~41~

(Brice )

Je sors de mon rendez-vous, satisfait. Le directeur de la maison de retraite est lui aussi intéressé. Les sorties dans le secteur ne sont pas très  nombreuses et l'efficacité du  maire a été redoutable pour mobiliser des volontaires. Je n’en doutais pas, celui-ci   a démontré dans le projet du Drive fermier comme dans le regroupement de la restauration intergénérationnelle que son soutien était total. Je soupçonne Armand d’avoir contribué aussi. Certaines activités de contact avec des animaux aident à aller de l’avant, je suis bien placé pour le savoir. 

L’été est passé à une vitesse incroyable. J’ai tenté les premiers jours de tout gérer mais cela m’obligeait à renoncer à l’essentiel. Stéphane m’a laissé galérer un peu, puis quand il a constaté que j'étais à bout, il a lâché le morceau.

— Tu ne crois pas que tu mises sur le mauvais cheval, gamin ? a-t-il lancé alors que je finissais d’enduire un des murs de la pièce de vie ? 

—Il va te falloir être un peu moins énigmatique, je n’ai pas le temps de jouer aux rébus, répliqué-je empruntant une phrase fétiche d'Armand.

— Tu te donnes combien de jours avant de t’écrouler d’épuisement ? Tu ne peux pas réussir si tu as trop de projets à la fois. Concentre-toi sur les plus importants.

— La rénovation de la maison est importante. Elle me permettra de récupérer un peu de fric. 

— Je sais cela, mais avec l’exploitation, le projet à finaliser, tu en oublies l’essentiel, insiste-t-il. Alors je vais être dans l’obligation de sévir. Je suis capable de rester seul le soir et la nuit, Brice. Me tenir compagnie est très gentil, j'apprécie, je t’assure. Mais, franchement, passer la soirée et la nuit en compagnie de Corentin et revenir travailler le lendemain me semble largement plus logique, tu ne crois pas ? 

— Je ne voulais pas aller trop vite.

— Pour vous ou pour moi ? Nous passons une grande partie de nos journées ensemble. Corentin va bientôt être occupé avec la reprise des cours, vous ne vous verrez que dans la soirée.  Il est temps que tu fasses ta valise, Brice. Je n’accepterai la présence que de quelques affaires de rechange dans ta chambre.

— Tu me mets dehors ? dis-je ma main sur le cœur. 

— Vas-y, fais le malin. Tu m’as préparé les flyers pour le Drive ? 

— Oui, je les ai posés dans la cuisine, Corentin allait en imprimer d’autres aujourd'hui mais, tu sais, je n’ai qu'une capacité d'accueil relativement restreinte, ce n’est pas la peine de les  distribuer dans tout le département !

— Dans le secteur, il y a peu de sorties et encore moins de ce genre-là. Mettre en avant l’idée peut très vite avoir des résultats. 

— Les petits d'ici savent ce que c’est qu’une poule ou un lapin. J’espère surtout toucher les familles qui ont toujours vécu en ville. Et aussi ceux qui sont très souvent exclus des sorties scolaires. Je sais pour en avoir bénéficié, à quel point le contact d'un animal peut aider. J’ai plusieurs rendez-vous la semaine prochaine avec des directeurs d’ IME qui ont été plus que sensibles à l’idée.

— Je n’en doute pas un instant. Hier, dans la salle du foyer, plusieurs personnes âgées m’en ont parlé. Être enfermé entre quatre murs n’est pas très drôle. Avoir l’occasion, par petits groupes, de se promener un peu n’est pas si évident. Là,  la proximité de l’exploitation permet de mobiliser peu de personnel en rendant le sourire. Crois-moi, cela va fonctionner. 

Aucune personne de mon entourage proche n'a de doutes sur la réussite de mon projet. Ce n'est pas pour cela que, moi, je suis serein. Depuis quelques nuits, le même rêve revient. Enfin, il s'agit plus d'un cauchemar avec mon père en guest star. J'ai prévenu Corentin que je viendrai tard ce soir. Je dois retrouver Armand pour lui en parler.
Voulant éviter que Stéphane s'inquiète, j’ai préféré retrouver l’éducateur hors de la ville. Trouver un lieu calme, éloigné d’oreilles indiscrètes et pratique pour nous deux, a forcément abouti sur un choix très limité. A voir le sourire d’Armand lorsque je me gare à côté de sa voiture, nos réflexions vont dans le même sens.

— Salut Brice. Pas question un seul instant que tu t’installes dans ma voiture ou moi dans la tienne. Le côté cinq à sept sur le parking d’accès à l'autoroute, ce n'est pas franchement mon délire ! 

— Mon cerveau a fait le même genre de raccourci, désolé. Mais en ville, notre rencontre serait, à un moment ou à un autre, revenue aux oreilles de Stéphane.

— Et c’est bien ce choix de la dissimuler qui me tracasse à vrai dire. 

— Je ne veux pas le soucier, c’est tout. Tu le connais, il m’a littéralement viré de chez lui ce soir pour que j'arrête mes hésitations à m'installer chez Corentin. 

— Il a eu complètement raison d'utiliser la méthode forte, ricane-t-il. Je  suppose que ce n'est pas cela qui est la cause de ce rendez-vous.

— Non. Corentin comme moi sommes prêts à nous installer depuis un moment, je ne savais juste pas comment le dire à Stéphane.  Je fais de nouveau des cauchemars. Rien de très violent mais j'aime pas. 

— Éric ? 

Cela m'arrive encore de le croiser fugacement dans un rêve mais ce ne sont pas des cauchemars. Il y apparaît juste comme si mon cerveau en avait besoin. 

— Non, mon père. Face à moi, ni en colère, ni avec cette mine de dégoût habituel sur le visage. 

— Peut-être es- tu prêt à faire la toute dernière étape. 

— Je le pense aussi mais je ne sais pas comment m’y prendre.

— Tu crois qu'il y a une sorte de manuel, Brice. C’est à toi de trouver ton propre moyen. Je peux t’en proposer des dizaines mais cela ne servira pas à grand- chose. Vouloir en discuter prouve que tu as déjà fait une grande partie du cheminement. Qu’est-qui te tracasse ?

— Je voulais écrire une lettre mais les mots ne sortent pas. Est-ce que je peux m’adresser de vive-voix à lui sans passer pour un cinglé ? 

— D’après ce que m’a raconté ton oncle, une grande partie de vos voisins l’entendait te hurler dessus assez souvent sans avoir l'idée d’ intervenir. Si débiter tout ton ressenti devant sa tombe te fait du bien, ne pense pas à eux. 

— Est-ce que cela ne risque pas de couler mon projet ? 

— Ceux qui dans leur tête pensent comme ton père, et sois certain qu'il y en a, ne verront pas ton projet d'un bon œil. Tu veux tenir  compte de leur avis ?

— Nan. Mais je ne veux pas mettre Corentin dans l’embarras. 

— Parce qu'il préfère rester caché ? C’est un sujet dont vous devez discuter tous les deux. Sur ce qui vous importe. 

— S'installer ensemble montre que l’on est en couple, non ?

— Pas forcément. Dans les grandes agglomérations, des colocations de mecs ou de filles ne sont pas forcément des couples. Ici, ce sera peut-être moins simple mais c’est vous deux qui déciderez. Est-ce que je t’aide ou je t’angoisse un peu plus encore ? 

— Ni l’un ni l’autre. C’est encore difficile de réussir à me libérer de toutes mes angoisses avec Corentin ou Stéphane. Je redoute toujours de leur faire de la peine. J’aimerai que Stéphane entende mes mots à son frère mais cela lui ferait mal. 

— Il n’y a qu'un seul moyen et tu le connais. Pose-lui la question. Peut-être a-t-il envie d'être là ? De faire lui aussi ce chemin- là.  Ne l’exclut pas pour le protéger. Pareil pour Corentin. Laisse- leur prendre leur décision. 

 





Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top