Chapitre IX. Pensées nocturnes
- Alors, qu'est-c'tu dis ?
Keenon prit une longue gorgée d'hydromel tout en espérant que cette enquiquineuse de Brina le laisserait tranquille.
- Hé ! Tonna-t-elle. C'est à toi que j'parle.
Reposant sa choppe, il leva un regard agacé vers elle. Avec son jolie visage au menton pointu, ses yeux noirs en amandes, sa peau tannée par le soleil et ses cheveux noirs ébène, Brina était belle. Si l'on omettait sa tenue d' homme et le fait qu'elle était le chef d'une bande de voleurs, elle aurait pu passer pour une demoiselle de la cour.
- Tu ne vois donc pas que j'essaie de me saouler en toute tranquillité ? Marmonna-t-il en soufflant. Tu ferai mieux d'aller voir ailleurs si j'y suis.
En effet, Keenon était au Marwin's pour essayer de se saouler. Il avait passé ces trois derniers jours à chasser les démons de Ombreford, le quartier des éclaireurs. Il était couvert d'ichor et ses vêtements était déchirés par endroit et, pour éviter les flots de questions de ses amis, il avait préféré se terrer dans cette auberge.
Le jeune homme était installé à la table qu'il occupait habituellement avec les autres. L'auberge n'était pas bondée ce soir-là. De là, il voyait tout ce qu'il se passait dans le Marwin's. Un groupe d'hommes costauds et barbues jouait aux cartes à une table près du bar. Il y avait aussi des habitués, comme lui.
Brina lança un coup de pieds à la table branlante, ce qui le fit sortir de ses pensées. Il avait presque oublié sa présence.
- Tu es encore là, toi ?
- J'te rappelle que c'est toi qui voulait faire cette mission, dit-elle, ses yeux lançant des éclairs. En fait, t'es comme ces trouducs de lacheurs, espèce de sang-bleu de malheur. Suceur de sang, sangsue !
Keenon lui offrit un sourire carnassier qui dévoila ses canines pointues. Il fut satisfait de la voir frémir avant de tourner les talons. Il héla une serveuse pour commander une autre chope. Quelques instants après, une chope remplit à ras-bord se posa devant lui, tenu par une main toute ridée et fripée. Le jeune homme grogna en sentant une odeur qui lui était insupportable. Levant les yeux, il fusilla la veille dame aux cheveux gris qui se tenait devant lui du regard.
- Tu t'es enfin décidé à quitter cette petite voleuse, commença-t-elle en s'installant en face de lui.
Keenon prit une grande gorgée tout en essayant de l'ignorer. S'il voulait de la tranquillité, c'était ratée ! Cette vielle fripouille d'Hilda ne le laisserait pas tranquille. Il aimait bien le Marwin's, mais pas sa propriétaire. Cette vielle pie se mêlait de sa vie comme si elle n'avait rien de mieux à faire.
- J'ai appris que tu avais ramené une fille au palais. C'est vrai ?
Il considéra la femme rondelette et remarqua ses yeux marrons posés sur lui avec une curiosité avide. Hilda était une sacrée commère, tous le savait. Si elle était au courant pour la fille, le royaume tout entier, sinon la capitale était sûrement déjà au courant également.
- Qu'est-ce que ça peut vous faire ? Rétorqua-t-il.
- Ho, tu n'avais encore jamais amener de fille à la cour, de ce que j'en sais, expliqua Hilda en contemplant ses doigts remplis de bagues. Tu comprends donc que cela puisse m'intriguer. A quoi ressemble-t-elle ?
Keenon promena son regard dans la salle. Près de l'entrée, Brina avait rejoins son groupe à une table, sûrement pour discuter de leur prochain coup. Ils devaient voler des vivres à un marchand de Kil'had pour les distribuer au FamStreet. L'idée venait de lui cependant, il ne se sentait pas vraiment d'humeur à dérober. Son regard fut attiré par l'agitation à la table des joueurs. Un homme ventru aux cheveux gras ramassa la cagnotte de la dernière partie. Depuis le début du jeu, Keenon l'avait remarqué, il avait gagné presque toutes les parties.
Hum, il y a enguille sous roche, là, songea-t-il.
- Elle est plutôt banale, fît-il nonchalamment pour se débarrasser d'elle. Mais je crois que vous êtes plus informer que moi.
Un énorme mensonge. La jeune fille qu'il avait ramené n'avait rien de banale. Elle était chétive, avec une longue chevelure couleur de blé et une curieuse mèche pourpre et des yeux gris très clairs, presque incolore. La dernière fois qu'il l'avait vu, elle était pâle comme un linge et gisait sur un lit dans la salle de Guérison. Mais cela, Hilda n'avait pas besoin de l'apprendre. Il se feras un plaisir de lui mentir.
- Ha bon, murmura-t-elle, pas du tout décourager du manque d'attention de son interlocuteur. Cela me surprend beaucoup parce qu'à ma connaissance, tu n'as jamais eu de petite amie banale.
- Et qu'est-ce qui vous fait croire que c'est ma petite amie ?
- Tu sais, je suis au courant de tout, te concernant, dit Hilda d'un ton mielleux.
Hé bien, vous n'êtes pas si informée que ça.
Le jeu avait reprit et Keenon le suivit de prêt. Le ventru affichait un sourire victorieux, comme s'il était certain de gagner à nouveau. C'est alors que Keenon le vit cacher très discrètement des cartes dans sa manche.
Je m'en doutait.
Le jeune homme reporta son attention sur la vielle dame, les sourcils froncés.
- Pourquoi est-ce que vous vous intéressez à cette fille ? demanda Keenon, irrité. Vous avez changé de bord, c'est cela ? Les hommes pouvant avoir l'âge de votre petit fils ne vous plaisent plus ? De toutes les manières, elle a déjà un petit ami alors vous feriez mieux de vous chercher une autre victime.
Le visage ridé d'Hilda se teinta de rouge, comme si elle était sur le point d'exploser. Elle se redressa, ses yeux lançant des éclairs.
- Je devrais te jeter dehors, lança-t-elle avec sécheresse.
- Vous pouvez toujours essayer.
- Tu as de la chance d'avoir une belle gueule, parce que, crois-moi, c'est cela qui te sauve, termina la gérante en s'éloignant.
- Permettez-moi d'en douter, lui cria Keenon.
Il se leva également, abandonnant sa chope à moitié pleine. La fatigue commençait à se faire ressentir et il avait vraiment besoin d'un bain. Il avança et s'arrêta derrière le tricheur de la table de jeu. Attrapant une petite dague de la poche de son pantalon, il déchira la manche du ventru d'un geste vif, à peine perceptible. Toutes les cartes cachées s'étalèrent sur la table, devant les grognements surpris et mécontents des autres joueurs.
Sans leur prêter plus d'attention, Keenon sortit dans l'air frais de la nuit. Levant la tête, il distingua le château qui se découpait dans le ciel sombre moucheté d'étoiles. Il savait que la fille était encore à l'intérieur. Avec sa malchance habituelle, il allait sûrement être amené à la voir plus souvent qu'il ne le voulait. En tout les cas, il ferais de son mieux pour l'éviter. Keenon ne la connaissait pas, mais il avait le pressentiment qu'elle trainait un paquet d'ennuis derrière elle et il n'était certainement pas disposé à gérer les problèmes des autres alors que lui-même en avait des tonnes.
Plus tu seras loin d'elle et mieux tu te sentiras, pensa-t-il en s'engageant dans les rues sombres.
De toutes les façons, il n'avait rien à craindre de cette petite chose.
**********
- Et alors ? demanda Kelia en faisant le tour de la pièce. Qu'as-tu décidé ?
- Je n'ai pas encore décidé, répondit Annastasya.
C'était un mensonge. Elle avait déjà pris sa décision cependant, elle avait besoin de l'avis d'un ami. Étant donné qu'elle et Cyrus était en froid, Kelia était la seule amie vers qui elle pouvait se tourner.
Assise sur le grand lit de la chambre qu'on lui avait assigné, elle jeta un regard vers la fenêtre vitrée. La nuit était tombée et le ciel était dégagé.
La jeune fille parcourut le grande chambre des yeux. Aux pied du lit, reposait une malle dans laquelle elle avait rangé les quelques vêtements que lui avait prêté Jazz. Une commode occupait un coin de la pièce et une petite secrétaire à côté de la fenêtre. Une cheminée au manteau en brique rouges éclairait et réchauffait la chambre. En plus de la porte d'entrée, il y avait une autre donnant sûrement sur la salle d'eau. Annastasya se leva puis se dirigea vers elle, sous le regard curieux de son familier.
Effectivement, c'était une salle de bain. Il y avait une table de toilette sur supportant une bassine, des serviettes et des fioles et une baignoire en fer surmontée d'un mécanisme complexe. Lorsque Annastasya le toucha, de l'eau chaude se déversa aussitôt dans la baignoire. La jeune fille en fut stupéfaite.
- On m'a dit que c'est de l'artisanat du Petit Peuple, expliqua Kelia. Cela permet à l'eau des sources d'alimenter directement les baignoires.
A Hérèbe, on les remplissait à l'aide de seaux. Il fallait reconnaître que les magiciens était très astucieux. La jeune fille se dévêtit et plongea dans l'eau chaude. Elle s'allongea dans la baignoire en poussant un soupire d'aise. Cela faisait plus d'une semaine qu'elle n'avait pas prit de bain. Annastasya s'appliqua à laver chaque parcelle de son corps et se lava les cheveux avec l'un des flacons contenant un produit à la lavande.
Son familier vint se poser sur le rebord, la mine grave.
- Anna, commença Kelia, qu'est-ce que tu comptes faire ?
Annastasya passa la tête sous l'eau puis la ressortit quelques secondes après.
- Qu'est-ce que je devrais faire, à ton avis ? retourna la princesse. Rester ou partir ?
- J'ai rencontré quelqu'un, Anna. Il s'appelle Lan et il est comme moi; un familier.
- C'est très bien, dit Annastasya. Mais quel est le rapport ?
Elle sortit du bain, posant les pieds sur le tapis recouvrant le sol.
- Il m'a dit que nous étions les derniers de notre espèce. ( elle prit une serviette et alla la donner à son amie.) Lan m'a montré des choses fantastiques et... Je n'ai pas envie de partir, Anna.
Annastasya, qui s'essorait les cheveux, enroulée dans la serviette, leva les yeux vers Kelia dont la voix s'était faite toute petite. Elle semblait sur le point de pleurer.
Kelia et elle étaient amie depuis toujours. Annastasya ne se souvenait pas de leur première rencontre - cela devait dater d'il y avait longtemps - mais savait que Kelia avait toujours été là pour elle. Elle était tout le temps joyeuse et souriante. A cet instant, cependant, elle semblait désespérée.
La jeune fille s'approcha d'elle, la prit dans ses bras puis apposa un baiser sur son front.
- Kelia, ne pleure pas, je...
- Tu pourrais rester, apprendre à maîtriser tes pouvoirs et chercher l'Ether par la même occasion, la coupa Kelia. Tu pourrais...
- On reste, Kelia. Je n'ai pas l'intention de partir.
- Tu pourrais voir...( Kelia écarquilla les yeux, la bouche bée) On reste ? Vraiment ?
Annastasya lui fit une pichenette et sourit devant l'air hébété de son familier.
- On dirait bien que tu m'as convaincu avec tes larmes, fit la jeune fille. Ce sont de sacrées armes.
Lorsque Kelia partit - elle voulait annoncer la nouvelle à son nouvel ami - Annastasya enfila une chemise de nuit que lui avait également prêter Jazz. C'était vraiment ironique qu'elle fut réduite à porter les anciens vêtements d'une inconnue alors que son placard à Brisnates contenait plus d'habits qu'elle n'en portait.
Elle éteignit les bougies posées sur la secrétaire et sur la commode, ne laissant que les faibles braises de la cheminée comme source de chaleur et de lumière. Alors qu'elle s'avançait vers son lit, elle entendit des voix dans le couloir, de l'autre côté de la porte.
Annastasya s'approcha puis ouvrit tout doucement la porte. La torche suspendu a côté de sa chambre était éteinte, plongeant cette partie du couloir dans l'obscurité. Un peu plus loin, une autre torche éclairait faiblement deux silhouettes près d'une autre chambre. Au début, elle crut qu'il s'agissait d'amoureux se voyant en cachette, puis, elle reconnût l'une d'elle. C'était une fille, grande avec une courte chevelure noire. Elle était présente au cimetière et c'était elle qui avait prit les livres à Merly.
La deuxième était... Keenon. Annastasya sentit son coeur battre plus vite. Il était torse nu. Un torse musclé et, malgré la faible lumière, elle voyait qu'il avait la peau bronzée. Ses bras solides étaient croisées sur sa poitrine. A la manière dont il était appuyé contre le chambranle, elle devina qu'il était agacé.
- ...Aucune nouvelle, fit la fille avec de grands gestes. Je me suis inquiétée.
- Excuse-moi, maman. Tu ferais mieux de me punir.
Elle lui donna un petit coup sur le bras.
- Soit un peu sérieux, le gronda-t-elle. Tu avais complètement disparu et j'ai cru que... que...
Elle baissa la tête et Annastasya se demanda si elle pleurait. Keenon leva les sourcils comme s'il trouvait sa réaction bizarre.
- J'étais en mission à Ombreford, finit-il par répondre.
En mission ? De quelle genre de mission parle-t-il ?
La fille leva vivement le chef, surprise.
- Ombreford ? Tu aurais dû m'en parler. J'aurais voulu, moi aussi, chasser des...
D'un geste rapide qui échappa presque à Annastasya, Keenon bâillonna la fille d'une main. Elle resta immobile, les yeux écarquillés de surprise. La respiration d'Annastasya se bloqua dans sa gorge quand elle vit le regard du jeune homme braqué dans sa direction. Ses yeux de feu brillaient dans la pénombre et elle avait l'impression qu'il la regardait droit dans les yeux.
C'est impossible, Pensa-t-elle, sa main tremblant sur la poignée de porte. Il ne peut pas me voir. Pas à cette distance. Pas dans l'obscurité.
Pourtant, il la regardait toujours. Aussi doucement qu'elle pu, Annastasya referma la porte.
- Qu'est-ce qu'il y a ? demanda la fille.
- Rien du tout, répondit Keenon après un moment de silence. Tu parles un peu trop à mon avis.
Annastasya marcha sur la pointe des pieds jusqu'au lit, remonta la couverture jusqu'au menton puis s'autorisa un soupire de soulagement. Qu'est-ce qu'il lui avait donc prit de les espionner de la sorte ? Ce que ces deux-là faisaient ne la regardait pas. Néanmoins, elle ne pouvait s'empêcher de s'interroger. Était-ce un rendez-vous amoureux ? Non, la fille semblait plus inquiète qu'amoureuse. Keenon avait parlé de mission. De quoi s'agissait-il ? Et qu'avait-il donc chassé ?
Elle se tourna vers la fenêtre voilée de rideaux blancs en secouant la tête pour chasser ses interrogations.
Je ferais mieux de dormir. La journée de demain risque d'être très chargée.
Voilà un nouveau chapitre !!
Qu'est-ce que vous en pensez ??? Il vous a plu ???
Comment vous voyez la suite ?
Laissez-moi vos avis et votez si ça vous plaît.
Bye🙋🙋🙋
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