~34~

(Stephane)

La voix de Brice est à peine audible. Je ne suis même pas certain qu'il s’adresse à moi. Tout dans sa posture montre sa souffrance. Malgré la distance physique entre eux, c’est bien à Corentin qu'il parle. Celui-ci, toujours debout près de la table, écoute, intervient. Les mots de Brice me font mal, je dois contenir l’envie de le prendre dans mes bras. Armand est tendu lui aussi. Je le sens prêt à intervenir si Brice flanche. Et justement la voix de mon neveu diminue, devient un filet et il bafouille. La main d’Armand, d'un mouvement doux glisse sur l’avant-bras de Brice. En un éclair, je comprends. La position de l’éducateur, juste à côté de mon neveu est un acte réfléchi,  sûrement discuté en amont avec Brice. Armand tient parfaitement sa place de soutien.
Corentin a dû anticiper aussi ce qui est en train d’arriver. Aucune surprise, nous savons tous que son frère n’a pas survécu.
La voix d'Armand, posée, relate les circonstances de son décès. Corentin se laisse glisser au sol, ses bras sont serrés contre son torse, des larmes silencieuses glissent sur ses joues.

— J’ai essayé, je te promets, chuchote Brice, en se frottant machinalement les poignets.

— Tu crois que je te reproche sa mort ? s'inquiète Corentin. Que j’oserai t’en rendre responsable ? Moi, qui n’ai même pas perçu à quel point mon frère n’allait pas bien ? 

— Si j’avais réagi plus tôt …

— Penses-tu sincèrement qu'il aurait modifié sa façon d’agir ? Je pense qu’au contraire, Éric souhaitait aller jusqu’au bout.

La posture de Corentin s’est modifiée au fil de la discussion et il est à présent debout. Armand a lui aussi repéré ce changement. Discrètement, il a quitté la chaise aux côtés de Brice. Un regard vers moi suffit pour  comprendre son manège. Je me lève à mon tour de ma chaise afin de le rejoindre pas loin de la porte de sortie.

(Corentin)

Je ne peux pas laisser Brice supporter seul la responsabilité de la mort d’Éric. Bien entendu que mes premières questions étaient sèches. Il m’était tout simplement impossible d’imaginer mon frère dans cette situation. Le presque adulte que je voyais au cours des quelques réunions de famille où j’étais conviées, était ennuyeux au possible. Et s'il avait volontairement joué un rôle afin d’obtenir l’aval de nos parents ? C’est possible, mon frère était bon élève et mes parents avaient sûrement des projets pour lui. À la lumière du récit de Brice, la question d'une adroite manipulation sur les parents me semble tout à fait concevable. Ma façon de m’éloigner en me noyant dans les études avait le même objectif que lui : fuir.

— Je ne suis pas en colère contre toi, je ne te reproche même pas d’être parti si brusquement. Je comprends le choc que tu as dû ressentir en voyant la photo. Mais maintenant que je connais la vérité, arriveras-tu à me regarder, à me parler ? Ou vais-je juste être le frère d’Éric ?

Pris par mes pensées, j’ai progressé, à petits pas, vers lui. A la fin de ma tirade, je me retrouve agenouillé devant lui. Il a toujours la tête baissée, pas question de le forcer à quoi que ce soit. Ma main droite se pose doucement sur la sienne, stoppant le frottement.

— Regarde-moi, s'il te plait.

Le mouvement est lent, timide, mais son menton se décolle de sa poitrine. Ses joues sont humides de ses larmes, les paupières gonflées mais sa main étreint la mienne.

(Armand)

Le tonton a le regard aiguisé et c’est une très bonne chose. Je ne pense pas que notre présence soit utile dans la pièce. Par contre, discuter avec lui pour gérer l’après est une phase indispensable. Embarquer Brice au Centre ne me semble pas indiqué, l’écoute que l’on pourrait lui fournir, il l'a trouvera tout aussi bien ici.

— Je sais que c’est votre travail mais malgré tout, j’aimerais vous remercier personnellement pour ce que vous lui avez apporté.

— Je l’accepte car il n’est pas si fréquent. Une majeure partie de nos résidents sont isolés, nous croisons peu de familles. Brice a, dès le début, été différent. Son besoin d’être rassuré concernant l’amélioration de la santé d’Éric tout en se positionnant en retrait...nous en avons mesuré la portée trop tard. Sa rage envers moi cachait surtout tout ce qu'il se reprochait. Le travail sur sa confiance en lui a été long. N’y voyez aucune flatterie de ma part, mais vous étiez le fil conducteur de cette guérison. Le seul membre de la famille avec votre fils qui le poussait à reprendre goût à la vie.

— Pas son père ?

— C’était la deuxième étape. Pour se reconstruire, affronter le déclencheur est primordial. Brice a cheminé longtemps avant de trouver cette force et apprendre le décès de son père a tout remis en péril.

— J’aurais pu l’aider. Pourquoi ne pas m’avoir appelé, je suppose que vous aviez tous les renseignements nécessaires.

— Vous avez déjà la réponse à cette question. Le travail devait être fait par lui. Son retour se passait bien, il allait bien. Le retour du passé avec la réapparition d’Éric aurait pu être dramatique. Tous ses efforts auraient pu être balayés. Il n’a pas fui, il a appelé au secours. Visiblement, il ne voulait perdre ni vous ni Corentin.

— Et maintenant, il va se passer quoi ?

— Il existe plusieurs options dont une qui vous concerne. Voulez-vous qu'il reste chez vous ?

— Mais bien entendu que je veux qu'il reste ! Vous pensez que, lui, veut partir ?

— Nous n’en avons pas discuté. Sa seule angoisse formulée  concernait Corentin et ce qu'il penserait de lui. Lors d'un de ses appels, Brice m’a parlé d'un projet au sein de votre exploitation. C’est quelque chose de viable ou un simple doux rêve ?

— L’idée est très bien pensée, structurée.  Brice a énormément travaillé sur le projet. Reste tout le côté administratif à mettre en route.

— Grâce au Centre, je dispose d'un réseau d’aides dont il peut bénéficier. Cela évitera que les doutes s’installent. Lorsque l’angoisse monte chez Brice, lui donner à faire des activités lui permet d’évacuer toutes les mauvaises ondes.

— C’est ce qu'il m’a plus ou moins expliqué. Casser les murs de la maison lui a évité de se scarifier. Pensez-vous que Corentin pourra venir ou est-ce inapproprié ?

— Je pense qu'ils sont assez grands pour en décider. Il ne me semble pas utile de le fliquer mais je resterai en contact téléphonique à un rythme régulier. Brice ne sera pas seul puisque vous serez là.

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