I: Les Affaires Reprennent, Pt.2

Sorti de la pièce, tout paraissait plus grand, plus beau et plus important. Mis à part les couloirs de service desquels il fallut s'extraire - ce que le roi parvint à faire sans mal - et qui étaient essentiellement habités par du personnel de service, ou plutôt des androïdes vides d'émotion et dépourvus de toute personnalité, tant même que le jeune homme en fût d'avantage troublé en repensant à Ephie, la partie principale était, quant à elle, majestueuse.

Ce n'était pas par ses couleurs, relativement neutres, que la majesté se manifestait mais plutôt par la taille et l'architecture à la fois impressionnante et fonctionnelle. Le roi, qui marchait vite bien que boitant légèrement, jeta un regard vers l'arrière afin de guetter la réaction de son suiveur. Ce dernier regardait de tous les côtés, que ce soit le grand plafond avec des passerelles cachées dans l'architecture pour permettre à la garde de circuler et voir sans être vus, les immenses piliers qui traçait une route vers ce qui semblait être un amas de lumière lointain, l'éclairage constitués de lignes courbes qui couraient au plafond, s'enroulaient autour des piliers et traçaient des chemins au sol. Les parois murales et couvertes de verre, laissaient entrevoir des silhouettes réunies en petit groupes, sûrement des travailleurs, dans des pièces empilées où des gents étaient à des écrans, des panneaux holographiques ou réunions visiblement sérieuses. 

Sur les traces du roi, le jeune homme se sentait à nouveau très exposé.

— Les choses ont bien changé depuis que tu es partit, lança le roi à l'égard du prince qui sursauta, trop occupé à digérer le malaise qu'il ressentait face à ces lieux.

— C'est à dire ? Je ne me souviens pas...

— Vraiment pas ?...

Ils s'étaient arrêtés côte à côte. Le roi paraissait des plus neutres mais au ton employé, le jeune homme sentait que la réponse qu'il donnerait aurait son importance pour la suite. 

Ne sachant guère quel héritage il pouvait bien se traîner avec lui, l'idée même de donner une réponse, une orientation, lui semblait dangereuse. Tout dans ce palais ne lui inspirait aucune confiance.

Mais devant l'attente pressante du roi, voyant que rien ne vint le sauver, il préféra répondre la plus stricte vérité.

— La coupe est vide, père, je ne peux pas inventer...

Merde pour l'instant !

Le roi continua de le fixer quelques secondes puis, reportant son regard au bout de la galerie, il fit tout bas, comme un grognement:

— Oui, bien sûr...

Le jeune homme entendait s'élever du bout de la galerie une série d'acclamations. A mesure qu'ils marchaient vers le fond de l'immense galerie, celles-ci se faisaient de plus en plus fortes.

— Nous sommes dans le vaisseau monde, n'est-ce pas ?

La question lui avait échappée sans qu'il ne puisse la retenir.

— Très juste. Nous en parlerons plus tard, veux-tu. Nous avons une tâche... Importante à accomplir.

Le roi semblait prendre soin des mots qu'il employait.

— C'est pour ça que vous m'avez fait réveillé, j'ai raison ?

Il ne répondit pas. Ils étaient arrivés sur une grande place circulaire au bout de la galerie aux salles de travail, encerclée d'immenses piliers soutenant un brasier blanc dont les flammes, plutôt que de s'élever, dansaient à l'envers.

A leur arrivée, la foule, qui se tenait contre les piliers, s'arrêta d'applaudir et tous s'inclinèrent. Un petit groupe d'homme près d'une immense statue trônant au milieu d'un espace légèrement sur-élevé, en plein centre. Tous vêtus de noir, portant un masque et tenant des armes, ils frappèrent le pied au sol et se mirent en ligne devant leurs dirigeants.

Le jeune homme sentait en lui une gêne immense, comme s'il ne voulait absolument pas se trouver là. Un homme se détacha. Assez petit, lui aussi muni d'une cape et d'un uniforme de cérémonie, ce dernier avançait à pas feutrés vers le roi, n'accordant aucun regard au jeune homme.

Ceci ne l'en dérangea pas. S'il avait put, il serait resté dans la petite pièce avec Ephie, et ce même si sa conduite exubérante avait de quoi le mettre tout aussi mal à l'aise. Du coin de l'œil, il constatait que, hors du périmètre délimité par les piliers, d'autres soldats montaient la garde. L'extérieur n'était que morceaux de ciels étoilés découpés par les piliers et halo de lumière dus aux lignes qui couraient au sol et sur l'architecture.

— Mon roi, puis-je vous parler un instant...

— Est-ce urgent ?

— Soyez en assuré, je ne me permettrai pas de vous déranger.

Le roi lança un regard perçant au jeune homme avant de s'en retourner vers le général qui, de par le tic de sa moustache blanche, semblait visiblement ennuyé, avant de déclarer:

— Très bien, je vous accorde une minute... Pendant ce temps - il jeta un nouveau regard vers celui qui, hébété, faisait tout son possible pour ne pas trahir son malaise - il ne te reste qu'à profiter du spectacle.

Le général, en entendant cette dernière phrase, se retourna vers les hommes en noir qui patientaient au milieu de la place et d'un geste vif, leur ordonna de poursuivre leur démonstration. Le roi et lui s'éloignèrent, laissant le jeune homme seul. Ce dernier remarqua que des gardes, de part et d'autres, s'étaient rapproché.

Un autre soldat se détachait des autres. Nettement plus grand - Sûrement autant que le roi - portant un masque noir sans forme qui dissimulait même ses yeux avec une visière sans teint, il se déplaçait comme s'il flottait dans sa cape, une lourde épée à lame droite accrochée en diagonale dans son dos. Ce dernier jeta un rapide regard en direction du prince, la tête tournée vers lui. Alors que ce qui semblait être ses subalternes engageait un nouveau duel de haut niveau, lui resta un instant sans faire un geste, bras croisés sur sa poitrine.

Il soutint le regard de l'ombre sans ciller. Une boule dans son ventre s'était formé, non pas de la peur mais quelques chose qui ressemblait à de la colère.

La foule poussa une acclamation lorsqu'un des soldat désarma son adversaire. Le sabre s'envola au dessus de la scène qui s'était figé. Le jeune homme le suivit des yeux tandis qu'il volait vers lui en scintillant des reflets des lignes sur sa lame polie avec soin par, sûrement, des androïdes serviles comme ceux de la galerie.

Ou comme Ephie...

Cette pensée achevait de lui donner la nausée. Qui pouvait-elle bien être si ce n'était qu'un serviteur programmé ?

La lame atterrit avec un bruit métallique, rebondit au sol dans un balais de vrilles erratiques puis, à plat sur le sol, glissa le long d'une ligne métallique luminescente jusqu'à ses pieds.

L'ombre avait décroisé les bras. Le jeune homme, comme irrésistiblement attiré par l'arme, l'avait ramassé sans hésiter.

La sensation de puissance qui parcourut son bras fut instantanée. Il se surprit même à sourire, jusqu'à ce qu'une voix ne s'élève de devant lui.

— Si vous le voulez bien, nous allons la reprendre.

Il sursauta en relevant la tête. L'ombre avait tendu le bras et patientait, immobile, juste devant lui. La voix légèrement étouffée qui s'en était dégagée était d'un naturel calme, mesuré, parfaitement égale. C'était ce qui la rendait, accessoirement, des plus désagréables aux oreilles du jeune homme.

Il lui tendit le sabre à contre cœur. Mise à part son souffle, personne ne bougeait. Lorsqu'il jeta un regard circulaire à l'assemblée, aux gardes et aux soldats de l'ombre, il vit que chacun était comme figé dans le temps, immobile. Certains se murmuraient des choses à l'oreille, visiblement réjouis. "Il est en vie !" entendit-il même. L'ombre devant lui sembla le remarquer. Il inclina légèrement la tête et repartit de sa démarche rapide, souple et assurée vers sa troupe. Il leur ordonna avec un geste sec:

— Je n'ai pas dit que vous pouviez vous arrêter ! Arper, tu empruntera l'épée de quelqu'un.

Disciplinés, les soldats se replacèrent en formation... Tous sauf un.

Le jeune homme tenait toujours le sabre lorsqu'il remarqua qu'un des soldat avait soutenu intentionnellement son regard, là où tous les autres venaient de rentrer dans le rang. Cela ne dura qu'un instant avant que le dénommé Arper n'en fasse de même.

Autour d'eux, le murmure de la foule se faisait de moins en moins discret, comme s'il voulait par tous les moyens parvenir aux oreilles du prince, sans pour autant n'être plus qu'une rumeur. Ses yeux bleus couraient de tous les côtés, et à chaque fois, il croisa des regards tantôt ébahis, tantôt apeurés. Certains dans la foule s'étaient retournés et étaient partis dès son arrivée.

Une onde électrique le fit chanceler. Il plaqua les mains sur ses oreilles, lâchant le sabre sans se contrôler.

C'était comme si sa tête était sur le point d'exploser.

Que ça s'arrête...

Il se sentit poser un genoux à terre tandis que les yeux fermés, il se voyait ailleurs que sur cette grande place bondée entourée de piliers et éclairée par des lignes de lumières à même l'architecture.

Il était dans une pièce sombre, une femme se tenait devant lui, ses cheveux noirs coupés court au niveau de la nuque étaient sales, ses yeux, sombres mais regorgeant de chaleurs plongés dans les siens et leurs mains tendues entre eux et entrelacées étaient écorchées et couvertes de crasse. La pièce miteuse dans laquelle ils étaient étaient mal éclairée et son cœur cognait douloureusement dans sa poitrine.

Elle lui adressait un regard douloureux, baigné de larmes mais dur, comme résigné. En le voyant, il pouvait y lire une douleur au moins égale à la sienne. De toute évidence, ils allaient bientôt se quitter.

Soudain, la port, qui était hors champ explosa. Mais alors qu'il se sentait projeté dans les airs, il rouvrit les yeux juste à temps pour comprendre qu'on le tirait en arrière dans la galerie.

— Non... Attends !

— Le roi m'a chargé de  vous escorter jusqu'à votre appartement, entendit-il maugréer à sa droite.

C'était l'ombre antipathique. Ce dernier tenait sa lourde épée droite en garde. Tous deux n'étaient pas seuls puisque plusieurs soldats les accompagnaient, tous en noir et masqués. Entre les rangées de soldats qui quadrillaient l'espace, il put apercevoir plusieurs silhouettes inertes gisant au sol. Il vit dans le même temps que la lourde lame était tâchée.

Le roi et le général s'étaient éclipsés. Autour d'eux, nombreux étaient ceux à être descendus de leur espace de travail au son de la pagaille et la panique menaçait de s'emparer des lieux.

— Qu'est-ce que c'est ? s'époumonait un homme en costume lisse, encore une attaque ? Capitaine ! Expliquez nous !

L'ombre le fixa un instant, et sa posture raide indiquait clairement que ce regard, s'il avait été à l'air libre, n'aurait rien eut de sympathique.

— Tout est sous contrôle, fit-il. Les clandestins ont été stoppés juste à temps, vous pouvez retourner à vos occupations... Exécution !

Le jeune homme hagard vit que certains, dans l'assemblée, le fixaient intensément. Un employé le pointait du doigt, son visage semblait illuminé, comme s'il retrouvait un proche après de longues années d'absence et d'incertitude:

— Regardez tous ! C'est le prince ! Il est de retour !

La rumeur se propagea, il y eut même quelques applaudissement. Le capitaine de la garde reprit, toujours de sa voix mesurée, calme et autoritaire à la fois:

— Tout va bien, vous dis-je ! Partez, maintenant.

Le jeune homme hagard fût stoppé devant une porte d'apparence blindée. Le capitaine se présenta devant le panneau, souleva légèrement son masque, présenta son œil puis la porte s'ouvrit, révélant un hall aux apparences somptueuses peuplés de gardes patibulaires en combinaison blindée intégrales. Le prince retournait au palais, et au fond de lui même, il sentait que rien au monde n'aurait pût autant le désenchanter.

Encore assommé, le jeune homme eut peine à rester conscient lorsque la garde régulière prit le relais sur les troupes de l'ombre pour l'escorter jusqu'à son bâtiment.

— Edwar, laisse le ! le supplia la voix.

Aveuglé par une colère meurtrière, il se jeta en hurlant hors de la pièce qui venait d'exploser.

Il ne vit pas la route empruntée pour l'amener jusque dans sa chambre. En revanche, il se voyait courir dans des dédales de galeries métalliques enfumées, bondées de silhouettes tordues qui s'envoyaient en l'air le long des murs. Il courait, sabre électrique en main, avec pour seule envie celle de tuer. Faire couler le sang et, pourquoi pas, le faire brûler pour assouvir ses pulsions de souffrance et de vengeance tandis que le sabre crépitait au rythme de sa course. Il ressentait une douleur physique extrême, comme s'il avait poussé son corps au delà du supportable pour parvenir à ses fins.

L'ombre de son ennemi s'évanouit à l'angle d'une intersection entre deux galeries. Il sauta au dessus d'un tas de silhouettes empilées les unes sur les autres, dérapa pour se maintenir debout et reprendre sa course effrénée... Puis il fût stoppé net par le canon rouillé d'un blaster à cellules.

Quelqu'un l'attendait à quelques mètres de lui. Edwar se raidit, prêt à répondre à l'attaque.

Il y eut comme un sifflement métallique suivit un flash de lumière rouge et il rouvrit les yeux.

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