~ 6 ~

(Brice) 

Je m'en veux de mon refus de tout à l'heure. J’aurai pu accompagner Stéphane, l'excuse donnée était très nulle. Les regards curieux,  les questions tomberaient d'une manière ou d'une autre. Il me suffisait de faire le choix entre le mensonge et l’honnêteté. 

Lorsque j’avais décidé de prendre le large, il ne s’agissait  en aucun cas d'une décision prise à la légère. C'était une évidence. Les idées de mon père n’évolueraient pas dans le bon sens. Il n’accepterait jamais mon homosexualité. Le jeune adulte que j'étais ne voulait pas se cacher et rester à Saint Martin en revenait à cela.

L’ élément moteur non négligeable de ce départ, partir un mois seul avec Clovis remportait de loin la palme. Je crois vraiment que mon intention première était de revenir à la fin de ce mois, prêt à assumer les conséquences de mes actes. Après tout, la seule chose que je désirais, c' était d'être avec mon petit copain.

Sauf qu'arrivé au point de rendez-vous, Clovis n'y était pas, lui. La précision n'étant pas sa première qualité, je ne me suis pas inquiété. Après deux heures de retard et sans un seul message de sa part, j'ai flippé. Avec raison à la lecture d’un message laconique mettant un point final et brusque à notre relation. Je me rappelle avoir été plus en colère que triste. Pourtant à aucun moment l’idée de faire demi-tour n'avait surgit. J’avais juste décidé de continuer ma route.

Le bruit de la porte d’entrée me sort de mes pensées, et je me rends immédiatement dans la cuisine. Stéphane est en train de  ranger des légumes dans le garde-manger. 

—Tu as bien vendu ? 

— À part ceci qui me reste sur les bras, toute la volaille et les œufs sont partis. C’était des commandes pour la grande majorité. Tu t’es reposé ? 

—Non. J'ai réfléchi. J'ai été un sombre idiot de ne pas te suivre tout à l'heure. Je ne suis plus ce jeune homme en colère qui a préféré partir qu'assumer ce qu'il était face aux autres. Certains vont se moquer du sale pédé mais beaucoup n'en auront strictement rien à faire de mes affinités sexuelles. 

— Que j'en entende qu'un seul dire ça et il va se prendre mon pied au cul, gronde-t-il. 

— Je saurais me défendre tout seul, commenté-je en souriant. Stéphane, j’ai pris l’habitude de vivre seul. J'apprécie ton hospitalité, ne va surtout pas penser le contraire. Mais je ne possède que ce que j’avais sur moi quand je suis arrivé. Je vais devoir chercher un boulot et me remettre à flots. 

Je m’attends à ce qu'il râle mais pas à ce silence. Il fronce ses sourcils poivre et sel tout en frottant son crâne. Je le sens hésitant. Non, gêné plutôt.

— Brice, il y a quelques petites choses que j’ai omis de préciser.Tu n’es pas complètement sans rien. 

— Comment cela ? dis-je inquiet.

— Ton père t’a laissé quelques biens. Il serait bien d’aller faire un tour chez le notaire. 

— Quelle générosité ! Je ne suis pas certain d’avoir envie d’y aller, tu vois ! Sans sa hargne à détruire tout ce que je suis, je serais resté. 

— Il a mis beaucoup d’énergie pour te retrouver. Quand il a compris qu'il ne survivrait pas, il a fait en sorte que tout soit en règle. Suis- moi, tu vas comprendre.

Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? J’ai des difficultés à encaisser les paroles de mon oncle. Mon père regrettait ?  Je suis silencieusement Stéphane qui se dirige sur la route à gauche de l'exploitation. Je m’attendais à ce que nous partions vers la maison de mon père que j’ai fait en sorte d'éviter. Où m'amène t-il ? Nous marchons pendant une dizaine de minutes avant de prendre un petit chemin. Devant un portail bien abîmé, Stéphane s’arrête et, toujours silencieux,  le pousse afin de nous faire entrer.

L’herbe est haute mais je distingue nettement le passage créé à force de passages réguliers. 

— Ce terrain et la maison qui est dessus font partie de l’héritage de ta mère, qui est devenu celui de ton père et donc le tien. 

— Il ne m’en a jamais parlé, même après la mort de ma mère. 

— Je m’en doute. Ton père m’avait demandé d'y jeter un œil vu sa proximité avec l’exploitation. J’y viens régulièrement pour éviter que quelqu'un squatte. Je n'ai aucune idée de ce que cela implique financièrement pour toi si tu acceptes l'héritage, d'où l'intérêt de te rendre chez le notaire. 

Je reste sans voix. Impossible pour moi de déterminer la nature de cette émotion. J’ai très peu de souvenirs de ma mère. Dans ma mémoire, je la ressens comme une ombre effacée, obéissant à mon père. J’ai des souvenirs de cris lorsque j'étais plus jeune, juste avant que je m’installe un temps chez mon oncle justement. Elle n’a jamais pris ma défense face à mon père. 

— Est-ce qu'il la frappait ?

—Je n'en sais rien, Brice. Ils criaient souvent mais, à ma connaissance, il n'y a jamais eu autre chose. 

—J'étais en train de me dire à l'instant qu'elle était comme un fantôme pour moi. Silencieuse, lui obéissant au doigt et à l'œil. Jamais elle n'a pris parti pour moi. Je faisais en sorte de les croiser le moins possible. Un matin, elle n'était plus là. Il était encore plus bougon que d'habitude, j'ai fermé ma gueule. C'est Vivian qui m'a dit qu'elle était morte. Tu te rends compte, mon propre père n'a même pas eu ce respect là. 

— Je crois qu'il n’y arrivait pas, tout simplement. Votre relation était déjà plus qu’explosive. Avouer à son enfant que sa mère est partie loin de la maison est déjà difficile. Lui annoncer sa mort en plus était impossible. Je lui ai proposé de t’en parler, moi, mais il a refusé. Tu sais, on  marchait tous sur les œufs avec vous deux. Toi qui te murais dans ce silence, et lui dans ses éclats de colère dévastatrice. J’ai su que Vivian t’en avait parlé alors que tu étais déjà parti. J’ai été très en dessous de tout, gamin. 

— Je ne t’en veux pas. Je ne serais pas là, sinon. 

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