Chapitre 6

Yoongi se lavait. Quel bonheur, un peu de chaleur. Il aimait bien, le froid, quand même. Mais là, il voulait du chaud. Hop, petit nuage de vapeur. Le miroir, complètement couvert de buée. Petit, il écrivait dessus. Surtout sur la buée de la vitre de sa portière, dans la voiture de ses parents. Il dessinait des notes. Sa mère trouvait ça mignon.

Comment allait-elle, d'ailleurs, sa mère ? Quand est-ce qu'elle l'avait appelé pour la dernière fois ? C'était plutôt récent. Elle voulait lui dire quoi, déjà ? Ah oui, « papa a eu une promotion ». Yoongi était content pour son père. Il travaillait dur, son père, c'était mérité. Yoongi lui avait envoyé un petit message pour le féliciter. Simple, concis. C'était son truc, la concision. Pas de temps à perdre avec d'élégantes tournures. L'important, c'était l'information. Le monde allait vite, il fallait suivre.

Yoongi avait préféré tenter de le quitter.

Mais il ne l'avait pas fait, et maintenant il avait un garçon à peine plus jeune que lui étendu dans son lit. Drôle d'histoire. Est-ce que sa mère le croirait s'il le lui annonçait ? Peut-être pas. Sûrement pas. Ou peut-être que si. Elle savait que son fils était « un peu différent », comme elle disait à ses amies. Oui, il savait ce qu'elle disait à ses amies. C'était son petit frère qui avait tout cafté. Alors il était au courant.

Son frère aussi, ça faisait longtemps qu'il ne l'avait pas vu. Quel âge il avait, aujourd'hui ? Probablement plus jeune que Taehyung, mais pas de beaucoup. Un an ou deux.

Yoongi s'essuyait distraitement. En vérité, il faisait toujours tout distraitement. Il était toujours distrait. On appelait ça « être dans la lune ». Ah, si seulement ça pouvait être vrai. À quoi ça ressemblait, la lune ? Des cratères, pas de vie, froid, invivable.

À part les cratères, c'était une bonne description de son appartement...

Yoongi enfila son pyjama. Sobre, comme lui. Il l'avait acheté trois ans auparavant. Vert, ça lui allait bien. Il aimait le vert. Un jour, son ancien petit ami lui avait confié que c'était sa couleur préférée parce que ça lui rappelait la nature, et que la nature lui rappelait l'espoir. Il avait trouvé le rapprochement sympa. Alors il aimait le vert.

Il revint à sa chambre. Taehyung était sur son portable. Des notifs, peut-être ? Le rappel de son calendrier, « être mort aujourd'hui » ? Oups, mauvaise blague. C'était mal, de rire de ça. Lui aussi, il avait failli y passer. Ce n'était pas pour autant qu'il avait acquis le droit d'en rire.

Taehyung reposa son téléphone. Éteint, sur la table de chevet. Bon. Yoongi jeta un coup d'œil à l'heure. À peine sept heures du matin. Ils allaient sans doute au moins dormir jusqu'à midi. Hum, c'était cool de se réveiller pour le déjeuner.

L'aîné alla se coucher. Son nouvel ami – il le considérait ainsi... peut-être – s'était décalé. Il lui laissait tout un côté du lit. Est-ce qu'il craignait d'empiéter sur son espace vital ? L'espace vital de ce qui aurait dû être un cadavre... d'accord, il devait réellement arrêter les blagues. Même pour lui-même. Ce n'était pas sain.

Yoongi s'allongea. Il poussa un soupir de bien-être. Ah, le confort d'un bon lit douillet. Il n'y avait décidément rien de tel.

Taehyung était face à lui. Il le regardait. Alors son hôte le regardait aussi. En fait, ils se regardaient tous les deux. Pourtant Yoongi avait baissé les stores et éteint les lumières. Tout noir, ou presque. Mais ils se regardaient. Et ils savaient qu'ils se regardaient. C'était bizarre, non ? De se regarder. C'était encore plus bizarre que Yoongi ne se sente pas mal à l'aise. Il en ignorait la raison, pourtant il était serein. C'était rare qu'il soit serein. Il se sentait rarement stressé, mais il n'était jamais parfaitement paisible. Il était las, alors il pensait beaucoup. Ça l'empêchait de se sentir paisible.

Or, quand il était avec Taehyung, il ne pensait pas. Il y avait simplement Taehyung. Taehyung et rien d'autre. Probablement parce qu'il n'était plus habitué à avoir de la compagnie. Trop longtemps qu'il était là, tout seul, « dans la lune ».

« Dors bien, dit tout bas Taehyung.

- Merci, toi aussi. »

Le jeune homme ferma les yeux. Yoongi le regarda encore. Taehyung se recroquevilla. Il serrait toujours le coussin. Il avait posé le menton dessus. Sa joue était écrasée sur son oreiller. Mignon. On croirait un gamin.

Yoongi ferma les yeux aussi. C'était paisible. D'habitude, pas un bruit. Aujourd'hui, la respiration tranquille de Taehyung. Il aimait le silence, mais il aimait aussi la respiration de Taehyung.

~~~

Comme il s'en était douté, Taehyung s'assoupit aussitôt qu'il eut fermé les yeux. Épuisé, il lui avait fallu lutter férocement contre la torpeur pour attendre le retour de Yoongi dans la chambre. Son portable lui-même l'endormait, c'était dire s'il était fatigué...

S'allonger dans un lit lui avait procuré un bien fou, même s'il en ignorait la raison exacte : il s'était senti si détendu que ses muscles lui avaient paru constitués de coton. Tout son corps s'était relâché, les tensions lui avaient semblé lointaines. Il attribuait ça au sommeil qui s'était rapidement emparé de lui, mais il savait que la présence de Yoongi n'était pas innocente à tout ça. Ça expliquait pourquoi il ressentait l'impérieux besoin de tenir entre ses bras cet oreiller qui ne lui appartenait pourtant pas.

Enfin endormi, il voyagea dans des mondes desquels il n'était pas maître. Déboussolé lorsqu'il s'éveilla, il cligna à plusieurs reprises des paupières avant de se rappeler où il était et pourquoi. Yoongi était étendu au même endroit qu'il s'était couché, il n'avait pas bougé d'un millimètre – Taehyung non plus, d'ailleurs.

Un regard au réveil sur la table de chevet indiqua au plus jeune qu'il était midi passé. La nuit, si on pouvait la considérer ainsi, s'était avérée courte. Malgré tout, le cadet se sentait bien, il se sentait reposé, il se sentait, dans une moindre mesure, soulagé. S'il avait rouvert les yeux après les avoir fermés, c'était grâce à l'idée farfelue de Yoongi.

Il aurait dû trouver, une fois réveillé, un endroit inconnu, lieu des âmes déchues. Pourtant, c'était bel et bien dans la chambre de Yoongi qu'il était allongé, aussi paisible que s'il demeurait au tombeau – mais vivant.

Une dernière chance, qu'est-ce que ça impliquait ? Yoongi souhaitait comprendre sa raison de mourir, mais il la lui avait déjà expliquée : seul, désespéré, rejeté, et humilié par la haine de ceux en qui il avait jadis placé sa confiance. Qu'ajouter à ça ? Y avait-il au moins aux yeux de Yoongi une raison valable de se suicider ? L'ennui ? Non, ça ne pouvait pas être reçu comme une raison valable, Taehyung en était convaincu. Cette lassitude qu'évoquait son aîné avait tout l'air d'être liée à une dépression : il n'avait aucun but dans la vie, aucune ambition – rien, en somme, pour le retenir parmi les vivants.

Mais lui, Taehyung... il ne voyait pas non plus quoi que ce soit qui le retienne ici-bas. Au contraire, tout ce qui se trouvait dans ce monde l'incitait à le quitter pour un ailleurs éternel et serein. C'était une bien meilleure raison !

Y avait-il des raisons meilleures que les autres ? Fallait-il avoir un véritable motif pour en finir ? Non, ça n'avait aucun sens. Mourait celui qui avait envie de mourir, tout simplement. Le suicide apparaissait comme l'ultime preuve de liberté, c'était une décision qu'il avait prise et qu'il n'avait pas à justifier... dans ce cas, pourquoi avait-il accepté d'essayer de se justifier, qui plus est auprès d'un parfait inconnu à qui il n'avait aucun compte à rendre ?

Stupide, ça n'avait aucun sens.

Pourtant il était étendu auprès de Yoongi ; ça non plus, ça n'avait aucun sens. Un garçon rencontré au cours d'une nuit impétueuse. Comment lui accorder une simple once de confiance ? Le désespoir, sans doute, oui, mais ça n'expliquait pas tout.

Taehyung creusa son cœur, tenta d'y voir ce qui s'y cachait. Pourquoi avoir accepté de suivre Yoongi ? Uniquement le désespoir ? Non, ça lui paraissait beaucoup trop incohérent : en temps normal, il se méfie toujours énormément de l'inconnu.

Peut-être... qu'il n'avait pas seulement agi par désespoir. Maintenant qu'il se concentrait sur ses émotions, il percevait aussi une lueur d'espoir ravivée par son aîné : Taehyung voulait croire en lui, il voulait croire que Yoongi pouvait lui permettre de s'en aller l'âme en paix. Il avait tant souffert qu'il se sentait sans cesse tourmenté, pourtant cet étranger lui donnait la sensation de parvenir à le tempérer. Sa façon de parler, son inlassable détachement ; tout ça contribuait à apaiser la monstrueuse tempête des sentiments de son cadet. Les vagues dévastatrices devenaient un flot tranquille.

Si Taehyung devait en finir, il voulait partir de cette façon, le cœur serein.

Lorsque Yoongi ouvrit les yeux, il lui accorda un mince sourire. Dans cette obscurité, le plus jeune put à peine le distinguer mais le lui rendit. Un regard au réveil lui indiqua qu'il s'était perdu deux heures durant dans ses pensées.

« Bien dormi ? s'enquit Yoongi.

- Oui, merci. Et toi ?

- Pareil. Ça fait du bien.

- Ouais.

- Tu veux grignoter quelque chose ?

- Je veux bien. »

Tant qu'ils étaient ensemble.

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