* 6 *
Il était autour de onze heure lorsque Alan se leva et rejoignit Mélanie dans la cuisine, ils étaient seuls désormais. Les autres reviendraient en fin de journée, exceptés Chloé et Joseph qui avaient promis solennellement de rentrer avant dix-sept heure. Occupée dans la cuisine à commencer les préparatifs, déjà quelques plats s'entassaient sur la table et les comptoirs.
Depuis sa première nuit ici, Mélanie appréhendait de se retrouver à nouveau seule avec Alan mais elle ne pouvait réprimer un sentiment chaud de joie teinté d'empressement. Elle l'entendit s'activer dans sa chambre et se précipita devant le miroir le plus proche pour rectifier sa coiffure et si le geste avait peu d'effet et pouvait paraître ridicule, il avait le mérite de lui redonner un peu de confiance.
Alan entra dans la cuisine sans un mot, Mélanie paraissait imperturbable, pourtant son cœur perforait de plus en plus fort sa poitrine à mesure que ses pas s'approchaient d'elle et elle sentit sa gorge très vite s'assécher. Elle ne comprenait pas pourquoi elle perdait si vite tous ses moyens face à lui, après tout, elle le connaissait depuis le lycée et elle n'avait alors jamais rien envisagé de tel avec Alan. Qu'était elle même en train d'envisager ? Elle espérait vite se débarrasser de toutes ces faiblesses, et secoua vigoureusement la tête, ce qui amusa Alan posté face à elle. Elle devait agir pour ne pas avoir à se concentrer sur elle-même et sur ses penchants.
« Il vaut que j'aille faire des courses. - Mélanie fuya son regard et sortit se préparer Alan sur les talons- Qu'est ce que tu fais ?- Il haussa les épaules, la réponse était évidente mais elle se perdait peu à peu, son esprit avec.
- Tu m'accompagnes ?
- Bien sûr. »
Il lui avait répondu avec un sourire réconfortant et Mélanie gagna plus de confiance à le voir si chaleureux, que lorsqu'elle se satisfaisait puérilement de son reflet. Elle empoigna son sac et sortit immédiatement, Alan à ses côtés.
C'était encore une belle journée qui s'offrait à elle, ils se dirigèrent vers les commerces du coin. Mélanie arborait un large sourire appréciant les dédales des rues, des éclats de voix d'une langue qu'elle connaissait si bien et maternelle, l'ambiance de son pays la rassurait et la comblait désormais. Elle n'en oubliait pas pour autant son vieil ami qui marchait avec elle, et même si ils n'échangeaient aucune paroles, ils étaient tous les deux ravis. Alan percevait très bien que Mélanie avait l'esprit tourné vers autre chose que leurs courses, mais le sourire sur ses belles lèvres lui indiquait qu'elle appréciait cela. Il ne voulut pas l'interrompre tout de suite même s'il mourrait d'envie de lui parler, d'entendre encore sa voix et se rapprocher d'une manière ou d'une autre, mais la dernière chose que voulait Alan était la précipitation, et puis il avait si peur qu'elle le fuit comme elle savait le faire, alors qu'il nourrissait une si grande affection pour elle, bien plus grande qu'il n'avait voulu, jusqu'à son retour, s'avouer.
Arrivés à destination et remplissant peu à peu leur panier, Alan se tourna vers elle, lui lança un regard tendre dont il avait le secret et comme il voulait en savoir davantage , lui demanda simplement ;
« Comment c'était ?
- Pardon ? - Mélanie quitta les rayons des yeux pour se tourner vers lui, étonnée.
- Vivre en Argentine, je veux dire »
Alan se gifla intérieurement, dans son empressement à couper cours au silence, il avait oublié de parler correctement, il se sentait si idiot à cet instant. Ses oreilles commencèrent à rougir, elles étaient d'ailleurs astucieusement cachées sous les boucles soyeuses de ses cheveux, si bien que Mélanie n'en avait rien vu et lui sourit gentiment comme il lui était naturel de le faire. Elle allait lui répondre, mais il balbutia avant même qu'un son sorti de sa bouche.
« Tout à l'heure... Tu avais l'air perdue dans tes pensées... Je me suis dit que peut-être que tu étais là-bas...
- Oh, non, enfin, si... »
Mélanie devant les premières marques de perte de contrôle qu'elles avaient jamais vues venant d'Alan, perdit aussitôt ses moyens. Elle qui par nature était facilement perturbable était tout à fait apte à comprendre Alan et lui, semblait déjà plus assuré, voyant que l'hésitation et la maladresse leur étaient communes. En son for intérieur, il la trouva d'autant plus attirante, et par réflexe se dérida puis rit doucement de leur attitude, aussi Mélanie était-elle très vite rassurée et pût reprendre leur conversation, son cœur se serra de le voir si enjoué.
« J'y pensais un peu... Mais en fait, je profitais juste d'être ici.
- Tu ne voulais pas y rester ?
- Non, de base, si mais j'ai changé d'avis. Mais quand j'y pense maintenant, je savais au fond de moi, que je devrais rentrer un jour ou un autre pour ... - Elle s'arrêta, Alan croyait qu'elle allait reprendre, mais elle n'en fit rien et se reconcentra sur les courses, il la suivit.
- Pour ton frère ?
- Un peu. Mais pas que... Pour finir mes études aussi. Alex'...
- Je ne parle pas vraiment de toi avec lui. » Il la coupa vite.
Alan ne voulait pas parler d'Alexis, ni de Jimmy ou Raphaël d'ailleurs. Le premier était son frère tandis que les deux autres étaient ses meilleurs amis, presque des frères mais, à cet instant, il voulait parler de Mélanie. Parler d'elle et de personne d'autre, d'elle à travers elle, avec ses mots, ses gestes et ses pensées, il voulait mettre les mots de Mélanie sur le blanc de quatre ans pendant lequel ils avaient que très peu communiquer. La jeune Mélanie était encore présente, il le savait et le constatait dans sa manière d'être, mais sa diction était différente, ses pensées avaient évolué tout autant que les siennes et cela était bien naturel. Elle avait changée, ne serait-ce que physiquement, et si il s'était beaucoup attaché à la jeune femme qu'elle était, au point où il ne savait pas comment qualifier cet attachement qui l'encombra tout le temps de leur séparation, il était presque certain d'aimer d'autant plus la femme qu'elle était devenue.
Malgré le ton plus sec qu'il avait utilisé, Mélanie n'hésita pas et poursuivit.
« J'ai décidé de devenir professeur d'espagnol. C'est pour ça que je suis rentrée. Et toi ? - Ils avaient si peu parler ses dernières années que Mélanie avait oublié ce que faisait Alan, elle ne s'en cacha pas , cela était aisé avec lui.
- Je suis dans ma dernière année d'école d'ingénieur. Je fais pas mal de stage et un peu partout. Pourquoi prof' ?
- Pourquoi pas ?
- Tu as peut-être trouvé ton premier élève.
- Comment ça ?
- Mon niveau d'espagnol n'a pas évolué d'un millimètre depuis le brevet, déjà qu'il était pas très élevé...
- Tu veux que je t'aide ? -s'étonna-t-elle, le jeune homme acquiesça.
- Marché conclu ? - il lui tendit la main en signe de pacte, toujours accompagné de son sourire charmeur.
- Marché conclu. »
Elle la saisit tout de suite et sans hésiter. Alan comme Mélanie s'attendait à ce que ce contact ne soit pas anodin, ils étaient presque sûrs qu'au moins un frisson les parcourait mais aucun d'eux ne s'attendait à ce qu'une décharge d'électricité statique brûla leurs mains. Et si un cri de stupeur mêlé d'une faible douleur leur échappa, ils en rirent aussitôt.
Tout en poursuivant leurs achats, Alan voulut toujours en savoir plus sur Mélanie et lui posa des questions sur l'Argentine, sur son intégration, ses relations avec les argentins, ce qu'il y avait vu. Et bien qu'il n'ait pas perdu une seule image de celles qu'elle lui avait montré lors de leur première nuit, il voulait la faire parler. Alors Mélanie lui décrit sans mal et avec beaucoup de cœur tout ce qu'elle avait vécu sans rien omettre. Les premiers mois furent plus durs qu'elle l'aurait cru ; s'adapter à un cadre aussi éloigné du sien lui avait demandé beaucoup de temps et même si on est de bonne volonté, toute adaptation nécessitait temps et précaution. Elle avait souvent douté d'elle-même, hésité à prendre le premier avion et a retrouvé sa terre natale mais jamais elle n'avait cédé et à force d'optimisme éreintant et d'inlassable persévérance, elle atteint quelque chose qui ressemblait à un chez-soi, une stabilité, un presque bonheur.
Mélanie avait suivi des cours de littérature à l'Université de Buenos Aires, à côté, elle avait travaillé comme serveuse, femme de ménage, vendeuse, autant de petit boulot qu'elle avait put trouver. Au delà du simple fait de l'aider à payer ses loyers, cela lui permettait de s'établir un cercle de relations, de personnes de son âge en dehors de ses camarades de l'Université, et ça comptait beaucoup pour elle, voir du monde.
Très vite, elle avait intégré un groupe d'expatriés qui lui permettait de retrouver des gens autant, voire plus déboussolés qu'elle et cela la rassura énormément ; ils furent pour elle, une source de soutien infaillible aussi importante que les nombreux échanges avec Jimmy et Chloé. Ainsi avait-elle put fréquenter de nombreuses personnes et s'était-elle enrichie de tous ces échanges tant riches humainement que linguistiquement. Mélanie s'était surtout liée d'amitié avec trois argentins ; Angela, Maria et Juan, une italienne, Luna et une irlandaise, Scarlett, cette dernière était retournée dans son pays d'origine le même jour qu'elle. Et elle comptait bien tous les revoir chez eux, ou ailleurs.
Pendant son récit, Alan, bien qu'elle ne soit pas directement tournée vers lui, eut tout le plaisir de voir éclater des étoiles dans les yeux de Mélanie. Les souvenirs en plus de s'écouter par ses lèvres, se lisaient dans ses yeux, ses traits de visage et ses gestes, elle repassait souvent le bout de ses doigts dans ses mèches flamboyantes. On y lisait la chaleur des sensations qu'elle avait éprouvées là-bas augmentée par les accents de joie que prenait sa voix enflammée par des mots simples mais généreux. Mais c'est lorsque Alan lui demanda si elle avait rencontré quelconque difficulté comme du racisme ou de la discrimination, que le visage de Mélanie s'assombrit par une moue glaciale. Elle changea de nouveau de rayon le fuyant à la fois, lui et ses questions. Malgré quelques manques de confiance, Alan n'était pas homme à baisser les bras, tout du moins pas aujourd'hui, alors il la suivit et se posta devant elle. Elle tenta de passer à gauche, puis à droite, puis de nouveau à gauche, mais il renouvelait sa position et lui barrait la route.
Mélanie avait toujours était un livre ouvert, et Alan avait vite compris que quelque chose n'allait pas. Par pudeur, et par égard envers les autres, elle ne se confierait pas estimant que le malheur des autres serait toujours bien plus grand que le sien et qu'il n'en valait pas la peine. Alan n'osait pas la toucher par peur de la brusquer, par peur de la blesser. Il se répétait en son for intérieur qu'il ferait mieux de la laisser, qu'elle ne lui devait rien.
Mais il restait stoïque, il fallait un mal pour un bien tenta-t-il de se persuader, et attendait désespérément qu'elle leva la tête, et planta son regard dans le sien afin qu'il puisse enfin y lire soit la vérité, soit une détermination à passer ; dans les deux cas, il la laisserait. Après tout, ils se ressemblaient ; un besoin d'aider les autres les animait en permanence, contrarié par une peur de s'imposer à eux et de leur nuire, le premier trait dominait la plupart du temps l'autre pour Alan, au contraire de Mélanie.
Finalement, elle eut assez de courage pour relever la tête et le regard vers lui. Plus que la vérité ou de la détermination, Alan fut surpris de voir une larme embraser l'œil puis la joue de Mélanie. Il baissa les bras aussitôt capitulant sans conditions, tout ce qu'il ne voulait pas, venait de se produire et il commençait à s'en vouloir terriblement. Il tendit une main timide pour la recueillir, et lui présenta son sourire le plus réconfortant. Mélanie y répondit très vite, elle sourit doucement et souffla un remerciement qui ôta un peu de culpabilité à Alan. Sans le dire, ils conclurent qu'ils n'en parleraient pas, pas aujourd'hui.
« On devrait acheter des dattes... Raphaël et Jimmy adorent ça. »
Alan admirait l'altruisme qu'elle gardait constamment à la fois comme bouclier et comme refuge, et il était désormais plus que certain que ce serait sur elle que se jetterait son dévolu. En sortant, il lui prit naturellement la main et rien ne vint perturber ce pacte.
* Voilà le chapitre 6, il était corrigé depuis plus d'une semaine mais je voulais le relire avant et je passais le bac donc pas trop le temps (désolée). Les choses commencent à se mettre en place et je dois dire que j'ai hâte et en même temps j'appréhende un peu ( comme toujours) les chapitres 7 et 8 seront postés si ce n'est en même temps, ce sera le même jour.
Je compte essayer d'écrire et de poster un chapitre par jour pour les semaines qui viennent et commencer les autres fictions de cette série comme ça, j'aurais toujours un peu d'avance.
A très vite. Ema *
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