Yoongi sourit. Il ignorait pourquoi il avait proposé ça. Une semaine pour quoi ? Pour prouver qu'ils avaient une vie minable ? Pour prouver qu'il valait mieux qu'ils disparaissent ? Ou bien une semaine pour se prouver que la vie méritait d'être vécue ? Stupide. Au moins, il vivrait une semaine de plus... Taehyung aussi. Yoongi voulait le voir nettement. Juste une fois. Sa curiosité était titillée par cette voix profonde dénuée de visage. Trop sombre, il ne distinguait rien d'autre que les silhouettes. Vaguement la forme de son visage, son nez, ses pommettes.

Yoongi ne voulait pas distinguer, il voulait voir.

Peut-être que passer une semaine avec Taehyung lui éviterait l'ennui. Ce gamin l'amusait un peu, à s'emporter si facilement. Son cœur semblait déborder d'émotions. Celui de Yoongi, il battait. C'était déjà bien. Pas besoin d'en demander plus. Il battait pour encore une semaine.

« Bon, bah allons chez moi, » dit Yoongi en se relevant.

Taehyung l'imita. Ils étaient trempés. Quelle idée de parler sous ce déluge. Au moins, ils n'étaient pas morts. Pas encore. Mais ils étaient trempés, ça oui. Dangereux, il faisait encore froid, dehors. Ils allaient ramener un rhume, sûr. Pas grave, dans une semaine ils seraient morts. Un rhume, ce n'était pas ça qui allait les effrayer.

Yoongi savait par où il était venu. Enfin, à peu près. Il leur fallut un certain temps, mais ils parvinrent à sa voiture. Taehyung se montra tout à coup suspicieux quand il lui ouvrit la portière côté passager.

« Attends, comment je être sûr que je peux avoir confiance en toi ? demanda-t-il.

- Bonne question. Tu décides, je t'oblige à rien. »

Taehyung dut percevoir quelque chose dans sa voix, son ton. Ou bien ce fut à cause de la tempête. Quoi qu'il en soit, il finit par monter. Yoongi monta aussi. Il démarra. Il quitta cet endroit maudit. Étrange : quand il était arrivé, il lui trouvait l'air paisible, à cette forêt. Ah, la perception ! Tout changeait si vite !

Le trajet passa, le silence demeura. Ils arrivèrent chez Yoongi au lever du soleil ; sacrée nuit.

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Taehyung dirigea son regard arrondi de surprise vers l'immeuble devant lequel Yoongi se stoppa pour sortir ses clés. Il se tourna vers lui puis fut frappé de stupeur : c'était la première fois qu'il le voyait correctement. Avec le soleil qui se levait peu à peu et les lampadaires qui continuaient de les éclairer, il pouvait désormais contempler le visage de son aîné, et il n'aurait jamais cru qu'il se révèle si harmonieux. Yoongi possédait des traits si délicats que Taehyung, qui pourtant se savait bien fait, faillit s'en sentir jaloux.

Au cours de leur trajet, il avait pu distinguer les reliefs de son visage sans pour autant avoir le plaisir d'en admirer les détails. Il déglutit : Yoongi avait des yeux sombres, très fins. Ses cheveux noirs cachaient ses sourcils en retombant élégamment sur son front. Ses lèvres carmin étaient plissées pour former une moue concentrée pendant que le jeune homme cherchait sur son trousseau le badge de la porte magnétique. Il était plus petit que lui, mince malgré ses vêtements trop amples qui dissimulaient sa maigreur sous leurs plis.

Un grésillement retentit lorsque Yoongi ouvrit. Il fit signe à son cadet de passer le premier, ce à quoi obéit ce dernier. Taehyung vivait encore, il ignorait pourquoi. Seul un insensé pouvait accepter un tel marché : vivre une semaine de plus, et pourquoi ? Pour prouver à un parfait inconnu (à qui il ne devait rien) que si, il avait un motif satisfaisant pour se suicider.

Taehyung ne voyait qu'une raison d'avoir approuvé cette idée absurde : au fond de lui, il souhaitait vivre. Il n'avait jamais prévu de mourir cette nuit-là, il avait voulu qu'on le trouve, qu'on le sauve. Yoongi avait-il juste ? Était-ce de sa part un témoignage de sa lâcheté ? Était-ce de la faiblesse ? Était-ce de la peur ? Était-ce un besoin d'attention ? Qu'est-ce que son cœur réclamait ? Qu'est-ce que gémissait son âme ? C'était un langage trop complexe, il ne le comprenait pas.

Pour quelle raison avait-il abandonné la Corée du Sud, en larmes, s'il avait pour seul but d'en finir avec la vie ?

Pour la même raison qui expliquait qu'il se tenait désormais devant un bel immeuble visiblement refait à neuf peu de temps auparavant : il lui fallait retarder l'heure de sa disparition, car il la craignait plus que tout. Il avait besoin d'aide, pas de mourir. Il avait accordé sa confiance à un parfait inconnu, tout simplement parce qu'il éprouvait l'ardent besoin de pouvoir se fier à quelqu'un – n'importe qui, il était désespéré.

Les deux garçons traversèrent un couloir avant d'arriver devant une porte sur laquelle figurait le nom de Min Yoongi. Il vivait au rez-de-chaussée. D'un geste las et fatigué, il ouvrit puis fit signe à son invité d'entrer. Taehyung et lui n'avaient même pas discuté de vivre cette semaine ensemble, ça avait sans doute paru évident aux yeux de Yoongi : Taehyung avait une petite valise et l'intention de se pendre. Il n'avait prévu aucun endroit où passer sept jours.

« Merci, » balbutia-t-il en le devançant.

Les deux garçons semaient derrière eux de longues traces de pluies. Malgré presque deux heures de trajet, leurs cheveux n'avaient pas complètement séché, leurs vêtements non plus, et surtout pas leurs chaussures. Or, Yoongi avait probablement activé la climatisation ces derniers jours et ne l'avait désactivée qu'avant de partir pour Aokigahara, car il faisait atrocement froid pour Taehyung qui sentit sa peau humide se couvrir de frissons.

Son aîné ne s'en aperçut que lorsqu'il se mit à trembloter, une fois ses chaussures retirées et sa valise posée dans l'entrée.

« Tu ferais mieux de prendre une douche chaude, proposa simplement l'hôte. La salle de bains est juste là. »

Et il désigna du doigt une porte au bout du couloir qui n'en comportait qu'une de plus – celle de la pièce principale. Taehyung s'y dirigea dans un remerciement discret, l'autre lui indiqua où trouver des serviettes de bain propres, et il l'autorisa à utiliser ses produits.

Le cadet, une fois seul dans la pièce fermée à clé, se dévêtit avant de marquer un temps d'hésitation. Le miroir lui renvoyait une image qu'il ne reconnaissait pas : le chagrin l'avait beaucoup amaigri. Il ne se ressemblait plus, il n'avait plus rien du jeune garçon aux traits juvéniles qu'il avait été. Désormais, il voyait un jeune homme aux traits émaciés, sans doute aussi chétif que Yoongi.

Écœuré par sa propre apparence, Taehyung fila à la douche. L'eau, d'abord froide, se réchauffa rapidement. Il profita longtemps de ce flot apaisant : de la buée s'élevait, couvrait déjà la glace. Il se sentit calmé, les muscles détendus, et trouva cela réconfortant d'être bercé par l'odeur de son aîné. Son gel douche, son shampooing : quelqu'un acceptait de partager quelque chose avec lui, alors même que ce quelqu'un le savait bisexuel. Yoongi n'avait pas témoigné du moindre a priori vis-à-vis de lui, il ne l'avait nullement jugé. Quand Taehyung lui avait révélé son histoire, ce passage n'avait pas particulièrement choqué le jeune homme qui s'était contenté de hocher lentement la tête, comme il l'avait fait tout au long de son récit.

Et il l'avait invité chez lui, sans craindre que Taehyung puisse s'attacher à lui. Il ne le considérait pas comme un type capable d'en aimer un autre, non. Il le voyait simplement comme un garçon fragile meurtri par les regards extérieurs.

Ça comptait beaucoup pour Taehyung qui n'avait, finalement, besoin que d'une chose : être compris.

Il quitta la douche puis, le corps sec, il enfila les vêtements généreusement prêtés par celui qu'il percevait, d'une certaine manière, comme son sauveur. Il lui avait après tout permis de vivre une semaine de plus, il incarnait donc bel et bien à ces yeux une âme charitable prête à lui tendre la main : un sauveur.

Lorsqu'il sortit, il emprunta la seule autre porte du petit couloir de l'entrée. Elle s'ouvrait sur une pièce qui faisait office à la fois de cuisine et de salon. L'espace offrait assez de place pour un coin cuisine où étaient installés de nombreux rangements, le tout occupant une bonne moitié de la surface. Le reste, il s'agissait d'une table avec deux chaises près d'un meuble sur lequel étaient posées quelques babioles et des photos – Taehyung n'y attarda pas son attention, craignant que son aîné ne soupçonne une curiosité mal placée s'il le surprenait.

Ça lui parut étriqué mais confortable, plus encore lorsque son regard se dirigea sur Yoongi qui, aux fourneaux, était en train de cuisiner quelque chose qui dégageait une odeur exquise. Sans en être assuré, Taehyung parierait sur des tteokbokkis. Économique, rapide à préparer, et nourrissant, le plat lui mettait déjà l'eau à la bouche.

« Yoongi ?

- Hum ? s'enquit l'autre sans se retourner.

- Merci de... enfin, de m'accueillir ici.

- T'inquiète, ça me fait plaisir. Un peu de compagnie, ça peut pas faire de mal. »

Taehyung opina lentement sans savoir quoi répondre ; il demeura muet. Un court instant plus tard, son regard vers lui, une poêle à la main, il indiqua que c'était prêt. Deux assiettes avaient été installées sur la petite table, ils allaient pouvoir manger.