FANFICTIONS : PEUT-ON ARRÊTER DE LES INVALIDER ?
Bonjour à tous ! Je n'avais pas forcément prévu de reprendre la parole avant la rentrée, mais j'ai vu plusieurs posts passer récemment sur Facebook qui m'ont hérissé le poil et donné envie de reprendre mon clavier une nouvelle fois pour défendre un genre littéraire injustement décrédibilisé : les fanfictions.
1. Les critiques et remarques incessantes sur la fanfiction
Pour commencer, j'aimerais vraiment parler d'un gros ras-le-bol que je traverse en tant qu'autrice de fanfictions. Alors qu'on traverse enfin une époque où l'on donne davantage la parole aux intéressés dans le milieu littéraire, les auteurs de fanfictions sont toujours placés en bas de la liste et ne sont jamais écoutés. C'est assez drôle, parce que beaucoup étaient là pour soutenir par exemple les auteurs auto-édités lorsqu'ils ont eu leur crise d'invalidité de la part des maisons d'édition avant de finalement commencé enfin à être acceptés. Malheureusement, dans la communauté littéraire, on n'est pas tous logés à la même enseigne et contrairement aux apparences, il suffit de faire un tour sur Twitter pour voir que le mépris et le jugement, c'est quelque chose d'ultra commun.
Sauf que voilà, à force de voir les textes que vous écrivez être critiqués H24 de manière injustifiée et totalement fausse, parce que c'est visible immédiatement quand vous n'avez pas fait ne serait-ce que l'effort d'ouvrir une fanfiction pour essayer de comprendre, si jamais vous en doutiez, ça devient ultra-lourd pour ceux qui écrivent. Vous savez, vous n'êtes pas les premiers et vous ne serez pas les derniers à critiquer le genre, en revanche, vous pouvez être l'une des causes qui font qu'un auteur arrête d'écrire. J'ai géré une communauté de fanfictions, j'ai déjà vu des auteurs tout abandonner du jour au lendemain à cause de haters qui tournaient à un moment donné sur Fanfiction.net juste pour pointer du doigt la fanfiction sans aucun argument. Et ça m'a rendu malade, vraiment.
De plus, c'est vraiment pas facile de défendre le genre lorsque les gens vous ressortent à chaque fois de vieux dossiers comme le fameux post de G.R.R Martin qui date maintenant d'il y a dix ans mais qui continue d'être utilisé encore et encore contre les fanfictions sans jamais prendre en compte l'évolution du milieu depuis. Je vous avoue que je ne peux pour ma part plus voir ce post en couleur tellement il est sorti de son contexte, nous reviendrons dessus. Martin n'a pas la science infuse, et puisque vous ne jurez que par elle pour beaucoup d'auteurs, pourquoi ne pas regarder l'avis de J.K Rowling sur les fanfictions qui elle, les encourage totalement ?
Voici encore une fois quelques points pour essayer de vous expliquer pourquoi continuer d'invalider la fanfiction est ridicule.
2. La fanfiction a une histoire
La fanfiction, ce n'est pas une phase dans la vie d'un auteur. C'est un genre littéraire codifié et qui a une histoire, tout comme la romance, la fantasy ou la science-fiction. C'est même assez drôle puisque la fanfiction, très souvent décriée par des auteurs de ces trois genres littéraires... a contribué à leur développement et leur popularité.
Pour cela, on doit remonter aux années 1930 et à la création du premier fanzine, The Comet. Un fanzine est un magazine créé par des amateurs et vendu un peu sous le manteau. Il est surtout devenu légion dans les années 1980 avant de laisser progressivement la place à Internet, et notamment aux blogs, qui en sont les descendants directs. The Comet était un magazine de correspondances entre lecteurs de science-fiction pour proposer leur théories sur des textes, des histoires, des sujets relatés à la science-fiction. Les fanzines ont permis notamment à la littérature de genre de s'exporter des Etats-Unis, notamment pour tout ce qui est comics.
Les fanzines sont devenus très très vite la cible des critiques et a contribué à rendre la littérature de genre à part et à connotation "geek". Tout comme le jeu de rôle et les jeux vidéos, c'était vu comme un loisir idiot et dangereux pour la santé mentale. Et lorsque ça fait chier les adultes, forcément, ça devient ultra-populaire chez les jeunes. Les fanzines se sont très rapidement diversifiés en deux courants, ceux politiques et ceux culturels. Les fanzines politiques ont notamment eu de l'importance en France en mai 1968. Pour les fanzines culturels, ils se sont découpés peu à peu en domaines : certains ont pris leur indépendance pour fournir du contenu original et devenir de vrais magazines, d'autres sont restés dans la sphère "fanart" autour de centres d'intérêts communs.
Plusieurs de ces fanzines se sont spécialisés dans la fanfiction et le fanart, dans un temps où on rigolait beaucoup moins avec les droits d'auteurs. Même si les auteurs se faisaient discrets, plusieurs d'entre eux ont réussi à arriver aux oreilles de gros auteurs. C'est notamment ce qui s'est passé avec Star Trek. Alors que les livres étaient de plus en plus médiocre, les fans ont décidé de s'approprier l'univers et l'écrire à leur façon. On peut dire ce qu'on veut de la technique, qui ressemble d'ailleurs beaucoup à ce qu'on a pu voir récemment avec J.K Rowling sur les réseaux sociaux, ça a sauvé l'univers. Par ailleurs, les films et séries qui ont découlé des livres... correspondent entièrement à la vision des fans, bien plus que la vision de l'auteur qui s'est presque fait oublié depuis.
Là où ça a commencé à devenir un problème, c'est lorsque qu'une autrice de fanfiction a trouvé des ressemblances troublantes dans un texte écrit ensuite par l'autrice Anne Rice, en 2000. C'en est suivi des menaces de procès, mais aussi du harcèlement de l'autrice qui s'est mise à traquer les auteurs en ligne. Ne pouvant se protéger, énormément d'auteurs ont choisi de se planquer. C'est là que ce sont levées les premières voix contre la fanfiction, et les voix pour. La même année, J.K Rowling a été l'une des premières à apporter son soutien aux autrices, et par une démarche forte, puisqu'elle a été jusqu'à défendre en justice les créateurs de sites de fanfictions attaqués par Warner Bros qui leur demandait de les supprimer. Une jeune adolescente de 15 ans avait alors reçu des menaces de la compagnie et ça a fait un gros bad buzz.
La suite n'a été qu'un ensemble de débats stériles entre ceux qui défendaient le point de Anne Rice et ceux qui défendent celui de J.K Rowling. Plusieurs de ces discours pour ou contre la fanfiction sont devenus célèbres, à commencer par celui de G.R.R Martin publié sur son blog en 2010 et repris depuis partout contre les fanfictions. Sauf qu'en vingt ans, bah la fanfiction a évolué. Leurs prises de position sont pour la plupart obsolètes car elles ne prennent pas en compte l'importance et l'évolution massive qu'ont eu les fanfictions depuis l'encouragement de J.K Rowling. Leur nombre est passé de quelques centaines à plusieurs millions d'histoires, et elles se sont diversifiées avec l'arrivée des fanfictions sur d'autres médias et centres d'intérêts (films, séries télé, jeux vidéo, chanteurs, Youtubeurs...). On n'est plus juste à l'échelle des livres et ces fanfictions sont d'ailleurs aujourd'hui plutôt minoritaires.
Aujourd'hui, énormément d'ayants-droits autorisent et encouragent la fanfiction. Pour tout dire, ceux qui s'opposent encore sont ultra-minoritaires... Et pour la plupart d'entre eux, leurs univers se sont perdus et on ne sait même plus de quoi ils parlent. C'est triste (non). De plus, avec le développement des réseaux sociaux, il est de plus en plus facile de contacter les ayants-droits pour avoir leur avis. La fanfiction joue aujourd'hui un rôle important dans tout ce qui est extension d'univers et leur perpétuation dans le temps. C'est notamment une des raisons pour laquelle on connaît encore Le Seigneur des Anneaux (et tout son héritage et ses multiples dérivations, notamment dans le jeu de rôle avec Donjons & Dragons), Sherlock Holmes, Doctor Who, Star Trek et bien d'autres encore aujourd'hui.
3. La fanfiction est un genre littéraire comme un autre
L'autre point qui me fait arracher les cheveux, c'est la réduction presque systématique de la fanfiction à de la littérature de basse qualité pour auteurs débutants, ou encore une phase que traversent les auteurs avant de se lancer dans l'écriture originale. C'est faux. Faux, faux, faux et encore faux. Réduire la fanfiction à une espèce d'entre deux genres, c'est faire un gros doigt d'honneur à ce que je viens de dire plus haut et à tous les auteurs qui écrivent depuis cinq, dix ans, voire plus parfois.
La fanfiction n'a pas, n'a jamais eu et n'aura jamais pour objectif de concurrencer la littérature originale. Ce n'est pas son objectif et ça ne l'a jamais été. Ainsi, lorsque G.R.R Martin dit que la fanfiction est un mauvais moyen de devenir auteur professionnel, il est entièrement à côté de la plaque. La fanfiction est une écriture de passionnés pour des passionnés. Les auteurs de fanfictions sont des "lecteurs-experts", ils travaillent dans des univers qu'ils connaissent sur le bout des doigts et sont capable de les réinventer. Ce n'est pas la création qui intéresse les auteurs de fanfiction, mais au contraire la manière dont il est possible de réinventer des contenus, de se glisser dans les failles d'un univers, comment des personnages peuvent être tournés différemment et surtout à quel point une théorie peut être validée ou non par sa communauté.
Parce que contrairement à l'écriture originale, un auteur de fanfiction n'est pas dans une démarche solitaire. Un auteur de fanfiction fait partie d'une communauté qui aide, propose, transforme et pousse vers le haut un auteur. Il n'écrit pas pour un public mais avec une communauté, ce qui change tout jusqu'à la façon même dont un auteur traite le sujet de son texte. Rien que le fait qu'aucun des textes écrits n'a pour vocation à être édité change énormément le point de vue des auteurs et des lecteurs sur les textes.
La fanfiction est un genre littéraire à part entière. Elle a des codes qui lui sont propres et qui diffèrent d'autres genres littéraires. Pour commencer, c'est une littérature exclusivement numérique (à de rares exceptions prêt). Elle ne respecte donc pas dans la majorité des cas les codes du roman, de la nouvelle ou d'autres types de textes similaires. La fanfiction offre une grande liberté dans l'utilisation des formats et a par ailleurs créé son propre vocabulaire et lexique, ce qui la différencie de ce fait de tous les autres types de textes. C'est aussi une littérature sérielle : les lecteurs attendent la suite des chapitres à chaque mise à jour, vieille habitude datant des fanzines, on y revient.
La fanfiction se base aussi sur trois catégories qui sont très souvent critiquées par les personnes extérieures parce qu'elles pensent que tous les auteurs doivent respecter absolument l'univers original : le canon, le fanon et les univers alternatifs. Le canon rassemble tous les textes fidèles trait pour trait à l'univers sur lequel l'auteur écrit. Ces textes sont extrêmement minoritaires, voire inexistants dans certaines communautés. C'est pourtant ce que les personnes qui critiquent la fanfiction utilisent comme vitrine et c'est déjà un énorme paradoxe. Effectivement, beaucoup d'histoires qui écrivent de manière canon sont maladroites : parce que écrire en restant fidèle à l'univers, c'est un des trucs les plus durs à faire. Si vous n'êtes pas vous même un auteur avec cinquante ans d'expérience, vous êtes assez mal placé pour critiquer ces textes, puisque c'est l'équivalent des incohérences que l'on rencontre dans presque tous les textes des auteurs lors d'un premier jet.
La majorité des auteurs écrivent en suivant le fanon, qui est la plus grosse force des communautés de fanfiction. Le fanon, c'est l'ensemble des théories, des modifications, des caractéristiques de personnages admises comme possibles et réalistes par la communauté. Parfois tout est écrit, parfois ça se transmet juste d'auteur à auteur. C'est dans cette catégorie que se trouvent les ships, les idées reçues sur l'univers (le "Elémentaire, mon cher Watson" par exemple) ou encore des bases de travail sur l'enfance des personnages. C'est une version plus ou moins fidèle au canon avec des ajouts pour rendre l'écriture plus facile et amusante. Dans le fanon, on trouve ensuite plusieurs courants, ceux qui se rapprochent du canon (toutes les histoires qui retravaillent des scènes d'un univers), ceux plus neutres (les histoires qui imaginent d'autres aventures aux personnages) et ceux qui se rapprochent des univers alternatifs (les textes sur l'enfance des personnages) par exemple. Ça fait tout un panel dans lequel les auteurs peuvent s'amuser, et ce n'est pas du tout restreint comme on peut parfois l'entendre dire. Même après quinze ans d'écriture, j'estime ne pas avoir écrit tout ce qu'il y a à écrire au niveau fanfictions, alors que j'ai presque 300 fanfictions à mon actif.
Et puis, même si vous avez peur d'être limité, il y a les univers alternatifs, où les personnages sont déplacés dans le temps et l'espace, retravaillés avec plus de liberté et adaptés à d'autres contextes. Cette partie fait souvent grincer des dents les auteurs originaux qui ne comprennent pas pourquoi on écrit pas dans notre propre univers si c'est pour tout changer. Spoiler : une grande partie des auteurs qui n'écrivent que des univers alternatifs s'essaient à l'écriture originale de cette façon et vous les dégoûtez avant même qu'ils ne se lancent. Donc arrêtez, c'est lourd et vraiment pas drôle.
Sur ce dernier point, d'ailleurs, il faut aussi arrêter de réduire la fanfiction à une littérature pour auteurs débutants. Il est vrai que pas mal d'auteurs font leurs gammes avec, mais ce n'est absolument pas la majorité des auteurs. Énormément d'auteurs déjà avec un très bon niveau retournent à la fanfiction ou continuent d'en écrire parce que c'est une pause bienvenue sans jugement où l'on peut essayer des choses sans subir les critiques acides des autres auteurs originaux (du moins pas directement). Ce ne sont pas des auteurs débutants, ce sont des auteurs de fanfiction, tout simplement.
Quand à l'éternelle critique "mais les fanfictions c'est mal écrit", nettoyez votre paillasson avant de sortir des aberrations pareil. Un auteur qui débute écrira mal, que ce soit sur de la fanfiction ou de l'original. La seule différence, c'est que dans une communauté de fanfiction, il n'a pas à subir vos remarques hardcores et peut avoir le temps de se développer plus sereinement, et de ce ce fait accepter la critique plus facilement par la suite. Eh oui, c'est aussi une des raisons pour laquelle les gens écrivent des fanfictions : les retours sont bienveillants et désintéressés. On ne peut pas forcément dire la même chose de plateformes d'écriture comme Wattpad.
Dans tous les cas, n'oubliez pas que la fanfiction, ce sont ceux qui n'en ont jamais lu qui en parlent le plus mal. N'hésitez pas à intervenir et faire valoir votre point de vue, en particulier quand on met en avant des points de vue datant d'une décennie. Il n'y a aucune honte à écrire des fanfictions, et je suis pour ma part toujours aussi fière d'en écrire.
C'est tout ce que j'avais à dire sur le sujet pour aujourd'hui. Je sais que ce sont des points dont j'ai déjà parlé précédemment, mais c'est toujours bon de faire un petit rappel, pas vrai ? J'avais besoin de vider un peu mon sac. Je vous souhaite à tous de bonnes fin de vacances et une très bonne rentrée ! De très chouettes articles arrivent dès septembre :D Des bisouilles !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top