~32~

(Stéphane )

Corentin reste silencieux, droit comme un I. Ma nature chaleureuse a très envie de le prendre dans mes bras, mais je n'ose pas. Je dois tout d'abord lui expliquer ce qui va suivre. C'est mon idée. J'ai dû convaincre Armand pour qu'il accepte. La clef de toute cette histoire est Éric. Ce qu'il s'est passé, ce qu'ils ont vécu, fait, Brice et lui, est primordial pour comprendre l'adulte que mon neveu est devenu. Armand s'opposait à sa présence, préférant qu'il soit informé après. Mon ressenti est différent. Corentin a besoin d'explications. Il n'éprouve aucune colère contre Brice. De l'inquiétude, de l'incompréhension. Sa phrase lorsqu'il m'a parlé de son frère était imprégnée de tristesse et de souffrance.

- Veux-tu m'accompagner pour voir Brice ? Tu peux refuser, Corentin. Je te raconterai ses paroles si tu préfères.

- Je vais être honnête, Stéphane. J'ai très peur de cette conversation mais, d'une j'ai besoin de voir comment va Brice, de deux, j'ai réalisé à quel point ne rien connaître de mon frère m'angoissait. Y aura-t-il l'homme que Brice a appelé à l'aide ?

- Armand sera là, bien entendu. Il est éducateur spécialisé, il s'est occupé de Brice. Je n'ai pas la certitude, par contre, qu'il ait connu ton frère.

(Brice)

Impossible de contrôler cette angoisse qui monte. J'ai tout d'abord ressenti les crampes à l'estomac, légères comme lorsque le repas est loin, puis elles se sont accentuées.

- Brice, je te pose sur la table un verre avec un cachet. Dès que tu sors des wc, tu l'avales. Cela va te calmer.

- Tu ne me traites pas de bon à rien ?

- Sûrement pas. Ton angoisse n'est pas irrationnelle, bien au contraire. Je serais inquiet si tu ne réagissais pas. N'oublie pas ce que nous avons convenu. C'est toi qui dirige. Tu souhaites faire une pause, tu me fais signe, j'agis. Personne ne te le reprochera.

Les paroles d'Armand me rassurent un peu, le cachet agit. Il me reste à franchir cette dernière étape.

Derrière Armand, mon oncle et Corentin viennent d'entrer dans la pièce. Je n'ai pas le temps de faire le premier pas que Stéphane m'a déjà enveloppé de ses bras chaleureux. Nous ne disons rien, pas besoin de mots. Tout le soutien dont j'ai besoin, il vient de me l'offrir. Corentin reste immobile, derrière nous. Stéphane me lâche, et après une bise légère sur le front, il s'installe à côté de Corentin, lui empoignant l'épaule.

- Je ne sais pas par où commencer. J'aurais dû le faire dès le premier jour. C'était prévu, Armand pourra te le confirmer, Stéphane. C'était mon objectif. Te raconter cette période. Mais j'ai eu peur de perdre cette douceur, cette tendresse que tu m'as offerte dès mon retour. J'ai juste lâché quelques bribes. Grâce à ton aide, Corentin, continué-je en le regardant pour la première fois, j'ai trouvé la force d'aller au- delà. J'y serai arrivé, je crois mais découvrir le visage d'Éric sur cette photo m'a terrorisé. Et j'ai fui.

- Je suis justement là pour comprendre la raison de cette fuite, murmure Corentin.

- Lorsque j'ai rencontré ton frère, cela faisait à peu près quinze jours que j'étais parti. J'ai savouré ma liberté, découvert le plaisir de faire ce que je voulais mais la solitude me rendait dingue, et mes économies fondaient très vite. On m'avait parlé d'un lieu où on accueillait..."La deuxième" cela s'appelait, un nom prometteur. Ton frère, quasi le seul de mon âge, y vivait. Je voulais de quoi me mettre à l'abri, travailler avant de décider ce que j'allais faire. Éric avait visiblement d'autres ambitions, il se laissait vivre au jour le jour.

- Comment trouvait-il l'argent pour payer ?

- "La deuxième" proposait grâce aux d'artisans et agriculteurs affiliés au projet, des petits boulots. La pension demandée n'était pas très élevée.

-Tu ne réponds pas à ma question.

- Ton frère était débrouillard, il trafiquait avec les salariés agricoles des exploitations du coin.

- Il vendait quoi ?

Je baisse la tête. Est-il prêt à entendre la réalité ? Ou dois-je la dissimuler. Je me tourne vers Armand, qui se contente d'opiner.

- Je pense, intervient mon oncle, que ton frère était déjà consommateur.

- Stéphane a raison, affirmé-je. Éric fumait déjà beaucoup, au-delà de ses moyens financiers.

Je ne veux pas entrer dans les détails, mes yeux supplient Armand de m'aider.

- Personne n'intervenait pour empêcher cela ? rétorque Corentin.

- Éric était discret...

-Tu aurais pu le dénoncer, toi.

- J'aurais pu, en effet. Il aurait été viré et aurait repris son petit business ailleurs. C'est ce qui s'est passé d'ailleurs un peu plus tard.

- Il a été viré ? Pour quel motif ?

Les deux frères n'avaient pas réellement précisé le motif à vrai dire, Éric était responsable de tant de choses.

- Trafic de stupéfiants...

- Et toi ? De complicité ?

- Je ne l'ai pas dénoncé, Corentin. Éric était toxico, qu'est-ce que j'aurais dû faire d'après toi ? Il n'écoutait rien ni personne. Si fier d'être libre. J'ai quitté " la deuxième " moi aussi, je l'ai suivi. J'avais cru, un temps, qu'il m'aimait. En fait, c'était plus complexe que cela. Éric attirait tous les regards, cela lui plaisait de briller, de vivre à fond sans s'inquiéter du lendemain.

- Et toi, tu fumais aussi ? intervient Stéphane.

- J'y ai goûté, cela amusait terriblement Eric de me dévergonder. Il faut dire que c'était pas très difficile, je ne savais pas grand chose de la vie. Était-il ainsi avant de partir de chez tes parents ?

Corentin ne répond pas, il garde la tête baissée.

- Je ne peux pas te répondre, se décide-t-il à parler. Je connaissais très peu Éric. Sans être fâché avec ma famille, nous n'avions surtout rien à nous dire. J'ai eu connaissance de son année sabbatique par mes parents à l'annonce de sa mort. Tu étais encore avec lui lorsque c'est arrivé ?

Sa question me soulève l'estomac. Je me lève brusquement, et sort en trombe de la pièce pour rejoindre au plus vite les wc.

(Armand)

- Ne vous inquiétez pas, dis-je aux deux hommes. Il a très peu dormi et cette confrontation l'inquiétait beaucoup. Je vous propose de faire une petite pause, vous avez tout ce qu'il faut sur la table. Je vais aller le voir. Cette porte donne sur une petite cour, je reviens très vite.

- Je ne lui reprochais rien, explique Corentin, c'était juste de la curiosité de ma part. J'ai tellement souvent imaginé mon petit frère mourir seul... L'idée que quelqu'un comme Brice ait été à ses côtés m'aurait soulagé. En aucun cas, je voulais le mettre à mal.

- Je sais, Corentin. Ne vous inquiétez pas, ajouté-je avant de sortir de la pièce.

Steve me montre d'un doigt nonchalant où est parti Brice.

Dans sa chambre, il marche de long en large, frappant, à chaque fois qu'il passe devant le mur, un grand coup de pied.

- Arrête, Brice. Ce mur ne t'a rien fait. Tu savais que cette question pouvait être posée, nous en avons discuté. C'est même plutôt une bonne chose.

- Tu vas devoir m'expliquer en quoi, gronde-t-il, les sourcils froncés.

- Réfléchis, gamin ! As-tu l'impression que Corentin t'en veuille ?

- Il m'a reproché de ne pas avoir dénoncé Eric aux deux frères, réplique-t-il en stoppant ses va-et-vient.

- À sa place, tu n'aurais pas eu cette réaction, toi ? A-t-il critiqué le fait que tu l'avais suivi ?

- En quelque sorte puisqu'il est mort.

- Ça, c'est ce que, toi, tu en déduis ! Pour savoir ce que réellement, il en pense, il me semble que tu devrais retourner de l'autre côté et te débarrasser de ce fardeau qui te pèse.

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