PEUT-ON S'INSPIRER D'AUTRES MÉDIAS POUR BIEN ÉCRIRE ?
Hello ! Aujourd'hui on se questionne sur quelque chose qui fâche souvent un peu les gens. On voit souvent des gens sur les réseaux sociaux dire qu'ils lisent peu de livres, car ce qu'ils voient dans les films, les séries TV et les jeux vidéo leur suffisent pour savoir écrire. On en discute aujourd'hui.
Pourquoi compare-t-on la littérature à d'autres médias ?
Avec la musique, la littérature est le seul art qui n'est pas visuel. Elle se repose uniquement sur des mots, qui, activés et assemblés de manière intelligente, aident le lecteur à se représenter des personnages, une histoire, un monde. Jusque-là, je ne vous apprends rien.
Étant un des arts les plus anciens, l'écriture a influencé bon nombre de milieux, et notamment les autres arts. Bon nombre de peintures s'appuient sur la Bible, par exemple, mais beaucoup de films et de séries TV sont classés dans des genres qui à la base sont littéraires (fantasy, science-fiction, romance, comédie, tragédie, ...). Il en va de même pour les jeux vidéo, qui d'abord très portés sur le gameplay, se « littérarisent » de plus en plus en tentant de raconter des histoires avec une narration souvent riche et avec plusieurs niveaux de lectures (je ne peux que vous conseiller de lire des livres qui analysent les jeux The Last of Us, comme Décrypter les jeux vidéo The Last of Us : Que reste-t-il de l'humanité ?, typiquement, ils en sont des exemples parfaits).
La plupart de ces médiums sont d'ailleurs étudiés aujourd'hui par les chercheurs sous un angle littéraire. Je vais reprendre The Last of Us, dont je suis tombée folle amoureuse après l'avoir étudié dans un cours sur le roman en littérature de jeunesse. Si ce jeu vidéo s'est retrouvé dans une étude sur le roman, ce n'est pas un hasard, puisqu'il en présente tous les codes, à l'exception de l'image et du gameplay, qui sont spécifiques aux genres.
Ainsi, un rapprochement entre littérature, films, séries TV n'est pas un hasard, puisqu'ils présentent des racines communes. Aujourd'hui, nous rappelons que les frontières, non-seulement entre les genres, mais entre les médiums sont poreuses. Elles s'appellent, se répondent, se rejettent, se mélangent, s'inspirent. On trouve des séries TV et des films inspirés de romans, mais aussi des romans inspirés de films, de jeux vidéo, de séries TV. Les univers transmédia, également, se multiplient et permettent à plusieurs formats de coexister dans un seul univers (Marvel, Star Wars, NooB, ...). Les frontières ne sont pas closes, et donc forcément, quand on se lance dans l'écriture, on a souvent tendance à trouver l'inspiration dans les cousins de la littérature, plus visuels, parce qu'ils donnent énormément d'informations à l'auteur.
Les bénéfices de l'inspiration par les autres médias
Ma position est donc la suivante : bien sûr que l'on peut s'inspirer d'autres médias pour écrire, mais pas n'importe comment.
Regarder un film ou une série TV pour écrire ne nous apprend rien sur l'écriture en soi. Ça raconte juste une histoire. C'est en analysant ces médias sous un angle littéraire que l'on peut en tirer des leçons, uniquement sur le fond, c'est-à-dire pour l'intrigue et les personnages, et parfois sur la manière d'amener plusieurs messages en mille-feuilles, pour écrire.
Comment ça s'analyse tout ça ? Je vous rassure, il n'y a pas besoin d'avoir fait de fac de lettres pour de l'analyse basique (même si ça aide toujours un peu plus, c'est certain). Il suffit de prendre des notes sur ce que vous retenez du film, de la série, du jeu vidéo. Vous les notez sur un carnet, et ensuite, il vous suffit de vous demander : pourquoi est-ce que ça me touche ? Pourquoi est-ce que je trouve ça bien ?
La justification peut se faire avec votre propre ressenti, certes, mais aussi, et c'est ce qui va vous aider, avec ce qui se passe dans le média. On peut aimer une scène parce que son décor est grandiose (ce qui vous apprend qu'avoir un contexte, un décor permet de propulser le lecteur dans un monde), parce que la relation entre deux personnages est bien développée (les personnages ont l'air humain, on n'a pas l'impression que les dialogues sont de trop ou théâtralisés, ils ont des traits de caractère marquants, ...), le message me touche alors qu'il n'est pas explicite (ce n'est pas parce qu'on attend de Vaiana qu'elle se range dans la société qu'elle doit céder à la pression sociale et effacer qui elle est vraiment, par exemple). Plus vous le faites souvent, plus il est facile d'analyser.
Par ailleurs, si vous avez l'impression de n'avoir pas d'idées ou de ne pas être à l'aise avec l'exercice, sachez qu'il existe plusieurs maisons d'édition spécialisée dans l'analyse littéraire de médias qui font ça très bien pour vous (Third Éditions, les Éditions de l'Opportun, ActuSF...), mais aussi plein d'articles universitaires courts et accessibles gratuitement en ligne (sur Cairn ou Google Scholar par exemple) qui vous permettent d'approfondir des thématiques précises qui vous ont plu, sans que vous ne compreniez exactement pourquoi elles vous ont plu. Vous pouvez aussi tout simplement rejoindre des groupes de partages autour de votre média préféré, il y a toujours de très bons analystes dans les communautés de fans qui viennent mettre leur nez dans les grandes thématiques des récits pour les décortiquer. Ça aussi, c'est de l'analyse littéraire.
Décortiquer ses médias préférés peut donc servir à l'écriture, mais attention.
Tous les médias ont des codes spécifiques
Il est bon de rappeler que si les séries TV, les films, les jeux vidéo, la musique ne sont pas de la littérature, c'est parce qu'ils ont des codes spécifiques qu'il est impossible d'appliquer à la littérature. C'est normal, quel serait l'intérêt de créer d'autres formats s'ils pouvaient tous employer les mêmes méthodes ?
Énormément de messages et d'idées passent par l'image, qui autorise beaucoup de détails. C'est notamment le cas des références et des allusions à d'autres œuvres. Il n'y a pas besoin de les mentionner dans le film, la série, le jeu vidéo : elle est là, en arrière-plan, comme un clin d'œil. En revanche, une référence en littérature devra forcément être pointée ou interprétée par le texte : les références se trouvent principalement dans les dialogues (partage de citations, par exemple, de paroles de musique), ou dans le décor, mais forcément pointé de manière bien plus insistante pour comprendre que c'est une référence, ce qui peut parfois entrer en conflit avec l'intrigue. Pointer des éléments précis d'un décor, c'est quelque chose qu'on fait pour montrer l'importance d'un objet, d'une personne... Pas d'une référence, qui peut devenir mal interprétée. C'est donc quelque chose de difficile à faire.
De même, les mouvements de caméras dans les films et les séries TV font pleinement partie de l'histoire et sont interprétables du point de vue de la technique et de l'intrigue. En littérature, c'est quelque chose qu'il est également très difficile de reproduire, puisque ça donnerait l'impression que le narrateur ne sait pas trop où regarder et tourne sur lui-même. C'est pareil pour la peinture d'ailleurs, tous les mouvements ont une histoire, une idée à transmettre. C'est très difficile de donner une idée à transmettre à votre personnage qui s'en va faire les courses. C'est possible, pas mal d'auteurs ont ce qu'on appelle un « style cinématographique », mais la littérature ne pourra jamais reproduire à 100% une image et tous ses détails, ça fait partie des spécificités de ce type de média (sauf bien sûr en bande dessinée, et encore). On ne peut pas reproduire à 100% une réalité dans un texte de fiction, tout simplement parce que ce serait indigeste.
Il y a aussi le problème plus spécifique des jeux vidéo (et des jeux de rôle d'ailleurs, qui sont dans le même panier). Les gens ont tendance à oublier, quand ils sont bien immergés dans un jeu, que certaines situations sont incohérentes. Par exemple, dans The Last of Us, ce sont les périodes où vous devez passer au travers de centaines de soldats, qui se mettent tous à vous tirer dessus... Puis vous oublie trente secondes plus tard par magie. Dans l'écriture de jeunes auteurs, c'est très, très facile de repérer s'ils se sont inspirés d'un jeu vidéo ou d'un jeu de rôle. On trouve notamment des actions de personnages au tour par tour, des combats qui s'étirent sans que ce soit forcément utile, des descriptions d'environnements construites comme des niveaux de jeux vidéo... Parce qu'ils ont oublié qu'avant l'histoire, le jeu vidéo, le jeu de rôle, est un jeu. Il a été conçu et réfléchi pour offrir du challenge au joueur, et calibré pour que, lorsqu'il se fait à plusieurs, l'expérience de chaque joueur soit similaire. En jeu de rôle, le tour par tour est la norme. En littérature, des actions en tour par tour créent des rythmes cycliques longs et répétitifs, peu naturels, et très souvent pouvant être largement coupés.
Il faut donc faire attention à ce dont on s'inspire dans ce genre de médias. On rencontre par ailleurs également ce système de tour par tour dans les séries TV avec beaucoup de personnages, parce que le but est de donner aux téléspectateurs qui regardent l'impression que tous les personnages sont bien développés, avec un temps d'écran similaire. Le problème, c'est que c'est parfois réalisé par de très courtes scènes qui s'enchaînent pour montrer les points de vue, qui est difficile à reproduire en littérature parce que ça provoque là aussi très souvent de la répétition, et l'impression de ne pas savoir gérer sa temporalité, avec des sauts et des retours de points de vues toutes les vingt lignes, ce qui peut être pénible. Comme le chapitre, un épisode de série télévisée est une unité de sens. Vos chapitres ne font en général pas la taille d'un épisode de série, et sauter trop souvent de points de vue dans un chapitre cause en général des problèmes de rythme.
La littérature a des codes spécifiques qu'il est impossible de reproduire
Nous avons parlé des codes des autres médias, maintenant, intéressons-nous à la littérature en elle-même. S'il est possible de pouvoir s'inspirer d'autres médias pour l'intrigue et les personnages, ça devient tout de suite plus compliqué lorsqu'on parle de technique et de style littéraire, une partie que bon nombre d'auteurs négligent et minimisent parce que c'est celle qui nécessite le plus de travail dans l'écriture. C'est la raison même pour laquelle la réécriture existe en général.
Dire qu'il est impossible d'écrire de la technique à partir d'autres médias n'est pas entièrement vrai, mais pas entièrement faux. Les techniques de création sont globalement les mêmes dans l'écriture d'un scénario, si ce n'est que la forme du texte change, pour ressembler à une sorte de théâtre très amélioré. Toutes les techniques d'écriture de scénario ne sont pas à jeter, puisqu'elles aident notamment dans la création de dialogues pertinents, et dans la construction du récit en scènes et chapitres. Des livres comme L'Anatomie du scénario de John Truby permettent de travailler tout ça de manière très pertinente, et je recommande de l'avoir toujours sur la table de nuit, c'est très, très utile.
Cependant, on se retrouve très vite limité, parce que l'écriture d'un film, d'une série télé ne peut être pensée comme celle d'un roman. C'est moins linéaire, on doit penser en termes de placements de personnages, de plans de caméra, de décors, ce qui n'est pas forcément pertinent dans le cas du roman.
De même, dans les autres médias, la transmission des messages passe en général par le sous-entendu, compréhensible avec l'image, la situation et les personnages, les trois à la fois. Le sous-entendu en littérature passe par les figures de style, nécessaires pour ouvrir les lecteurs à chercher un message caché et à l'analyser. La stylisation d'un texte n'est présente qu'en littérature, c'est sa spécificité majeure. Et cette stylisation, elle ne peut pas s'apprendre dans d'autres médias, mais uniquement dans des livres, par de l'analyse littéraire.
La méthode est la même que pour les autres médias : pourquoi ce passage m'a ému ? Sauf que cette fois-ci, on ne peut en général pas uniquement justifier par les relations... Ou l'image. C'est un passage qui nous a ému, pourquoi ? Qu'est-ce qui se passe dans l'enchaînement de mots pour nous émouvoir ? Quelles mécaniques d'écriture l'auteur a-t-il utilisé pour transmettre son message ?
Comme pour les autres médias, n'oubliez pas qu'il existe des vulgarisations et des articles sur presque toutes les grandes œuvres, et aussi une grande partie sur la littérature contemporaine, la littérature jeunesse, la fantasy, la science-fiction, la romance, .... Ces articles permettent de mieux comprendre par les textes ce qui fonctionne dans ces genres littéraires, pourquoi ils sont si lus en littérature et comment expliquer qu'ils prennent parfois le pas sur les autres médias par leur texte. C'est le cas de l'univers du Seigneur des Anneaux, mais aussi de Harry Potter.
Tout comme il est impossible à la littérature d'adapter une réalité, un monde à 100%, il est impossible à un film ou une série d'adapter à l'écran 100% d'un livre, et c'est pour une raison : certaines choses qui fonctionnent en littérature ne fonctionnent pas sur un écran. C'est le cas notamment des longs monologues intérieurs, qui prendraient cinq minutes de film, ce qui est beaucoup, beaucoup trop long, alors que c'est une taille standard et un développement nécessaire dans le livre.
Cet exercice d'analyse peut se faire sur n'importe quel livre, y compris sur celui de votre copain auto-édité.
De même, il sera très difficile d'écrire de bonnes descriptions avec uniquement comme inspiration le cinéma, tout simplement parce qu'elles ne s'écrivent pas de la même façon. En littérature, la description est porteuse de symboles et de messages qui doivent être explicités, là où un décor de cinéma se suffit à lui-même. Apprendre à décrire est en vérité plus compliqué qu'il n'y paraît.
En bref, oui, on peut donc s'inspirer des autres médias dans son écriture, mais dans le cadre d'une analyse sous un angle littéraire. Il ne faut toutefois pas négliger le fait que tous les codes du cinéma, des séries TV, des jeux vidéo ne sont pas tous bons à reprendre en littérature, et que la littérature a elle-même des codes spécifiques à côté desquels on ne peut pas passer. Ainsi, si les autres médias sont un outil, ils ne peuvent pas être la seule méthode sur laquelle s'appuie l'écrivain, puisque ça crée des textes déséquilibrés et maladroits. La lecture et l'analyse de textes, anciens comme récents, restent les meilleurs moyens pour comprendre les codes de la littérature qui ne peuvent nous être transmis par les autres médias.
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