Chapitre 2
Yoongi soupira. Il soupirait beaucoup, ces temps-ci. Il soupirait trop. Ça voulait tout dire. Pour une fois, il avait envie de quelque chose. Il avait envie de laisser tomber. Aujourd'hui, il avait fait plutôt beau. Or, maintenant que la nuit approchait, Yoongi voyait venir l'orage. Des nuages, une humidité élevée. Il allait pleuvoir.
La pluie... Il aimait la pluie. Ça devait être agréable de partir sous la pluie.
D'un geste mécanique, il attrapa son manteau. Il quitta son appartement. Il monta dans sa voiture. Il ne portait que son manteau. Il l'enlèverait sans doute. Il aimait la pluie, il voulait la sentir sur sa peau. Il ne pleuvait pas encore. Bientôt.
Il faisait nuit noire quand il arriva. Il avait roulé si longtemps. Presque deux heures, c'était long. Conduire avait trompé l'ennui. Ça avait été agréable. Il s'était dirigé vers la forêt comme vers la mort, de manière mécanique et insensible. La forêt était froide, la mort était verdoyante. Yoongi était déjà mort, ce soir il allait vivre.
Il se stoppa devant de hauts arbres. La pluie battait le feuillage. La nature s'affolait sous l'orage. Et Yoongi était là. Debout. Il regardait la pluie. Il la trouvait rassurante. Il voyait le monde vivre autour de lui, misérable cadavre maintenu par de fragiles ficelles.
Le vent hurlait, la pluie crépitait. Ce qui n'était qu'un banal crachin s'était changé en une averse. Yoongi était heureux. C'était agréable, ça aussi, le bonheur. Il avait presque oublié. Il avait oublié son cœur qui se soulevait. Son âme qui se réchauffait. Son sourire qui se révélait. Il avait oublié. Pourtant, à présent qu'il allait vivre, il était heureux. Les éléments étaient déchaînés. Yoongi les sentait tenter de s'acharner sur lui comme sur les frondaisons. Il aimait bien.
Ici, il faisait froid. La nuit, la pluie et le vent. C'était froid. Yoongi avait retiré son manteau, il frissonnait. Il ne remettrait pas son manteau. Il se sentait sur le point de vivre. Toutes ces sensations en lui, c'était incroyable. Le bonheur, et maintenant le froid. Il ressentait tant de choses... Tellement plus que ces derniers mois.
L'eau glissait sur sa peau. Elle laissait un sillon envoûtant. Yoongi se plaisait à le suivre du regard. C'était beau. Vraiment beau. Et sa peau couverte de chair de poule...
Le vent chargeait avec lui le vacarme de la forêt suppliée. C'était un brouhaha obsédant. Des branches qui craquaient. Des feuilles qui se heurtaient les unes aux autres. La pluie qui fouettait les arbres. Tant de bruits... Le monde vivait.
Dans son studio, Yoongi ne voyait pas le monde vivre. Il y était seul. Pas un bruit, pas un mouvement. Le temps passait, mais Yoongi ne le voyait pas passer. Sans doute passait-il, oui. C'était perturbant que tout passe sans passer, et que Yoongi vive sans vivre.
Il s'enfonça entre les arbres. Il y avait un large chemin rendu boueux par le déluge. La nuit, la pluie. Le repos et l'eau.
Yoongi trouvait ça vraiment rassurant.
Belle soirée pour s'endormir.
~~~
Taehyung errait depuis plusieurs heures déjà. L'orage avait éclaté, comme ses sanglots : le ciel et lui versaient des larmes intarissables. Le jeune garçon se laissait balloter par la rage de la tempête, ployant sous les efforts qu'elle fournissait pour balayer la forêt. Il était fatigué, pourtant il marchait. La nuit était noire, l'obscurité n'était percée que par le faisceau de la lampe torche que Taehyung tenait d'une main tremblante.
Il cherchait l'endroit parfait. Autour de lui, tout lui évoquait la destruction, le chaos, la fin d'un monde. C'était comme si les éléments déchaînés avaient décidé d'illustrer ce qui advenait dans son cœur brisé par la trahison et la peine.
Taehyung se passa l'avant-bras sur le visage sans savoir s'il enlevait des larmes ou des gouttes de pluie. Elles se ressemblaient tant, à vrai dire...
C'était sa lampe et son destin qu'il tenait d'une poigne de fer, d'une main déterminée à accomplir un ultime geste de désespoir. Se trouvait-il prêt à franchir un tel gouffre ? Il ne parvenait pas à répondre alors même que la réponse paraissait évidente.
Non, il ne se sentait pas prêt. Il ne déambulerait pas ici depuis des heures, sinon. Peut-être attendait-il d'être sauvé. Son unique présence à cet endroit traduisait ce besoin de ne plus se sentir si isolé et mélancolique : il avait songé à mourir là où tant d'autres avaient décidé de s'éteindre avant lui, pour ne pas partir oublié, pour se perdre au milieu des âmes comme la sienne. Sans se l'avouer, ce qui l'effrayait le plus, c'était finalement l'abandon. Il ne voulait plus être seul, mais il n'avait plus la force d'appeler à l'aide, car il savait que son appel demeurerait vain et qu'il en souffrirait.
Il n'en pouvait plus de souffrir, ça l'épuisait et il se haïssait de donner au monde un tel pouvoir sur ses émotions. Malheureusement, que pouvait-il y changer ? Il avait toujours été doué d'une grande émotivité ; il se révélait si faible, pointé par des regards acérés qui le visaient sans le lâcher. Les autres lui semblaient contrôler sa vie, mais il n'arrivait pas à répliquer, il se laissait malmener, marionnette qu'il était.
À force de mépriser ceux qui l'avaient fait souffrir, il avait fini par se mépriser lui-même. Il se sentait minable, il n'avait pas même cherché à lutter, mieux valait abandonner. Tant pis. Qu'il abandonne, ça réjouirait sans doute ses proches – ou plutôt ceux qu'il avait considérés ainsi, jadis.
Plutôt que se maudire, il préférait mourir.
Taehyung poussa un piteux gémissement quand une branche, animée par les vents, le heurta sournoisement. À croire que la nature se dressait contre lui – pour l'empêcher d'agir ou bien parce qu'elle le détestait aussi ?
Le faisceau de la lampe que tenait toujours le jeune garçon se mit à grésiller, clignotant de manière inquiétante. Alors c'était ainsi ? Ce misérable objet allait s'éteindre avant lui ?
« Allume-toi, » râla tout haut Taehyung en frappant le manche de sa lampe torche.
Or, plutôt que de stabiliser enfin la lumière, il ne fit qu'en précipiter la chute : après quelques instants, il fut plongé dans la plus parfaite pénombre. Un juron dépité lui échappa, juron qui, loin d'être prononcé sur le ton de la colère, fut lâché d'une voix étranglée par la peine. Il se sentait tout à coup beaucoup plus seul, complètement abandonné cette fois-ci. Il ne possédait plus rien que sa mélancolie et ses tourments.
Les arbres autour de lui formaient autant de silhouettes d'un noir de tourbe, ils se dressaient contre lui comme autant de soldats prêts à l'empêcher d'avancer. Le vent hurlait, l'averse faisait rage, les branches s'agitaient, prises de folie. Le printemps s'était métamorphosé en cauchemar. Taehyung se sentait perdu au milieu d'un infernal paradis. Son corps tremblait, son âme lui paraissait tout aussi dénuée de chaleur, et il n'espérait plus rien.
Plus d'aide, plus de gardien qui le trouverait là, plus de signe miraculeux pour l'épargner.
Il avait amené le nécessaire, tout était rangé dans la valise qu'il traînait derrière lui et qu'il devinait désormais couverte de boue – sans compter que l'eau avait probablement réussi à se glisser à l'intérieur.
Taehyung se montrait rarement vulgaire, mais...
« Quelle nuit de merde, » sanglota-t-il en balançant d'un geste rageur son bagage sur le sol détrempé.
Malgré ses airs souvent matures et calmes, Taehyung était resté le petit garçon qu'il avait été : il aimait les jeux vidéos, les câlins, passer du temps avec ceux à qui il tenait, etc. En revanche, il avait conservé de son enfance une peur presque panique du noir. Il détestait ignorer ce qui l'entourait, même lorsqu'il était simplement endormi dans sa chambre. Alors que dire de sa situation présente, perdu au beau milieu de bois sinistre ?
Il aurait tant souhaité quelqu'un pour le guider. N'importe qui. Il voulait rentrer chez lui et effacer les dernières semaines pour retrouver sa vie banale, celle qu'il avait tant chérie...
Sans y voir, il s'enfonça dans l'inquiétante forêt. Il erra de longues minutes durant avant que ses jambes refusent d'exécuter le moindre pas supplémentaire. Désespéré, Taehyung s'assit contre un tronc et, accompagnant de ses pleurs la douloureuse litanie des feuillages torturés, il se mit à sangloter.
Il en avait marre, mais il ne trouvait décidément pas le courage de mettre fin à ses jours.
Parmi les ténèbres de la nuit et les silhouettes des arbres qui s'agitaient autour de lui qui avait enfoui la tête entre ses bras, le jeune homme ne remarqua pas l'ombre malingre qui s'avançait lentement.
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