Yoongi ouvrit les yeux. Pas facile. Il voulait encore dormir. Taehyung était toujours dans ses bras. Raison pour dormir encore plus longtemps. Son petit corps était tout chaud. C'était confortable de le serrer contre lui. C'était comme tenir une petite bouillotte. Ça avait quelque chose de rassurant.

Par réflexe, Yoongi lui embrassa le front. Il ne sut pas pourquoi il avait agi de la sorte. Il avait simplement envie de poser les lèvres sur sa peau. Elle était douce.

Taehyung poussa un faible grognement. Oups, il était réveillé ? Ou bien Yoongi l'avait réveillé. Ce n'était pas voulu.

Taehyung poussa un soupir. Yoongi y entendait poindre un profond bien-être. Ça le fit sourire. Au moins, il avait bien dormi. Taehyung s'étira, bâilla, s'étira encore. Yoongi bâilla aussi. C'était contagieux. Il se passa la main dans les cheveux. Taehyung, lui, se la passa sur le visage. Il poussa un nouveau soupir.

Ensuite, les deux garçons restèrent immobiles. Yoongi se sentait incapable de bouger. Il étreignait toujours Taehyung. Taehyung n'avait pas ouvert les paupières. Yoongi les avait refermées. Il était trop bien ici pour s'en aller.

Les minutes passèrent.

« J'ai vraiment bien dormi, grâce à toi, dit Taehyung. Merci.

- J'en suis heureux.

- J'ai pas envie de me lever.

- Moi non plus.

- On dort encore deux ou trois ans ?

- Ça me va, c'est parti. »

Taehyung ricana. Yoongi sourit. Il était sérieux, en plus. Il se verrait bien ne plus bouger d'ici. Une vie entière, allongé, avec Taehyung dans ses bras. Ça avait l'air cool. Agréable. Ça lui plairait. À Taehyung aussi, visiblement. Les blagues, ça cachait toujours un fond de vérité. Ici, la vérité, c'était que Taehyung voudrait rester plus longtemps avec lui. Pas étonnant. Le sentiment était partagé.

« Quelque chose de prévu, aujourd'hui ? demanda Taehyung.

- Du boulot, ouais.

- Ah. Plus qu'hier ?

- Sûrement. Je suis pas loin d'avoir fini, je vais essayer de boucler ça avant ce soir.

- T'en auras pour combien de temps ?

- Sûrement six ou sept heures. Je ferai ça ce matin. T'auras de quoi t'occuper ?

- Tant que j'ai une télé, ça me va. J'ai vu que t'avais aussi quelques bouquins.

- Ouais. Fais comme chez toi.

- Compte sur moi. »

Un sourire naquit sur les deux visages. Yoongi ouvrit les paupières. Taehyung aussi. Au même moment. Ils échangèrent un regard. Un regard bizarre. Intense ? C'était peut-être ça, le mot. Un regard intense.

« Faut que je me lève, dit Yoongi comme s'il espérait que Taehyung l'en empêche.

- Courage...

- J'en ai pas, le matin.

- Un... un dernier câlin ? »

Il avait demandé ça si timidement. Il en rougissait, d'ailleurs. Taehyung rougissait rarement. Du moins, Yoongi le voyait rarement rougir. Mais c'était mignon. Une chose de plus qu'il trouvait attachante chez lui.

Yoongi ne répondit pas. Il se contenta de se blottir contre son ami. Il le serrait fort. Taehyung osa enrouler les bras autour de sa taille. Il se lova contre Yoongi, les yeux clos. Sa respiration était tranquille. Ses joues, en revanche, étaient brûlantes. Yoongi le savait parce qu'il lui caressait désormais les pommettes. Il agissait avec douceur. Taehyung portait un t-shirt. Yoongi put voir des frissons se propager sur ses bras. Ça voulait dire que Taehyung aimait bien, non ? Ou peut-être qu'il avait froid...

Dans le doute, Yoongi voulut remonter la couverture. Il s'apprêtait à retirer la main du visage de Taehyung. Taehyung dut s'en rendre compte. Il lui attrapa aussitôt le poignet. Il rouvrit les yeux. Il le regardait. De la détresse se lisait dans ses prunelles. Yoongi reposa la main sur sa joue. Il la lui caressa de nouveau.

« J'aime vraiment quand tu fais ça, murmura Taehyung.

- Je sais, j'ai remarqué.

- C'est gênant...

- Que je l'aie remarqué ?

- Ouais. Un peu.

- Si tu le dis.

- Ça... ç-ça t'embarrasse pas ?

- De quoi ?

- De me prendre dans tes bras, dit Taehyung.

- Non.

- Ah...

- Pourquoi ça m'embarrasserait ?

- Je sais pas... tu sais que... enfin, que j'aime les garçons. Alors... j'imagine que tu pourrais être gêné.

- Je sais pas. Moi j'aime bien, dit Yoongi.

- C'est vrai ?

- Oui. »

~~~

Taehyung sentait un sourire tenter de s'emparer de ses lèvres, si bien qu'il préféra dissimuler son visage dans le creux du cou de son aîné. Ça le rendait heureux de savoir que Yoongi n'éprouvait aucun embarras quant au fait de lui offrir ces tendres câlins... mais quel comportement adopterait-il si Taehyung lui révélait ses sentiments ? Il s'agissait là d'une question à laquelle le jeune homme ne désirait pas apporter de réponse. La simple que Yoongi l'abandonne l'effrayait au plus haut point.

L'instant se poursuivit de longues et agréables minutes avant de cesser de façon presque naturelle. Les deux garçons s'écartèrent d'un même mouvement, échangèrent un sourire et se redressèrent. Yoongi alla à la cuisine chercher un verre d'eau, ainsi qu'un pour son cadet qui l'en remercia lorsqu'il le lui rapporta. Puisqu'aucun n'avait faim, chacun se consacra à ses occupations.

Yoongi, donc, travailla sur sa prochaine composition, quant à Taehyung il le quitta : il se rendit dans l'autre pièce pour lire tranquillement un roman trouvé sur le bureau de son hôte. Il attrapa également son portable pour profiter de YouTube si l'envie lui prenait.

Ce ne fut qu'après un rapide déjeuner partagé autour d'une émission télévisée que Taehyung acheva l'histoire qu'il avait commencée quelques heures plus tôt. Yoongi lui avait indiqué qu'il n'en avait plus pour très longtemps avant de terminer son travail – et son cadet espérait bien qu'il le laisserait écouter. De ce fait, le jeune homme opta pour YouTube.

En allumant son smartphone, il n'eut pas le temps, malheureusement, d'ouvrir l'application. Déjà, plusieurs SMS faisaient vibrer son appareil. Curieux, il les sélectionna.

Sa mère, son père. Son cœur se mit à palpiter, son corps à trembler convulsivement, et les larmes lui montèrent aux yeux tandis qu'il découvrait ce que ses proches lui adressaient. Aucune inquiétude ne se dégageait de leurs mots, aucun regret n'émanait de leurs messages. Rien d'autre qu'un détachement méprisant. Ils ne l'avaient jamais aimé pour ce qu'il était. Taehyung n'était jamais parvenu à s'attirer l'affection de ses parents... et même s'il le savait déjà, désormais le doute n'était plus permis.

Il était haï, regardé de haut, jugé. Ils n'attendaient qu'une chose : qu'il disparaisse une bonne fois pour toutes de leur vie.

Tout rejaillit dès lors dans le corps du pauvre jeune garçon. Ses blessures, si elles s'étaient refermées au contact de Yoongi, n'avaient pas encore cicatrisé. Il fallait beaucoup de temps pour ça, même des mois ne suffiraient pas.

Plus les minutes passaient, plus Taehyung tremblait. Impossible de s'en empêcher : c'était la panique, cette panique qui, à présent, lui nouait la gorge. Les premiers sanglots le firent hoqueter, par chance Yoongi ne risquait pas de l'entendre : son casque sur les oreilles, il était concentré sur sa musique.

Il lui sembla tout à coup avoir le souffle court : les liens de l'oppression qu'il avait subie ne lui serraient plus seulement la gorge, ils l'étouffaient. Taehyung se mit à haleter tandis que les larmes tissaient un voile sur ses prunelles. Horrifié, il éprouvait la sensation que le monde se dérobait peu à peu : l'air se raréfiait, il n'y voyait plus, et la panique l'avait saisi au point qu'il se révélait incapable de bouger.

Trop de souvenirs lui revenaient à la fois, trop de choses qu'il avait espéré oublier auprès de Yoongi. Qu'ils réapparaissent de manière si violente l'empêchait d'y opposer une quelconque résistance, il s'avérait beaucoup trop faible pour les combattre.

C'était justement parce qu'il ne trouvait plus la force de lutter qu'il avait préféré abandonner, et qu'il avait failli y laisser la vie.

Un sanglot plus bruyant que les autres lui échappa lorsqu'il parvint à retrouver son souffle. Effrayé à l'idée que cette fois, Yoongi l'avait probablement entendu, il essuya ses larmes d'un revers de la manche et se redressa aussitôt. Sans même prendre son portable, il enfila ses chaussures et quitta l'appartement, peu inquiet de claquer la porte derrière lui.

Il désirait demeurer seul. Il avait besoin de réfléchir, il avait besoin de pouvoir vider son cœur du surplus d'émotions provoqué par ces messages. Et il ne souhaitait pas que Yoongi assiste à cette crise de nerfs – cette crise de panique.

Il s'engagea dans les rues de Tokyo sans savoir où il se rendait. Il courait ; il ignorait pourquoi, mais il avait aussi besoin de courir. Peut-être pour se donner l'impression qu'il fuyait enfin toutes ces horreurs qui l'avaient suivi jusqu'ici.