Chapitre 30
Cet après-midi-là, Taehyung était resté assis sur le canapé. Tantôt il avait lu, tantôt il avait regardé la télévision, néanmoins il avait passé l'essentiel de son temps ailleurs : dans ses pensées. Bientôt sept jours qu'il demeurait auprès de Yoongi. Il essayait de se résumer ce moment en sa compagnie, et ce n'était pas tant des faits que des émotions qui lui venaient à l'esprit. D'abord, il avait éprouvé du désespoir, puis une sorte de peur – une peur du changement. Il avait dû se remettre en question, remettre en question son monde et sa vie. Il avait pleuré, puis progressivement il avait appris à sourire et à aimer. Il s'était fié à Yoongi, il lui avait confié son cœur dans l'espoir qu'il en prenne soin, et son beau compositeur avait fait bien plus encore.
Il l'avait guéri avant de le lui redonner.
Il lui avait permis de comprendre que s'il souhaitait connaître le bonheur, il fallait qu'il le puise en lui-même, pas dans le regard des autres, pas même dans celui de son petit ami. Il n'était pas convaincu d'y parvenir. Pour autant, il ne cesserait pas d'essayer, de chercher ce qui le rendait véritablement heureux, indépendamment de toute personne extérieure. Ce qui, lui, lui ferait plaisir, sans considération pour les jugements que cela pourrait lui valoir.
Ainsi, après le soulagement, il pourrait ressentir le bien-être, le vrai.
Le simple fait de l'imaginer renfermait quelque chose de profondément rassurant. Malgré tout, il éprouvait toujours un je ne sais quoi dérangeant, un quelque chose qui lui laissait un goût amer. Sans doute était-ce la conséquence des actes de ses parents : Taehyung se sentait aussi libre qu'un prisonnier à qui on avait oublié de retirer ses chaînes.
Dans un paradis de sérénité, il portait encore son boulet infernal. Il pouvait avancer, mais la progression était considérablement ralentie. C'était un bonheur âpre, une symphonie de joie parsemée de notes mélancoliques. C'était une paix que venait troubler une profonde rancœur.
Ainsi, à mesure que passait l'après-midi, Taehyung avait rejoué dans son esprit les derniers mois vécus auprès de ses proches. Son meilleur ami à qui il s'était confié, sa famille à qui il n'avait pas osé parler avant de finalement admettre ses penchants... et puis son père qui l'avait battu en prétendant que c'était ainsi que se traduisait son amour pour lui.
Jamais l'amour n'avait semblé si insoutenable : quand Yoongi l'embrassait, son cœur se réchauffait. Or, quand c'était la ceinture de son père qui s'exprimait, elle ne l'embrassait pas, elle le mordait, et ce n'était pas son cœur qui se réchauffait, c'était sa peau juvénile qui brûlait en se teintant de pourpre.
À la simple pensée de la violente douleur, le pauvre garçon avait tout à coup cru la sentir lui lacérer de nouveau l'épiderme. Il avait abandonné une larme qu'il avait rapidement essuyée. Ainsi s'était déroulé son après-midi, et il avait préféré cuisiner le dîner pour se vider l'esprit.
En dépit de tout, il ne pouvait pas ignorer que son passé continuerait de lui peser longtemps. Il ne pouvait pas ignorer que ça lui arriverait régulièrement de songer à ces coups perfides ou ces regards hautains. Une cicatrice qui guérissait demeurait visible, rien ne lui permettrait jamais d'oublier.
Il se questionnait au sujet des réelles cicatrices qui marquaient ses cuisses quand Yoongi, parce qu'il entra au salon, coupa le fil de ces tristes pensées. Taehyung retrouva aussitôt le sourire et le convia à s'installer tranquillement pendant qu'il terminait son repas. Surpris, son copain le remercia, demanda s'il pouvait lui apporter une quelconque aide, et finit par accepter de le laisser s'occuper seul du plat.
Une odeur exquise s'élevait déjà : le jeune garçon avait confectionné sa spécialité, du riz sauté au bœuf avec quelques légumes et un peu de sauce soja. Les deux compagnons, enfin attablés ensemble, se régalèrent. Yoongi peinait à se rappeler la dernière fois qu'il avait si bien mangé, son estomac risquait d'exploser s'il avalait le moindre grain de riz supplémentaire – et il en allait de même pour Taehyung.
« C'était une tuerie, déclara le compositeur, tu veux pas en refaire demain midi ? »
Taehyung baissa la tête et se mordit la lèvre inférieure avant de hausser les épaules. Alors... Yoongi désirait qu'il reste auprès de lui, même une fois les sept jours passés ? Il désirait poursuivre leur relation ? Bien sûr, ça paraissait évident, mais pas aux yeux de Taehyung qui, éternellement dénigré par ses proches, peinait à croire que quiconque puisse se montrer aussi généreux envers lui. Cette simple question de son copain le touchait bien plus que de raison.
Il avait trouvé un endroit où, plus que se sentir chez lui, il se savait chez lui.
~~~
Yoongi avait vraiment bien mangé. Il était plein. Il avait tout à coup sommeil. Il n'était pas tard. C'était d'avoir trop mangé. Ça le rendait somnolent. Peu de choses le rendaient somnolent. Même l'ennui ne le fatiguait pas particulièrement. Mais trop manger, si. Il n'était pas habitué. Alors il était fatigué. Son lit l'appelait déjà. Taehyung aussi, il avait l'air somnolent. Ça tombait bien.
Yoongi proposa de faire la vaisselle. Comme ça, Taehyung pouvait se laver les dents. Et puis, il n'y avait pas grand-chose. Taehyung avait lavé tout ce qu'il avait utilisé pour sa préparation. Il était vraiment organisé. Ne restait que les bols et les baguettes. Ça irait vite.
Quelques instants plus tard, ils étaient allongés dans le lit. Ensemble. L'un contre l'autre. Dans les bras l'un de l'autre. Ils poussèrent en chœur un soupir de bien-être. Yoongi aimait vraiment être collé contre Taehyung. Plus encore quand Taehyung l'enlaçait. Il aimait beaucoup. Il avait l'impression qu'il avait le droit d'être réconforté, lui aussi. Chacun prenait grand soin de l'autre. Car s'ils le dissimulaient, ils n'en demeuraient pas moins fragiles. Et ils le savaient. Ils le craignaient.
« C'est bizarre que tu sois plus grand que moi, parce que je te considère comme mon bébé, dit Yoongi en se blottissant contre lui. J'adore te câliner.
- Moi aussi, j'adore te tenir contre moi. T'as le corps tout chaud. »
Et sur ces mots, Taehyung se rapprocha. Il s'allongea sur Yoongi. L'un face à l'autre. De petits bisous furent échangés. Ils s'endormirent. Taehyung tenait vraiment chaud à Yoongi.
Au matin, Yoongi ouvrit les yeux difficilement. Fatigué. Enfin, pas vraiment. Il n'était pas fatigué. Il aimait juste rester au lit. Il avait toujours aimé. Mais c'était encore mieux depuis que Taehyung restait avec lui. Comme ça, ils se tenaient chaud. Ils étaient bien.
Yoongi se tourna. Il tendit la main vers son copain. Il l'enlaça. Il l'attira à lui. Mais la sensation fut bizarre. Il rouvrit les yeux. C'était un oreiller. Taehyung n'était plus là. Yoongi l'appela. Pas de réponse. Il resta dans le lit, les yeux clos. Taehyung était sûrement à la cuisine. Pas le courage de se lever. Yoongi voulait rester encore un peu au chaud. La couverture était chaude. Le matelas aussi. Mais Taehyung le réchauffait mieux. Il préférait Taehyung.
Après quelques minutes, Yoongi fit la moue.
« Tae, t'es où ? »
Il se leva. Il alla au salon ouvert sur la cuisine. Personne. La salle de bain était également vide. Pas de Taehyung. C'était bizarre, ce silence. Yoongi n'y était plus habitué. Il n'aimait pas beaucoup. C'était un peu oppressant, non ? Il manquait quelqu'un. Il manquait une voix, un sourire, une caresse, un baiser, un regard. Il manquait un morceau de son âme. Yoongi se sentait un peu vide. Comme son lit. Il manquait Taehyung.
« Taehyung-ah ? Tae ? »
Pas de réponse. Pas surprenant, à quoi s'attendait-il ? Taehyung était parti.
Le regard de Yoongi, jusque-là neutre, changea. Il se teinta d'émotions. D'abord de l'inquiétude, puis de la peur. Taehyung serait-il parti sans l'en informer ? Si oui, pour aller où ? Il ne connaissait rien ici. Il n'avait plus de portable. Où aller, dans de telles conditions ? Peut-être était-il au parc. Ce serait logique. Il n'avait presque pas d'argent. Il ne risquait pas d'avoir la soudaine envie de faire du shopping. Pas à cette heure, en tout cas.
Il était à peine neuf heures.
Décidé à aller au parc, Yoongi enfila un jean. Il passa un t-shirt. Il faisait encore frais. Tant pis. Taehyung était peut-être en train de pleurer au parc. Il devait le rejoindre. Il mit ses chaussures. Avant d'ouvrir la porte, son regard se posa sur une feuille pliée en deux. Elle y était accrochée à l'aide d'un petit bout de scotch.
Yoongi ne sut pas pourquoi, mais son cœur lui fit mal. Il eut peur. Un petit mot sur la porte ? « Parti me promener au parc », n'est-ce pas ? Oui, c'était sans doute ça.
Yoongi attrapa le mot. Il le déplia. C'était une écriture soignée. On voyait que sa main avait tremblé. L'écriture était belle, mais irrégulière. Yoongi fronça les sourcils. Il se mordit la lèvre. Très vite, son visage traduisit sa détresse. Il faillit s'étrangler avec sa propre salive. Une goulée d'air lui brûla la gorge. Il jeta le papier négligemment pour lacer au plus vite ses chaussures. Il s'enfuit de chez lui en coup de vent.
Le papier atterrit lentement sur le sol tandis que la porte d'entrée claquait derrière Yoongi. De délicates lettres noires y figuraient.
« Je suis désolé, hyung. Je crois que j'avais besoin d'y retourner. Je t'aime. »
Dans le couloir, il manquait la valise que Taehyung avait apportée.
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