I. Noir c'est noir

Un fracas assourdissant au milieu de ce noir.

Je me sens soudain rouler sur moi-même. Un coup violent vient me frapper dans le bras. De l'eau, le bruit de l'eau ; quelqu'un se noie ; des cris que je ne comprends pas. Je m'approche, je reconnais Tyler, le fils de Shirley, aussi beau que sur ses photos en noir et blanc, la raie bien au milieu. Je lui tends le bras mais une ombre me repousse violemment et lui tape dessus, lui tape dessus, lui tape dessus. Elle rit, d'un rire sarcastique, un rire de vieille sorcière. Elle se retourne et sous la capuche apparaît le visage d'Amy, les traits déformés, les yeux injectés de sang. Son regard atroce suit Pat qui s'avance vers moi, armé de son grand couteau. A côté de lui, Antoine, l'air désolé, devant un énorme gâteau au chocolat. Le cri, je le distingue maintenant. « Tu n'aurais pas dû !». Pat pointe son couteau vers moi. Hypnotisée par le reflet de la lame sous la lune. Je sens qu'on me le plante dans le cœur. Mais c'est Stian qui s'écroule, c'est Stian qui saigne, c'est Stian qui gît par terre, sous son grand chapeau de soleil. Lupita s'agenouille en pleurant, je l'entends prier en se balançant sur lui et je m'entends hurler « Noooooooooon ... » Lupita se lève, tourne la tête vers moi, me fait signe de la suivre et disparaît en courant. J'essaie de courir moi-aussi, mais je n'arrive pas, mes jambes ne répondent pas. J'essaie de voler alors, me concentrant sur les mouvements de brasse. Lupita se retourne et Jean apparaît à sa place, les yeux pleins de reproches. Je remets le pied à terre pour courir enfin. Je descends vers la baie, très vite, serrant dans ma main la statuette du Tiki qui s'est mise à pleurer. Je n'entends plus que mon souffle, haletant, et mes pas qui claquent sous le ciel noir étoilé. Les étoiles. Ma belle étoile. Ta'aroa. Son étreinte. Son ...

- NON !

Je me réveille en sueur, une douleur dans le bras, l'impression que tout penche, coincée dans une petite cellule moisie et plongée dans le noir.

J'attends un peu que mes yeux s'adaptent à l'obscurité. Sans respirer, pour mieux écouter.
Le bruit de l'eau.
Des vibrations.
Une respiration un peu plus loin. Je ne suis pas seule dans la pièce.
Un drap sur moi.
Le lit très étroit.
Sur une petite étagère, la silhouette du tiki en ivoire. Il sourit. Figé.
A côté, la lueur dessine un mur courbe qui finit en plafond.
Un couloir étroit de l'autre côté.

Doucement, je tend la tête dans le couloir. Un peu plus loin, accroché au mur, un manteau jaune, luisant. Un ciré.

Et soudain tout me revient : je suis sur un voilier, quelque part au milieu du Pacifique, en direction des Gambiers. C'est la respiration de Timothé que j'entends.

Tu peux te rendormir Estelle, tu es en sécurité ici, tu ne crains plus rien. On vient juste de virer de bord.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top