IV. Proxima estacion : Esperanza
J'ouvre les yeux. Quelque chose a changé. Le bruit des vagues sur la coque : il est moins fort. Et le roulis aussi, presque plus.
Je sors de ma couchette et regarde par le hublot : l'horizon est bouché. J'enjambe les marches et saute dehors : la côte, nous arrivons près de la côte. Elle est encore loin, je ne distingue qu'une forme massive, bleue foncée, avec des nuances plus claires derrière, le relief. Quelques mouettes tournent autour du bateau et, en tendant l'oreille, je jurerai entendre des piafs au loin, quelque part, attablés à un arbre.
La Terre !
Enfin !
Je redescends fissa chercher la paire de jumelles sur la table à carte et remonte observer la côte : des arbres, des arbres, des arbres. Une forêt immense, dense, foncée. Par endroit des falaises qui semblent noires et quelques pics acérés comme des canines de loup qui sortent par endroits. Le tout surmonté d'un immense nuage. Un peu austère tout ça. On est loin du paradis des plages de sables blancs des pubs pour les canapés. Mais, bon, si ça ressemble à Hawaï, le paradis n'est pas là où on l'imagine.
Je redescends me verser un bol de céréales, prends mes lunettes, un chapeau et mon appareil photo, et remonte pour profiter de la vue sur la terre.
Quand on pense au prix du m² des villas vue mer, moi, je préfère la vue terre !
- Nuku Hiva ! La plus grande des Marquises ! Bienvenue en Polynésie, Estelle. Tu vas enfin pouvoir refaire tes papiers et reprendre une vie normale.
J'ignore la fin de sa phrase (ce n'est pas le moment de se prendre la tête avec lui. Imagine qu'il décide de me planter juste avant d'arriver à terre ?).
- On arrive dans combien de temps ?
- Trois-quatre heures. Il faut longer la côte. Taiohae est de l'autre côté de l'île.
- Taiohae ?
- Le port. Cette fois on fait la clearance. Et n'oublie pas : nous ne sommes jamais allés à Hawaï et tu as perdu ton passeport lorsque nous avons quitté le Mexique : il est tombé à l'eau quand nous étions sur l'annexe, en rentrant sur le bateau après la douane.
- Mais, et la durée ?
- Rien n'interdit de s'arrêter jouer les Robinson Crusoé sur une île vierge en chemin.
Je reste scotchée devant le paysage pendant tout le temps que dure notre arrivée. Je ne pensais pas que je serai si attirée par la côte. Mais après les bruits, vinrent les odeurs. Celles de la terre et des feuilles, celles de la pluie aussi, puis celle des fleurs. Des fleurs ! C'est comme si mes narines sortaient d'un long sommeil, elles que j'avais sommées de se fermer pour éviter les relents de cuisine.
Et avec les odeurs, les couleurs : le blanc des cascades qui ponctuent la forêt, le noir des talwegs, le vert pomme des champs, le crème du sable d'une plage et le violet des arbres en fleur. Il n'y a que la mer qui reste désespérément bleue marine, limite noire, aussi foncée qu'à Hawaï.
Les textures apparaissent également et je peux maintenant distinguer les arcs formés par les feuilles de cocotiers, ondulant sous la brise.
Puis c'est au tour des barques de pêcheurs de nous accompagner, des sourires bien calés sous des grands chapeaux de palme.
Que c'est beau, la Terre !
Nous arrivons dans la baie pour midi. Une grande baie bien large, constellée d'une petite dizaine de voiliers. Les maisons s'étalent le long des vallées jusque haut sur la colline. Des petites maisons carrées aux toits rouillés.
Lorsque nous affalons les voiles et jetons l'ancre, toute la moiteur de la terre se pose sur moi et je me rends compte à quel point le vent m'avait empêché de souffrir de la chaleur pendant toutes ces journées.
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