~37~
( Corentin )
À aucun moment je n’aurais pensé que cette journée finirait ainsi. Entendre le récit de Brice m’a bouleversé. Oui, j’ai eu mal en l’entendant parler de mon petit frère. Sa voix se cassait, ses yeux brillaient de souffrance lorsqu'il décrivait les crises de manque. J’avais recherché sur internet quand j’avais appris la cause du décès d’Éric. Cela a toujours été ma façon de fonctionner. Ni mon père ni ma mère ne répondaient aux questions. Mes fouilles donnaient des résultats, plus ou moins satisfaisants. Mon esprit y trouvait, lui, des réponses. Mes recherches se faisaient au lycée, je n’avais pas d’accès à l’ordinateur chez moi. Lorsque mon père avait été convoqué pour un entretien concernant mes nombreuses recherches peu habituelles sur les pc du cdi, il ne me reprocha rien. Peu de temps après, sur mon bureau, trônait un ordinateur. Je continuais donc à y trouver mes réponses.
Ce sont donc ce style d'images que je voyais tout le long de son témoignage, brut et sans filtres.
Même si je lui avais expliqué que je ne lui reprochais pas la mort de mon frère, je me doutais que ce n'était pas si évident à accepter. Je suppose que mon frère, lui aussi, avait dû chercher et trouver ses propres réponses. Est-ce que celles-ci étaient la cause de cette course autodestructrice ? Il me faudra un jour le courage d’entamer le sujet avec mes parents.
En revenant à l’exploitation, bien avant que Brice le formule, j’avais déjà décidé que je ne rentrerai pas immédiatement chez moi. Tout ce que j’avais ressenti dans cette pièce était nouveau pour moi et, à ce que j’avais compris, pour Brice aussi. Une peur irrationnelle me soufflait que si je le laissais là, il pourrait changer d’avis. Et une fois encore, j’avais été surpris. En aucun cas, ma phrase avait été consciemment aguicheuse pourtant Brice s’était littéralement engouffré dans la brèche ouverte. Sa bouche d'une douceur incroyable m’avait tendrement comblé et effrayé. Mon mouvement de recul n’était qu'une volonté de m’assurer que nous en avions envie tous les deux. L’instant d’après plus aucun doute n’était permis. Dans ma poitrine, le rythme de mon cœur s' était modifié. Il ne caracolait plus prêt à sortir de ma cage thoracique, son doux battement régulier me rassurait. Les mains de Brice solidement installées autour de ma taille me démontraient que je ne rêvais pas.
L’accolade de Stéphane associée au regard de l’homme qui l’accompagne a troublé un bref instant Brice. Stéphane m’accapare alors que son neveu s’ eloigne avec son cousin. J’aimerais les accompagner, être présent dans ce moment de confidence.
— Va les rejoindre, me propose Stéphane. Mon fils n’est pas méchant mais certaines questions peuvent mettre Brice mal à l’aise. Et puis cela te concerne aussi. Je vais préparer un truc pour le repas.
Auprès de la porte, j’attends un peu. Est-ce que je suis réellement à ma place comme semble le penser Stéphane ? Les mots que j’entends me poussent immédiatement à intervenir. Je n’hésite plus, et je me serre contre Brice. Nous serons deux face aux questions de Vivian. Pourtant celui-ci ne réagit pas. Il a compris le lien de parenté, mais n’a manifestement pas toutes les informations. Le silence persiste. La main de Brice est fermement accrochée à la mienne. J’entends le bref soupir juste avant qu'il se décide à reprendre la parole.
— Nous étions en Angleterre. Je ne savais pas grand-chose sur lui. J’ai fait en sorte qu'il soit pris en charge pour l’aider. Il était si faible…
— Tu n’as pas appelé sa famille ?
— Non. Pas une seule fois, il ne l’a mentionnée. Enfin si, au tout début de notre rencontre, brièvement.
— Mon frère voulait une année pour vivre. Enfin c'est ce que m’ont dit mes parents. Je n'ai su la raison de sa mort que lorsque j'ai contacté les services britanniques. Je ne sais pas s’il avait touché à la drogue avant. Je n’en sais strictement rien, nous étions frères mais je le connaissais à peine. Brice ne savait rien de tout cela. Mon grand sourire à côté d’Éric lui a donné une fausse image de notre relation. Il a perdu pied.
— Je ne voulais pas détruire plus. Je ne me sentais pas la force de te le montrer tel que je l’avais vu. Je n’ai pas réellement fui, Vivian. J’ai contacté Armand. C’est un éducateur, il m’a aidé à me reconstruire après la mort d’Éric. Cela avait cassé pas mal de choses en moi.
— Nous aurions pu t’aider, papa et moi. Tu n’as pas pensé à nous...
— Tu pourras demander confirmation à Armand. Vous avez été ma lumière pour sortir du tunnel.
Au fur et à mesure de l’échange entre les deux cousins, la main de Brice a lâché la mienne. La posture de Vivian est devenue moins rigide. Il avait ressenti mon intervention comme une agression. Petit à petit, son regard s’ est modifié. Oh, c’est à peine perceptible, et cela tient dans la gestuelle de Brice. Plus celui-ci prend confiance dans ce qu'il dit, lâchant ces mots, sa douleur, plus la rigidité de Vivian disparaît.
— Et maintenant ? Tu vas faire quoi ?
— Nous allons, avec l’aide d’Armand, préparer le projet. Corentin m’aidera pour tout ce qui est courrier, ton père par ses relations.
— Et moi, que puis-je faire ? Tu te doutes que ce n’est pas du tout mon secteur.
— Je n’en ai aucune idée mais je te remercie de te proposer. Et si nous allions rejoindre ton père ? Il doit commencer à trouver le temps long.
Brice se tourne vers moi, et me prend la main.
— Je ne sais pas si tu as prévu de rester mais j’aimerais bien que ce soit le cas, me chuchote-t-il à l’oreille alors que Vivian sort de la maison.
— Je n’ai strictement rien organisé. Je suppose que Stéphane m’acceptera à sa table. Sinon, je t’embarque.
Installé autour de cette table, je savoure. Après un café offert par Stéphane, nous nous sommes installés tous les quatres. Les brouillons que Brice m’avait montrés n’existaient plus. Le projet s'étalait devant nous sous formes de croquis et de tableaux. Le regard admiratif de Stéphane cachait aussi une forte émotion. Mes connaissances sur le thème sont inexistantes mais je crois en la ténacité de Brice.
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