* 15 *

* Troisième tableau; "Sunny Breakfast" by Vladimir Volegov *


A ses heures perdues, Mélanie aimait dessiner. En plein mois d'août, elle ne pouvait passer ses après-midi seule à l'appartement, alors elle dessinait dans les parcs aux alentours. Lors d'un après-midi plus chaud et dénué d'inspiration elle se balada. Le long des berges, elle prit des photos pour ses futurs croquis, elle respira profondément et se délecta de l'air brûlant mais neuf, celui de Buenos Aires en été avait rendu tous les autres atmosphères agréables. Sur ses sentiers touristiques, elle croisa toutes sortes de gens, et laissa son esprit vagabonder sur les mois à venir. Mélanie revivait, tout semblait se dérouler au mieux; elle avait retrouvé amis, famille, une ville dynamique et bondée de gens qui partageaient sa culture et sa langue et bien que cela lui était égal auparavant, elle y donnait une certaine importance aujourd'hui et tout ceci la rassurait.

Malgré la dispute entre Mélodie et Chloé, elle voulait avancer, surtout que sa meilleure amie l'avait appelé la veille et qu'elle semblait s'en remettre malgré tout ce que cela avait réveillé en elle. Mélanie se dit qu'il devait en être de même pour Raphaël et Mélodie puisque celui-ci venait de moins en moins à l'appartement. Elle allait pouvoir reprendre sa vie en mains, à commencer par ses études, elle comptait terminer sa licence, retrouver les siens et elle-même, et effleurait même l'espoir d'aimer à nouveau.

Elle flânait au hasard puis tomba nez à nez avec son cousin, Raphaël. Avant même qu'elle eût le temps de protester, il lui enfila un casque sur la tête et la força à monter sur son scooter. Ainsi, Mélanie quitta-t-elle la solitude de cet après-midi pour le café. Elle y retrouva quasiment tous ses colocataires; derrière le comptoir elle vit s'affairer Alexis et Nolan tandis que Lison, Alan et Jimmy assuraient le service. Ce dernier, dès qu'il la vit, se dirigea vers elle, et la guida vers une table, à l'étage, là où elle aurait le plus bel environnement; une vue imprenable sur le parc en face du café bien au frais derrière une verrière, là où elle serait peu déranger sans s'éloigner pour autant des bruits, murmures et éclats chaleureux de la salle. Et ce dosage parfait entre la solitude et la présence d'autrui, Jimmy et Mélanie l'appréciaient tout autant, ils partageaient cela, un goût certain pour la philanthropie, un plaisir à apprendre de l'autre non sans un certain rejet de la foule ou de l'attention de celle-ci.

Mélanie s'installa confortablement en prenant soin de ne pas froisser la large jupe qu'elle portait puis, elle posa sa tête dans le creux d'une main et - comme l'avait prévu son meilleur ami - perdit son regard dans l'activité du parc, la rue, le rivage du fleuve qu'elle percevait derrière lui et les visages. Les passants, harassés par la chaleur, se cachaient derrière différents couvre-chef ou recherchaient des points d'ombre. D'autres se promenaient par grappe, certains main dans la main, d'autres bras dessus bras dessous, la plupart riait gaiement en écrasant de leurs pas légers les sentiers trop parfaits des berges et du parc.

A cette période de l'année, peu travaillait, surtout qu'aujourd'hui était un mercredi et une veille de jour férié, Mélanie sourit à cette pensée; ses amis seraient tous ensemble les deux prochains jours, la mère de Jimmy avait décidé de leur donner un jour supplémentaire. Son sourire avait aussi été sollicité par la douceur de cet après-midi, l'ambiance et l'inspiration qu'il offrait et bientôt, elle se mit à croquer les alentours. Jimmy lui apporta bientôt sa commande et elle se perdit vite dans le temps et les lignes qu'elle traçait avec précision. L'inspiration retrouvée, elle ne s'arrêtait plus de dessiner les visages, paysages et activités qui l'entouraient. Personne ne la laissait indifférent et elle se sentait envahie par un sentiment chaud et rassurant, elle se dit que finalement elle touchait peut-être enfin au bonheur après tout ce temps, tous ces efforts et toutes ses larmes.

Au bout de quelques heures, son meilleur ami la rejoignit et s'assit en face d'elle en la couvant d'un regard attendri. Comme elle ne réagissait pas, il lui déroba d'une main experte son carnet qui la fascinait tant, et même si elle protesta, elle finit par la laisser faire. A cet instant justement, Mélanie croquait les enfants qui jouaient dans le contre-bas de la rue, et un plus grand sourire grimpa sur les lèvres de Jimmy.

« Tu t'es améliorée. - la félicita-t-il en lui rendant son carnet.

- Merci. Tu peins toujours ?

- Évidemment.

- Tu me montreras ?

- Je ne sais pas... »

La réponse était bien entendu positive mais il se devait de la taquiner et cela l'amusa tout autant. Leur complicité intacte, ils discutèrent encore un moment avant d'être interrompus par la sonnerie de téléphone de Jimmy.

« C'était Raphaël. - l'informa-t-il après avoir raccroché et passé nerveusement sa main dans es cheveux.

- J'avais deviné.

- Il ne va pas très bien... Mélodie non plus.

- Je sais. Il ne vient quasiment plus à l'appartement.

- Il compte le quitter ?

- Je sais pas. Il a bien payé le loyer à temps et n'a rien dit à Alexis.

- Je comprends vraiment pas ce qu'il fout... Je crois que c'est à cause de ce qui s'est passé avec Chloé, Mélodie ne s'en remet pas et Raphaël non plus du coup... Il arrive pas à l'aider. Je sais plus quoi faire. Tu lui as parlé ?

- Oui, on a eu une petite discussion, on va dire.

- Sur quoi ?

- Mélodie.

- Tu lui as dit quoi ?

- Je peux pas te le dire Jimmy. Ça ne regarde que lui, Mélodie et moi. »

Elle savait que son meilleur ami ne lâcherait pas l'affaire si vite. D'un naturel curieux, il avait tendance à tout vouloir savoir surtout s'il s'agissait de ses amis et Raphaël et lui étaient meilleurs amis depuis plus de dix ans. Maintenant, il la fixait les yeux plissés, et l'air suspicieux, il essayait à la fois de l'intimider et lire ses pensées mais Mélanie tiendrait bon, elle n'avait rien à lui dire.

« Tu sais, je suis son meilleur ami, et ...

- Et tu es le mien.

- C'est pas Chloé ? - il était surpris mais une mine ravie avait remplacé le sérieux.

- Elle est ma meilleure amie et tu es mon meilleur ami. - elle avait emphasé les possessifs de manière exagérée et cela dérida encore plus Jimmy, qui s'approcha d'elle et prit ses mains dans les siennes.

- Allez... Dis-moi... - il avait soufflé ces quelques mots comme s'il voulait la séduire et bien qu'il était difficilement résistible, Mélanie connaissait ses tours et ne flancha pas.

- Non, laisse tomber Jim'. Je ne dirais rien...

- T'es pas drôle. - il s'enfonça de nouveau dans son siège et dévisagea la jeune femme qui avait repris son carnet pour le fuir.

- Arrête ton manège, ça ne marchera pas.

- Méli'. - elle releva la tête vers lui et il avait retrouvé son sérieux et même, il lui parût plus sévère qu'à l'accoutumée. - Je sais que tu as tendance à parfois exagérer. Mais j'espère que tu n'as pas tiré des conclusions trop vite et que tu as fait attention à ce que tu as dit à Raphaël. Mélodie, elle n'est certainement parfaite mais elle n'est pas si mauvaise et je pense que tu t'en serais rendue compte si tu avais pris le temps de lui parler. »

Jimmy ne lui laissa pas le temps de répondre et se leva pour reprendre son service. Il avait l'habitude de donner des conseils à tout le monde, alors pourquoi Mélanie avait-elle pris ses paroles comme des menaces ? Le ton et la posture lui avaient parue si étrangers qu'elle n'avait su réagir et cela dérangeait, était-il contrarié ? Devait-elle se lever et finir cette discussion ? Tout lui dire pour qu'il comprenne ? Et qu'avait-il voulu dire ? Elle était trop prompt à tirer des conclusions ? Pourtant, elle faisait toujours attention et prenait soin de ne pas froisser celui ou celle qui l'écoutait. Et si Jimmy savait quelque chose, qu'est ce que c'était ? Elle secoua la tête comme pour la vider et se dit qu'elle pourrait lui reparler dans la soirée et qu'après tout, elle devait arrêter de se faire une montagne du moindre évènement.

Elle voulût chercher un peu de réconfort dans les lieux qui l'entouraient et si la décoration et les fleurs lui changèrent les idées quelques secondes, des rires vinrent la tirer de cette légère accalmie. Elle se tourna vers le bar et y retrouva Lison et Alan en train de ranger de la vaisselle. Ils semblaient très proches, trop proches ; ils plaçaient les verres sur les étagères en riant comme s'ils étaient seuls. Comme s'ils étaient plus que des collègues, Mélanie le vit car Lison se permettait des contacts furtifs mais répétés et Alan ne semblait pas vouloir la repousser et riait presque autant qu'elle. Savait-il qu'elle était là ? Il ne pouvait pas l'ignorer, cela faisait plusieurs heures qu'elle n'avait pas bougé et que lui, avait tourné pour servir les clients, elle s'étonnait désormais qu'il n'était pas venu la saluer.

Mélanie ne pût retenir une pointe de jalousie de se former et grandir dans son abdomen ,elle la chatouillait péniblement pour finalement l'envahir et la pousser à se lever et à quitter le café au plus vite. Alors, c'était comme ça qu'Alan voyait les choses ? Ils avaient des rendez-vous qui lui avait paru agréables voire parfaits et il se permettait d'en charmer une autre ? C'est vrai qu'ils n'avaient convenu de rien officiellement mais pour Mélanie, c'était évident qu'ils seraient bientôt plus que de simples vieux amis. Elle ne savait pas vraiment ce qu'elle devait faire ; intervenir comme une fille confiante qu'elle n'était pas, rentrer et lui en toucher deux mots ce soir, ou l'ignorer totalement. La dernière solution lui semblait la plus abordable, à la limite, si ce soir, elle s'en sent capable, elle lui en parlera si et seulement si, il vient la voir se promit-elle peu convaincue. Elle avait dû une nouvelle fois se tromper, et la déception et la tristesse motiva ses pas accélérés vers la sortie.

Elle fût un petit peu soulagée lorsque l'air chaud de l'extérieur l'accueillit, elle empoigna son sac un peu plus contre elle et s'apprêta à rentrer lorsque une voix retentit.

« Mélanie ! »

Elle se retourna et se trouva face à son frère et à sa patronne, qui dos au soleil descendant, l'éblouissaient. Elle s'approcha le pas lent et les yeux plissés par la lumière. La femme d'affaire lui empoigna le bras et la guida sous les parasols où ils 'assirent autour d'une table, et Mélanie ne comprenait pas pourquoi une telle réunion se tenait et quand elle voulût ouvrir la bouche, elle ne fût pas assez rapide.

« Que dirais-tu de travailler ici ?

- Pardon ?

- Je te propose un emploi ici.

- Daniela et une de nos femmes de ménage sont parties la semaine dernière, j'ai deux postes à pourvoir. Jimmy a dit qu'il pouvait s'occupe du boulot de Daniela mais il me faut quelqu'un pour assurer le nettoyage quotidien. Ça t'irait ? - Mélanie se tourna vers son frère qui n'avait encore rien dit et qui la regardait encourageant.

- Tu voulais un petit job, non ?

- Oui mais... - elle en convenait, elle avait émis l'idée à plusieurs reprises, elle ne se sentait pas de dilapider tout l'argent qu'elle avait durement gagner en Argentine pour le loyer qu'elle devait à son frère comme ses colocataires.

- Et bien, c'est parfait, non ? Il te faudra nettoyer tout le bâtiment chaque nuit et le dimanche, grand nettoyage. - Il se tourna vers la recruteuse, et ajouta – Mélanie a fait beaucoup de ménages à Buenos Aires et du service dans des bars, elle pourra même aidé si l'un de nous est malade par exemple. - La quinquagénaire acquiesça, elle paraissait convaincue bien qu'elle dévisageait Mélanie de la tête aux pieds et qu'elle semblait ailleurs, puis elle se leva.

- Tu commences la semaine prochaine ?

- D'accord.

- Je ferai passer les papiers par Jimmy, je dois aller sur la côte ce soir et jusqu'à mardi prochain. - Sans rien ajouter, elle laissa le frère et la sœur seuls.

- C'est génial, non ? Tu vas bosser avec nous, ici!- Alexis était plus que réjoui et il prit sa sœur dans ses bras avant de retourner à l'intérieur en lui lançant – Je vais le dire aux autres ! Rentre bien et n'oublie pas de préparer à manger, c'est ton tour aujourd'hui !

- Oui, merci. » Elle se rendait bien compte qu'il avait dû la recommander à la mère de Jimmy car celle-ci la connaissait à peine. Mélanie tenta de se persuader que c'était une bonne idée et qu'elle pourrait passer plus de temps avec ses amis en se faisant de l'argent mais elle ne pouvait que craindre la réaction d'Alan. Elle ne voulait pas l'encombrer s'il lui préférait Lison et elle ne pourrait cacher à l'appartement et au travail, la nouvelle déception que créerait chez elle, un tel choix.

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