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# Flashback 1
Huit jours que j’ai claqué la porte. Je savoure chaque instant de liberté sans les cris de mon père, sans ses grimaces de dégoût à chaque fois qu'il me croise. Je me suis un peu lâché et si je continue ainsi le peu d’argent, mon petit pécule va disparaître très vite. Mon intention est de chercher un petit boulot afin d’ engranger un peu d’économie.
L’autre jour, à l'hôtel où je couche en demi-pension, le patron m’a parlé d'une communauté qui cherche des bras dans pas mal de secteurs différents. Je n’ai pas de difficultés d’adaptation, alors pourquoi ne pas tenter le coup. La solitude me pèse vraiment, échanger avec d’autres personnes, de mon âge ou pas, me rend dingue.
Sur le chemin indiqué par le patron de l'hôtel, même sans la pancarte artisanale plantée dans le sol, j'aurais deviné que j'étais au bon endroit. Associants béton et bois, les deux grands vantaux ouverts, le batiment se trouve à cinq ou six mètres de l’embranchement. De la musique, relativement forte, s'échappe de l'intérieur. Devant, plusieurs personnes sont penchées sur un véhicule, capot ouvert. Je m'approche d'eux.
— Bonjour. C’est bien ici “ la deuxième “ ?
Deux têtes se relèvent en même temps. Deux générations différentes et les mêmes traces de camboui sur le visage.
— Si tu sais lire, tu dois le savoir ! réplique, moqueur, le plus jeune des deux.
— Éric, gronde l’autre. C’est bien ici. J’essaye de réparer ce tas de boue et je viens te voir.
— J’ai quelques notions de mécanique, je peux regarder ?
C’est un peu prétentieux, j'admets. Mes connaissances sont maigres, acquises à regarder mon oncle bricoler. Même si je ne trouve pas la panne, mon initiative a plu à Thierry. Je me retrouve à une table avec un café devant moi. Je ne passe pas par trente-six chemins, quoi qu'il me propose, je suis preneur. En une semaine, j’ai appris à me vendre. Ma stature plutôt musclée, un sourire aimable que je sais utiliser, tout ceci m’aide assez souvent à obtenir ce que je veux.
— Tu sais, Brice, m’explique Thierry. Ce n’est pas le nombre de candidats qui manque, ici. Je gère, avec mon frère, ce lieu d’accueil depuis presque quatre ans. Héberger pour une nuit, ce n’est pas le problème, nous ne sommes pas du genre à refuser de partager un peu de bouffe et un coin pour pioncer au sec. Au-delà, il y a des règles à respecter.
— Qui sont ? questionné-je.
— La majorité déjà. Pas question de nous retrouver avec un fugueur sur le dos, grogne-t-il tout en me fixant.
— J’ai 21 ans, annoncé-je fermement, en attrapant mon portefeuille pour sortir mon permis tout nouvellement obtenu.
Il me le prend des mains et l’examine sous toutes les coutures.
— Il a l'air vrai.
J'éclate d'un rire sardonique en me levant face au jugement de cet homme. Il est encore tôt, je peux reprendre ma route.
—Je peux au moins remplir ma bouteille d’eau avant de partir ? ajouté-je, insolent.
— Arrête de jouer avec lui, Thierry, coupe une voix. Tu trouves qu'il a l’air d’être un faussaire, sérieux ?
— Alors là, c'est une grande première ! Éric qui prend la défense de quelqu'un !! Je ne l'ai pas traité de faussaire. Je mettais juste les choses au point. Et justement je n'ai qu'une place de disponible, et c'est dans ta chambre, Éric. Alors, oui ou non ?
— Pour moi, aucun souci. Avant que tu ne me colles un vieux ! Tu en dis quoi, le meccano ?
— Brice. Sinon j’ai une toile de tente, suggéré-je.
Thierry sourit et regarde Éric.
— Pour rester ici, il est indispensable de vivre avec la communauté, récite celui-ci en levant les yeux au ciel d’exaspération.
[......]
— Tu n’en as pas marre de rester ici ? me questionne Éric, allongé sur le dos dans son lit.
Cela fait maintenant presque six mois que je me suis installé ici. Thierry et José, les créateurs du lieu accueillent une dizaine de personnes sur des périodes plus ou moins longues. Éric et moi faisons partie des plus jeunes, la moyenne se situant plutôt autour de la trentaine. Je ne suis pas certain à cent pour cent que tout soit légal mais je ne me plains pas. Nous effectuons des petits boulots par ci par là, payés en liquide. Éric est arrivé bien avant moi et il commence à avoir des fourmis dans les pattes. J’avoue que parfois l'inactivité me pèse. Mon objectif était de bosser pour faire grossir mes économies, rejoindre une ville de bonne taille, trouver un boulot et un logement. Rien de très original. Seul, j’y arriverais, je pense mais Éric n’arrive pas à contrôler ses dépenses. Je l’ai surpris plus d'une fois donner du fric à un des journaliers de l’exploitation agricole voisine. En échange, l’autre lui fournit de quoi fumer. Des quelques joints de façon irrégulière, il est passé à une habitude quotidienne. Thierry l’a déjà menacé de sanctions mais je sais que mon voisin de chambre ne peut plus s’en passer. Si José le choppe, il sera viré.
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