ALEX (2) - un océan de stress

12 Janvier 2004

FLASHBACK

ALEX

Je n'en mène pas large, ce matin, et j'aurai bien envie de le prendre, le large. Premier jour de stage, et j'ai intérêt à m'y plaire car j'en ai pour six mois.

-On dirait les paroles d'une chanson, je marmonne en ajustant une mèche de cheveux devant mon miroir. Il y a les rimes.

Mais ma vie est loin d'être une chanson. Ce serait plutôt un océan de stress. Certes, en apparence, tout va bien. Je suis jeune et en bonne santé. Mais sous ma carapace, je suis l'être le plus tourmenté qui soit. En grand manque de confiance

Le miroir me renvoie l'image d'un garçon brun et mince, à l'aspect athlétique. Je lui envoie mon sourire le plus confiant et tends la main à un interlocuteur imaginaire :

"Bonjour, je m'appelle Alexandre Novelli, je suis le nouvel élève avocat"


Rien qu'à prononcer cette phrase, mon cœur bat déjà.


Je lisse ma raie une dernière fois avant de décider que je suis satisfait (enfin !) et de passer en cuisine.

J'attrape un bol au hasard dans mon placard minuscule, et je le remplis de céréales bio. Quoi qu'en dise mon père allergique au naturel, et qui se moque à chaque fois qu'il met le nez ici.

Mais tant pis, je soupire en plongeant la cuillère dans ma bouche. Au moins, je prends soin de mon poids, et personne n'est là pour me juger, ce matin.

Encore quelques minutes et je suis prêt.

Je soupire en me laissant tomber sur le canapé du salon et repense à ce que disent mes parents de moi.

-Tu es trop angoissé, Alex, me répète ma mère. Trop sensible aussi.

Mon père, lui, dit que je dois m'endurcir. A (À) l'adolescence, il m'a inscrit à la boxe, puis au karaté. Ne manque jamais une occasion de me bousculer pour me faire réagir. Et me critique sans cesse pour "me faire évoluer".

Mes parents ne me comprennent pas et moi-même je ne me comprends pas bien non plus. Je pressens qu'il y a quelque chose en moi qui cloche, mais quoi ? Je ne sais pas, alors j'élude. Après tout, j'ai de bonnes notes à la fac, un parcours scolaire sans fautes. Je suis intelligent, je le sais... Mais complètement incapable de gérer le quotidien.

Et pas seulement les courses et la cuisine ; ça encore, je pourrais le gérer. Mais aussi le rangement de dossiers et l'organisation de mon temps de travail... Juridiquement, je m'en tire, mais le seul job administratif que j'ai tenu l'été dernier, à la Sécurité Sociale, m'a fait prendre conscience de mes limites.

Et même vivre seul à Paris depuis mon entrée à la fac ne m'a pas fait progresser. Je suis toujours aussi « bras cassé ». Enfin, on dit qu'Einstein avait mon profil...

***********

Je découvre Strasbourg sous un ciel nuageux et pluvieux, qui ne rend pas justice à la ville. La pierre est sombre et l'architecture me paraît dépassée. Non, je ne suis pas certain d'aimer l'Alsace, je grimace en observant mon nouveau quartier de la camionnette louée par Nick et qui vient de nous emmener depuis Paris.

-Ce camion est complètement inadapté, ronchonne mon père en passant péniblement une vitesse. Comment as-tu pu louer un véhicule sans t'en rendre compte ?

Il se gare – sur une place « handicapés », ce que je me retiens de lui faire remarquer – et moi je serre les dents. Pas la peine de s'énerver ; le pire est encore à venir. Nous allons tous les trois découvrir l'appartement que Nick a réservé pour moi en quatrième vitesse la semaine dernière. Je n'imagine pas les critiques que je vais devoir encaisser...

L'immeuble est moderne, en pierre d'une drôle de couleur marron.

Mon installation s'est passée aussi bien que possible, entre mon père qui avait critiqué tous mes choix (enfin, ceux de Nick, mais il l'ignorait), et moi qui serrais les dents.

Mon appartement est pourtant heureusement situé dans un quartier agréable du centre-ville, face à la cathédrale.

-La ville me semble loin, non ? grommelle encore une fois mon père.

-Mais non, l'interrompt Emma. On est en plein centre, tu n'as rien remarqué ?

Bien sûr qu'il n'a rien remarqué. Mon cœur se serre. Mon père ne remarque jamais rien de positif en ce qui me concerne.


Lorsque je croise son regard, je constate qu'est née sur son visage la petite grimace qui signifie qu'il est préférable de passer à un autre sujet.

-Vous avez faim ? je demande à la cantonade d'un ton faussement enjoué.


Le ventre réconcilie les cœurs, dit-on...

Mais mon géniteur m'envoie un sourire ironique :

-Toujours prêt pour arrêter de bosser, n'est-ce pas ? Allez, encore un petit effort ! Attrape-moi cette table !

Je m'exécute, attristé. « Toujours prêt pour arrêter de bosser », moi ? Vraiment ?


Emma, qui a saisi notre bref échange, me jette un regard désolé, alors que ma mère continue de balayer, en apparence indifférente.

-On sait tous qu'Alex est courageux, Papa. Et on a faim.

Notre père, qui s'est lancé dans l'installation d'une commode, esquisse un léger rictus, et voilà qu'il lance sa pique ultime :

-On le sait tous, on le sait tous.... C'est vite dit.

Et il part d'un grand éclat de rire .....

C'en est trop pour moi. Je lâche les chaises que j'étais en train de disposer autour de la table.

-Je suis désolé, mais j'ai besoin de prendre l'air, je lance d'une voix aussi calme que possible. Mais mon visage est rouge, je suis plus touché que je ne l'aurais souhaité.

Je m'isole sur le balcon ; et laisse l'air frais rafraichir mon visage. De là où je suis, j'entends toujours la voix de notre père qui lance :

-Il est vexé, Alexandre ?

-Sûrement..., fait Emma, la voix lasse.

-Qu'est-ce qu'il est susceptible ! Il faut qu'il se calme, reprend mon géniteur. On n'a pas tous les mêmes relations et moi, je n'ai pas les mêmes relations avec lui qu'avec toi, par exemple. C'est comme ça, il faut l'accepter. Je ne vais pas me forcer, quand même !

Je referme la fenêtre du balcon, d'un geste excédé. Cette chanson, je la connais. Je l'entends depuis ma plus tendre adolescence. Depuis que les relations avec mon père ont commencé à prendre l'eau, sans que je n'en comprenne d'ailleurs la réelle raison. Il est pourtant très à l'aise pour en parler, sans avoir même la décence de cacher sa préférence pour Emma.

Et il faudrait que je le prenne bien....

-Après tout, continue mon cher père, je remplis tous mes devoirs. Regarde, je suis bien ici pour aider Alexandre à déménager. Il n'a pas de raison de se plaindre.

Dans ces moments-là, je ne ressens plus ni colère ni tristesse. Simplement un grand vide et une certaine crainte de reparaître devant lui. Encore une fois, c'est Emma qui sauve la situation :

-Il va vraiment être l'heure d'aller déjeuner, en fait.

Toute la famille sort de la pièce pour chercher ses affaires et j'en profite pour quitter mon abri. Finalement, j'avais raison : l'appel du ventre rassemble. 

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