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( Brice )
J’ai envie de le serrer dans mes bras. C’est difficile de gérer cette émotion. Face à moi, ce n’est pas mon oncle que je vois mais un adulte qui souffre. Il a maintes fois consolé, écouté l’enfant puis l’adolescent. J’ai volontairement refusé son aide lorsque mon père s’en prenait à l’adulte que j'étais devenu, me refusant de mettre les frères dos à dos. En partant, en fuyant ce que je ne supportais plus, je réalise que j'ai aussi abandonné mon oncle et mon cousin. Le jeune adulte en colère de cette époque n’a pas réfléchi à cela. Seul lui importait de mettre de la distance entre l’homme qui rejetait avec force ce qu'il était et ce que lui refusait de camoufler.
— Tu me fais visiter ?
Son sourire montre à quel point mon intérêt lui importe. D’un pas alerte, il avance sur le côté gauche derrière les maisonnettes et je le suis, curieux. Une étendue herbeuse clôturée apparaît et je comprends ce qu'il a mis en place.
Dans cette sorte de pâture, se promènent des poules et des canards picorant le sol avec ardeur. Un peu plus loin un secteur plus petit laisse apparaître des taches marron dans l’herbe, le domaine des lapins. Et un autre où broutent des moutons.
— Petit à petit, j’ai investi dans des terrains à proximité de la maison. Je les fait tourner d’un espace à un autre. J’ai un contrat avec l’école et la maison de retraite pour tout ce qui concerne les restes. Et je vends les œufs, les poulets, les lapins au Drive fermier.
— Et comment fais tu pour les rentrer la nuit ? Les baraques sont loin, ce ne sont pas des vaches, tes poules !
— Et bien justement je vais profiter de ta présence. Normalement, Vivian m’aide mais comme il n’est pas là…
Je suis content qu'il me fasse confiance. Alors, comme il y a cinq minutes, je le suis. Arrivé près du poulailler que je regarde plus longuement, je comprends très vite ce qu'il attend de moi. Je ne sais pas si c’est lui l’inventeur du système, mais c’est tout simplement génial. A l’instar d'une caravane, le poulailler est posé sur une plate-forme munie de plusieurs roues.
— C’est de ton invention ?
— J'aimerais bien mais non. J’ai trouvé cela sur Internet quand j’ai voulu agir différemment.
Ma mine surprise le fait éclater de rire.
— Est-ce que par hasard tu m’aurais déjà classé dans les vieux qui veulent pas évoluer avec leur époque, gamin ? Les journées sont longues dans les campagnes et puis Vivian est de bon conseil. Il m’a conseillé dans l’achat, et appris à gérer plus ou moins bien l’ordinateur.
— Je ne m’y attendais pas, c’est tout. Il avait une horreur de tout cela. Il y voyait un moyen de perversion, tout l’était de toute façon pour lui. Comment a-t-il vécu toute cette évolution ? dis-je en regardant autour de nous.
— Il n’en a vu que les prémices. Toutes ses forces avaient le même objectif mais cela n’a pas été suffisant. Tu étais introuvable.
— C’était le but. Je ne vais pas te mentir en disant que je regrette. Ma décision de tirer un trait était réfléchie. J’ai juste réalisé plus tard que je vous avais, vous aussi, sacrifiés.
— Quand tu seras prêt à m’en parler, je serai là. On se le bouge ce poulailler ? dit-il pour clore le sujet.
La matinée a été chargée. Après le déménagement du poulailler, tâche plutôt facile à deux, nous en avons nettoyé l’intérieur. Stéphane m’a chargé de remplir les différents abreuvoirs destinés aux moutons. Restaient les lapins qui se nourrissaient tous seuls. Mon oncle, dans une optique écologique, avait voulu créer un habitat moins restrictif en fabriquant une garenne. Malheureusement les cultures avoisinantes auraient été menacées par les galeries que les lapins n’auraient pas manqué de creuser. Très débrouillard, il avait récupéré chez un de ses “ potes” des palettes. L’idée était d’aménager des petits abris pour permettre aux lapins de se mettre à l’abri de l’humidité et des prédateurs éventuels. Le problème majeur était de fabriquer ceux-ci puisque , pour l'instant, les plans étaient uniquement dans sa tête. Nous avons donc vidé la remorque et entassé les palettes dans un des vieux bâtiments.
— Allez, ça suffit pour ce matin, lâche mon oncle. Il est temps de préparer le repas.
(Stéphane )
J'émerge de ma sieste. Je ne la fais pas de façon systématique mais je dors moins longtemps qu’avant et je ne ménage pas mes efforts le matin.
L’après midi est moins physique, partagé entre la préparation des commandes et un peu de présence au Drive fermier. Contrairement à Antoine, mon frère, j’ai toujours apprécié me retrouver avec les autres. Quand ma femme est morte, Vivian était tout jeune. Entre l’exploitation agricole, la maison et le petit, je n’avais guère le temps pour papillonner aux alentours. Et puis les cinq années que nous avions eu, Mathide et moi, avaient été si belles ! Inconsciemment, je me doutais qu’il me serait impossible de trouver une femme digne de la remplacer. Puis Vivian a grandi et je n'ai plus eu envie de chercher une compagne de vie. Quand Vivian a pris son envol, j'ai réalisé que j'étais seul.
Une porte qui claque me ramène à la réalité. Dans la cuisine vide, je me sers un verre d'eau. Le repas a été animé, Brice a gardé la même curiosité qu'il avait enfant, me noyant sous les questions.
Habituellement, au sortir de mon petit somme, j’ai grandement le temps de gérer un peu de paperasse, ou des obligations ménagères avant de me rendre au Drive. Brice aura peut être envie de m’y accompagner aussi je décide de partir à sa recherche.
Un fond musical me renseigne sur le lieu où il se terre. Les pieds posés sur la table du coin jardin, un vieux chapeau en paille sur la tête, il lit plus ou moins vautré sur une chaise. Il a toujours le vieux sweat de Vivian que je lui ai passé ce matin, les manches relevées.
Dès qu'il prend conscience de ma présence, il ôte ses pieds comme si cela pouvait poser un problème et aussitôt il baisse ses deux manches.
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