Nick et Alex (3) - I didn't know


28 mars 2005.

—Un café et un croissant, s'il vous plaît !

Je m'installe avec délectation à la terrasse d'un café du Boulevard Bonne Nouvelle et ouvre le Nouvel Obs où je parcours un article sur l'acquittement d'un boucher girondin ayant distribué des coups de couteaux à des membres de sa famille.

Il est dix heures et j'ouvre officiellement un nouveau chapitre de ma vie. Aujourd'hui est le premier jour de mon installation comme avocat. J'ai déniché des bureaux dans le 10ème arrondissement, pas très loin de l'endroit où vivait Alex.

Adieu, Etienne et ses exigences infernales, adieu Cécile et sa jalousie chronique ! Les derniers temps avant que j'annonce mon départ, que je sois dans les faveurs du patron manquait de la faire tomber en syncope tous les matins. Mon amour du droit va désormais se manifester sous d'autres cieux, avec une liberté bien plus affirmée.

Je compte dénicher des dossiers au sein des permanences pénales et au Tribunal de Commerce dont j'arpente régulièrement les couloirs. J'ai quelques économies et le loyer de mon bureau n'est heureusement pas si élevé. Mon avenir s'annonce radieux.

Je partage des bureaux avec Amalia, une avocate d'origine sud-américaine à l'accent chantant, chaleureuse et parfois changeante. Dès notre première prise de contact, elle m'a invité au restaurant et lancé des œillades à tout-va.

—Je vais être directe avec toi, m'avait-elle lancé. Tu sais, j'aimerais beaucoup que tu prennes le bureau. Je te trouve tout à fait à mon goût.

J'avais ri et elle avait fini par comprendre que non, ce n'était pas à l'ordre du jour, mais que son charme, sa beauté et son talent n'étaient absolument pas à remettre en cause. Depuis, j'ai loué le bureau et on en rigole de temps en temps.

C'était anodin mais me sentir désiré, même si je ne peux pas y répondre, m'a fait du bien. Pauline s'en est même consumée de jalousie, pendant environ ... 4 secondes et 3 centièmes. Et moi, j'ai combattu le souvenir des filles au corps de liane, et aux boucles rousses, qui sortent l'une après l'autre de la chambre d'Alex, et dont je ne sais ni le prénom ni ce qu'elles sont vraiment pour lui.

Mais à présent, l'image s'estompe, un peu chaque jour, et ses couleurs pastel sont de moins en moins difficiles à regarder en face. La vie reprend son cours et elle peut encore réserver de belles surprises, n'est-ce pas ?

*******

ALEX

14 avril 2005.

Le printemps est doux à Londres, cette année. Je suis passé à la librairie Waterstone to pick up a good book.

Après Noël, Laura m'a quitté pour un Julien, au grand dam de ma mère qui nous voyait déjà mariés. C'est alors que j'ai décidé de prendre une année sabbatique en m'inscrivant dans une école de langues de Tottenham Court Road.

—Hi, honey, me surprend une jolie japonaise, qui arrive vers moi. You're looking to the lions ?

C'est Miko, une de mes camarades de classe. Mais je n'ai pas écouté la question. Mon attention se porte tout entière sur elle. Ou plutôt sur son crâne.

—Why... ? je bégaie. Your hair ?! It's blue !

Elle m'adresse un sourire éclatant.

—Do you like it ? I was so tired of blond hair !

J'hoche la tête, perplexe. Ses cheveux sont striés de bleu et de blanc ; on dirait un drapeau.

—I like it.

—I was thinking you should absolutely have your hair blue too, elle dit d'un air extatique. You're so gorgeous, you'II be even more ! So fashionable.

Me teindre les cheveux en bleu ? J'étouffe un petit rire. J'adore Miko, vraiment, mais là.... A ses côtés, un slave aux yeux clairs se retient lui aussi (très mal) de rire.

—So fashionable, il répète. So, do you want to see the museum ?

C'est Dimitri, mon voisin de chambre dans la résidence où j'ai trouvé une location.

Après une heure passée à admirer les toiles, j'ai la vue brouillée.

Le tableau qui m'émeut le plus, c'est une toile immense et infiniment réaliste, représentant Jane Grey, les yeux bandés, juste avant son exécution. Cette fille n'avait que 17 ans et elle a été éliminée pour la simple raison qu'elle aurait pu briguer la couronne d'Angleterre. La vie est injuste, parfois....

—You come, guys ?

Malvina, aussi timide qu'à l'accoutumée, me sourit et attrape la main de Dimitri. Je jette un regard curieux à mon pote. Où est-ce qu'ils en sont, eux ? Ca fait trois mois que je les connais et que je les vois se tourner autour....

Bientôt, toute l'équipe se dirige vers notre résidence universitaire.

Miko s'éclipse sous prétexte qu'elle doit refaire sa coiffure, et discuter sur Skype avec son amoureux, un Norvégien baraqué (j'ai vu une photo...). Elle est suivie de près par Malvina la studieuse, « parce qu'on a des devoirs à faire ».

Dimitri et moi, on traîne un peu dans l'immense salle réservée aux étudiants étrangers, avant de regagner nous aussi nos chambres.

Ce soir, Emma n'est pas connectée à MSN, et les fictions romantiques de la télévision anglaises, principalement sur la famille royale, me barbent.

Avec une moue désabusée, j'éteins le poste. Qu'est-ce qu'il fait, Dimitri ? J'ai envie d'une partie de cartes.

La porte est semi-ouverte, alors j'entre sans frapper. A l'intérieur, un silence feutré règne et je discerne l'ombre de mon ami, allongé sur son lit. Il a dû s'endormir, aussi je m'apprête à me retirer lorsque je surprends des gémissements.

Alors que je m'apprête pudiquement à me retirer, je suis saisi par la vision du sexe de Dimitri, victorieusement dressé, et de sa main qui va et vient ....

Mon propre corps, chaste depuis trois mois, se tend à son tour. Je sens mon pénis se lever et ma main se pose sur mon entrejambe. Des sensations oubliées refluent vers moi, et je ferme les yeux pendant qu'adossé à l'encablure de la porte, je me fais discrètement jouir.

Un instant plus tard, je rouvre les yeux et me dépêche de m'enfuir. A l'abri de ma propre chambre, j'oscille entre la honte (et si j'avais été surpris, par Dimitri ou pire, par quelqu'un d'autre ?) et une sévère mélancolie. Où est Nick ? Que fait-il, en cet instant précis ? Pense-t-il encore à moi ?

Les images de ce que nous avons vécu ensemble, de ce que j'avais refusé d'assumer, me reviennent et le plaisir refait surface. Je l'accueille pleinement, bien davantage que je ne l'ai jamais fait avec Nick. Puis, je retombe sur mon canapé, le corps rassasié, apaisé.

Mais les larmes aux yeux....

Le soir, alors que je descends dîner, je croise Dimitri dans l'escalier. Il m'adresse un sourire flamboyant et pose sans mot dire ma main sur son épaule. Je lui souris moi aussi, naturellement. Ce qui s'est passé tout à l'heure n'a rien à voir avec notre relation réelle, tout est compartimenté.

Mais il se penche vers moi et murmure mystérieusement :

—I didn't know....

Sa voix est différente de celle du Dimitri habituel, plus profonde et grave. La pression de sa main se fait sensuelle, et je me crispe sous son contact. J'en suis certain, il m'a vu !

Mais Dimitri s'est déjà éclipsé, rejoignant Miko qui babille au sujet du Norvégien, qui paraît-il, envisage d'apprendre le japonais pour s'installer à Tokyo et dessiner des mangas. Son discours me fait retrouver un peu de couleurs et je ris.

Le réfectoire est bruyant, coloré et joyeux. Rempli d'une insouciance qui, en règle générale, me ravit.

Mais là, ce soir, je suis... Je me sens ..... Je ne sais pas comment je me sens, en fait. J'ai chaud, et je suis affreusement gêné. J'attrape un plateau, des couverts et je saisis à peu près n'importe quel plat. Une fois à table, je pique du nez vers mon assiette, un peu surpris. Des pâtes... Je n'avais même pas remarqué.

Quand je relève la tête, mes yeux croisent ceux de Dimitri qui me regarde d'un air mi-ironique, mi-coquin. Lui, au moins, il n'a pas l'air gêné.

Et je replonge le nez dans mon assiette. Pourquoi c'est si dur d'accepter ce qu'on est ?

Mon père a dit et répété :

— L'homosexualité, c'est contre-nature.

Ma mère n'a jamais infirmé.

L'année de mes 15 ans, un de mes cousins a révélé qu'il était gay. Et avec un peu de recul, j'ai remarqué qu'on ne l'avait jamais revu aux réunions de famille.

Miko m'a poussé du coude.

—Eh, tu as entendu ?!

Retour brutal à la réalité.

Je secoue la tête, un peu perdu.

—Euh non... Pardon. Tu disais ?

La pétillante japonaise agite les bras.

—Je vais me marier !!!

J'ouvre des yeux ronds et je jette un regard en coin aux autres. Aucun n'a l'air surpris. Malvina arbore un sourire jusqu'aux oreilles et lance des œillades à Dimitri. Qui lui, me regarde.

—Mais.... Je bégaie. Mon cerveau tourne à cent à l'heure. Qu'est-ce que je suis censé dire ?

—C'est Christopher ? Le Norvégien ?

Miko acquiesce, ravie.

—Mais... Tu le connais depuis combien de temps ?

Autant que je sache, elle l'a rencontré il y a trois semaines à la résidence

—Pas longtemps ! Mais la vie est trop courte pour se poser des questions, Alex. Je l'aime, il m'aime, on fonce !

Face à mon air ébahi, elle continue :

—Qu'est-ce qu'on risque ? Que ça ne marche pas ? Eh bien, on se séparera, et au moins, on aura essayé ! C'est toujours une longueur d'avance sur ceux qui n'auraient rien fait de leur vie, au final !

Elle m'envoie un grand sourire et soudainement, et à cet instant précis, il me semble que Miko a réussi à percer ... une partie du sens de l'existence.

Qu'est-ce que je fais ici, moi, à me poser des questions ?

Je lui renvoie son sourire.

—Je suis content pour toi. Sincèrement. Tu as raison.

Malvina acquiesce avec vigueur, tandis que :

—Oui, enfin, fais attention, intervient la voix un peu goguenarde de Dimitri. Histoire de ne pas trop te brûler les ailes, quoi.... L'engagement, c'est quelque chose,

—Je ne suis pas d'accord, proteste Malvina. Le but de la vie, c'est d'aller où on a envie d'être. Au moment où on a envie de l'être. Et si Miko veut être avec Christopher, alors qu'elle y aille !

—Je dis simplement qu'elle risque de morfler, c'est tout. S'amuser avec quelqu'un, c'est une chose. S'apprêter à partir vivre à l'autre bout du monde avec un quasi-inconnu, c'en est une autre.

Il attrape son plateau et va le ranger à l'autre bout du self. Un à un, les autres le suivent.

—Vous sortez, ce soir ? demande Dimitri.

Les filles refusent, elles ont prévu un film. Moi, je n'ai rien d'autre à faire.

—Ok, je suis partant.....

Bon, j'avoue que j'aurais préféré ne pas me retrouver en tête à tête avec Dimitri, spécialement ce soir. Mais voilà, le danger m'attire.

Alors, je dis :

—Je te retrouve en bas, je vais chercher mon manteau. 

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