IV. Cours, Forest !

Je te dois donc la vérité, toi qui m'as lu jusqu'ici.

Tous ceux que j'ai croisés, Amy, Pat, les Beatniks, Lupita, Jean, Shirley, Max, Stian, Ta'aroa, je les ai véritablement rencontrés et je n'ai pas grossi leurs traits. A moi aussi, certains m'ont paru excentriques au départ, mais finalement, qui est excentrique ? Ou se situe la norme ? Qui de l'aigle sur le sommet du cactus ou de la fleur imite l'autre ?

Tout ce que j'ai écrit s'est réellement passé.

Tout.

J'ai juste bâclé la fin de mon histoire.

Enfin non, je l'ai juste tronquée. J'ai juste mis le générique de fin juste après le baiser du Prince.

Parce que, je te l'ai dit, j'ai toujours cru au Prince Charmant. Parce que j'ai été conditionnée pour croire qu'à la fin, ils vécurent heureux, eurent beaucoup d'enfants et s'installèrent dans un belle maison avec TV écran plat et deux véhicules hybrides SUV.

Ta'aroa n'avait pas d'écran plat. Mais c'est pas pour ça que je suis partie.

Il avait pourtant presque tous les critères, il atteignait presque le 20/20 sur l'échelle du Prince Charmant.

Mais ça c'était au début.
C'était pendant la période d'essai.


Je me revois descendant vers la baie sous les étoiles, n'entendant que mon souffle, haletant, et mes pas retentissant sur la route. Le sang battant à fond dans mes tempes, les jambes fébriles. L'épaule meurtrie par le poids du sac-cabas, à moins que ce ne soit ... ?

Courir le plus vite possible sans faire de bruit.

Je me revois sautant sur les rochers glissant pour atteindre la petite plage où il laissait son paddle. Je me souviens avoir pensé : « ne pas marcher sur le sable, ne pas laisser de trace, ses ancêtres sont des guerriers, il ne faut pas qu'il me piste ».

Je n'en étais pas encore aux « pourquoi moi ? », « pourquoi lui ? » qui m'assailliraient plus tard.

« Une seule tâche à la fois en restant concentré » répétait en boucle ma prof de techno au collège. Qui m'aurait dit que le laïus de cette vieille chouette déprimée allait me sauver la vie ?

Je me revois concentrée sur la lueur faiblarde de la lune dessinant le relief sur les rochers. Je me revois bondissant de pierres en pierres, vigilante à ne pas tomber sur ce basalte acéré.

Je me revois tâtonner à la recherche de la rame noire et l'agripper enfin.

Je me revois poussant le paddle dans l'eau, y déposer le sac et monter, toute tremblante, à genou.

Je me revois pagayant à genou le sac calé sous moi, avec cette rame beaucoup trop grande.

De l'eau sur mes genoux.

Le fond du sac sûrement tout mouillé.

Je n'avance pas. Je n'avance pas assez vite. Il faut aller plus vite. Allez, Estelle, appuie !

Je me revois tambourinant au hublot du voilier le plus proche et attendre.

Je me revois le contourner et ramer jusqu'au suivant, beaucoup plus loin dans la baie.

Tambourinage à son hublot.

Attente.

Rame jusqu'au suivant, le regard terrifié trop souvent tourné vers la côte.

Puis encore un autre, toujours plus loin au milieu de cet attroupement gigantesque de voiliers.

Jusqu'à ce qu'une lumière éclaire un hublot.

Quelqu'un sort.

Je file vers l'arrière du bateau.

Je l'entends questionner.

Je monte.

Je reconnais Mike, un vieux néo-zélandais pas très affable que j'ai croisé plusieurs fois aux snacks du port.

Il me dévisage et pousse un cri :

- Oh my God !

Il me fait signe de rentrer. Réveille sa femme.

C'est à ce moment que l'exfiltration commence.

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