Chapitre 1
L'éclat argenté de l'arme brilla sous les rayons de la lune. Le jeune homme assis sur un gros rocher la faisait tourner dans sa main, d'un air las et absent. Dire que sa vie avait volé en éclat serait un euphémisme. Enfin, à dire vrai, elle n'avait pas vraiment changé. C'était ce qu'il pensait être vrai, qui avait changé. Pour une fois, Stiles détesta son côté fouineur parce qu'au final, il aurait mieux valu qu'il ne sache rien. Parfois, l'ignorance valait mieux que le savoir, surtout si cela permettait de garder son équilibre mental.
Mais Stiles savait. Et vivre en ignorant cet élément était impossible. Tout ce en quoi il croyait était faux, sauf une seule chose.
J'ai tué ma mère.
C'était l'élément qui restait vrai, qui ne changeait pas. Il en avait la preuve, désormais. Autant dire que la culpabilité qu'il ressentait déjà ne cessait de s'accroître, alourdissant son cœur déjà meurtri.
Jamais il n'aurait dû tomber sur ces carnets. Jamais. Stiles aurait mieux fait de se crever les yeux plutôt que de les lire. Mais en même temps, comment résister ? L'anniversaire de la mort de Claudia Stilinski approchait et savoir qu'il avait trouvé quelque chose lui appartenant lui avait réchauffé le cœur.
Jusqu'à ce qu'elle ne le brise avec ses mots.
Voilà ce qui avait conduit Stiles dehors à cette heure avancée de la nuit dans la forêt de Beacon Hills. Il avait besoin d'être seul, tranquille, loin de son père qui lui mentait depuis tant d'années. Père à qui il avait discrètement subtilisé son arme, chargée d'une seule et unique balle. De toute manière, Noah Stilinski n'était pas de garde ce soir, il regardait la télévision dans sa chambre avec la certitude de s'endormir devant. À aucun moment il n'avait vu Stiles lui emprunter son arme, dans la remise, endroit où il avait l'habitude de la cacher.
Parce qu'il n'était pas au courant que Stiles savait. De toute manière, jamais son fils ne tomberait sur ces carnets, rares effets qu'il avait conservés de sa défunte femme adorée. Parce que lui-même ne savait pas réellement ce qu'ils contenaient.
Stiles baissa les yeux sur le pistolet, fraîchement nettoyé par Noah dans la journée, comme s'il avait été inconsciemment préparé à servir à un funeste projet. Ses doigts passèrent sur le métal, si doux. La mort aussi serait-elle douce ? L'hyperactif, qui n'avait plus décroché un mot depuis sa lecture qui remontait à cet après-midi, n'en savait rien. Il ne savait même pas ce qu'il comptait faire avec. Peut-être se tuer, peut-être pas. Sans doute attendrait-il de voir où mèneraient ses pensées successives, sans écouter son cœur, ni sa raison. Il les laissait s'entretuer à l'intérieur de lui, comme s'il n'était plus qu'un simple spectateur, observateur distrait de ses propres pensées et réflexions, sur lesquelles il n'agissait plus vraiment. À l'intérieur, c'est comme s'il était déjà mort. N'était-ce pas ce que sa mère voulait, au fond ?
« Cet enfant sera un monstre, je le sens. Pourquoi ne pourrais-je pas le tuer de mes propres mains ? »
Dieu sait à quel point elle avait eu raison. Stiles avait deux meurtres à son actif : celui du premier amour de son meilleur ami, ainsi que celui d'une jeune chimère. Après des mois à s'en remettre dans le silence – parce qu'il n'en parlait pas à Scott, continuant d'agir comme si de rien n'était – voilà que Stiles détruisait sa propre reconstruction.
Sa mère avait bien intuité, il était devenu un monstre, monstre qui avait tué sa propre mère. Ne serait-il pas mieux que ce monstre disparaisse ? Ce n'était pas comme si la vie avait failli quitter son corps à de nombreuses reprises depuis qu'il connaissait l'existence du surnaturel. Étrangement, il était encore en vie malgré toutes les épreuves, tous les obstacles rencontrés. Pourquoi ? Pourquoi ne pas simplement le laisser partir ? Il en avait assez fait. Et ses amis... Ses amis ne le trouvaient-ils pas agaçant au possible avec cette hyperactivité qui lui collait à la peau ?
D'un geste distrait qu'il avait vu son père exécuter de nombreuses fois, Stiles enleva le cran de sûreté, avec un automatisme affligeant. Une unique larme roula sur sa joue, seul indicateur physique de son mal-être. En dehors de ce petit élément, son visage était horriblement neutre, impassible, son expression dénuée de toute émotion.
Seule cette larme parlait pour lui.
Tout comme son odeur.
- Stiles ?
L'adolescent sortit brutalement de sa transe morbide en entendant cette voix grave qu'il connaissait très bien l'appeler. Pour autant, il ne se retourna pas, essuyant sa joue d'un revers discret tout en calmant un minimum le rythme de son palpitant. Il ne tenta même pas de cacher l'arme, toujours dans sa main. Son état mental était trop déplorable pour qu'il joue la comédie, qu'il fasse comme si tout allait bien.
- Qu'est-ce que tu veux, Derek ? Demanda-t-il d'une voix rauque sans se retourner.
Il entendit le bruit des feuilles mortes écrasées par les chaussures, les branches craquer sous le poids du loup. Il avait fait trois pas dans sa direction.
- Savoir ce que tu fais là, répondit prudemment le lycan.
- Rien qui concerne la meute de près ou de loin si ça peut te rassurer, lâcha mollement Stiles. Tu peux t'en aller et même partir te faire un footing nocturne dans la forêt si ça te chante. Je ne me suis pas fait manger en arrivant, donc je suppose que le secteur est clean.
Cette fois, Derek était assez près pour voir l'éclat métallique de l'arme à feu, dans la main droite de l'adolescent qui restait dos à lui, comme s'il était fermé à tout type de discussion. Un frisson d'adrénaline parcourut l'entièreté du corps du loup, qui sentait un étrange sentiment d'urgence l'assaillir. Stiles qui avait une arme avec lui, ce n'était pas bon signe, surtout avec une absence totale de peur ou d'hostilité dans son odeur. Non, elle puait simplement la tristesse et la souffrance, rien d'autre.
Et c'était peut-être ça le plus terrifiant.
Même si Derek n'était pas une lumière et ne portait pas particulièrement Stiles dans son cœur, il possédait tout de même un organe de ce genre et ressentait des choses, lui aussi. À sa manière, il était sensible. Et la détresse de Stiles le saisissait, à tel point qu'il savait qu'il devait l'éloigner de ce flingue le plus vite possible, même s'il n'était pas à cent-pour-cent sûr de ce qu'il comptait en faire. Enfin si, il voyait très bien. Trop bien. Il ne pouvait juste ni le comprendre, ni l'accepter. Pas de la part de Stiles, l'adolescent trop heureux et hyperactif de la meute.
- Tu devrais rentrer, ton père doit t'attendre, fit-il prudemment une nouvelle fois.
- Il n'a même pas remarqué que je suis parti, encore moins que je lui ai volé son arme alors bon, que je reste un peu plus ne l'alarmera pas.
Derek fit un pas de plus, prudent comme jamais. Même s'il avait des réflexes hors du commun et qu'il pourrait sans doute agir au bon moment, il voulait éviter le moindre mouvement suspect de la part de Stiles, dont le ton monocorde commençait sérieusement à lui faire peur. Que lui était-il arrivé ? Scott était-il au courant que son meilleur ami se trouvait en pleine forêt au beau milieu de la nuit, avec l'arme de service de son père ? Probablement pas, sinon le lycéen serait déjà là à essayer de le raisonner.
- Pas la peine de prendre tant de précautions Derek, je ne ferai rien en ta présence si c'est ça qui t'inquiète.
Derek se tendit en se rappelant que Stiles n'était pas le cerveau de la meute pour rien. Parfois, il lui arrivait d'oublier que l'hyperactif avait généralement une longueur d'avance sur tout le monde. Comme cette fois où il avait su pour Matt par instinct, pour Peter, puis cette fois-là où il avait démasqué Théo dès son arrivée à Beacon Hills et que personne ne l'avait écouté, d'après ce que lui avait raconté Lydia à son retour à lui.
Cependant, le froid et l'absence d'émotions dans sa voix le glaçait. Son odeur suintait tout ce qu'il ressentait de près ou de loin, alors comment faisait-il pour paraître si détaché ? D'ailleurs, venait-il réellement de sous-entendre ce que Derek avait deviné malgré lui ?
- Stiles, lâche cette arme.
Malgré sa propre peur naissante, Derek gardait une voix calme et ferme. Il fallait que Stiles éloigne cette arme de lui, arme qu'il devinait chargée. Bon sang, que s'est-il passé ? Qu'avait-on fait à l'hyperactif pour qu'il en vienne à de telles extrémités ? Un soupçon de colère se glissa dans les émotions de Derek. Peut-être que Stiles était agaçant au possible et qu'il parlait trop mais pour autant, sa présence dans la meute était nécessaire. Indispensable. Même pour lui.
Il entendit plus qu'il ne vit Stiles soupirer.
- Qu'est-ce que tu te prends la tête, Derek... Pourquoi ne repars-tu pas simplement chez toi ? Enfin, je ne comprends même pas pourquoi tu ne l'as pas déjà fait mais passons. Tu ne veux pas juste... Ignorer le fait que je sois là ? Ça rendrait les choses tellement plus simples...
La lassitude que Derek percevait dans la voix de l'adolescent était peut-être encore plus terrifiante que son absence de démonstration d'émotions. Pour une fois, le lycan aimerait qu'il se lance dans un ces monologues dont lui seul avait le secret, qu'il babille à en perdre haleine avec cette joie de vivre qui lui était propre. Pas qu'il ait l'air de cracher ses mots sans aucune envie. Et qu'il lâche cette arme, putain...
- Stiles, fit Derek d'un ton ferme, comme pour le rappeler à l'ordre.
Nouveau soupir de la part de l'adolescent. Un soupir tremblant.
- Laisse-moi, lui intima-t-il douloureusement.
Ça y était, il commençait à craquer, à laisser se fissurer cette attitude qui se voulait neutre. Derek vit tout autant qu'il entendit les doigts se resserrer sur le pistolet. S'il ne la lâchait pas, le loup allait devoir le désarmer. Sans répondre, il fit encore un ou deux pas de plus, que l'adolescent avait sans doute entendu.
- Ignore-moi, passe ton chemin, fais comme si j'étais pas là...
Cette fois, sa voix était carrément brisée, laissant éclater son mal-être. Et Derek sut qu'il devait agir, tout de suite, sans attendre une seconde de plus.
Tout se passa comme au ralenti. Il vit la main de l'adolescent qui tenait le flingue remonter, sans doute pour atteindre la tête. Avec une rapidité surnaturelle, Derek franchit les derniers mètres qui le séparaient de l'adolescent et lui arracha l'arme des mains, arme qu'il balança au loin. Et c'est là qu'il le vit, ce visage complètement défait et ces larmes qui coulaient sur ces joues pâlottes. Comment n'avait-il pas senti leur odeur plus tôt ? Il sentit la colère poindre dans l'odeur de Stiles.
- Putain ! Hurla-t-il de cette voix toujours brisée.
Stiles se leva soudainement et voulut courir pour attraper le pistolet qui brillait quelques mètres plus loin. Son éclat était étrange, comme si elle n'attendait que lui. Qu'il la prenne et presse le canon contre sa tempe.
Oui, Stiles voulut courir pour s'en saisir et mettre fin à ses jours... Ou plutôt mettre un terme à son calvaire personnel. Mais deux bras rapidement passés autour de sa taille l'en empêchèrent. Et les larmes n'en finirent pas de couler alors qu'il commençait à se débattre violemment pour que Derek le lâche. Il était furieux. Pourquoi fallait-il toujours qu'il rate tout ? S'il était venu plus tôt ou plus tard, Derek l'aurait-il trouvé pour l'empêcher d'exécuter son souhait ? Il n'en savait rien, mais le maudissait à l'heure actuelle tout autant qu'il l'insultait. Il le griffait, s'était même retourné dans son étreinte pour lui frapper le torse avec le peu de force physique qu'il avait. Et ça continuait, sans s'arrêter. Entre deux larmes, un coup de poing mêlé à un nom d'oiseau. Stiles était infernal, un vrai démon qui ne demandait qu'à être lâché pour faire taire sa douleur.
Mais Derek tenait bon. Avec ce qu'il voyait de l'adolescent, il était clair qu'il devait le retenir et le garder contre lui, jusqu'à ce qu'il se calme. Il se débattait fort mais celui qui avait le plus de force ici, c'était bien le loup-garou de naissance. Bien sûr, le voir dans cet état lui serrait le cœur tout autant qu'il l'inquiétait. Pour autant, il ne devait pas relâcher sa vigilance. Stiles était quelqu'un de très futé qui pouvait même duper un loup avec une ruse. Sauf que, Derek n'étant pas n'importe quel lycanthrope et n'étant pas non plus né de la dernière pluie, décida de rester sur ses gardes. Face à lui, il voyait également cet éclat lugubre et il était hors de question que Stiles ne remette la main dessus.
- Connard, lâche-moi ! Lui cracha-t-il au visage.
Et il continuait de pleurer, de le frapper, sans discontinuer. Sa douleur était palpable et son chagrin, immensément grand. Comment avait-il pu rester calme et si neutre, jusque-là ? Le pire était qu'à force, il commençait à faire mal à Derek et nul doute que sous son t-shirt, des bleus avaient commencé à apparaître, tout aussi vite qu'ils disparaîtraient. Mais Derek tint bon, resserrant sans arrêt son étreinte autour de Stiles.
- J'te garderai le temps qu'il faudra, même si ça dure toute la nuit, grogna-t-il toutefois.
Car après tout, Derek restait fidèle à lui-même, adepte des grognements depuis sa naissance.
Sa remarque sembla décupler la fureur de Stiles.
- Mais pour qui tu te prends ?! S'écria-t-il, les yeux rougis par les larmes. J'suis rien pour toi alors laisse-moi, bordel !
Ces mots agirent comme un coup de couteau qu'on lui aurait planté dans le ventre. Un couteau empoisonné, empli de venin.
Le venin de la douleur, celle de Stiles.
- T'es pas rien pour moi, cracha Derek en le maintenant toujours contre lui tandis qu'il s'évertuait à continuer de se débattre.
Mais Stiles ne l'écoutait qu'à moitié.
Ce que détesta Derek chez Stiles à cet instant fut son hyperactivité. Non pas parce que son côté hyperactif était agaçant, simplement parce que son énergie semblait inépuisable. Sans fin. Plusieurs fois, il tenta de faire tomber Derek sans réussir pour autant : le loup était bien trop fort et stable pour lui mais il continuait, inlassablement, comme s'il y avait encore un espoir pour qu'il puisse fuir. Oui, Stiles espérait fatiguer le loup, le pousser à bout et peu importe s'il décidait de le frapper en retour. Il s'en foutait. Il pouvait même le tabasser à mort s'il le voulait que Stiles ne se défendrait sans doute pas le moins du monde.
Après tout, il voulait juste faire taire cette douleur qui le tiraillait de part en part. Et Derek l'en empêchait. Pourquoi voulait-il tant que ça l'empêcher de mourir ? Pourquoi l'obliger à rester en vie ? C'était son corps, sa vie, son choix. Personne n'avait le droit de décider à sa place.
Et pourtant... Stiles fatigua bien vite. Il en avait assez de se débattre dans les bras de ce loup qui restait inflexible. Ses sentiments prirent le dessus et il laissa glisser ses poings sur le torse malmené de Derek. Déjà de longues minutes qu'il essayait de s'enfuir et qu'il n'y arrivait pas. Derek était solide sur ses appuis et ses bras n'avaient pas une seule fois desserré leur étreinte. Et Stiles craqua. Lui qui pleurait déjà éclata carrément en sanglots sans se soucier le moins du monde que c'était contre Derek Hale, ancien alpha taciturne, qu'il se laissait aller. Tout sembla retomber d'un coup : sa colère, la pression qu'il ressentait, son envie de mourir. Ses jambes se mirent soudainement à trembler, comme si elles avaient attendu qu'il arrête de lutter pour céder. Elles qui avaient longtemps marché, couru, supportant le poids moral qui écrasait le corps trop faible de cet adolescent. Stiles ferma les yeux et cacha son visage de ses mains, et c'est comme ça qu'il sentit Derek le rapprocher encore plus de lui et l'étreindre, réellement. Là, il ne l'empêchait pas de s'enfuir. Cet étau était plus de l'ordre du câlin, sa main droite posée sur sa taille, la gauche exécutant de petites caresses dans son dos. Et Stiles pleura bruyamment avant de progressivement perdre la conscience de tout ce qu'il entourait.
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Derek conduisait en se mordant la lèvre inférieure. Tout en suivant la route, il jeta de fréquents coups d'œil à la silhouette de Stiles, harnaché au siège passager. En l'installant une demi-heure plus tôt, Derek avait un peu allongé le siège de manière à ce que l'hyperactif se repose. Il était tout bonnement épuisé et cela s'était senti. Après avoir pleuré de longues minutes dans ses bras, Stiles avait fini par céder à l'épuisement moral, s'effondrant sur le cuir de la Camaro. Il dormait, Derek en était certain : les battements cardiaques du plus jeune le lui prouvaient. Son endormissement rapide lui avait permis non seulement de ramasser l'arme de son père, mais également de s'arrêter chez les Stilinski pour ranger l'arme là où il supposait qu'elle devait se trouver, en passant par la fenêtre de la chambre de Stiles, comme d'habitude.
Le lycanthrope arrêta sa voiture devant l'immeuble qui lui appartenait et porta l'adolescent jusqu'au loft. Il ne s'attarda pas dans la pièce à vivre ni dans la cuisine, décidant de monter directement à l'étage. Il mit sommairement Stiles sur son lit avant de lui retirer ses chaussures et de l'installer correctement. À ce moment-là seulement, le loup-garou autorisa ses muscles à se détendre un peu.
Stiles était sauf et vivant. Dans son lit. Endormi.
Comment Derek s'était-il retrouvé dans la forêt au bon moment ? À la base, il effectuait simplement sa ronde habituelle pas si loin de l'ancien manoir Hale. Il lui arrivait de la faire une à deux fois par semaine, en pleine nuit. Il agissait un peu en protecteur de la forêt, vérifiait sa dégradation et ramassait puis jetait les quelques déchets qu'il trouvait par là. Parfois, il tombait sur des horreurs qu'il s'empressait de régler et ce qu'il détestait le plus, c'étaient les chasseurs humains qui s'acharnaient et chassaient un peu trop de dévotion... Ou pas. Non, ce qui le répugnait sans doute le plus au monde, c'était lorsqu'il voyait des gens qui abandonnaient leur chien en plein milieu de la forêt en l'attachant à un arbre. Combien de canidés avait-il détaché puis emmené dans différents refuges ? Combien de fois s'était-il retenu de sauter sur ces humains abominables dans l'optique de les trucider pour leur monstruosité ? Il faisait généralement appel à tout son self-control pour se retenir.
Ce soir-là, il avait senti une forte odeur provenant du fin fond de la forêt. Une odeur emplie d'émotions destructrices. De là où il était, c'était ténu mais il avait déployé ses sens à leur paroxysme pour tracer cette odeur.
C'était là qu'il l'avait trouvé, prêt à se faire sauter la cervelle.
Cette pensée serra à nouveau le cœur de Derek, qui s'assit de l'autre côté du lit après avoir enlevé sa veste et récupéré son téléphone. Il soupira en voyant tous les appels manqués et messages qu'il avait reçus. C'était ça de laisser son cellulaire en silencieux pendant près de trois heures.
Scott avait tenté de le joindre à six reprises mais au vu de l'absence du plus vieux, il avait fini par abandonner et passer aux messages. Le premier était très clair :
« Lydia a crié. »
Et bien sûr, Derek savait ce que ça voulait dire, inutile de lire les messages suivants. Tout le monde connaissait la signification des cris de la banshee, puisqu'elle hurlait... Lorsque quelqu'un allait mourir.
Et Stiles allait mettre fin à ses jours.
Un coup d'œil sur l'heure de réception du message suffit à confirmer à Derek ce qu'il pensait : elle avait hurlé... Quelques minutes avant qu'il ne trouve l'adolescent dans la forêt. Pour lui, c'était clair, Lydia avait crié pour lui, sans savoir ce qu'il projetait de faire. La belle rousse avait également essayé de le contacter, complètement paniquée et Derek se doutait bien qu'à cette heure-ci, une bonne partie de la meute devait être réveillée et chercher des pistes. Certain de ce qu'il pensait, Derek tapa un rapide message à l'intention de l'alpha :
« C'est réglé. »
Il espérait seulement que Scott se contenterait de cette explication parce que le loup de naissance n'avait pas envie de s'épancher sur ce qu'il s'était passé pour le moment. Il posa alors son téléphone sur la table de nuit et tourna la tête à sa gauche. Stiles dormait toujours profondément. Pour autant, son visage était loin d'être détendu. Le cœur de Derek se serra une fois de plus. Que lui était-il arrivé... ? Dans tous les cas, hors de question qu'il le laisse seul cette nuit, c'était d'ailleurs pour cette raison qu'il ne l'avait pas ramené chez lui. Si son père, présent, ne s'était pas rendu compte que son fils s'en était allé avec son arme, Stiles pourrait aisément recommencer d'une autre manière.
Derek soupira de frustration lorsque son téléphone vibra, martyrisant gentiment ses oreilles lupines. Il n'aurait pas dû enlever le mode silencieux, mais bon. Il se saisit de l'appareil et lut la réponse rapide de Scott.
« Comment ça, c'est réglé ? »
Derek se tendit. Il n'avait définitivement pas envie de discuter de ça à deux heures du matin, avec le concerné à côté.
« On en discutera plus tard. Rentrez tous chez vous. »
« Derek, il a dû y avoir un mort. On a besoin de toi. »
« La mort en question a été évitée. Bonne nuit. »
Sur ce, il éteignit carrément son téléphone pour ne pas être emmerdé par son jeune alpha. Il comprenait son inquiétude mais là il avait tout, sauf besoin de discuter. C'était pour Stiles que Lydia avait crié et il n'avait jamais été aussi sûr d'une chose telle que celle-ci. Il n'y avait donc pas lieu de tergiverser pour le moment. Derek était aussi certain que Scott débarquerait en un temps record au loft s'il lui disait tout de suite pour Stiles et son instinct lui disait que ce n'était clairement pas une bonne idée. L'hyperactif était instable émotionnellement, son entêtement puis son craquage dans ses bras le lui avaient bien prouvé. Pas la peine d'en rajouter. Puis, si jamais il y avait un souci, Derek pourrait à nouveau maîtriser facilement l'adolescent. Scott, lui, se ferait sans doute avoir par l'une de ses ruses. En tant que meilleur ami, il était plus facile de le tromper, même s'il était un loup-garou, alpha de surcroit.
Méfiant qu'il était, Derek ne descendit pas au salon pour se poser, préférant rester ici à s'occuper. Il piocha un livre non lu dans sa modeste bibliothèque et le lut à la faible lueur de sa lampe de chevet et il remercia ses yeux lupins de compenser le manque de lumière. C'était parti pour une nuit blanche.
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Pour être honnête, Derek était vraiment fatigué. Déjà neuf heures du matin et il avait presque fini son livre. Ses paupières étaient lourdes, tout comme le reste de son corps et ses yeux avaient du mal à rester fixés sur les lignes. Pour cette raison, il tardait à le terminer. Les mots se mélangeaient parfois dans son cerveau, ou bien ils se détachaient clairement mais perdaient tout sens. Parce qu'il avait beau être un lycanthrope, Derek gardait une grande part d'humanité et son corps avait les mêmes besoins que ceux d'un humain, bien qu'il pouvait tenir plus longtemps. Simplement, Derek ne dormait pas beaucoup en ce moment, il se passait toujours quelque chose qui l'empêchait de gratter ses heures de sommeil habituelles.
L'épisode avec Stiles ne faisait pas exception. Il était simplement différent dans le sens où cette fois, c'était d'une nuit complète qu'il se privait volontairement pour pouvoir le surveiller à sa guise, de manière à l'empêcher de faire quelque connerie que ce soit. Parce que si l'adolescent avait essayé une fois, rien ne disait qu'il n'allait pas recommencer. Derek ne voulait prendre aucun risque, du moins pas avant de l'avoir écarté de tout danger. Des couteaux dans la cuisine, du rasoir dans la salle de bain, des appareils électriques en tout genre disséminés dans tout le loft. Alors oui, peut-être que rester dans la chambre avec lui pouvait paraître exagéré, mais Derek était un peu perdu. Il fallait avouer que l'hyperactif l'avait décontenancé par son acte avorté. Comment avait-il pu ne serait-ce que songer à mourir alors qu'il prônait la joie et la bonne entente dans la meute ? Comment avait-il pu agir aussi égoïstement, sans penser aux autres ? Alors que Derek refermait son livre, la colère le gagna peu à peu. Oui, pour lui, c'était foncièrement égoïste. Il ne niait pas que certaines choses pouvaient être difficiles à vivre mais de là à tenter de passer de l'autre côté... Et puis Stiles n'était pas quelqu'un de faible qui cédait facilement face à l'adversité. Derek était même parfois surpris qu'il continue de suivre la meute et de l'épauler malgré tous les ennemis plus puissants que les autres et les frayeurs toujours plus nombreuses, sans compter toutes ces fois où Stiles avait été projeté sur le devant de la scène, manquant de mourir à plusieurs reprises. Jusqu'à présent, la mort n'avait pas voulu de lui, pourquoi l'accueillerait-elle maintenant ?
N'y tenant plus, Derek finit par se lever. Il avait vraiment besoin d'un café. Il se promit d'être rapide. Après tout, il avait juste à descendre, faire son café et remonter. Cela ne prendrait pas plus de deux minutes. Cependant, beaucoup de choses pouvaient arriver en cent vingt secondes. Et à force de peu dormir et d'imaginer ce qui avait pu arriver à Stiles pour qu'il en vienne à cette extrémité, Derek devenait un peu parano. Il secoua intérieurement la tête pour reprendre ses esprits et descendit, tendant son ouïe lupine au cas-où. Il l'entendrait, s'il se passait quelque chose de bizarre.
Arrivé dans la cuisine, le loup alluma la machine et attendit que son café se fasse, à moitié appuyé contre le comptoir. Il se passa une main sur le visage et se frotta brièvement les yeux. Que ferait-il de Stiles après son réveil ? Devait-il en parler à Scott assez vite ou valait-il mieux qu'il prévienne son père en premier lieu ? Son instinct lui souffla que la première proposition était meilleure que la seconde. Il avait vérifié, le téléphone de Stiles n'avait ni sonné, ni vibré. En outre, personne n'avait essayé de le contacter, encore moins son père. S'était-il seulement rendu compte de son absence ?
Derek, un peu ramolli par sa nuit blanche, choisit de boire son café tout de suite. Il avait tant de sommeil en retard qu'ajouter une nuit blanche à cela ne l'aidait pas vraiment. Parce que c'était ça son problème : malgré ses airs froids et distants, Derek était quelqu'un de bien qui oubliait parfois de prendre correctement soin de lui. Dès qu'il eut terminé sa tasse, il la posa dans l'évier sans prendre la peine de la laver lorsqu'il entendit une variation sonore. Les battements de cœur de Stiles, qu'il surveillait depuis le début, s'étaient brusquement accélérés. Il s'était réveillé. Ni une ni deux, Derek s'en alla à l'étage d'un pas rapide et ouvrit brusquement la porte de sa chambre avant d'appuyer sur l'interrupteur.
La pièce s'illumina d'une douce lumière jaunie et Derek vit aussitôt les jolis petits yeux de Stiles papillonner pour s'habituer à la lumière. Puis, les deux iris perdus semblèrent le remarquer. Derek s'attendit bien évidemment à ce que Stiles se mette à parler sans discontinuer, à l'engueuler, tout sauf ce qu'il fit : rester muet. Le pire était que son odeur ne changeait pas vraiment. Elle suintait toujours une souffrance sans nom. Et pour une fois, Derek ne supporta pas le silence imposé par le plus jeune qui avait pourtant l'habitude de l'ouvrir sans arrêt.
- Stiles, réussit-il seulement à dire d'un ton hésitant.
Après tout, son but c'était juste de casser ce silence, il n'avait pas grand-chose à dire ou du moins, sa fatigue et son trouble brouillaient un peu ses réflexions.
- Derek, répondit Stiles sur le même ton.
Derek se retrouva rapidement à court d'idées. Que dire à un adolescent qu'il avait empêché de se suicider ? Le loup n'était pas vraiment une assistante sociale, ce n'était pas tous les jours qu'il sauvait un jeune qui voulait mettre fin à ses jours. Derek était plutôt du genre à grogner et à griffer, voire plaquer des gens contre des murs, les frapper également. Ouais, son truc, c'était la violence. Taper était plus aisé que parler. Et d'ordinaire, c'était plus Stiles qui jacassait. Pas lui. L'hyperactif ne pouvait-il pas se mettre à partir dans un de ces monologues dont lui seul avait le secret ? Au vu de son visage fermé, Stiles ne semblait pas décidé à se comporter de la même manière que d'habitude. Derek commençait-il réellement à déceler de la rancune dans son odeur et dans ses yeux ?
- Tu m'en veux ? Ne put-il s'empêcher de demander.
Sans répondre, Stiles se redressa et finit par se retrouver assis au bord du lit. Il regarda d'un air curieux ce qui l'entourait, détaillant sans doute intérieurement la manière dont était composée la chambre de Derek. Enfin, son regard se posa à nouveau sur Derek qui l'observait, sans comprendre son attitude pour le moins déroutante.
- Je me demande surtout pourquoi tu m'as emmené ici, finit par lâcher l'adolescent d'une voix morne.
Bien sûr qu'il avait reconnu cette pièce, il y était allé une fois pour faire une farce au loup grincheux. Dès son réveil, Stiles avait compris qu'il se trouvait au loft et n'avait pas su se décider si c'était une bonne ou une mauvaise nouvelle.
- J'allais pas te laisser sans surveillance après ce qu'il s'est passé, répondit le loup sans vraiment hésiter.
Derek essayait de ne pas montrer son trouble, vraiment, mais se retrouver face à une version de Stiles qui était aux antipodes de celle qu'il connaissait, c'était carrément perturbant. C'était encore pire que la fois où l'adolescent s'était retrouvé possédé par le nogitsune. Là, ce n'était pas quelqu'un d'autre qui lui parlait, mais bel et bien Stiles.
- J'ai pas besoin qu'on me surveille, rétorqua froidement l'adolescent.
- Tu aurais recommencé, fit Derek sur un ton un peu accusateur.
Stiles haussa un sourcil et Derek faillit en être amusé : finalement, il n'était pas le seul à communiquer de cette manière. Néanmoins, la situation actuelle ne laissait aucunement place à l'amusement. Elle était trop grave.
- Peut-être que oui, peut-être que non, lâcha Stiles en haussant les épaules.
Le comportement de l'hyperactif, en plus d'être troublant, était carrément alarmant. Il semblait se foutre de tout. De son sort, de Derek, de sa propre vie, merde.
- Tu allais le faire, ne put s'empêcher de dire le lycan, plus horrifié qu'il ne le montrait.
- Pas devant toi, précisa toutefois Stiles comme si c'était ça qui allait rassurer l'homme qui lui faisait face.
Cette précision ne manqua pas d'alarmer davantage le loup. Comment Stiles pouvait-il faire preuve d'autant de détachement ? Que lui avait-on fait pour qu'il paraisse si indifférent ? Derek se pinça l'arête du nez, l'air agacé, avant de saisir le bras de l'adolescent et de le traîner de force hors de la chambre. Si au début, Stiles lui demanda mollement de le lâcher, il y mit plus de fermeté et les deux hommes faillirent tomber dans ses escaliers. Ce n'est qu'une fois en bas que Stiles y mit plus de peps et tenta même – quelle audace – de faire choir Derek pour qu'il finisse enfin par le laisser se mouvoir en paix. Ce qu'il avait oublié, c'est que le lycan, ancien alpha de surcroît, avait une force hors du commun et un équilibre meilleur que dans de pauvres escaliers. Stiles aurait dû tenter plus tôt.
- J'avais oublié que tu avais la bougeotte, soupira Derek avec agacement.
- Je ne l'aurais plus si tu m'avais laissé faire, rétorqua Stiles, piquant.
Derek se retourna brusquement vers l'hyperactif à cause du pseudo sous-entendu et ne cacha rien de son effarement. A sa manière, Stiles lui faisait payer son sauvetage, montrant clairement que vivre l'embêtait plus qu'autre chose. Il était en colère. Mais Derek ne pouvait pas entrer dans son jeu, il ne le devait pas, même si son cœur venait de rater un battement à cause de l'état de l'adolescent. Il ne dit rien et tira à nouveau l'adolescent pour l'obliger à le suivre. C'est ainsi que Stiles se retrouva assis à la table de la cuisine, effroyablement silencieux tandis que Derek mettait à sa disposition tout un assortiment d'aliments utiles pour le petit-déjeuner : du pain, de la pâte à tartiner, de la confiture, des céréales... Et même si Stiles lui fit clairement comprendre qu'il n'avait envie de rien, il finit par se retrouver une tartine de pain demi recouverte de pâte à tartiner dans la bouche. Il mangea à contrecœur, particulièrement silencieux tandis que Derek se contenta d'un autre café, adossé à un meuble de rangement. Il restait particulièrement vigilant. Stiles, même suicidaire, n'en était pas moins rusé.
Ce n'était pas pour rien que le Nogitsune avait cherché à le posséder. Le regard de Derek se posa à nouveau sur Stiles. Cela avait-il un lien ? Après tout, l'hyperactif ne lui avait lâché aucun indice, rien qui puisse lui donner une idée de ce qui aurait pu le pousser à vouloir commettre l'irréparable. Le fils du shérif s'était-il seulement remis de sa possession et de son combat mental contre l'esprit du renard démoniaque ? Au souvenir de cette bataille intérieure, le regard de Derek se voila. Stiles avait fini par gagner contre le Nogitsune – un ennemi de taille –, et tombait face à lui-même ? Il connaissait Stiles comme l'adolescent insupportable au mental d'acier, celui qui faisait tenir la meute, même dans les situations les plus difficiles. Il plaisantait et rigolait souvent mais savait être sérieux quand il le fallait. Une force hyperactive, parfois trop intelligent pour son bien.
Le visage de l'adolescent n'était pas éteint. Fermé, oui, éteint, non. C'était comme si un petit quelque chose en lui le poussait à continuer de fonctionner. Derek savait que c'était une étincelle de colère puisqu'il la voyait autant qu'il la sentait. L'odeur de Stiles était particulièrement... Acerbe. Son regard d'ordinaire couleur miel était noir. Derek relativisa intérieurement en se disant qu'au moins, Stiles ressentait quelque chose d'autre que cette impressionnante tristesse qu'il n'avait qu'en partie montrée. Derek savait pertinemment qu'il ne s'agissait que de la partie émergée de l'iceberg. Néanmoins, la colère pouvait être une bonne chose. Autrefois, elle servait d'ancrage au loup. L'émotion ancrait dans la réalité.
Stiles était encore réel.
Vivant.
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