~7~

( Brice)

La nuit a été peuplée de tous mes cauchemars, et ce matin, je suis fatigué. Dans l'optique d'un café dynamisant, je me dirige vers la cuisine pour n’y trouver que le vide. Sur la table, un mot où Stéphane m’informe qu'il est sur l’exploitation. Même s'il ne le précise pas, je décide de le rejoindre. J’ai bien aimé m’occuper des animaux la veille. Si je prends la décision de rester un peu dans les parages, autant me rendre utile. 

Lorsque je m'approche de lui, il galère à déplacer un abreuvoir. En sueur, arcbouté à celui-ci, il semble souffrir à le faire bouger. Je positionne mes mains à côté des siennes et en très peu de temps, l'abreuvoir se trouve à l'endroit désiré. 

— Merci. Ce sont exactement dans ces moments-là que je réalise que je vieillis un peu vite, commente-t-il les deux mains sur ses reins.

— On souffre moins à deux. Il n'a pas droit à des roulettes, lui ? 

— C’était prévu à l’origine, oui. Mais, comme pour pas mal de choses, le temps m'a manqué. Tu penses que tu saurais faire ? J’ai tout le matériel pour dans un coin du bâtiment,dit-il en me montrant le lieu d'un mouvement de main.

Je ne doutais pas de mes compétences. Il était question de  couper des planches aux bonnes dimensions,  y fixer des roues. Comparativement à certains travaux que j’avais dû pratiquer ces dernières années, cela me semblait facile. Accepter par contre implique tacitement que je suis d’accord pour rester. Je ne m’oppose pas  formellement à cette idée mais, lui, aura-t-il toujours envie quand il saura  ?

(Corentin) 

J'ai passé une bonne partie de la journée entre nettoyage et rangement. Le logement de fonction est vraiment sympathique. Je dispose d'une belle pièce de vie très lumineuse grâce à sa véranda,  d'une chambre de taille très correcte et d'une autre pièce plus petite. Le maire, qui a joué le rôle d’agent immobilier, me l'a présentée comme un bureau possible. J'ai souri très aimablement, mais je ne l'utiliserais pas ainsi. Je m'imagine très bien sous la petite véranda pour préparer mes cours. Cela me changera de mon minuscule  appartement à Bordeaux. Je ne  serais pas très éloigné de l’école, un bon quart d'heure de marche malgré tout. Je n'ai pas encore toutes les informations sur une possibilité de manger sur place le midi. Le directeur revient de congés demain.

A part les oeufs et quelques légumes achetés hier dans le fameux Drive, qui m’ont permis de confectionner une superbe brouillade aux légumes, mes réserves alimentaires sont proches du néant. La commune ne possède pas de grande surface, juste une petite épicerie et le drive. Mes moyens financiers ne me permettront pas de m’y servir en exclusivité. Je décide donc de rejoindre une ville plus éloignée pour y faire mes courses.

Alors que je pousse mon caddy déjà bien rempli dans les rayons, une voix m'interpelle.

— Et bien monsieur l'instituteur, vous nous faites des infidélités ? 

Ce ton humoristique ne me laisse aucun doute sur l'identité de mon interlocuteur. 

- Chut, Stéphane ! N'alertez pas tout le monde, dis-je simulant un état proche de la panique. Ce qui se trouve là est nécessaire à ma survie !

L’homme part d'un franc éclat de rire en désignant de son  doigt les deux sachets de bonbons. A ses côtés, un jeune homme sourit lui aussi. Les mêmes yeux que son père.  

— Comme tu as compris, Brice. Voici l’instituteur. 

— Corentin, dis-je en le saluant d'un signe de tête. Votre père a un sacré sens de l’humour.

— D’après ce que je viens de voir, vous vous débrouillez pas mal. Stéphane n’est pas mon père mais mon oncle. Peux-tu m’expliquer ce délire, Stéphane ?

— Corentin m’a été présenté par le maire, hier. Il lui a vendu le concept avec maestria comme si seul le drive vendait des produits comestibles ! 

— C’est exactement cela, répliqué-je, tout sourire. 

— D'où le dialogue surréaliste. Et bien, vos élèves ne vont pas s’ennuyer. Quelle classe, si je peux me permettre ?

— Les CP. Je vais commencer doucement pour ne pas les traumatiser, promis, blagué-je. 

( Stéphane )

Lorsque, de loin, j’ai aperçu l’instituteur dans le magasin, je me suis dit que cela pouvait être une bonne idée. Un mec de l’âge de Brice ou presque qui ne sait rien de lui ni de son père me semble être un moyen de permettre à mon neveu de franchir une autre étape. Je souhaite qu'il bouge, pas qu'il reste avec son vieil oncle. Mon côté humour lourdingue avait fonctionné au Drive, je n’ai donc pas trop réfléchi et refait sensiblement le même scénario. Et le jeune prof  a réagi exactement comme je l'espérais. Le léger sourire de Brice m’a fait plaisir.

Dans la matinée, j’avais obtenu un rendez-vous chez le notaire pour le début d’après-midi. Nous en étions sortis juste avant de venir faire des courses. Brice avait posé peu de questions au notaire, se contentant d’écouter. Par contre, dans la voiture, il s'était largement  rattrapé. La maison appartenait à sa mère qui la lui avait léguée par testament. Il en était propriétaire ainsi que de quelques biens de son père, essentiellement financiers. 

Le gamin était loin d’être  devenu un riche héritier pour autant mais c’était mieux que de ne posséder que son seul sac à dos. J’aimerai  qu'il s’ouvre un peu sur ces quelques années que je soupçonne avoir été lourdes. 

Après la fin de journée de la veille où je l’ai senti prêt à reprendre son chemin, je pense sincèrement que j’ai pu modifier son plan. 

Il a dorénavant un lieu où vivre, du travail que je veux bien lui donner sur la ferme. Je ne veux le forcer en rien, il peut aussi, s'il le désire, vendre cette maison et continuer son chemin. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top