eau. Je me suis endormie ou quoi ?

- C'est quand même extraordinaire l'écriture, tu ne trouves pas ?

- Pardon ? Il me fait quoi, là, on va quand même pas repartir sur sa théorie de l'espace !

- Ca m'a toujours halluciné. Parce que, tu vois, lire ce n'est que déchiffrer des signes noirs mis bout à bout. Et pourtant, ces signes forment des mots, qui forment des phrases et des chapitres. Mais quand je lis un livre, ce ne sont pas les mots que je vois, ni les phrases, ni même l'histoire, ce que je vois, ce sont personnages qui aiment, qui pleurent, qui rient, tu vois ce que je veux dire ? Je vois le décor, les motifs de la tapisserie et la couleur du ciel, je sens le parfum de la fiancée et la transpiration du boxeur, je ressens la pluie sur les corps et les herbes folles sur les jambes, j'entends les cris d'applaudissement et les pleurs de l'enfant, je ressens le froid du blizzard et la chaleur de l'action, je goûte les arômes des vins et le piquant des épices, je tremble de peur devant les dragons et je vibre d'amour pour la princesse.

- Ouais, un peu comme avec un film, je réponds, pour couper court à cette théorie qui risque de s'éterniser et compromettre mon cours de surf.

- Pas tout à fait. Un film, c'est une image et du son, l'écriture, ce n'est qu'un code, qui décrit mais qui laisse pourtant place à l'imaginaire. Par exemple, si tu décris ce moment, ton lecteur pourra être passionné par cette discussion ou au contraire frustré de devoir attendre pour surfer. La magie de l'écriture ... Allez, enfile la combinaison de Shirley, l'eau n'est pas très chaude au bout d'une heure. Et ça t'évitera de te râper le ventre.


Je le suis dans l'eau pas si froide jusque derrière la rangée de ce qui m'apparaissait comme des toutes petites vagues depuis la plage. Il tient fermement mon surf, bougeant à peine à chaque vague qui se casse sur lui, alors que je lutte pour ne pas me faire emporter.

- Allonge-toi dessus. Quand je te dis de ramer, tu rames à fond jusqu'à ce que tu sentes que tu vas dévaler la pente. A ce moment, tu te lèves comme je te l'ai expliqué.

- Tu es sûr ?

- T'inquiètes, je suis là pour t'aider à partir.

Première vague : je rame à fond, je sens qu'elle va m'engloutir en cassant, alors je rame plus vite encore pour sortir de ce piège ... et je descends la rampe, grisée par l'exploit, mais déçue d'être restée allongée. A vrai dire, j'ai même complètement oublié que le surf se pratiquait debout !

- C'est bien, il faut que tu comprennes la glisse de toute façon.

Deuxième vague : excès de confiance. Je me lève, mais je suis déséquilibrée et je tombe tout de suite dans un remous de bulles blanches. Qui a mis en route la machine à laver, essorage 1200 tours/minutes ? Je ressors péniblement la tête de l'eau, à bout de souffle, la gorge et les yeux brûlants de sel. Et là, je vois une vague gigantesque qui se dirige sur moi. Oh non ! Je la vois secouer mon surf comme s'il c'était agit d'une vulgaire feuille. Je n'ai pas le temps de la voir s'abattre sur moi, le leash, ce fil de téléphone qui me retient à la planche, m'entraîne vers le fond. Jamais les secondes ne m'ont paru si longues. Où est le haut, où est le bas ? Je me vois mourir, tiraillée par le pied, noyée dans cette vague qui pénètre mes poumons ... quand enfin, ma tête ressort de l'eau. Je tire sur le leash pour récupérer le surf et, à bout de souffle, je monte dessus direction la plage avec la ferme intention de rejoindre la terre ferme. Quand Max me rejoint, tout sourire.

- J'ai failli mourir !

- Quand la vague arrive sur toi, tu plonges dedans et il ne t'arrivera rien, elles sont petites ces vagues-là.

- C'est fini pour moi, j'arrête.

- OK. Prends celle-ci pour rentrer au bord.

Et il pousse ma planche sur la vague qui commence à se creuser. Mince, mince, elle va me rattraper, oh non ! Estelle, concentration, rame, rame, plus fort, voilà, ça commence à glisser. Maintenant, pousse sur la planche avec les mains, comme les pompes que tu faisais en cours de sport au lycée, quand t'arrivais dans les dernières aux tours de terrain. ...

Ô miracle, je suis debout, je surfe, JE SURFE ! Mais, mais ... y'a la plage devant, je fais quoi là, je f ... Aïe !

J'atterris sur la plage dans un magnifique roulé-boulé, la jambe écartelée par ce p... de leash, la planche plantée dans le sable et la tête complètement ensablée. Pas sûre que je sois qualifiée pour les mondiaux de gymnastique avec cette figure !

- Il faut tourner ! me crie Max.

Il est malin lui, mais je fais comment pour tourner ? Y'a pas de volant sur un surf !

- Tu appuies sur tes pieds. Doigts de pied, tu tournes à droite, talons à gauche.

Il m'a vraiment prise pour une surfeuse ! Et si j'y retournais ?

Vagues suivantes : trois descentes, deux machines à laver, dont une arrêt cuve pleine (pas d'essorage, vive les vieilles machines !), des plongeons dans la vague comme les pros et un léger virage, vraiment très léger.

- Tu te débrouilles bien ! Et je ne t'ai pas poussé, cette fois !

- Tu parles ! Attends, laisse-moi essayer un truc.

Je monte sur la planche, hors des vagues. Et pourtant, je tiens debout !

- C'est bien ce que je pensais, je pourrais surfer dans une baignoire avec ce surf ! j'annonce un peu déçue.

- Si tu veux, tu peux essayer ma planche, mais je ne suis pas sûre que tu aimes. Tu sais, la tienne, c'était celle de Shirley quand elle débutait. C'est pour se faire plaisir.

Il a raison, ne soyons pas trop gourmand. Et puis de loin, personne ne voit que je surfe sur un pain de polystyrène, l'honneur est sauf !

Je retourne à l'eau pour un dernier round, grisée contre toute attente par les sensations de glisse dès que j'arrive à me lever, et qui effacent les passages dans la machine à laver (je vais quand même bientôt pouvoir ouvrir une blanchisserie !).

- Tu veux m'accompagner derrière, dans les vagues ?

Sous-entendu, ce n'était pas sur des vagues, que j'ai surfé !

Piquée au vif, je me retourne. Une vague gigantesque fait gicler un surfeur pourtant talentueux. Je le regarde sortir la tête de l'eau, reprendre sa planche et ses esprits, mais une seconde vague se brise sur lui. Aïe ! Exactement comme tout à l'heure sur moi. Sauf que cette vague-ci est énorme.

- Non merci, je crois que je vais me reposer un peu.

Je sors de l'eau, du sable plein les oreilles, les cheveux en choucroute mal décongelée, le souffle un peu court, les sinus complètement débouchés et les jambes qui remontent difficilement la faible pente de sable mouillé.

Je m'affale sur ma serviette, les yeux rivés sur les surfeurs, bien disposée à comprendre à quel moment partir, quand se lever et comment tourner.

- Estelle, on rentre ?

- Que, quoi ? On est où ?

Faut croire que je me suis endormie.

Surf© vous aide à lutter contre les insomnies. A prendre le matin dans un grand verre d'eau salé. Médicament déconseillé aux femmes enceintes et aux enfants en bas âge.

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