#Flashback 5

Un regard dans le rétroviseur me rassure plus ou moins, Éric semble dormir. Il faut que je trace loin de cet hôtel, loin de Jimmy surtout. Nous possédons encore moins de choses  que lorsque nous sommes arrivés. Partir en douce ne facilite pas le transport de bagages. L’urgence était d’extraire Éric de ce lieu. Je ne pense pas que Jimmy va faire de vagues. Il ne portera pas plainte pour le vol de sa bagnole, ma menace de tout dévoiler à son oncle preuve à l’appui devrait faire effet. Je ne doute pas de sa capacité à débusquer un nouveau pigeon prêt à satisfaire les besoins de ses clients afin que lui s'en mette plein les poches. J'aurai voulu pouvoir le dénoncer pour qu'il paye pour tous ses trafics. Il me faudra faire avec et m’arranger avec ma conscience. Seul Éric compte même si je doute que celui-ci approuve mon action.

[...]

Je n’y arrive pas, je pensais que cela serait plus facile de l’aider à gérer le manque. Il vomit partout, me traite de tous les noms, m’agresse physiquement aussi. Ses poings ne me font pas vraiment mal, il n’a pas beaucoup de force. Quand, épuisé, il s'écroule, je m’occupe de le nettoyer doucement, je le serre dans mes bras, le réconforte autant que je peux. 

Je dois agir et je sais qu'il va s'y opposer. 

— Éric... tu as besoin d’aide. Je ne sais pas si ce que je fais est bien. Tu n’arrives à garder aucun aliment solide ou liquide. Je vais t’amener dans un hôpital. Ils s’occuperont de toi. 

— Non. Je ne veux pas, vocifère-t-il du fond du canapé, son état ne lui permet plus de tenir debout. Laisse-moi tranquille. Tout est de ta faute. Jimmy me donnait ce qu'il me fallait. Toi, tu n’es même pas capable de me baiser. 

Ses cris, ses insultes, ses coups m’atteignent toujours un peu plus. Je ne veux pas lui montrer, je tente de rester fort. Mais dès qu'il dort, mes propres démons m’assaillent. 

[...]

Encore une fois, j’ai renoncé. Dans mon esprit, c’était pourtant clair, bien construit. Le déposer, quand il serait endormi aux abords de l’hôpital me semblait être le moyen le plus efficace pour qu'Eric soit pris en charge. Ils l’aideraient à purger cette merde de son corps, puis de son esprit. 

Sur place, je n’ai pas pu m’y résoudre. Le laisser impliquait que je ne saurais pas comment il allait. Je savais pertinemment que j’en deviendrais dingue. Alors j’ai assumé. Tout. 

[....]

L’infirmier de tout à l'heure revient. L'odeur du café qu'il tient dans sa main provoque un grondement sinistre dans mes entrailles. Cela le fait sourire, il me tend sa tasse.

— Je pense qu'il te fera plus de bien qu'à moi. As-tu mangé dernièrement ? 

Je n’ai pas la force d’argumenter, les dernières quarante-huit heures ont été pénibles. 

— Je suis en pause, continue-t-il. Je te propose de tester la nourriture du distributeur à mes frais. C’est loin d’être du cinq étoiles mais je pense que tu n’es pas difficile. 

Il me tend la main pour m’aider à me lever du sol. Cela fait si longtemps que personne ne semble juste me voir. Dix minutes plus tard, nous sommes attablés dans un coin de la cafétéria. J’ai ingurgité deux sandwichs, une bouteille d’eau et un café. L’infirmier n’a presque pas parlé. 

— Votre ami est très faible, dit-il et le vouvoiement replace la discussion dans un cadre professionnel. Il a été mis sous perfusion pour le stabiliser. 

— Ce n’est pas mon ami, je l’ai trouvé dans une ruelle, pas loin, mens-je en montrant une direction.

— C’est plutôt exceptionnel cet altruisme ! Est-ce que vous avez, vous aussi, besoin d’aide ?

— Ce n’est pas déjà fait ? dis-je en montrant les emballages vides sur la table.

— Je pense que vous avez besoin d'un peu plus que cela.

— Je ne prends pas de drogue, argumenté-je. 

—Tant mieux. Je pensais plutôt à ceci, dit-il en désignant mon poignet droit à découvert. Je suis interne en psychiatrie, je reconnais très bien ce genre de marques. Je suis quasi certain qu'il y en a d’autres plus ou moins récentes sur d'autres endroits de ton corps.

Sa voix est douce, son regard presque protecteur. Toutes les digues que je m'efforce de maintenir s'effondrent.