* 4 *

Lorsqu'ils quittèrent le café, Mélanie sentit la fatigue la gagner à nouveau. Elle avait passé un merveilleux moment avec ses amis mais le poids du voyage et le décalage horaire commençaient à se faire sentir, son attention baissait et elle clignait souvent des yeux. Jimmy s'en rendit compte et demanda à ce qu'ils rentrent immédiatement, et ils s'exécutèrent. Une fois rentrés, Mélanie leur offrit leurs paquets précautionneusement emballés et chacun en fut ravi. Elle n'en demandait pas plus et en sentit même une certaine fierté. Mélanie avait le don de toujours savoir ce qui ferait plaisir aux autres même si elle les connaissait que très peu. Elle était d'ailleurs devenue une référence en la matière, ils la contactaient tous pour avoir des idées de cadeaux et elle trouvait toujours.

L'après-midi était déjà bien avancé lorsque Mélanie quitta ses amis pour aller dormir, elle refusa toute proposition de sortie ou de repas et se retira dans sa chambre. Elle enfila des habits plus légers, puis se glissa sous les draps pour s'endormir au plus vite.

Alan éteignit la télé. Il était tard mais le sommeil ne semblait pas venir. Depuis l'adolescence, il lui arrivait régulièrement de ne pas dormir des nuits complètes ou partielles et cela ne l'incommodait pas trop puisqu'il n'avait pas besoin de beaucoup de sommeil. L'appartement était nettement plus calme qu'à l'accoutumée ; Raphaël et Alexis commenceraient leurs services tôt le lendemain et étaient donc allés se coucher. Mélodie avait imité son petit-ami et Nolan avait quitté le salon depuis seulement une petite heure, abandonnant son ami à une insomnie latente.

Le jeune homme souffla, il était en peine quoi faire, il n'avait goût de rien à cet instant, mais il avait soif alors, il se leva pour aller dans la cuisine se servir un verre d'eau. En repartant pour sa chambre, il remarqua une légère lueur chatoyante dans le couloir. Intrigué, il se dirigea vers elle, elle provenait de la chambre de Mélanie. Les fentes laissaient échapper assez de lumière de couleur rougeâtre et légèrement tamisée. Sans réfléchir, il frappa. Alan avait besoin d'un peu de compagnie et Mélanie l'intriguait depuis l'adolescence. Et si elle ne dormait pas et qu'elle était seule, il espérait qu'ils puissent être seuls à deux. Il attendit, rien ne se passa, il frappa de nouveau un peu plus fort mais en vain. Alors il saisit la clenche et ouvrit doucement la porte.

Mélanie se tenait dos à la porte, assise sur son lit, un casque vissé sur les oreilles et son ordinateur posé sur ses genoux, elle parcourait des photos. Elle passait régulièrement sa main dans ses cheveux et de manière nerveuse, elle se grattait la nuque ou le cou. Elle ne l'avait pas remarqué et Alan ne se priva pas d'observer la jeune femme. Depuis le lycée, sa corpulence n'avait pas changé, son dos fin en forme de V couvert d'un tee-shirt bleu-roi donnait vie à ses cheveux enflammés qui glissaient sur ses frêles épaules. Ses mains et bras fins s'animaient frénétiquement sur le clavier ; elle était agitée et ses doigts hésitaient. Mélanie s'attardait sur chaque photo puis finissait par les supprimer. Malgré la distance entre l'écran et lui ainsi que le dos de la jeune femme qui barrait la moitié de sa vision, Alan distinguait sur les images Mélanie entourée d'autres personnes mais surtout d'un homme qui avait l'air un peu plus vieux qu'elle. Les photos où ils étaient tous les deux étaient celles sur lesquelles elle s'attardait le moins au contraire des autres, où un groupe d'individus joyeux souriait mais, lui était toujours là. Mélanie prenait le temps de se replonger dans l'instant du cliché puis le supprimait vite. Une image plus sombre apparut et Alan fut trahi par son reflet sur l'écran. Elle sursauta et se retourna immédiatement en claquant l'écran de son ordinateur et en arrachant le casque de ses oreilles, les yeux écarquillés par la surprise et la méfiance.

« Qu'est ce que tu fais là ? »

Sa voix n'était ni sèche ni incisive, ou même irritée, elle ne savait pas le montrer dans son ton, ses mots ou même sa posture puisque ses yeux regagnèrent leur douceur naturelle. Alan entra dans la chambre en refermant la porte derrière lui, il déglutit sèchement ne pouvant cacher son embarras, il se sentait comme un enfant pris la main dans le sac.

« J'ai vu de la lumière...

- Tu aurais pu frapper.

- Je l'ai fait. - elle arqua un sourire doutant de lui, et il secoua la tête en insistant. - Tu étais trop concentrée.

- Je ne t'ai pas entendu. - elle s'arrêta quelques secondes – la prochaine fois, frappe plus fort. »

Un plus long silence s'installa entre eux, Alan l'observait, Mélanie se dérobait à lui en fixant le sol et se cachait derrière ses cheveux. Il s'approcha et s'assit à côté d'elle sur le lit. Elle ne bougea pas.

« Tu n'arrives pas à dormir?- elle acquiesça – Moi non plus.

- C'est à cause du décalage horaire, et ... J'ai trop dormi tout à l'heure.

- J'ai connu ça. L'année dernière, j'ai passé plus de huit mois au Canada, quand je suis revenu j'ai mis quasiment une semaine à retrouver un rythme de sommeil correct.

- Une semaine ? - Mélanie s'horrifiait déjà de devoir attendre autant de temps.

- Je suis un cas particulier. » railla-t-il.

La jeune femme voulu le relancer tout de suite mais aucun son ne sortit de sa bouche et plutôt que l'échange qu'il espérait, elle laissa place à un silence maladroit. Elle aurait voulu qu'il lui raconte tout, qu'elle découvre quelle personne il était devenu après tout ce temps, cette distance, et ces événements. Mélanie n'avait pas relevé le visage depuis qu'il s'était assis, alors elle était gênée de le faire et elle ne pouvait pas se l'expliquer. Elle se savait timide, réservée et sans doute introvertie et pourtant elle connaissait Alan depuis de nombreuses années et n'avait absolument pas peur de lui. Ce que craignait plutôt Mélanie c'était d'être maladroite et d'une certaine manière, de lui déplaire.

« Qu'est ce que tu faisais ?

- Du tri.

- Sur quoi ?

- Oh... les photos. - Alan comprit que, par cette réponse certes brève, elle voulait dire le voyage, la vie là-bas, et les souvenirs attachés aux images.

- Qu'est ce que tu comptes garder ? - elle sourit et rouvrit son ordinateur puis fit défiler quelques clichés.

- Ce qui est unique, ce qui en vaut la peine.

- C'est à dire ? »

Mélanie chercha les photos qui représenteraient le mieux les rencontres, les atmosphères, les gens, la nourriture et les paysages qui l'avaient entourée ces dernières années. Elle lui confia sa passion pour ce pays et cette culture en décrivant les différentes merveilles que promettait l'Argentine des rues pesantes de Buenos Aires, aux paysages de landes dénuées de fins au Nord comme au Sud du pays.

Le premier accueillait par des paysages désertiques dignes des Western hollywoodiens, Mélanie avait ramené la terre rouge et émiettée qui couvrait cette partie du pays. Une chaleur terrestre et humaine puisqu'elle avait discuté avec les argentins et se souvenait de la beauté et de la gentillesse qui les animaient. La Patagonie réservait des glaciers à la couleur des cieux, des montagnes les défiant et des décors secs, froids où rien ne poussait si ce n'est des arbustes rebelles que parcouraient des troupeaux et de fières cavaliers. Chaque photo apportait un brin de poésie et de voyage qui la ravissait de revoir. Même si cela ne faisait même pas quarante-huit heures que Mélanie avait quitté l'Argentine, elle ressentait à narrer anecdotes et descriptions un léger manque. Un manque de la douceur de la langue chuchotante, des odeurs fortes et faibles, de la saveur de la nourriture, des mille et une couleurs du Nord au Sud, et l'attitude des argentins, leurs sourires chaleureux, leurs gentillesses et leurs caractères parfois insupportables.

Dans l'oreille d'Alan, tombait cette passion d'ailleurs et éveillait sa curiosité déjà largement piquée par Mélanie elle-même. Il se faisait un plaisir de lui poser des questions et elle adorait y répondre. Alan ne l'interrompait pas autant absorbé par son récit que par son enthousiasme et sa beauté. Animés par une profonde affection pour le continents, ils partageaient leur expérience du Nord et du Sud de l'Amérique ; ils planifiaient même d'autres voyages, d'autres lieux, cultures et découvertes. Bien qu'aucun d'eux ne le mentionna, il était évident qu'ils espéraient accomplir ces périples ensemble, et des regards complices se glissèrent entre eux.

Ils avaient bien plus en commun que ce qu'ils soupçonnaient tous les deux de l'un comme de l'autre. Ils se comprenaient et arrivaient désormais à mieux se cerner. Honnêtes, l'un comme l'autre, la confiance qui prend souvent des mois à se construire, se construisait en un temps record entre eux. L'ambiance de la pièce avait radicalement changé, le néon de la haute lampe qui donnait la couleur rougeâtre aux murs semblait jouer avec eux ; après l'ambiance enflammée d'embarras qu'ils avaient connue peu avant, il donna chaleur et familiarité à leurs discussions. Tout autour d'eux se réchauffait petit à petit, l'enthousiasme inné de Mélanie et Alan n'y était pas étranger. Tous deux comprenaient vite qu'ils étaient faits de manières similaires et pour s'entendre, alors rien ne perturbait leurs échanges, ni les hésitations de Mélanie ni les maladresses de Alan, tout ceci se pardonnait aussitôt par leur indulgence commune.

Les heures passèrent à une vitesse insoupçonnée. Pour l'un comme pour l'autre, ils étaient une source d'échanges infatigable. C'est lorsque Mélanie lâcha un bâillement.

« On devrait dormir...

- Tu travailles demain ?

- Seulement le soir.

- D'accord. - elle se réjouissait d'au moins pouvoir le voir un peu plus, mais elle ne s'attendait pas à ce qu'il se leva tout de suite, et elle ne put cacher sa déception - Merci et bonne nuit, je suppose..

- Fais de beaux rêves Mélanie. »

La jeune femme se glissa sous les draps et commença à fermer les yeux. Alan se pencha vers elle et repoussa en une caresse du bout de s doigts les quelques mèches qui dégringolaient et cachaient son front et ses paupières. Ce geste les surprit tous les deux ; Mélanie qui ouvrit tout de suite les yeux ne s'attendait pas à un tel contact et Alan s'étonnait de l'incroyable douceur de ses cheveux.

Plongés les regards de l'un et l'autre, il fallut qu'un bruit de porte les rappela à la réalité ; Alexis s'était levé et allait à la cuisine. Alan se tourna par instinct vers le bruit et lorsqu'il se retourna vers Mélanie celle-ci avait baissé la tête, clos ses yeux et se blottissait dans son lit. La lumière donnait une impression de filtre à la pièce et elle semblait s'endormir dans un bain de grenadine lorsque Alan quitta la pièce en éteignant la lampe, espérant trouver le sommeil et peut-être rêver.

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