NICK (10) - Tu t'en sors très bien

NICK

Samedi, 23h30

A peine rentré, je m'effondre sur le canapé, le teint verdâtre. Cette semaine, en plus de la routine du Cabinet, à savoir une bonne dizaine de renvois, trois audiences de référé en urgence et quatre à cinq dossiers volumineux en droit de la construction, j'ai pris en main le développement de ma clientèle personnelle.

C'est-à-dire deux gardes-à-vue et un divorce. Et pas n'importe lequel... Ma cliente, immigrée algérienne mariée de force, a déjà vécu plus d'une vie mais elle garde le sourire.

-Merci pour tout ce que vous faîtes, m'a-t-elle dit d'une voix chantante. J'ai retrouvé ma liberté.

C'est dans ces moments-là que je suis heureux d'être avocat...

Pauline est sortie, ce soir. J'ai donc toute latitude pour laisser libre cours à ce chagrin que je noie dans le travail depuis deux semaines.

Tu t'en sors très bien, murmure une petite voix en moi. Tu es courageux, tu es quelqu'un de bien. Tu mérites le meilleur. La voix m'enserre de ses bras, berce ma peine. J'en ai bien besoin, pour tenter de combattre une autre voix, plus forte.

Celle qui me fait comprendre que je suis un abruti. Même pas capable de mener une vie normale, de te marier et d'avoir des enfants.

J'ai compris le message muet d'Alex. Il ne veut plus me voir, et j'ignore pourquoi. Mais l'explication la plus rationnelle est qu'il n'assume pas d'aimer un homme.

Tout vient de l'image tordue que la société a de nous, cette société conventionnelle représentée pour moi par mon père. On est accros au sexe, n'est-ce pas, on écume les fêtes bidon le samedi soir et le reste du temps, on cache qui on est.

Je peux comprendre mon pauvre ami, parce que si mon père ne m'avait pas démasqué l'été de mes 20 ans, je me serais peut-être caché toute ma vie. Mais alors, moi qui ne peux aimer qu'Alex, comment je survis à cette société-là ?

***********

Un samedi soir d'octobre 1994.

Depuis trois mois, je traînais mon mal-être à Paris et ce soir-là, j'avais espéré naïvement m'en débarrasser dans une fête alcoolisée.

L'après-midi même, ma mère, que je suppliais de me permettre de rentrer à la maison m'avait conseillé « un petit effort ». Alors je m'étais précipité sur ce cocktail, un mélange de rhum et de vodka, ou... d'un autre produit dont j'ignorais le nom.

Et une demi-heure plus tard, je gesticulais gaiement sur Bruce Springsteen, Streets of Philadelphia, un des tubes du moment. Et cette fille s'était approchée.... Elle était blonde et elle s'appelait Eléa, prénom romantique par excellence pour qui avait lu Barjavel.

-Tu... es à la fac ? j'avais dit, bêtement. Parce qu'on y était tous et qu'on se connaissait tous plus ou moins de vue.

-Oui, elle avait souri.

Au titre suivant, une ballade de Bryans Adams, elle m'avait enlacé, et dix minutes plus tard, nous étions dans une chambre à l'étage.

Et moi, j'étais tétanisé. Qu'étais-je censé faire ?

-Allez, ne fais pas le timide !

Elle était mutine, Elea. Elle s'était avancée elle-même vers moi, posant ses mains sur un sexe qui était resté flasque.

-Hum... Je ne te fais pas beaucoup d'effet, on dirait.

Elle avait saisi mon pénis à pleines mains, pratiquant un massage que j'avais jugé très .... Enfin, ça m'avait fait penser à la thalassothérapie... J'ai eu beau l'embrasser, me frotter contre elle, je n'ai jamais pu la pénétrer.

Ça n'avait duré qu'un quart d'heure, à peine. Elea s'était lassée, elle s'était relevée et avait ramassé rapidement ses fringues.

-Bon, j'y vais, moi ! Ca (Ça) sert à rien d'insister, là.... T'avais l'air cool, pourtant. On aurait pas dit que t'étais frigide.

-Elea, attends !

Rien à faire. Elle était partie. Et moi, je m'étais avachi sur le lit, honteux et désabusé. Si elle était restée, je lui aurais expliqué, au moins.

Un autre couple s'était ramené, goguenard.

-Allez, mon pote, si t'es tout seul, tu dégages ! m'avait balancé le garçon, un beau brun bien bâti, déjà en sous-vêtements. Et mate pas ma copine, il m'avait lancé pendant que j'enfilais rapidement mon jean.

Au moins, je saurais quoi répondre à ma mère la prochaine fois qu'elle me demanderait de faire un « petit effort » et d'épouser Pauline....

************

J'ai envie de pleurer
Je ne peux plus rêver
Le monde s'est cassé en un peu plus que deux moitiés

Mon coeur est percé
Amoureux éternels
Mon sang est faussé
Oublieux des mortels..

.

Retour au présent.

Justement, voilà Pauline. Il est minuit quarante, maintenant, et je suis toujours en train de zoner sous ma couette.

-Tu as passé une bonne soirée ? je demande, la voix un peu pâteuse.

J'ai dû avaler un peu de vin, pour accompagner les films. Oh, juste quelques verres, pas de quoi en faire tout un plat.

-Mieux que la tienne, en tout cas.

Elle est vêtue de son nouveau manteau d'automne, qui lui va bien, je trouve. Elle s'assoit sur mon lit.

-Cela se passe bien, dis donc, avec ton nouveau père divorcé ?

-Raphaël, oui.

-T'as l'air bien, en tout cas, je marmonne.

Elle pose sa main sur la mienne et nos regards se croisent. Elle est à la fois chaleureuse et désolée.

-Nick.... Depuis que tu as rencontré Alex, ça devient trop souvent une habitude, que je me retrouve sur ton lit à tenter de te consoler. Ce n'est pas sain.

Elle enlève ses chaussures et son manteau, laissant découvrir un pull blanc soyeux. Elle s'allonge à côté de moi, j'ai envie de plonger ma tête dans la laine.

-Tu mérites mieux qu'un gamin qui ne sait pas ce qu'il veut. Il est parti, de toute façon. Je ne te demande pas de l'oublier, mais je t'en prie, commence à passer à autre chose. Parole d'une nana qui est devenue pro du genre. Je rencontre tellement d'abrutis !

J'ai déjà entendu le discours à chacun de mes chagrins, depuis le lycée. Et je le lui ressers aussi d'ailleurs régulièrement. J'aurais mauvaise grâce à lui en vouloir mais là, ça ne m'est pas tellement utile.

-Tu verras bien ce qui se passera, pour le moment oublie-le ! C'est un nid à embrouilles, ce garçon. Il n'est pas fiable.

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