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# Flashback 6
Je ne pensais pas qu’il m’était possible de pleurer autant. Pourtant, après le flot de larmes lâché dans ce coin de cafétéria, la présence attentive d’Anthony en a déclenché beaucoup d’autres.
Évidemment, le lieu était différent. L’infirmier n’a eu aucune difficulté à me convaincre que j’avais besoin d’aide. Son service de garde aux urgences psychiatriques de l’hôpital fini, il m’a accompagné à l’hôpital où il travaillait. Je ne pense pas que cette façon de procéder ait été très correcte administrativement parlant. Mais rien dans notre situation n’était très conforme. Ma façon d'agir pour que des soins soient donnés à Éric montrait nettement que cela m’importait. Sinon je l’aurai tout simplement largué devant les urgences. Je ne niais pas cet état de fait, je me refusais à en accepter la raison.
Je rejetais avec force l’hospitalisation arguant qu’elle ne me permettrait pas de garder un œil sur Éric. Celui-ci, avec les soins, reprenait des forces mais son corps, épuisé, risquait de lâcher.
J’étais adulte, mon état physique n’était pas catastrophique, mon état psychique beaucoup plus par contre. Anthony savait qu'il ne pouvait me contraindre à accepter et a donc trouvé une solution intermédiaire : l’hôpital de jour permettant une écoute, et l’assurance que j'aurai au moins un repas par jour.
Obstiné, toutes les journées, sans même en être réellement conscient, je me retrouvais sur le parking de l'hôpital. Toutefois, je n'allais pas au delà, redoutant l'effet de ce que je pouvais découvrir. Je ne posais pas de questions à Anthony prétextant que savoir qu'il se remettait me suffisait.
—Tu peux nier autant que tu le désires, Brice, m’explique Anthony du fond de son fauteuil. Il n’y a aucun mal à te sentir concerné par son état. Ton refus de lui rendre visite ne fait du mal qu'à toi.
— Cela ne me fait pas mal, je m’en moque ! Il se trouve au meilleur endroit pour recevoir des soins. Dès que j’aurai repris des forces, je partirai. Mon manque de réactivité a failli lui coûter la vie, il est préférable que je reste loin de lui.
— Je ne connais pas votre histoire, mais elle ressemble à beaucoup d’autres. Seul Éric sait pourquoi il en est arrivé à se droguer. Sortir de cette addiction demande qu’on le veuille profondément. Ce combat, il va devoir le mener, lui. Toi, tu dois soigner la raison de tes cicatrices.
— Je n’ai rien à soigner du tout. J’ai fait cela à un moment où cela n’allait pas fort.
Je le fixe en lâchant ces mots, je dois le convaincre. Je n’ai pas le temps de gérer mes problèmes. Ma seule obsession, celle qui me maintient debout, est qu'Eric continue à être soigné. Je ne sais pas pourquoi il en est arrivé là, je ne suis même pas certain que ses papiers soient vrais. Mes nuits sont peuplées de cauchemars mêlant des images de mon père haineux et de parents dévastés par la perte d'un enfant. Toute mon énergie est concentrée sur la survie d’Éric.
Le portable d’Anthony sonne. Il se contente de jeter un œil sur le texte affiché et il blêmit.
[...]
Mes yeux ont dû mal à rester ouverts. Je tente de garder le contrôle.
— Bonjour Brice, dit Anthony d'une voix calme. Je vais te donner à boire, j'ai été obligé de t’injecter un somnifère.
Mon cerveau mouline, essaye de comprendre le sens de ses mots. Pour quelle raison m’a-t-il plongé dans un profond sommeil ? Et puis, comme une déferlante, la réalité me tombe dessus. Je veux me lever de ce lit mais mes bras sont attachés.
Je hurle, me débats, remuant avec force les sangles de contention.
— Détache-moi, salopard. Tu n’as pas le droit de faire cela, putain ! Tu m’avais promis !
Mes cris se transforment en sanglots, je n’ai plus la force de me débattre.
— Tu m’avais dit qu'il était en sécurité, chuchoté-je. Comment a-t-il réussi à trouver quelque chose ?
— Je ne t’ai pas menti. Lorsque je l’ai vu, il allait mieux. Il avait repris des forces. Je devais discuter avec lui, lui proposer une hospitalisation vers un centre de désintoxication. Il n’y a pas la même surveillance à l’hôpital. Ils n’ont pas pris la mesure des capacités d'un drogué pour obtenir ce qu'il veut. Il a dupé tout le monde. Il n’arrivait pas à rester debout, même pour aller aux toilettes. Si j’avais eu le moindre doute, j’aurai préconisé qu'il soit attaché. Je n’ai rien vu venir.
La voix de l’infirmier est triste. J'imagine qu'il n’est jamais facile de perdre un patient. Bien sûr, une fois encore, je suis le coupable. Vivre avec lui plus d'un an m’a permis de découvrir tous les signes de manque, et de connaître la majeure partie des moyens pour dénicher le moindre truc pour le faire décoller. Si je ne m’étais pas mis volontairement de côté, j'aurais pu éviter qu'il prenne la dose fatale.
Anthony s’approche de moi avec un gobelet équipé d'une paille. Je pince les lèvres, et tourne la tête.
— Je suis quelqu'un de très patient, Brice. Et têtu aussi.
[...]
(Anthony)
Tout le monde connaît le Frenchy ici. Il nous en a fait voir ! Nous avons passé trois semaines à le surveiller comme l’huile sur le feu. Son état d'esprit variait d'une journée à l’autre et d’un extrême à l’autre. La phase agressive a nécessité de maintenir les sangles de contention qu'il tentait, au risque de se faire mal, de défaire. La vidéo permettait une surveillance constante. Au bout de quelques jours, l’administration de calmants mais aussi de fortifiants a commencé à donner des résultats. Le jeune homme restait silencieux, prostré, alternant crises de larmes violentes et bruyantes et silence angoissant.
Entre-temps, la famille du jeune drogué décédé a été contactée. Je n’avais pas toutes les informations n’étant officiellement pas plus impliqué sur ce malade qu'un autre de mes collègues. Brice n’apparaissait nulle part nommément. Je n’avais pas trouvé utile de préciser que c’est lui qui avait œuvré pour qu'il soit pris en charge. Cela pouvait être considéré comme une faute, une dissimulation mais j’avais pris le parti de protéger celui qui était vivant.
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