Camille
C'est moi qui le vois le premier. Le mot. Ce fameux mot dont je rêvais, je cauchemardais même. Le mot qui me faisait peur aussi. Le mot.
Aubry Camille — Admis
Une libération pour moi. Un relâchement même. J'ai même presque l'impression que je vais exploser sous la joie. C'est franchement puissant ce truc-là.
Je ne veux pas me gâcher la surprise, alors je m'empresse de téléphoner à mes amis. Et ils répondent les uns après les autres, tous sur notre petite conversation vocale sur Discord.
— Alors ? commence Violine, qui doit être en train de scroller les pages à la recherche de son nom de famille.
— Je l'ai.
Je l'écris aussi dans le chat vocal pour Matéo, s'il ne me comprend pas. Je ne veux surtout pas qu'il manque ça.
— Sérieux ? Bon sang, Camille, c'est trop cool ! Enfin débarrassé de ce truc, hein ?
— Oui, enfin ! Et vous ? Vous n'avez pas fini de remonter les pages ? Notre Académie n'est pas si géante que ça.
Je les charrie. Je sais bien qu'Elijah est déjà dessus, mais qu'il se tait parce qu'il veut me laisser la vedette. Parce que je suis celui qui a le plus nagé dans la semoule dans cette histoire.
— Mention très bien. Je suis vraiment désolé.
— Tu m'expliques pourquoi tu t'excuses ?
— Parce que j'ai eu bien mieux que toi. Je sais que ça a été dur pour toi et je ne veux pas en rajouter une couche avec la réussite.
Je souris derrière l'écran de mon téléphone. Du Elijah tout craché. Il n'y a que lui pour faire des trucs comme ça, pour s'excuser d'avoir travaillé comme un acharné et d'avoir eu sa fichue mention.
Je n'ai pas le temps de le faire remarquer, car Matéo me devance. Enfin, c'est ce que je crois au moment où je vois son icône s'illuminer de vert, signe qu'il parle.
— Moi aussi. Je suis vraiment désolé. J'ai aussi eu la mention très bien.
— Mais arrêtez de vous excuser merde ! Vous êtes géniaux les gars et c'est pas comme si vous n'aviez rien foutu alors, s'il vous plaît, vraiment, arrêtez. J'suis super content pour vous. Mais Violine, tout va bien pour toi ? Tu ne parles plus.
— Oh la vache. Oh bon sang. Oh уёрт.
— D'accord donc tu jures en russe. C'est une bonne ou une mauvaise nouvelle ? C'est un уёрт heureux ou malheureux ?
— Je l'ai avec très bien. Je... comment c'est possible ça ? Comment ?
— T'as tout défoncé en russe ? argumenté-je en riant, me rendant finalement que tous mes amis ont fait des étincelles. Mais que moi non plus, je ne suis pas en reste. J'ai fait des étincelles à ma manière.
— Vous venez avec moi cette aprèm les gars ? Pour récupérer les résultats. Je veux voir ce qui s'est passé.
— Pas de problème écrit Matéo, qui a coupé son micro. Je suis vraiment désolé, je dois m'en aller. J'ai un mal de crâne qui commence.
Elijah se déconnecte presque en même temps. Le connaissant, il doit être sorti de chez lui et court à une vitesse infernale pour aller prendre soin de son copain. C'est mignon tout plein et je les envie franchement.
— Et ton Noah, il l'a eu ? commence Violine, maintenant que nous sommes seuls.
— Oui. Je suis déjà allé vérifier. J'espère qu'il sera là cette après-midi.
— Pour que tu puisses l'observer à la dérobée comme d'habitude ? Ou alors parce que tu veux prendre le bus ? D'ailleurs j'imagine que je n'ai pas besoin de venir te prendre. Tu te débrouilles ?
Je la vois déjà venir. Je vois ses yeux ambrés se fondre dans les miens. Je vois son sourire mutin qui m'a fait craquer amicalement pour elle. C'est ce qu'on fait avec Violine. De l'amour platonique. Et puis surtout, c'est la seule à savoir pour Noah. C'est la seule qui l'a deviné, qui m'a pris un jour entre quatre yeux et qui m'a demandé si j'étais amoureux de mon voisin de table de maths alors qu'elle n'était même pas dans ma classe. J'avais écarquillé les yeux et elle n'avait pas lâché l'affaire. Je lui avais promis de tout lui raconter autour d'une tasse de thé le soir même. Nous étions dans ma chambre, je lui avais fait un Russian Earl Grey pour qu'elle se connecte à ses origines lointaines et j'avais tout déballé. Ça se voyait comme le nez au milieu de la figure que j'avais besoin de parler.
Depuis, elle me chambre quand elle peut, mais je sais qu'elle est de tout cœur avec moi et que ça le lui brise un peu de me voir un peu malheureux comme ça, en amour. Mais y a pas que ça dans la vie. Et la case étude, elle, elle est cochée depuis ce matin avec un certain plaisir.
— Oui, je me débrouille. Il faut bien que je profite de nos dernières quarante-cinq minutes et trente-huit secondes.
— C'est vrai que tu as ton petit rituel. J'oubliais ton côté un peu bizarre. Mais c'est bon, je te pardonne totalement parce que tu es trop gentil pour ton bien mon cher Camille.
— C'est parce que j'ai les meilleurs amis de tout l'univers. Ça aide. Sinon je serais un mec franchement aigri, sec et sarcastique.
— Mais tu es sec et sarcastique ! rigole-t-elle comme si elle me faisait un compliment.
Je la suis rapidement dans son activité parce qu'elle a totalement raison. Je suis un être sec et sarcastique. Mais je le vaux bien.
***
Attendre à l'arrêt a toujours été quelque chose que j'apprécie énormément. Je ne sais pas, j'ai presque toujours l'impression de me sentir chez moi dans cet endroit, sans le moindre abri, assis sur le banc qui manque parfois de me faire tomber, car il ne tient pas beaucoup debout. C'est là que je me suis rendu compte que j'étais vraiment amoureux de Noah, que j'étais bi et que je devrais aller en fac de lettres pour les études secondaires. En fait, énormément de choses importantes pour ma petite vie se sont passées ici.
Le numéro cinquante arrive avec ses cinq minutes de retard usuelles et je monte en présentant ma carte au conducteur. Le bus est plutôt rempli et je blêmis un peu. Ce n'est pas que je sois agoraphobe, mais je n'aime pas demander aux personnes à côté de moi si je peux m'asseoir. C'est pour ça que je montais systématiquement un arrêt plus haut pour être tranquille. C'est plus facile.
Je marche le long du couloir à la recherche d'une place, mais je fais chou blanc. Jusqu'à ce que, juste avant la seconde porte, on me tire par le poignet. Je me retourne vivement et j'écarquille les yeux, n'en croyant pas mes lunettes.
— Cette fois-ci, les rôles sont inversés. Tu peux t'asseoir ici.
Noah est là. Noah me parle. À moi. En me souriant. J'ai le cœur qui fait des loopings dans mon estomac.
— Merci. C'est vrai que c'est marrant de te voir contre la vitre. Tu me piques presque ma place.
Je viens de faire une énorme phrase. Plein de mots mis les uns à la suite des autres. Je n'en crois pas mes oreilles.
— Si tu veux ma place, n'hésite pas. Je peux te la donner.
Il rit à moitié. Il est si mignon. Je pourrais fondre dans la minute.
— Non, là c'est bien. Je te faisais marcher. Je suis désolé de te dire que tu es bon public.
Il rit une nouvelle fois. Je suis une guimauve, c'est décidé. J'adore son sourire, je ne sais pas comment l'expliquer et encore moins le décrire. Un peu emmerdant pour un futur écrivain et un étudiant en lettres.
— Ma gentillesse me perdra. C'est certain, sourit-il.
— Totalement ! Nous, les gentils, on est fichus d'avance dans ce monde. Pauvre de nous.
Nouveau rire, des deux côtés. Je pourrais presque imaginer la bande-son entre nous. Une de ces musiques qu'il écoute à longueur de journée.
— Alors ? Je peux te poser la question fatidique ou tu ne veux pas en parler ? continue-t-il en s'appuyant sur son sac rouge.
— Tu peux en parler. Tu peux en parler autant que tu veux.
Tu pourrais me causer des éléphants roses d'Antarctique que je t'écouterais toujours.
— Tu l'as alors ?
Son sourire est franc. J'ai même envie de rajouter qu'il est généreux.
— Oui. J'aimerais voir la tête de notre ancien prof de maths. Et toi ?
Dis-moi que oui, que tu souries encore une fois. S'il te plaît.
— Aussi. Figure-toi que j'ai même une mention !
Je suis amoureux d'un génie.
— Wow ! Félicitations !
— Je pense que c'est grâce à mon court métrage pour l'option cinéma. C'est quand même grâce à lui que j'ai réussi à entrer dans cette école à Paris.
Ça, je le savais déjà. Il en avait parlé en classe. Et j'avais vu en direct sa réponse, confortablement installé sur ma chaise derrière lui en biologie. J'aurais bien sauté au plafond moi aussi.
— Je peux te demander un truc, qui va peut-être te paraître bizarre ?
— Bien sûr.
Encore ce sourire. Il faut que je le photographie dans ma tête.
— Ce serait possible de voir ce film ? Tu l'as mis sur YouTube ou quelque chose comme ça ?
— Oui, je peux avoir ton téléphone ? Je vais te noter son nom.
Je lui passe en priant pour ne recevoir aucun message gênant de Violine qui me parle de mon voyage en bus. Ce serait un très mauvais timing.
— Le temps des citrons ? C'est original comme nom. Pourquoi avoir choisi ça ?
Encore un sourire. Il se la joue nettement plus mystérieux que précédemment. J'adore ça.
— Si je te le dis, ça gâche tout. Il faut que tu regardes.
— Je le ferais alors.
— Et si tu veux en discuter, n'hésite pas.
Je me retiens pour ne pas écarquiller les yeux comme des billes. Il a mangé quoi ce matin ?
— D'accord. Je retiens. Surtout que j'aime bien analyser les choses, même si je suis plus doué avec les bouquins. Je ne te promets pas un truc parfait.
Il sourit encore. Et nous continuons de discuter. C'est le meilleur trajet en bus de ma vie.
***
Nous arrivons ensemble au lycée sous les pupilles complètement ébahies de Violine qui m'attend avec les garçons. Bien sûr, elle ne me fait pas de remarque pour éviter de me trahir, mais son regard veut tout dire. Je fais un signe à Noah en lui faisant promettre d'aller donner ses notes à notre ancien prof de maths et à celle d'allemand. Il m'a fait un clin d'œil en acceptant. Et mon cœur est reparti dans son looping. La tête de Violine est entourée de dizaines de points d'interrogation dont je comprends tout à fait leur nature. Je crois que je viens de faire quarante-cinq minutes et trente huit secondes de rêve éveillé.
Plus tard, alors que j'observe ce quinze sorti de nulle part en biologie, mon amie vient caler sa tête dans le creux de mon épaule et la dépose en souriant mutinement. Je sais exactement ce qu'elle va me dire.
— Alors ? C'était comment ?
— Cosmique.
— À ce point-là ?
— Ouais. J'étais dans les étoiles. Des machins très brillants, ces petites bêtes.
— Mais encore ? Tu vas arrêter de me causer en images et me raconter un truc concret ?
— D'accord. Il m'a donné une idée sans le vouloir. Je vais raconter nos vacances. Nos vacances réservées depuis des mois dans ce château tout froid d'Irlande. Ces vacances qu'on a méritées.
— Sérieusement ? On va être des personnages du génial Camille Aubry ?
— Totalement. Je vais vous malmener. Ça va être drôle.
— Et puis-je demander à ce génial Camille Aubry comment son futur best-seller va s'appeler ?
— Le temps des citrons.
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