Chapitre 2


Le principal problème de Derek n'était pas de gérer Stiles, en soi. Malgré son état mental, c'était un jeune homme de presque dix-huit ans qui était autonome. Dieu soit loué, les oreilles de Derek étaient sauves également, même s'il était parfaitement conscient qu'un Stiles silencieux était un Stiles qui allait mal. Là, il restait calme, parlait le moins possible et ne dérangeait rien dans le loft, contrairement à ses habitudes. Bien sûr, ce comportement ne lui ressemblait pas le moins du monde mais disons que la version fatiguée de Derek – qui venait de faire une nuit blanche – s'en accommodait.

Non, le réel problème, c'était ses envies suicidaires.

Derek laissait Stiles seul le moins possible et lorsqu'il le faisait, c'était seulement lorsque l'un d'eux avait besoin d'aller soulager ses besoins primaires sur le trône. Et encore, le loup restait attentif au moindre bruit que faisait Stiles. Parce qu'il avait peur – oui, c'était le mot – que l'adolescent ait l'idée de récidiver. Et l'attitude hostile de l'hyperactif était claire : il ne comptait pas s'arrêter là.

- Décrispe-toi, je ferai rien devant toi, lui avait répété Stiles dans la matinée.

Autrement dit, au loft. Peut-être pensait-il convaincre le loup de le laisser partir de cette façon mais, n'en déplaise à son intelligence, celle-ci était partie en vacances au vu de sa misérable stratégie. Derek n'était pas un mauvais bougre et même si Stiles l'énervait régulièrement, il n'avait pas vraiment envie de le voir disparaître, devant lui ou non. Ça le tuait, mais il mettait de côté sa colère et ses jugements pour rester intransigeant face à cet adolescent étrange.

- Mon père commence à s'inquiéter, lâcha Stiles après avoir regardé son téléphone. Il faut que je rentre chez moi.

- Rassure-le, invente un truc, lui ordonna un peu sèchement le loup. Tu restes ici.

Stiles tourna la tête vers Derek, le regard mauvais. Il n'aimait pas cette manière qu'avait le plus vieux de lui donner des ordres. Comme s'il était bête, ou diminué. Stiles n'était ni l'un ni l'autre. Il avait juste... Besoin d'être tranquille et le message de son père, qui lui demandait s'il avait dormi à la maison cette nuit, était l'excuse parfaite pour rentrer chez lui. Enfin, de son point de vue.

Apparemment, pour Derek, ce n'était pas assez et s'il comptait le garder au loft, Stiles n'avait pas d'autre choix que d'obéir : tenir tête à l'ancien alpha, c'était son truc lorsqu'il allait bien. Là, ce n'était pas le cas. Puis Derek semblait bien loin de revenir sur sa décision et c'était bien là son caractère : une fois qu'il décidait quelque chose, il ne changeait que rarement d'avis. Stiles aurait pu tenter de fuir subtilement ou simplement profiter d'un moment de faiblesse de son vis-à-vis. Cependant, il sentait que ce n'était clairement pas la chose à faire et qu'il le regretterait fort. Alors, Stiles se contentait d'écouter les ordres de son ancien supérieur, en soupirant toutefois à de nombreuses reprises. Après tout, s'il énervait Derek ou si celui-ci se retrouvait lassé de devoir le surveiller, peut-être le laisserait-il s'en aller de son plein gré, ce qui ne serait pas plus mal.

Pour être honnête, l'envie de mourir de Stiles était encore là, tapie dans l'ombre de son esprit. Pourtant, elle appuyait moins fortement pour sortir, comme affaiblie par il ne savait quoi. Bien sûr, s'il se retrouvait seul chez lui, peut-être les choses seraient-elles différentes. Sans doute aurait-il craqué assez rapidement, s'emparant d'un couteau, d'une lame de rasoir ou bien en s'assommant avec les somnifères qu'il prenait parfois pour dormir correctement. En multipliant la dose pour qu'elle soit mortelle, Stiles parviendrait sans doute à ses fins mais puisqu'il était coincé ici, au loft, il ne ferait rien. Ce qu'il n'arrêtait pas de répéter à Derek était une vérité : il ne ferait rien en sa présence ou en sachant qu'il pourrait arriver pour l'en empêcher. Le problème, c'était que le loup semblait désormais prendre à cœur la mission qu'il s'était donnée, celle de l'empêcher d'en finir. Franchement, Stiles ne comprenait pas pourquoi Derek s'acharnait à vouloir le garder en vie alors qu'en réalité, pas grand-chose ne le retenait ici à part peut-être son père, ou Scott. Non, pas vraiment Noah, finalement. Après tout, il lui avait menti. Sa famille, tout autant que sa vie, était un mensonge innommable. Sans doute Scott était-il le seul qui pourrait réellement le faire changer d'avis, parce qu'il était son meilleur ami depuis toujours. Qu'importe les années, ils avaient tout traversé ensemble, les bons comme les mauvais moments. Scott était de ces gens qui étaient capables de vous changer juste avec un sourire. Il était toujours lumineux, ce sourire. On disait de Stiles qu'il était l'incarnation de la joie et de la bonne humeur. Pourtant, l'adolescent avait toujours attribué cette qualité au latino, toujours en train de chercher le bon chez les gens, toujours là pour rassurer, aider. Stiles était dans l'ombre, il se voyait plutôt comme un ajout, quelque chose qui pouvait servir mais qui ne manquerait pas si on le supprimait du tableau. Il était un plus, en diminué. Lorsque Scott souriait, Stiles se contentait d'esquisser un petit rictus.

C'est Scott qui devrait se trouver là, à essayer de le convaincre de ne pas quitter ce monde, pas Derek. Mais c'était ce dernier qui l'avait trouvé dans la forêt, et non son meilleur ami. C'était lui qui l'avait sauvé au dernier moment, lui qui le surveillait pour éviter qu'il ne retente son coup. Lui qui avait toujours un œil sur sa personne, qu'importe ce qu'il faisait.

- Derek, honnêtement, qu'est-ce que ça peut te foutre ? Ne put-il s'empêcher de demander au bout d'un moment, abandonnant progressivement son idée de rentrer.

Le loup releva son regard vers lui et haussa un sourcil, ne comprenant pas vraiment la question. Stiles soupira.

- Moi, ce que je veux faire, explicita-t-il en faisant un geste vague de la main.

Bien que les yeux de Derek semblaient s'animer d'une lueur étrangement sérieuse, aucun mot ne franchit la barrière de ses lèvres. Le loup se contentait de le regarder, sans rien dire. Stiles se sentit alors obligé de continuer. Après tout, peut-être Derek était-il trop fatigué pour comprendre ce qu'il voulait réellement dire. Sans doute avait-il besoin que l'hyperactif développe sa pensée.

- Je veux dire... On s'apprécie pas, toi et moi, on se tolère. Enfin, j'aime bien t'emmerder, ça c'est sûr, mais je sais que tu n'es généralement pas très heureux quand je suis dans tes pattes et je peux le comprendre. Ce que je capte pas, c'est pourquoi tu tiens tant que ça à m'empêcher de faire ce que je veux. Qu'est-ce que ça peut te faire que je veuille me foutre en l'air ? A ce que je sache, c'est pas toi qui va m'enterrer.

Le pire à cet instant, c'était l'air réellement perplexe de Stiles. Ou sa sincérité, au choix. En fait, il n'essayait pas de cacher quoi que ce soit, en soi et c'était peut-être ce qui désarçonna le plus Derek à cet instant. Mais, pour ne pas donner trop d'espoir à Stiles, il conserva un visage calme, presque complètement impassible. Il devait garder la position avantageuse qu''il avait, supérieure à l'adolescent en ce lieu. Techniquement, c'était le loup le plus puissant d'entre les deux, celui qui le forçait à rester sans user de la violence, qui l'empêchait d'accomplir ses sombres desseins. Derek pouvait le mettre à terre en un tour de bras. C'était simple pour lui mais, dans son état de fatigue actuel, il serait moins efficace, moins rapide. Tout reposait alors sur le bluff. Laisser penser à Stiles que tout était normal de son côté pour qu'il ne tente rien, ce qui lui faciliterait clairement la tâche. Moins il avait à agir, plus il se reposerait sans même que l'adolescent ne s'en rende compte. En fait, il le prenait à son propre jeu, à la différence que Stiles ne pouvait pas lui mentir : l'avantage d'être un lycanthrope capable de déceler le mensonge. Le jeune homme n'en était pas moins dangereux, sa ruse restait son plus grand pouvoir. Restait à voir ce que Stiles comptait faire et c'était là que son bluff rentrait en jeu. Plus il se montrerait intraitable, intransigeant et aussi fin que d'ordinaire, moins Stiles n'oserait tenter quelque chose. Et encore, c'était à vérifier. Parfois, l'adolescent jouait avec le feu, s'amusait à essayer de le sortir de ses gonds. Etrangement, il n'était pas certain que c'était ce qu'il comptait faire ou du moins s'il essayait, cela ne serait sans doute pas comme d'habitude.

Stiles serait plus tranchant.

Et là, ses mots ne manquèrent pas de surprendre Derek, qui le faisait se rendre compte d'à quel point Stiles était à côté de la plaque. Bien sûr que Derek l'appréciait ! Bon, ce n'était peut-être pas vraiment le terme le plus approprié mais il était vrai que Stiles comptait pour lui et que sa disparition lui ferait quelque chose. Voir le jeune homme en douter à ce point lui fit tout drôle. « Qu'est-ce que ça peut te foutre ? » lui avait-il dit. Beaucoup de choses qu'il serait bien incapable de décrire. En réalité, Derek n'en avait aucune idée et n'avait pas la moindre envie de le savoir. Etrangement, l'expérience le tentait peu. Une seule chose était sûre, il ne voulait pas voir Stiles disparaître de son paysage.

- Stiles, te pose pas de questions, dit-il simplement, assurant maladroitement ses arrières.

- Si, je m'en pose et j'ai le droit, rétorqua le jeune homme en haussant un peu le ton. Comment tu peux te permettre de te mettre en travers de ma route de cette façon ? Qui t'en a donné le droit ? C'est quoi, c'est pour te foutre de ma gueule devant les autres ? C'est quoi l'idée, ridiculiser Stiles, l'éternel emmerdeur ? L'humain qui ne sait rien faire à part se mettre dans la merde à chaque fois qu'il ouvre la bouche ?

La perplexité avait quitté le visage de Stiles pour se loger cette fois sur celui de Derek, sans qu'il puisse y faire quoi que ce soit. Stiles le désarçonnait avec une aisance folle sans même le faire exprès. Parce qu'il était sincère, Derek l'entendait aux battements frénétiques de son cœur et le sentait dans son odeur. L'adolescent face à lui était aussi perdu qu'en colère. Non, en fait ce n'était plus vraiment de la colère, plutôt... De l'indignation. Stiles était tellement aveuglé par sa vision des choses qu'il ne parvenait pas à penser une seule seconde que Derek n'avait simplement pas voulu qu'il disparaisse, parce que... Parce que Stiles ne pouvait pas s'en aller, pas si jeune, pas si tôt. C'était tout, Derek n'avait aucune idée derrière la tête, pas la moindre.

- Parce que tu penses que c'est mon genre, peut-être ? Rétorqua Derek en essayant de garder un minimum de neutralité.

- J'en sais rien, peut-être, répondit tout de suite l'adolescent en se rasseyant dans un bruyant soupir.

- Tu me connais mal.

- Je ne te connais pas, rectifia Stiles d'un ton amer.

Cette remarque acerbe camouflée sous la forme d'une affirmation quelconque obligea Derek à tourner à nouveau la tête vers le jeune homme qui, cette fois, évitait soigneusement de poser son regard sur sa personne. Et ces quelques mots, si simples et si innocents, firent prendre conscience au lycanthrope qu'effectivement, Stiles ne le connaissait pas, au sens propre. Il ne savait rien de lui, à part l'histoire de sa famille, son rôle dans la meute et deux-trois bribes de son passé. Il connaissait juste vite fait quelques traits de son caractère, mais pas grand-chose de plus que ce qu'il avait découvert par lui-même. Parce que Derek ne disait rien, ne parlait jamais de lui. Il gardait sa personnalité intimement secrète, comme si c'était son bien le plus précieux alors qu'en réalité, pas vraiment. Il n'avait juste pas l'habitude qu'on s'intéresse à lui pour autre chose que son physique ou ses facultés lycanthropiques. On cherchait à voir le beau gosse, sonder la force du loup, mais jamais à connaître l'homme derrière le personnage.

Alors même qu'en temps normal, Derek aurait répondu que sa phrase était idiote, il choisit de se taire. Parce que merde, maintenant qu'il y réfléchissait, Stiles avait raison. Derek ne pouvait malheureusement pas le détromper. Pas étonnant qu'il se montre si méfiant quant à son sauvetage par le loup.

Sauf qu'il n'était pas dans la nature du Hale de ridiculiser les gens pour le plaisir. Non, la méchanceté gratuite, ce n'était pas son truc. Les injustices, ça le tuait, tout autant que la violence dont il devait faire preuve, parce que c'était la marque de fabrique de son personnage, celui qu'il s'efforçait de maintenir à flot depuis l'incendie. Ce personnage qui l'empêchait de couler, de se noyer sous la culpabilité. C'était un peu sa barrière à lui, son moyen de rester debout, de ne pas s'effondrer.

Pourtant, il devait, s'il voulait que Stiles le croie, s'éloigner un peu de cet homme qui n'était pas vraiment lui.

- Stiles, commença-t-il presque doucement, si j'ai fait ça, c'est parce que je le voulais. Je voulais te sauver.

Et c'était honnête. Mal dit, maladroit, mais honnête.

- Et pourquoi faire ? Allons, Derek, ne va pas essayer de me faire croire que tu avais soudainement envie de m'avoir dans tes pattes, continua Stiles d'un ton acerbe, l'air toujours aussi sceptique.

- Stiles, si t'es pas capable d'accepter le fait que je t'aie sauvé sans arrière-pensée, tais-toi.

Le ton de Derek était cette fois-ci dur, presque froid. Si l'adolescent ne comprenait pas malgré tous les efforts qu'il faisait, ce n'était pas son problème. S'éloigner de son personnage, ce n'était pas facile et le peu qu'il avait fait, c'était déjà trop. Voilà déjà qu'il renfilait le masque, abandonnant le semblant de douceur qui avait presque teinté sa voix lors de son essai. C'était trop difficile de sortir des clous, juste pour Stiles qui lui cassait les burnes. Oui, en ce sens, il n'avait pas changé : il savait y faire, lorsqu'il avait l'intention d'emmerder quelqu'un, surtout lorsqu'il s'agissait de Derek. Mais le loup ne devait pas laisser sa vigilance s'endormir à cause de ce trait de caractère. Stiles voulait l'épuiser et partir sans qu'il puisse l'en empêcher et puisqu'il savait qu'il ne pouvait rivaliser physiquement, il s'attaquait à son mental. Malgré sa fatigue qui s'alourdissait toujours plus, Derek ne comptait pas se laisser faire. Il resterait ferme.

Le visage de Stiles n'était pas fermé, contrairement à ce qu'il aurait pu penser au départ. En fait, la surprise dominait tout autant son expression faciale que son odeur. Sans doute ne s'attendait-il pas à une telle réaction de la part de Derek. Peut-être avait-il pensé que celui-ci irait dans son sens, lui montrerait qu'il avait raison. La réalité en avait été toute autre.

- Et tu vas me garder combien de temps coincé ici ? Finit par s'enquérir l'adolescent après avoir repris un semblant de contenance.

- Aussi longtemps qu'il le faudra, répondit le lycanthrope en se levant.

Il avait besoin de grignoter quelque chose, son corps le lui hurlait. Il lui fallait de l'énergie et tant pis s'il laissait Stiles seul quelques secondes. Dans le salon, il ne pourrait rien faire et de toute manière, Derek entendrait le moindre de ses mouvements depuis la cuisine. Si Stiles tentait quelque chose, le loup rappliquerait en quatrième vitesse.

- Tu pourras pas me garder ici éternellement, lui dit tranquillement l'hyperactif, bien installé sur le canapé.

Derek ne répondit pas et continua son chemin avant de s'engouffrer dans la cuisine. Bien sûr qu'il le savait. Après tout, il ne faisait pas partie de la famille de Stiles et théoriquement, Noah Stilinski pouvait rappeler son fils à tout moment. Le loup n'oubliait pas non plus le fait que Stilinski senior n'était rien de moins que le shérif de la ville. En soi, Stiles était d'ores et déjà libre. Mais même fatigué, Derek avait un cerveau. Il allait gagner du temps.

Lorsqu'il revint dans le salon après s'être mangé deux bonnes parts d'une pizza qui traînait au frais, Stiles n'avait pas bougé. Il était toujours là, sagement assis sur le canapé, traînant sur son téléphone pour passer le temps. L'air sûr de lui, Derek se laissa tomber à ses côtés sans aucune grâce. Après tout, il n'allait pas se compliquer la vie. Déjà qu'il était crevé, si en plus il devait faire attention à sa manière de faire les choses... Il ne s'en sortirait jamais.

- Envoie un message à ton père. Officiellement, tu passes une semaine chez Scott, lui dit-il simplement.

- Pardon ?!

- Tu m'as très bien compris, lui dit calmement Derek. Je te laisserai pas partir tant que t'auras ce genre de pensées.

- Tu pourras pas me les enlever, lui assura Stiles.

Mais son cœur témoigna de son mensonge sans même qu'il ne s'en rende compte. Derek se retint d'esquisser un sourire.

- C'est ce qu'on verra, rétorqua Derek avec aplomb.

xxx

- Tu fais chier, maugréa Stiles.

Le jeune homme ouvrit le sac vide sur son lit, sous les yeux du loup qui attendait, adossé contre la porte fermée. Stiles ne pouvait pas s'enfuir et devait s'exécuter. Par chance, son père était absent, son travail l'ayant appelé tôt : par conséquent, l'hyperactif n'avait pas à lui expliquer la présence de Derek ici, ni se justifier par rapport à « la longue invitation de Scott ». Une semaine, ce n'était pas rien et nul doute que son paternel serait surpris lorsqu'il verrait son message.

Avec une mauvaise volonté évidente, Stiles commença à vider ses placards. Pas parce qu'il prenait toutes ses affaires, simplement parce qu'il n'en avait plus beaucoup. Il y a quelques semaines, il avait fait du tri et s'était retrouvé avec une bonne quantité de vêtements troués ou plus à sa taille. Des années qu'il n'avait pas rangé tout ça. Il en était de même pour ses caleçons et ses chaussettes. Néanmoins, il se retourna vers Derek.

- Tu comptes quand même pas rester là à me regarder ?

- Et pourquoi pas ? S'enquit Derek.

- Parce que tu m'emmerdes.

- Dommage, répondit le loup en haussant les épaules.

Il avait un visage fermé mais ses réponses étaient sarcastiques, à tel point que l'hyperactif ne savait pas comment interpréter son attitude. Derek était étrange mais il était au moins sûr d'une chose : les ordres de monsieur grincheux ne pouvaient pas être discutés. Alors, Stiles souffla d'agacement, car c'était tout ce qu'il pouvait faire. Il emporta des t-shirts, des chemises, des pantalons, des sous-vêtements, assez pour une semaine. Il referma son sac.

- T'as pas un traitement ?

- De quoi tu parles ? Demanda Stiles, agacé.

- Pour ton hyperactivité, précisa Derek.

- A quoi bon le prendre alors que dans une semaine, j'aurai la paix ?

Ce brusque rappel des intentions de Stiles mit Derek à rude épreuve. Bordel, qu'est-ce qui avait bien pu pourrir la vie de l'adolescent au point que celui-ci tienne tant à mourir ? Son attitude restait toutefois étonnante. Au lieu de déprimer, Stiles semblait au contraire particulièrement combattif. Comme si, au fond, ce n'était pas mourir qui l'intéressait. Et pourtant, son cœur ne mentait pas : le but du jeune homme était bel et bien de mettre fin à ses jours. Déroutant. Stiles était déroutant.

- Prends ton traitement, insista-t-il d'un ton qui n'appelait aucune rébellion.

Stiles se retourna complètement vers lui, l'air incrédule.

- Attends, tu comptes vraiment me faire chier pour ça ? Tu trouves pas que t'en fais déjà assez ?

- Prends ton traitement, rétorqua simplement le loup, décidant de ne pas entrer dans son jeu.

Puis, Stiles sembla avoir une illumination.

- Ah, j'ai compris ! En fait, tu veux simplement que je te casse moins les couilles ! C'est pour ça que tu veux que je le prenne, hein ? Au fond, t'as peur que je sois insupportable, tu veux juste te simplifier la vie mais tu sais mon coco, tu n'aurais pas à déranger ta petite routine si tu me laissais rester chez moi.

- Ferme-la et prends le, répondit Derek, d'un calme olympien.

Au fond de lui, rien n'était paisible. Pas de doute, Stiles savait toujours y faire. L'emmerder était sa spécialité. Pour autant, il était hors de question que Derek n'entre dans son jeu, même si ses paroles lui faisaient mal. Pourquoi diable Stiles pensait-il qu'il voulait qu'il prenne son traitement pour cette raison ? Derek n'avait pas peur de son potentiel insupportable, il voulait simplement... Qu'est-ce qu'il voulait ? Lui simplifier la vie, à lui. S'il avait un traitement, ce n'était pas pour rien et ne pas le prendre ne l'aiderait pas. Derek savait plus ou moins les effets du manque du médicament. Stiles souffrirait, parce qu'il n'arriverait pas à contrôler son trouble. C'était pour lui et lui seul que la situation deviendrait insupportable. Mais comme toujours depuis le début de cette histoire, Stiles ne pouvait pas imaginer une seule seconde que Derek puisse s'inquiéter pour lui sans aucune arrière-pensée. Non, il se disait que le loup pensait simplement à sa pomme. Ce constat lui serra le cœur mais il ne dit rien et insista jusqu'à ce que l'adolescent glisse deux boîtes d'Adderall dans son sac en soupirant bruyamment. Et alors qu'il faisait le tour de sa chambre pour voir s'il n'avait rien oublié, Stiles tomba sur deux carnets, sur son bureau. Il se figea et Derek, curieux, posa son regard sur ces petits carnets. Au vu de l'usure des couvertures, ils devaient être vieux, remonter à plusieurs années et la personne à qui ils appartenaient avait dû passer beaucoup de temps à écrire à l'intérieur. Cependant, pourquoi la vue de ces cahiers faisait naître tant de tristesse dans l'odeur de Stiles ? Oui, son odeur avait changé dès qu'il les avait vus. Et pourtant, pourtant... Il regarda avec stupeur l'adolescent s'en emparer avant de les mettre dans son sac, qu'il ferma définitivement. Si ces objets lui faisaient mal rien qu'en les regardant, pourquoi les amener avec lui ? C'était un mystère mais Derek se garda bien de lui poser la question. Ce n'était pas le bon moment, il le sentait.

Le retour au loft se fit dans le silence le plus total. Stiles restait fidèle à lui-même : difficile à supporter. Cette fois, c'était quand même un peu différent. Il le faisait exprès. Il parlait volontairement trop, volontairement fort, faisait volontairement des conneries, tout ça dans l'espoir que Derek abandonne son idée. Au fur et à mesure, il commençait effectivement à constater qu'il ne connaissait pas Derek : pour preuve, celui-ci était bien plus patient qu'il ne l'imaginait. Il restait stoïque, impassible, se laissait même aller au sarcasme de temps à autres, ce qui n'arrangeait pas notre petit hyperactif qui arrivait toutefois bien à camoufler sa douleur. Elle était là, toujours difficile à supporter, le poussait à essayer d'éloigner le loup pour qu'il puisse faire ce qu'il fallait. Toutefois, elle lui pesait un peu moins sur le cœur, de sorte qu'il en vint bien vite à arrêter son petit jeu et s'enferma dans un silence surprenant. Derek ne fit aucun commentaire mais il remarqua le changement d'attitude rapide de l'adolescent. Avait-il compris que sa stratégie ne marcherait pas sur lui ? Aucune idée. Cependant, il ne cracha pas sur ce calme bienvenu, conscient que l'agitation d'avant était complètement artificielle et faite pour le faire sortir de ses gonds – ce qui avait tout sauf marché.

Lorsqu'ils arrivèrent au loft, Derek somma Stiles d'aller ranger ses affaires. Il lui montra, dans sa chambre, des étagères vides. Stiles ne commenta pas, ne se battit pas, et s'exécuta, simplement. En fait, c'était comme s'il avait perdu toute envie de batailler avec le loup et ce dernier n'allait pas s'en plaindre, même si c'était étrange. Il n'était néanmoins pas contre un peu de facilité. Toutefois, après être redescendus dans le salon, Stiles s'affala sur le canapé, Derek se dirigea vers la cuisine et c'est à ce moment-là que la langue acerbe de l'adolescent sembla se délier :

- J'trouve ça un peu con de m'avoir fait ranger mes affaires. Pour une semaine, elles étaient tout aussi bien dans mon sac. Et puis, pourquoi dans ta chambre ? C'est là que je vais dormir ? En fait, tu veux pas m'aider, tu veux juste m'avoir dans ton lit.

Ce qui choqua Derek ne furent pas tant les mots que l'attitude de Stiles. Actuellement, elle le rendait... Incompréhensible, très difficile à déchiffrer. Il changeait sans cesse de ton, d'air, de stratégie. Parce que Derek n'était pas idiot et savait qu'il devait se méfier de la moindre parole de Stiles, qui semblait avoir repris du poil de la bête. Pour cette raison, il contint son ire montante et apparut simplement effaré.

- Mais qu'est-ce que tu vas raconter là comme connerie ?

- Tu m'excuseras, mais tu avoueras que c'est bizarre. Avoue-le si tu veux me sauter, tant qu'à faire. Tu m'obliges à rester ici une semaine alors si tu as un truc à me dire ou à me faire, profites-en.

Et là, Stiles parlait avec un détachement fou, une indifférence telle que c'en était presque arrogant. Tellement que Derek était bouche bée. C'était comme s'il se foutait de ce que l'on pourrait lui faire, comme s'il se laisserait faire. Il était complètement déroutant. Et pourtant, il éloignait simplement le loup de ce qui lui faisait mal, détournait son attention comme il le pouvait avec ce qui lui passait par la tête tout en essayant de garder la face.

- J'ai pas envie de te sauter, dit Derek en réutilisant ses mots, je te garde ici pour t'avoir à l'œil et éviter que tu ne recommences.

- Au fond de toi, tu sais que c'est inutile. T'as oublié ? Après ta petite semaine, je me casse et tu me reverras plus.

Nouveau rappel douloureux, que Derek masqua comme il le put.

- Si dans une semaine tu as toujours ces idées, je te garderai ici.

- Tu peux pas me forcer.

- Pourtant, je t'ai bien forcé à récupérer des affaires pour rester une semaine ici. Je t'ai aussi forcé à envoyer un message à ton père, rétorqua toutefois Derek en s'asseyant sur la table basse face à lui.

- J'ai dû lui mentir... Fit Stiles, l'air agacé, presque en colère.

En fait, il lui faisait carrément un reproche. Un reproche à peine voilé. Il le rendait responsable du mensonge raconté à son père.

- Tu préfèrerais qu'il sache, peut-être ?

Cette fois, c'est Stiles qui fut pris au dépourvu. Mais Derek continua, parce qu'une étrange force le poussait à le faire :

- Tu te vois lui dire que tu lui as volé son arme et que tu avais prévu de te plomber la cervelle avec ? Vas-y, dis-lui, je suis sûr qu'il aimerait beaucoup être au courant. Vas-y, si tu es si fier de ce que tu as voulu faire. Il va en être heureux, j'en suis sûr.

La fatigue ne l'aidait pas à être aimable, c'était sûr, mais il commençait à avoir du mal à se contrôler : il n'avait pas dormi de la nuit et ne cessait de contenir ses assauts verbaux incisifs, acerbes, agressifs. Au bout d'un moment, il devenait difficile de tenir face à cet adolescent qui savait y faire. Et encore, il était surprenant qu'il ait aussi bien résisté jusque-là. Et il ne vit pas la chute graduelle de la résistance de l'adolescent face à lui.

- Si tu es si fier que ça, pourquoi t'as fait ça dans son dos ?

- Derek, arrête, lui demanda Stiles d'un air qui se voulut assuré.

Et pourtant, sa voix tremblait déjà. Les paroles du loup lui faisaient mal. Envolé le détachement, son masque se fissurait peu à peu et la douleur affluait à nouveau, puissante, dévastatrice. Son visage se ferma et il voulut parler, lui en faire, des reproches : parce que Derek n'avait pas le droit de lui dire ça. Non, il n'était pas fier de son acte et c'était pour cette raison qu'il ne voulait pas que son père soit au courant, parce qu'il ne voulait pas l'affronter. Pas voir son regard bleu déçu, encore. Déçu par ce fils qui n'était même pas de son sang. Ce brusque rappel cloua tout simplement le bec à Stiles, dont les mots qu'il voulait lâcher s'évanouirent dans sa gorge serrée. Ses yeux s'embuèrent et il se leva brutalement avant de courir jusqu'à la salle de bain de l'étage, sans crier gare. Derek avait raison sur toute la ligne, il le savait, mais le combat qui se jouait en lui le dépassait, à tel point qu'il le poussait à agir sans cesse de manière contradictoire. Un coup il voulait l'éloigner et mourir, un autre il désirait attraper la main tendue et se laisser couler entre ces bras forts dont il avait longtemps rêvé. Tu n'as pas le droit de saisir cette chance, lui chuchota une petite voix intérieure. La voix de sa mère. Laisse-toi mourir. Et pourquoi pas ? Mais son père... Ton père ne pourra que se remettre de la perte d'un fardeau tel que toi. Non, il lui avait toujours dit qu'il l'aimait, que le perdre le détruirait... Il ne lui avait pas menti, si ?

Des bruits de coups retentirent.

- Stiles, ouvre cette porte !

Ah, oui, peut-être l'avait-il fermée à clé. Dommage.

- Laisse-moi tranquille, lâcha-t-il d'une voix brisée.

Défonce cette porte.

Ses mains blanches serrèrent les bords du lavabo avec force alors que les larmes ne cessaient de couler sur ses joues. Il ne savait pas quoi faire, ne cessait d'être tiré à droite et à gauche par son esprit, toujours tiraillé entre mourir ou survivre. Sa mère, ou son père. Les coups derrière la porte augmentèrent en intensité.

- Stiles, ouvre-moi ou je défonce la porte !

Fais-le, s'il te plaît.

- J'ferai rien en ta présence, tu le sais, alors... Alors laisse-moi tranquille, t'as pas à avoir peur que... Que je salisse ton chez toi...

Mais sa voix tremblait. Elle tremblait tellement que ses larmes s'entendaient à chacun de ses mots. Lui qui était resté si calme de son réveil perdait le contrôle de la situation en même temps qu'il perdait le contrôle sur ses convictions. Est-ce que je veux vraiment mourir ? Oui. Non. Je ne sais pas. Mais ma vie...

- Ma vie est un mensonge... Murmura-t-il, mentalement épuisé.

Peu importe si Derek avait ou non entendu ses mots. Il s'en fichait. Il en avait marre de ses pensées contraires, assez de se battre contre lui-même. Quoique, s'il avait perçu ses mots, tant mieux. Il avait peut-être besoin d'un peu d'aide, en fin de compte.

- Stiles !

Et le susnommé ne sut pas ce qu'il lui prit, mais il fit quelque chose qu'il n'aurait sans doute jamais fait quelques heures plus tôt.

Lorsque la porte s'ouvrit sans aucune résistance de sa part quelques secondes plus tard, Stiles sentit plus qu'il ne vit Derek l'entourer. Sa vue obstruée par les larmes, il le laissa passer ses bras autour de lui, ne rejeta pas cette main qui se mit à caresser ses cheveux, n'envoya pas balader cette voix qui tentait de lui maintenir l'esprit hors de l'eau avec maladresse. Il ne le repoussa à aucun moment et finit même par se laisser aller à passer ses bras dans son dos et à serrer son haut avec force entre ses doigts blancs.

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