III. Boucle d'or, la fée clochette et le maître Jedi
- Pachione fwoute – Banana milke chèque, you laïke ite ?
J'entends une voix qui me parle anglais et j'ouvre les yeux sur une jolie femme de mon âge aux belles boucles blondes qui me tend une boisson qui sent rudement bon. Je suis sous une couverture, dans un hamac, au milieu d'une cabane en plein été.
Apparemment, j'ai dû me perdre quelque part dans l'espace temps. Maître Ioda, si tu es là, dis moi dans quelle galaxie je me trouve !
- I'm Shirley by the way. You don't want your milk-shake ? Fresh from the garden !
Je prends la boisson que la fée clochette me tend et avale ce nectar des dieux sous l'œil insistant de ma nouvelle compagne.
- I beg your pardon, but do we know each other ? Were you supposed to come here ?
- Estelle, je lui réponds en lui tendant la main, pour couper court à la conversation, avant qu'elle ne devienne complètement incompréhensible. French. Friende ofe Jean, ze saylore. Aïe donte spik goude inglishe. Je devrais plutôt dire que je ne parle pas du tout anglais, mais ça, elle l'entend !
- Chon ?
- No, Jean, j'insiste en articulant.
Vu sa mine, j'ai comme l'impression qu'elle ne voit pas de qui je parle. Vu que c'est ici que j'ai rencard avec Jean dans quelques jours, j'espère qu'elle se souvient de lui.
Et qu'elle s'entendait bien avec.
C'est un plan foireux ou quoi ?
Bon, réessayons, j'ai tout mon temps (dans l'hypothèse où elle ne me jette pas dehors!)
- Jean, euh, Jean Le quelquechose, p... je ne me souviens pas de son nom ! Breton nème.
- ...
Ouais, bon, elle ne doit pas maîtriser les patronymes bretons. Merdouille ...
- Ah ouais : the nème ofe ze bôte iz l'Espérance !
- L'Espérance ? ... Oh Jean ! Oui, oui, Jean Le Goff, l'ex-mari de Betty, bien sûr. Tu connais Jean ? Mais c'est super ! Et c'est lui qui t'as dit de venir ici ? C'est correct, Jean ... Bon, eh bien, bienvenue chez nous !
Chouette, elle parle français !
- Merci pour votre, ton (?) accueil.
- Bienvenue. Et tu peux me tutoyer, les amis de mes amis sont mes amis, c'est bien connu. Et que me vaut le plaisir de ta visite ?
- Tu n'as pas reçu le mail ? Celui où Jean te disait que j'arrivais ?
- Oh tu sais, nous, internet ici ! Suis-je bête, vu la maison connectée qu'elle habite !
Bon ben super, Estelle, je crois que tu as gagné le concours des Miss Incrustes ! La boucle d'or des temps modernes qui vient de faire le tour de cadran dans leur salon, si j'en crois l'heure qui s'affiche sur mon portable. Faut dire que depuis qu'on s'est quitté avec Amy et Pat, j'en ai fait des kilomètres, des heures et des décalages horaires. Parce qu'Hawaï, ça a l'air tout proche du continent américain vu de France, mais ça c'est parce que sur les cartes du monde, c'est tout petit et calé tout à gauche, mais quand tu fais tourner la mappemonde, ben tu te rends compte que c'est en plein milieu du Pacifique (j'ai eu le temps de jouer à ça sur l'écran de l'avion, vu que j'avais pas payé l'option films).
Une belle introduction dans mon nouveau squatt, donc.
- Donc tu es là pour ... ?
- J'attends Jean.
- Oh, il vient ? Cool. Max va être content. Il vient quand ?
- Je ne sais pas. On a rendez-vous ici.
- Ah oui ? Super ! Eh bien, tu restes le temps que tu veux chez nous. Estelle, c'est ça ?
J'aime quand ça commence comme ça.
- Max est parti surfer. Il revient bientôt.Tu prends quoi pour le petit déjeuner ?
L'utile, rien que l'utile ici ?
Max.
Une légende, un roman a lui tout seul, un être rayonnant à tous les sens du terme. Comment dire ?
Max c'est le genre de type qui t'amène, sans que tu y en prennes garde, dans des discussions endiablées. Parce que vu comme ça, c'est un mec au look banal, un grand mince qui affiche sa bonne humeur sur sa figure, du coup ridée par l'accumulation de fous-rires et sûrement aussi des bains de soleil, le nez un peu épaté et les cheveux courts blondis par le surf. Rien de particulier donc, à part ses yeux verts si clairs que je me demande s'ils ne trahissent pas son aptitude à transcender les énergies.
Ou à le croire.
Parce que quand il te parle des cultures ou des religions, qu'il t'embarque dans sa théorie sur le but de la vie ou qu'il décide d'immortaliser ce moment en écrivant une chanson, d'un coup, ses yeux hyper clairs s'agrandissent et s'illuminent, sa bouche s'élargit, sa figure se colore, ses mains gesticulent, son corps s'avance et surtout son front se décale vers le haut, comme s'il voulait agrandir sa tête pour que les mots qui en sortent résonnent plus fort. Tu es alors obligatoirement captée par cet être quasi mystique qui t'embarque dans sa théorie intergalactique que tu aurais trouvée complètement à côté de la plaque s'il elle t'avait été énoncée par n'importe qui d'autre que lui. A cinq heures de l'après midi, devant un jus de fruit, puis sous les étoiles devant toutes sortes d'alcools, qui semblent moins forts à mesure qu'ils sont engloutis.
Qui d'autre que lui pourrait lier tout naturellement l'expansion de l'univers à la fabrication du gobelet en plastique (réutilisable évidemment le gobelet), plein d'un vin californien, qu'il exhibe fièrement, en s'exclamant « tout est imbriqué », en passant de la volonté qu'ont toujours eu toutes les espèces d'aller voir plus loin, au delà des terres, au delà des mers et maintenant au delà des étoiles, au progrès scientifique, biologique et technologique nécessaire pour arriver à fabriquer des matériaux robustes et assemblables comme ce gobelet (qu'il sirote par intermittence et reremplit entre deux « tu vois ce que je veux dire ? »), et les fusées qui permettront d'envoyer des hommes et des espèces conquérir des planètes potentiellement habitables (« les bactéries, pense à la quantité de bactéries que nous avons dans le tube digestif et qui partiront nécessairement avec les astronautes sur une autre planète, très bonne stratégie d'expansion, celle des bactéries, tu ne trouves pas ? Le minimum d'énergie pour une conquête de l'univers. Faut juste qu'elles choisissent le bon cheval, enfin, le bon astronaute »), alors que sur d'autres planètes seront uniquement envoyés des kits de début de vie, sorte de barres de céréales contenant la matière primitive nécessaire pour y créer toute forme de vie. « Mais sans homme, juste les barres de céréales, tu vois ce que je veux dire ? »
Il reprend sa respiration pour me laisser digérer sa thèse, qui ressemble à une grosse bouillie dans mon cerveau un peu trop alcoolisé à cette heure, et resservir une tournée générale de rhum je crois cette fois , alors que Shirley me sert une part d'un gratin de courges sorti de nulle part (elle a cuisiné pendant que j'écoutais Max?), et il repart, les yeux, les mains, le visage et le front gigantesque, tout à son discours, en m'alarmant sur l'importance capitale de l'histoire avec un grand H, des mythes fondateurs et des religions pour que, dans des millions d'années, les descendants des colons intergalactiques puissent se souvenir du but de cette conquête spatiale, au contraire des descendants des barres de céréales primitives qui n'en sauront jamais rien. Ce qu'il conclut en exhibant fièrement son gobelet en plastique, maintenant vide, et en déclarant que nous sommes peut-être ces amnésiques, égarés sur cette planète sans savoir pourquoi, avant de souligner l'extraordinaire faculté à communiquer par télépathie qu'ont les aborigènes, qui leur conférerait, selon lui, un possible rôle de sentinelles temporelles.
Je lève les yeux vers le ciel étoilé de cette belle soirée, questionnant mentalement des hypothétiques ancêtres au delà de la voie lactée, et résolue à ne pas comprendre le lien entre le gobelet et l'espace.
- Tu vois ce que je veux dire ?, me questionne-il, peut-être inquiet de mon silence après son très long monologue dont il se rend alors compte qu'il m'a été servi en anglais, même s'il parlait lentement.
- Je crois que je ne vais pas prendre de céréales demain matin au petit déjeuner : je ne me sens pas l'âme cannibale.
- Max, honey, interpelle tendrement Shirley, come on, her glass is empty ! Tu crois que les conquérants de l'univers peuvent survivre le verre vide ?
C'est peut-être ça, le lien avec le gobelet.
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