ALEX (8)- Une échelle
ALEX
Samedi, 11h.
J'ai un mal de crâne pas possible, et la gorge sèche. Mes yeux piquent, et ont du mal à s'ouvrir. En revanche, ça y est, je crois que j'ai recouvré toute ma lucidité. Les champignons hallucinogènes appartiennent bel et bien au passé.
Nick et moi sommes allongés sur ce fichu canapé, qui en aura vécu des trucs, cette nuit. Je suis toujours nu et lui toujours habillé. On s'est endormis tard, dans les bras l'un de l'autre, à pleurer et à se câliner en silence.
Je remue mon bras et tente de me dégager de l'étreinte de Nick. Pourquoi il est venu, pourquoi il est venu spécifiquement ce soir ? La situation est impossible, maintenant. Et pourtant, bien que je lui ai fait du mal et qu'il s'apprête sûrement à partir en claquant la porte, je suis heureux. Heureux parce qu'il est venu. Pour moi.
Il ouvre les yeux et mon cœur se serre.
-Salut.
Il a l'air autant dans le cirage que moi...
-Salut.
Il se redresse, incertain de la conduite à tenir. J'avais cru qu'il me giflerait dès que j'aurais ouvert les yeux, mais je le connais mal. Nick est calme et posé, toujours à rechercher la conciliation.
L'appartement est silencieux, ce matin. Et vide. Les filles ont dû plier bagage dès qu'elles ont réalisé la présence de Nick. Tant mieux. S'ils avaient dû se recroiser, ça aurait été pire.......
-Tu... tu as faim ? je demande, embarrassé et pressé de combler le silence.
Sans attendre la réponse, je me dirige vers la cuisine. Voyons ... Nick aime les tartines. Je le sais. Avec de la confiture. Moi, je n'en prends jamais, mais curieusement, la dernière fois que j'ai fait les courses, j'en ai acheté un pot. Les grands esprits se rencontrent...
Je m'apprête à confier l'anecdote à Nick quand il me coupe :
-Ecoute, Alex. Dis-moi la vérité. Vite. Où tu en es, ce qui s'est passé hier, et ce que tu veux. Après, je m'en vais.
-Nick .....
Je me retourne vers lui, le visage ravagé.
-Ce n'est pas si simple, je murmure, un sanglot dans la voix.
-Mais si.
Il est ferme, décidé.
-Soit tu veux qu'on soit ensemble, mais dans ce cas, tu dois savoir que j'ai besoin de fidélité, d'exclusivité. Soit tu n'es pas prêt pour ça, mais dans ce cas, il faut que tu me le dises. Ton silence, ça me tue.
Ses paroles me rappellent que hier soir, j'étais certain que la vie, au fond, était simple et claire. Si seulement cette certitude avait pu résister au lever du jour.....
- Ce que j'ai vécu avec toi, ça reste gravé en moi, je commence sur un ton prudent.
Mais je ne suis pas prêt. La simple idée d'annoncer autour de moi mon couple avec un homme me pétrifie toujours autant.
Le regard de Nick me suit, tendu et attentif.
-Je ne t'ai pas donné de nouvelles parce que j'avais honte, c'est vrai, je poursuis.
Je ne savais pas quoi te dire. Pourtant, je ne peux pas dire que je regrette.... Ce qui s'est passé avec Laura depuis quelques semaines. Et cette nuit....
Là, je m'avance en terrain glissant, et pour une fois, j'en ai parfaitement conscience. Je ne veux pas le blesser mais puisqu'il a initié une discussion sincère....
-J'ai pris des champignons hallucinogènes et j'ai fait l'amour avec deux filles à la fois. Je me sens... à la fois pareil et différent. Mais plus sûr de moi.
Le regard de Nick me suit toujours.
-Et maintenant ? il demande avec une émotion perceptible. Tu sais qui tu es ?
-Pas vraiment.
Ma voix tremble autant que la sienne.
-Je sais simplement que ... si j'ai autant de plaisir avec toi qu'avec elles, tu ... Tu es le seul qui occupe mon esprit.
Son regard vacille, et fouille le mien comme pour en tirer son essence.
-Ne joue pas avec moi, Alex. Je ne suis pas aussi fort que tu crois.
-Je ne joue pas !
J'ai presque crié, la voix rauque.
-Je ne joue pas, Nick, je répète plus calmement. Je fais ce que je peux. Je t'assure...
-Ok. Je peux comprendre, il dit calmement. Ça me ravage mais tu n'as que 20 ans. Dis-moi où tu en es maintenant.
Je soupire et me tourne nerveusement vers le frigo pour en sortir une bouteille de jus d'orange.
- Je ne suis pas sûr d'avoir envie de me stabiliser et de poser une étiquette sur ma peau.
Je lui sers un verre et je lui tends.
-L'étiquette d'un homosexuel ?
Sa voix est calme, mais sa phrase m'a surpris, gêné. Je bafouille :
-Non... Ce n'est pas ce que je voulais dire....
-Alex...
Il pose sur moi un regard dépourvu d'animosité.
-C'est le cœur du problème, non ?
Alors, je finis par cracher :
-Un peu. Je ne suis pas comme toi.
Nick hoche la tête.
-Je vois.
Il se lève, les épaules courbées, le pas lourd.
-Merci pour m'avoir hébergé cette nuit. Et merci pour cette conversation. Je vais partir maintenant.
-Attends, c'est tout ? Tu t'en vas comme ça ?
J'ai parlé trop fort, mais le voir comme ça, ça me chamboule. J'attends qu'il s'arrête, me sourit, que l'atmosphère se réchauffe. Mais lorsqu'il tourne son visage vers moi, c'est un visage inexpressif que je découvre.
-Tu as été clair. Tu n'es pas prêt à renoncer aux expériences, ni à assumer l'étiquette d'un homosexuel. Je te rassure, tu ne l'es pas forcément d'ailleurs. Tu es peut-être bisexuel, tu es peut-être sans étiquette. Tu connais l'échelle de Kingsey ?
Je secoue la tête.
-Il a établi une échelle, m'apprend Nick. Une échelle de l'homosexualité. On est tous plus ou moins homosexuel, tu sais.
Nos regards se croisent, et le mien s'éclaire. Il n'y a que Nick qui sait me réconforter, toucher mes points sensibles ; je dois bien le reconnaître.
-On a d'autres choses à partager que le sexe, non ? je tente, en désespoir de cause. J'ai maltraité Nick mais le voir complètement sortir de ma vie, c'est... au-dessus de mes forces.
Cette fois, il esquisse un sourire, léger peut-être, mais qui illumine son visage.
-C'est vrai. Mais laisse-moi du temps. Tu veux bien ?
Il attrape son sac et sort. La porte de mon appartement claque sous ses pas, et moi je reste là, figé comme un abruti, à ne plus rien tenter d'autre pour le retenir.
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