Matéo
— C'est poussiéreux.
C'est la toute première réflexion que je fais en arrivant dans la chambre que nous avons louée dans ce château irlandais qui sert maintenant de chambre d'hôte.
— On dirait que ça n'a pas été nettoyé depuis des siècles. Comme si la propriétaire voulait laisser faire le ménage aux fantômes qui habitent ses murs. Ça fait une bonne excuse pour entretenir le mythe de l'endroit. C'est marrant, même si je plains sérieusement les allergiques aux acariens et autres choses peu sympathiques, rajoute Elijah en observant partout autour de lui.
J'ai de la chance qu'il soit si proche de moi, je l'entends assez bien. Surtout que l'endroit semble résonner. Nous rions tous les quatre et nous essayons de nous répartir les lits et l'espace dans l'armoire. Afin d'économiser le maximum d'argent, nous avons convenu de louer seulement une seule chambre et pouvoir nous offrir des sorties plus intéressantes, comme cette promenade sur ce lac dont j'ai franchement oublié le nom. Comme aucun d'entre nous n'est un animal, nous pouvons très facilement dormir dans les deux lits doubles et seulement dormir — enfin, nous savons très bien que nous allons aussi discuter à ne plus avoir de voix, mais c'est un détail.
— Mais au moins, on sera bien dans l'esprit de notre super voyage ! Ce n'est pas ce que vous vouliez ? hurle Violine en s'affalant sur un des lits, ce qui fait soulever de la poussière.
Nous avons découvert cet étrange point commun qu'est notre amour du pays vert lors d'une discussion dans la maison des lycéens, lorsque nous étions en début de Terminale. Nous venions d'évoquer les années de césure avec nos profs respectifs d'anglais et chacun avait lancé quelques idées de pays qu'il ou elle aimerait bien visiter. Et pour nous, il s'est avéré qu'il s'agissait de l'Irlande. Alors, un soir, alors que nous étions tous les quatre au CDI à attendre nos bus qui étaient en retard à cause du mauvais temps, nous nous étions fait une promesse. Celle de visiter l'Irlande une fois nos bacs en poche. Je me souviens très bien du blêmissement de Camille, à qui le prof de maths n'arrêtait pas, si tôt dans l'année, de lui répéter qu'il n'aurait pas son bac. Sa présence avec nous était un signe qu'il ne fallait jamais relâcher l'ours avant de l'avoir tué — une expression signée Monsieur Aubry lui-même, retournement de l'originale qui ne lui convenait pas assez bien.
Et nous y sommes tous les quatre, ensemble. C'est quelque chose. Un quelque chose qui s'est vraiment réalisé. Je n'en ai jamais parlé avec les autres, mais le fait de partir dans des facs différentes l'année prochaine, même si elles sont sur le même campus, me fait peur. J'ai peur que nous nous perdions de vue. Parce que ça me briserait le cœur, non pas seulement pour Elijah, mais également pour les deux autres. Ce sont les seules personnes qui m'ont fait comprendre qu'à leurs yeux, je n'étais pas quelqu'un de complètement cassé qu'il fallait réparer. Que le fait que je sois malentendant ne me transformait pas en quelque chose de non humain. Alors ils répètent ce qu'ils disent, ils articulent bien et je sais qu'ils apprennent en secret la langue des signes avec Elijah pour me faire la surprise pendant le voyage, puisqu'il comprend mon anniversaire.
— D'ailleurs, qu'est-ce que vous voulez faire ce soir ? Pour fêter notre arrivée dans ce pays extrêmement vert et sympathique ? commence Camille, en me regardant droit dans les yeux, pour que je me focalise sur ses lèvres.
— Je propose qu'on aille fêter l'anniversaire de notre cher Matéo, continue mon petit ami en me pressant un bout de main.
Je sursaute non pas à cause du geste, mais de l'idée. Mon anniversaire est mardi et nous sommes samedi. Il y a encore du temps avant de faire la fête.
— Bonne idée. J'ai repéré un coin qui pourrait être... magique pour nous, essaie de me convaincre Violine en me faisant un clin d'œil.
Ça sous-entend un lieu avec de la musique. Mais malheureusement et contrairement à elle, je n'ai pas pu ramener mon instrument. Trop encombrant, trop cher — en termes de prix et à mes yeux —, je ne me voyais pas le transporter à travers la campagne irlandaise que nous avons dû traverser avant d'arriver ici. Un violon, c'est un peu plus léger.
— Tu es d'accord Matéo ? C'est toi qui as le dernier mot, bien évidemment.
Je les regarde les uns après les autres. Si on me propose une bonne sieste avant, je suis partant. Ce n'est pas le moment pour nous de nous séparer. Alors j'acquiesce en hochant la tête et en souriant légèrement.
— Mais je réclame juste une demi-heure de calme, que je puisse me reposer un peu. Je suis claqué. Ne vous occupez pas de moi, vous pouvez aller découvrir les alentours sans moi.
Les yeux d'Elijah me disent que je rêve les yeux grands ouverts. Je n'ai même pas fait cette proposition pour être un peu seul avec lui, même si ça ne me déplait pas. Depuis qu'il est parti chez sa mère, j'ai l'impression de ne plus le voir du tout.
— Okay, on a compris. Aller, viens, cher amoureux des carottes, on va aller de raconter nos vies en se roulant dans l'herbe. Ça va être fun.
Je ne comprends pas tout, mais j'entends parler de légumes et je lève un sourcil pour signifier mon questionnement interne. Je sais que Violine aime nous donner des surnoms, mais au je ne l'ai jamais entendu appeler Camille ainsi. Peut-être que l'air de l'Irlande l'inspire.
— Alors ? Tu veux vraiment faire la sieste ou tu voulais simplement les jeter dehors ? prononce-t-il en signant en même temps.
— Dormir. Mais je ne dis pas non pour avoir tes bras avec moi.
— Et pas le reste de mon corps ?
Il fait une erreur sur corps et je le corrige en souriant, lui montrant le bon signe. Ce qui est drôle c'est qu'il me corrige les fautes de français et moi celles de langue des signes. On s'aide à s'améliorer l'un l'autre.
La main dans la sienne, mes lèvres finissent rapidement sur les siennes. On s'embrasse rapidement et j'atterris dans ses bras. C'est confortable. Mais, complètement crevé, je vais m'allonger sur un des lits et je me fixe faire de même, me glissant un baiser sur l'épaule au passage. C'est tout doux et je sais très bien qu'il n'en recherche pas plus. C'est parfois.
Le sommeil vient me cueillir en un sourire, serré dans les bras de mon petit ami.
***
— Allez, on se réveille les deux marmottes, on se change et on va s'amuser ! On a repéré l'endroit avec Camille et ce n'est vraiment pas loin !
Parfois, c'est presque bien que nos amis hurlent et que je garde tout le temps mes appareils dans les oreilles. Parce que j'ai tout entendu, et que ça a réveillé Elijah qui l'a montré en grimaçant. Ayant déjà ouvert les yeux depuis quelques minutes déjà, je me lève d'un seul homme et vais dégoter de plus beaux habits dans ma valise.
— Merci de faire des efforts Téo, glisse Violine dans mes oreilles en se penchant vers moi et posant une main sur mon épaule. Tu vas faire le truc dont on a parlé ?
Je hoche positivement la tête en souriant et elle colle ses mains aux miennes en les serrant. Cette fille est vraiment attachante. Et sait particulièrement bien garder les secrets.
Je passe quelques secondes à la salle de bain pour me changer et reviens dans la pièce en rangeant mes affaires sales dans le sac plastique prévu à cet effet.
— T'es cute dis donc, commence Violine en me voyant sortir de mon coin.
Elle en profite même pour donner un coup de coude à Elijah, qui est en train de faire un truc avec sa propre valise, complètement dos à moi. Il relève les yeux qui se posent trente secondes sur ma personne et rougis comme une tomate. Il est extrêmement mignon comme ça.
— Je crois bien que c'est la toute première fois que je te vois en chemise, signe-t-il, les mots étant coincés dans sa gorge. Désolé pour la couleur, je ne contrôle rien du tout, touche-t-il ses joues en se déviant.
— Ça ne fait rien, je ne vais pas te faire la morale pour ça.
J'avance vers le lit et j'attends que les autres passent les uns après les autres à la salle de bain en levant la tête vers le plafond. Mon accordéon me manque. Le contact des touches, et la sensation de plénitude que j'en dégage lorsque j'en joue. Un jour on inventera une version miniature de cet instrument et je pourrais le prendre avec moi dans un avion pour l'emmener en voyage. Pour pallier à ce manque, je commence à jouer dans l'air, fermant les yeux. Je n'entends peut-être pas bien la musique, je la ressens par tous les pores de ma peau.
Heureusement pour moi, les autres ne sont pas longs et nous pouvons rapidement nous mettre en marche vers ce fameux bar. J'ose rappeler que je n'ai pas encore dix-huit ans et on me rassure en me disant que le lieu fait également restaurant et que je n'aurai pas à monter pâte blanche avant d'entrer. Ça m'arrange plus qu'autre chose, c'est certain, surtout que nous y sommes en quelques minutes, l'endroit n'étant pas du tout éloigné de notre château sale et hanté.
La décoration semble arrangée sur un seul mur, avec des affiches, des dates de concerts de groupes mythiques, des panneaux d'interdiction. C'est assez original. Mais ce n'est pas ça du tout qui attire mon regard dès que je rentre. C'est la joueuse d'accordéon qui performe avec un guitariste, sur une petite scène aménagée. J'en ai la chair de poule.
— Je savais que ça allait te plaire, Matéo. Bon anniversaire à toi. Et maintenant, viens avec moi.
Je remarque son violon dans son dos et je lève un sourcil. Je ne comprends rien de ce qui se passe. La jeune femme baragouine quelque chose en anglais dans les oreilles des deux musiciens et j'attends, dans le blanc le plus complet. Ils nous sourient et ils nous laissent la place. L'accordéoniste me dépose son instrument dans les mains en rajoutant I trust you ! le plus fort qu'elle puisse.
— Petit cadeau pour toi. Je me suis arrangée avec le groupe pour qu'on puisse jouer ensemble ici. Parce que je sais très bien que ta chère musique te manque et que tu as dû mal à vivre sans.
Je pourrais presque pleurer. Mais je préfère lui offrir un sourire. Mais avant de performer, je m'approche du bar et demande, en anglais et en faisant un clin d'œil à Camille non loin.
— Est-ce que je peux avoir un jus de citron s'il vous plaît ?
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