ALEX (6) - la seule personne capable de me comprendre

ALEX

Il est 19 heures, déjà, quand je peux enfin claquer la porte de l'immeuble de Xeres. Et pousser un long et profond soupir.

Rien ne va, en ce moment. Je repasse dans ma tête les reproches de Laure-Anne, ma jeune supérieure.

-Je ne t'avais pas dit d'envoyer ce mail ! Tu t'es trompé sur le montant des honoraires à réclamer ; j'avais dit DEUX mille cinq cent et pas MILLE cinq cent euros !

-Pourquoi tu as écrit à l'agent général ? Ce n'est pas ainsi que fonctionnent les relations avec les assurances ! Je te l'ai déjà dit, pourtant ! Il faut écrire AU SIEGE !

Je n'entends rien, je ne comprends rien. Je ne retiens jamais rien.

Et surtout, je ne me suis jamais senti aussi misérable, et ça se sent : mes épaules se courbent, je me replie sur moi-même, dans tous les sens du terme. J'ai le cœur qui bat en m'asseyant à mon bureau, le matin, et les larmes aux yeux quand j'attrape mon manteau.

La semaine dernière, Laure-Anne s'est absentée.

-Puisque tu es là, je vais en profiter pour prendre quelques jours. Je retarde une petite opération chirurgicale depuis des mois....

Elle est revenue fatiguée et en colère. En une semaine, j'avais réussi à accumuler un nombre incalculable de maladresses : un dossier envoyé en retard et qui n'avait pu être traité, une note de synthèse bâclée...... Et j'en passe !

-Je te faisais confiance, moi ! Je ne t'ai pas embauché pour faire joli !

Il faut dire que mes débuts avaient été prometteurs. Dans les premières semaines, j'avais montré l'étendue de mes talents juridiques, séduisant la perfectionniste Laure-Anne. Elle m'avait alors accordé davantage de responsabilités, et mes vieux démons étaient revenus à la charge.

J'aurais vraiment voulu avoir quelqu'un à qui en parler, je songe alors que je monte dans le bus qui me ramène chez moi. C'est vendredi soir, mais je n'ai aucune envie de sortir, aucune envie même de voir Laura.

Le chauffeur, un Antillais au visage rond, m'adresse un clin d'œil quand je m'arrête à sa hauteur pour valider mon ticket.

-Un peu de joie dans mon cœur, chantonne-t-il alors que je cherche une place dans un bus bondé, et finis par m'écrouler auprès d'un quadragénaire à l'haleine chargée. Le regard noyé dans les lumières de la ville, je me dis que ça y est, je touche du doigt ce qu'est vraiment la solitude.

Je suis englué dans mes problèmes depuis plusieurs semaines et je n'ai toujours personne à qui parler. Ni mes parents, ni Laura, ne comprendraient. Et Emma, la seule à qui j'ai tenté d'en parler, s'est contentée de sourire.

-Il faut te concentrer un peu, c'est tout.

J'avais pincé les lèvres. Ce discours, je l'avais entendu mille fois. Sauf que justement, cela fait des années que je n'y arrive pas ......

Le seul qui me comprenait, c'est ..... C'est Nick. L'évidence me frappe au cœur, alors la voix stéréotypée annonce mon arrêt.

J'ai rejeté la seule personne capable de me comprendre.

Je prends mon sac et me dirige vers la porte arrière, qui fait office de sortie.

A l'extérieur, le froid alsacien me saisit, et je remonte le col de mon manteau. Mon immeuble est encore à quelques rues et l'éclairage public fait apparemment défaut, ce soir.

Laura, mon besoin d'expériences, mes difficultés à accepter d'aimer un homme... Des blocages qui s'estompent en un instant face au sourire de Nick, à son bras sur mes épaules.

Dans ma poche, l'écran de mon téléphone portable s'illumine. J'attrape l'appareil, lis avec élan le nom qui s'y inscrit, puis hausse les épaules. Laura. Laura ne peut rien pour moi.  

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