~31~

 (Corentin)

Après le départ de Stéphane, je suis allé chercher ma voiture. J’ai sorti le sac de fringues de Brice resté sur la banquette. J’ai essayé de penser à autre chose mais pas moyen. 

J’ai des difficultés à gérer mes propres émotions. Cela ne date pas d’hier malheureusement. 

Contrairement à Brice, je n’ai subi aucune violence, aucune maltraitance. Mes parents ont toujours été présents sans être très  démonstratifs. Je ne pense pas que ce soit la raison de mes difficultés à gérer les relations sur le long terme. Juste que je ne sais pas trop m’y prendre. Mon choix de carrière non plus, être  remplaçant n’est pas non plus complètement innocent. Peu de possibilités ou de volonté  de s’attacher lorsque l’on ne vit pas au même endroit longtemps. 

La dépression qui a surgi à la mort d’Éric couvait déjà. Ne rien  savoir de lui, ni qui il était, ni où et pourquoi il avait décidé un jour de partir m’a fait prendre conscience de ma propre solitude. Cacher la vérité sur sa mort à mes  parents, pour les protéger, m'empêchait d’en parler et je culpabilisais, m’enfonçant dans la dépression. 

Toute cette période n’avait pas facilité les contacts humains, la décision de prendre un poste fixe, loin de chez mes parents non plus. Mon thérapeute souhaitait que j’associe cela à un nouveau départ. Honnêtement, sans la rencontre providentielle avec Stéphane, je suis persuadé que j’aurai rechuté. J’avais succombé à la bienveillance teintée d’humour de cet homme. Approcher Brice avait été plus complexe. Sa tendre complicité envers Stéphane s'effaçait par instant, furtivement, laissant la place à un regard triste et troublé. 

Ses confidences après l'avoir surpris torse nu, m'avaient bouleversé et nous avaient permis de faire plus ample connaissance. Notre différence d’âge, légère, ne gênait en rien. Au contraire, je me sentais en confiance. Dans la voiture, en rentrant de notre virée shopping, j’avais décidé de me confier, de lui parler d’Éric. De lui expliquer la dépression qu’avait déclenchée sa disparition, du mal-être que j'éprouvais.  Pas contre mon frère, mais de ne rien avoir su de lui, sur ce qui l’avait amené à se droguer. Cette absence d'informations m'était insupportable. Mon psychothérapeute me poussait à tirer un trait sur cette période pour avancer mais je n’y arrivais pas.  Dans ma tête, Brice, par son vécu,  pouvait m’aider à le comprendre.

Son départ brutal, que j'assimile à une fuite, me prive de cette étape.

A côté de cela, le fait que Stéphane détienne une information qui le rassurait sans me la donner me déroutait.

Le bruit de l’interphone interrompt mes pensées.

— Tu m’ouvres ? me demande Stéphane.

Je ne réponds même pas et débloque l’entrée de l’immeuble. J’ouvre la porte et l'attends. Sa démarche est pleine d’énergie mais son regard est soucieux.  Il m’offre un léger sourire en pénétrant dans l’appartement. 

— Vous avez des nouvelles ? lui demandé-je sans attendre. 

— Il va bien, rassure-toi. 

— Vous lui avez parlé ?

— Non. J’ai discuté avec la personne à qui il a demandé de l’aide. 

— Ah parfait. Vous vous contentez de cela, vous ? Moi, cela ne me suffit pas. Je veux comprendre pourquoi subitement se retrouver avec moi, lui est devenu insupportable au point de partir en courant. J’ai beau me passer le film de notre journée, je ne comprends pas ce qui l’a fait dérailler au point d’avoir besoin d’une aide extérieure.

— C’est justement pour te parler de tout cela que je suis là. L’homme en question, Armand, est retourné auprès de Brice. Il va le convaincre de t’expliquer pourquoi il est parti. 

— Tu la connais la raison, toi ? dis-je, oubliant le vouvoiement. 

—Je sais ce qui a déclenché son départ, pas la raison. Armand et moi, en détenons des bribes. Seul Brice est capable de raconter tout le reste. 

— Je me contenterai du déclencheur, Stéphane.Voulez-vous me le dire ?  

— Tu peux continuer à me tutoyer, cela ne me gêne en rien. 

Sa voix est douce, le regard bienveillant. Il me tourne le dos et se dirige vers le meuble de la salle. Son pas n’est pas hésitant, il s'y dirige sciemment. Bien avant qu'il attrape l’objet, j’ai compris qu'il s’agit du cadre photo. Je me rapproche de Stéphane.  

— C’est en découvrant cette photo que Brice a pris peur. Ce n’est pas ta coupe de cheveux qui l’a effrayée. Mais d'y trouver Éric à tes côtés. 

— Brice connait mon frère ? Mais comment est-ce  possible, Éric est…

— Je te l’ai dit, je ne sais pas tout. Mais Armand me l’a confirmé. Brice a paniqué lorsqu'il a compris que tu étais le frère d’Éric. 

(Armand) 

Il reste une dernière étape à franchir et seul Brice peut le faire. Je serais là, son oncle aussi, pour le soutenir. J’espère que celui-ci aura convaincu le grand frère. C’est la partie la moins fiable du plan, celle que je n’aurai pas dû accepter. Enfin, pas de cette façon. Bien entendu qu'il est indispensable de les confronter. Nous n’avons tous que des morceaux de l’histoire de ses deux gamins. Seul Brice peut en  construire le récit.

— Merci Steve, je prends le relais, dis-je en pénétrant dans la pièce. 

Brice, allongé sur le lit, se retourne vers moi. 

— J'espère qu'il sera plus bavard qu’avec moi, bougonne mon collègue. Cet âne s'est buté dès qu'il a vu que tu avais disparu. 

— Je n’avais rien à dire et c’est toujours le cas, riposte Brice sans me lâcher du regard. La seule chose que je désire est de retourner au Centre.

— Donc, tu mets en péril tout le travail que nous avons fait en amont ? C’est ce que tu souhaites, Brice ? Mettre de côté ton oncle, ton projet, ta maison ? Tu en es certain ? 

— Ma maison ? Tu étais chez mon oncle ? Ne me dit pas que tu lui as parlé d’Éric ? 

— C’était mon intention, en effet. Mais il avait déjà compris tout seul.

— Comment cela, il avait compris ? s'inquiète-t-il.

— D’après ce qu'il m’a dit, en entendant Corentin parler de son frère Éric sur la photo. Il n’a pas eu de difficultés à faire le lien au vu de ta réaction. 

— C’est toi qui l’a envoyé chez Corentin ? 

— Non. Ton oncle a fait la démarche de lui-même. Vu que tu avais disparu, il a pu espérer t’y trouver. C’est logique, non ? 

— Oui, peut- être. Il est en colère après moi ?

— Ton oncle ? Pas du tout. Il s’inquiète pour toi, Brice. Il aimerait que tu lui expliques. Je sais que tu ne vas pas aimer, mais tant pis, je prends le risque. En ce moment, il est avec Corentin. Lui aussi souhaite comprendre pourquoi tu as pris la fuite.

— Tu es con ou quoi ? Tu me vois leur raconter ce qu'était notre vie, entrer dans les détails sordides lorsque son frère se vendait pour une dose, ou qu'il se faisait dessus tant il était shooté ? C’est cela que tu veux que je fasse ?

— Tu n’es pas obligé d’aller si loin dans les détails mais peut- être que ne rien savoir lui est encore plus insupportable. 

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