Deux mois s'étaient écoulés, depuis cette nuit. J'avais failli abandonner tout espoir. Ji-min fit preuve d'un courage, dont j'avais fait défaut. Nous filions le parfait amour. Il m'arrivait d'avoir peur de revoir Yi Jung-Hwa, mais pour le moment je préférais ne pas y penser. J'avais mieux à faire comme prendre soin de mon adoré.

Aujourd'hui était un grand jour, je me dirigeai sur un plateau de tournage pour mon tout premier clip. J'étais nerveux. Ces derniers temps, j'avais subi des problèmes avec mon estomac. J'espérai juste en être épargné pour la vidéo. Ji-min était parti pour son studio de danse, depuis son spectacle, tout le monde se l'arracher. Il rentrait souvent très tard. J'étais fière de lui, il avait tenu bon pour accomplir son rêve. C'était donc à moi maintenant de réaliser le mien. Je courus les quelques rues qu'il restait à franchir.

J'arrivai à bout de souffle. J-Hope m'accueillit un café en main et me le tendit. L'odeur de l'arabica me souleva le cœur. Je marchai vite jusqu'aux toilettes. Tout le contenu de mon estomac se retrouva dans la cuvette. Je me rinçai la bouche et me rafraichis avec de l'eau froide sur mon visage. L'équipe était déjà là, je les rejoignis d'un pas assuré. Mon producteur me présenta à tout le monde. Nous allions passer des heures harassantes. Pourvu que le résultat soit à la hauteur...

J'enchainai la chorégraphie encore et encore. C'était dans ces moments-là que je prenais conscience de comme Ji-min avait du souffrir. J'étais épuisé, des étourdissements me gagnaient petit à petit. J-Hope stoppa l'entrainement. Midi ! Enfin, j'allais pouvoir respirer un peu. Il vint vers moi avec un bol de nourriture fumante et me le donna. J'observai le riz, la viande et les quelques légumes. Je courus jusqu'aux WC, nauséeux, et revins sous le regard alarmé de mon producteur.

— Ce n'est rien, le stress.

— Suga, je peux te poser une question ? me sonda prudemment J-Hope.

Il me dévisagea étrangement. Intrigué par son comportement, je répondis de la tête.

— Toi et Ji-min, vous avez... s'interrompit-il, gêné.

Je le fixai avec les yeux exorbités. Il spéculait sur ma vie intime ?  Puis un instant plus tard, je me demandai où il souhaitait en venir.

— Disons que notre vie est plutôt active.

— Je vois. Mais vous vous protégez ? insista-t-il.

Je ne comprenais toujours pas, ses interrogations. Nous nous préservions ?  Oui, Ji-min faisait attention et moi aussi. J'empoignai ma tête et repensai à cette veillée où mon instinct oméga me contrôlait. J-Hope m'observa, alors que je me saisis de mon portable.

Mon ange, le soir où on l'a fait la première fois, tu as mis un préservatif ?

J'attendis qu'il me réponde. L'angoisse submergea tout mon être. Une question me parvint à l'esprit ; est-ce que deux omégas pouvaient avoir des enfants ensemble ? Je n'avais jamais entendu parler d'une telle chose. Sans doute que c'était un couple sur cent qui le pouvait. Le bip retentit, je retins mon souffle.

😔 Non, je suis désolé. C'est la seule fois ou je me suis montré imprudent. Ne m'en veux pas, s'il te plait.

Je ne t'en veux pas.

Pourquoi, tu me demandes ça ?

Pour rien. Je t'aime ❤️

Je remis mon cellulaire dans ma poche et soupirai lourdement. J-Hope posa une main sur mon épaule. Tout se bousculait dans ma tête troublée.

— Oui, sauf une fois.

— Laisse-moi deviner... Le soir où les phéromones de cet alpha t'avaient provoqué tes chaleurs, analysa J-Hope d'une voix ferme.

— C'est ça.

— Ne t'inquiète pas. Je vais prendre rendez-vous pour toi avec une de mes amies médecins. Mais maintenant que j'y repense, cet alpha. C'est qui ? Et qu'est-ce qu'il te veut ? questionna-t-il, soucieux.

Une angoisse irrationnelle troubla mon esprit. Je revoyais son visage, alors qu'il me proposait de lui offrir mon corps à la place de l'argent. Cet individu me faisait systématiquement peur, il était incontrôlable et violent. Dans le milieu de la nuit, on le connaissait bien. Dès qu'il y avait une bagarre ou que quelqu'un disparaissait, son nom y était toujours lié. Un chef mafieux qui avait le bras long, surtout les trafics des bas-fonds. Une fortune colossale, des mercenaires et une vie confortable, voilà tout ce qu'il avait gagné en peu de temps. Je repensai à la première fois que je l'avais rencontré.

Épuisé, je sortis de la salle de concert « Red Room » par la porte arrière pour éviter tous les contacts humains. Des hurlements retentirent, lorsque je l'ouvris. Un homme courrait, poursuivi par un autre. C'était bien ma veine, une bagarre...

Je jetai un coup d'œil pour voir si le champ était libre. Plus personne, je m'en gageai sans crainte. À quelque pas de moi, un corps allongé face contre terre me bloqua le passage. Je l'observai, il était en piteux état, mais respirer encore. Je l'enjambai, ne voulant pas être mêlé à ça. Au moment où mon pied se posait sur la terre ferme, une poigne me tira en arrière. Je levai les poings et me retournai prêt à me battre. Un individu de grande taille me fixait, l'air menaçant. Son visage était recouvert de sang. Horrifié, je réfléchis à une échappatoire possible.

— C'est toi le rappeur ?

— Ouais, pourquoi ? répondis-je, d'un ton sec.

Je cherchai à rester de marbre, face à cet être terrifiant. Il sourit et me détailla un instant qui me semblait durer une éternité.

— Je peux sentir ta peur. Ne t'inquiète pas, à toi, je ne ferai rien.

— Je n'ai peur de personne, affirmai-je en me redressant.

— Je t'aime bien. Je m'appelle Yi Jung-Hwa et toi ?

— Suga, coupai-je court à la discutions.

— Enchanté... s'interrompit-il en me déshabillant du regard. Si tu as besoin de quoi que se soit, demande-moi. Je me ferrai un plaisir de t'aider.

— Je n'y manquerai pas. Là, tu m'excuses, mais je suis crevé. À un de ces jours.

Je me retournai, marchai au plus vite vers la sortie et respirai le plus discrètement possible pour qu'il ne s'aperçoive pas de mon trouble. Un « à bientôt » raisonna dans cet endroit lugubre, avant que des cris ne tranchent le silence à nouveau. Je m'adossai contre un mur et cherchai à regagner mon calme. Bordel, c'était quoi ce mec !

Depuis ce jour-là, Yi Jung-Hwa n'avait cessé de me tourner autour. J'avais longtemps réussi à le tenir à distance, sauf pour cette foutue carte d'authentification de genre. Il avait patienté toutes ses années pour trouver l'occasion parfaite pour enfin avoir ce qu'il voulait de moi. Maintenant qu'il savait que j'étais un oméga, cela augmenter sans doute sa soif. Je ne m'étais jamais rendu compte à quel point être un oméga pouvait être difficile. J'avais toujours pensé que j'étais des autres statuts. J-Hope me regarda en attente de ma réponse.

— Il se nomme Yi Jung-Hwa, c'est un des plus grands chefs mafieux des bas-fonds. Il n'est pas du genre à laisser tomber quand il veut quelque chose.

— Je vois... Je vais m'occuper de ça aussi. Pour le moment, concentre-toi sur le clip et donne le meilleur de toi-même, me rassura-t-il avec son sourire radieux habituel.

J'acquiesçai de la tête et mangeai un peu. Les heures suivantes, je les passai à danser, chanter et refaire les mauvaises prises. La fatigue me gagna. À plusieurs reprises, J-Hope demandait une pause pour moi. Je devais tenir bon, je touchais du bout des doigts mon rêve. Le metteur en scène exigea que nous modifiions une partie de la chorégraphie. La troupe et moi retravaillâmes tous les mouvements. Nous étions prêts à la tourner. Jamais, je ne me serais imaginé qu'une vidéo prenait tout ce temps.

La nuit était tombée, quand nous finissions, enfin. Je regardai avec toute l'équipe et mon producteur. C'était magnifique, l'ensemble mettait en valeur mes paroles. J'affichai un sourire conquis et me réjouis de le montrer à Ji-min. Nous nous saluâmes toute l'équipe et je remerciai le réalisateur. Il ne restait plus que moi et J-Hope.

— Tu es prêt ? On va voir mon amie médecin, tu verras, elle est gentille et discrète. Tu peux avoir confiance, me tranquillisa-t-il.

J'enfilai ma veste, le suivis jusqu'à sa voiture et montai à bord. J-Hope s'installa derrière le volant et démarra. Les routes défilèrent sous mon regard. J'étais anxieux. Je ne savais pas à quoi m'attendre. Il s'engagea dans un parking, mit son bolide dans une casse et arrêta le moteur. Nous descendîmes. Perdu dans mes pensées, je lui emboitai le pas. Nous arrivâmes à un ascenseur et montèrent dedans. Les étages filèrent à grande vitesse sur le tableau de bord. Nous atteignîmes le vingtième en un rien temps. Un long couloir devant nous menait à un comptoir ou une infirmière patientait. Elle nous accueillit avec un large sourire. J-Hope usa de son charme pour qu'elle prévienne son amie au plus vite. Nous prîmes place dans la salle d'attente. L'angoisse montait en moi.

Une femme de taille moyenne s'avança vers nous. Son visage était fin, de beaux yeux noisette cachaient derrière une grande paire de lunettes. Ses longs cheveux ébène volèrent dans sa marche rapide. Elle se stoppa devant nous.

— J, je t'ai dit qu'aujourd'hui j'étais occupé.

— In-soon, je sais bien. Mais mon ami a besoin de toi. S'il te plait, s'il te plait. Soit gentille et je le serrai avec toi, aligna J-Hope, charmeur.

— C'est bon pour cette fois, suivez-moi.

Nous nous dirigeâmes vers une porte automatique en verre, elle passa un badge. Nous la franchîmes et marchâmes dans un immense corridor. Du personnel d'hospitalités déambulait de tous les côtés. Il y avait beaucoup de chambres d'examen. J-Hope m'avait amené dans un établissement renommé. Elle s'arrêta face d'une des pièces, ouvrit et nous fit signe d'entrer. Nous nous assîmes sur les chaises devant un bureau, elle prit place derrière.

— Comme tu es un ami de J, tu peux m'appeler In-soon. Il m'a expliqué un peu ton problème, mais j'ai besoin de plus de détail pour pouvoir poser un diagnostic. Tu veux bien répondre à mes questions ?

Je relâchai un bref « oui », en regardant dans le vide. J'espérai que tout aille bien.

— Depuis quand n'as-tu plus tes chaleurs ? me demanda-t-elle.

— Je ne les ai eus qu'une fois dans toute ma vie et elles sont été provoquées par un alpha.

— Je vois. Tu as couché avec cet alpha ?

— Non, avec mon petit ami oméga, répondis-je fermement.

Les yeux de In-soon s'écarquillèrent et elle tapota son menton de l'index. J-Hope la fixa, suspendu à ses lèvres. Je me triturai les doigts, anxieux.

— Tu es un oméga répressif. Ton corps a retenu pendant toutes ses années tes caractéristiques, chaleur et attirance. Tu dois savoir qu'il est presque impossible pour deux omégas d'avoir des enfants. Mais la science n'est pas toujours une science exacte.

J'avais vu juste ! Les couples oméga/oméga avaient très peu de chance de devenir parents. Je pensais à Ji-min. Connaissait-il ce fait quand il a souhaité de moi ? Avait-il renoncé à avoir des bambins ? Je m'en voulais de ne pas être un alpha. Elle perçut mon trouble.

— Tranquillisez-vous. Ce n'est pas impossible, mais plus difficile. Vous pouvez aller, vous installer sur le lit. Je vais vous examiner.

Je me levai. Pris d'un vertige, J-Hope me rattrapa et m'aida à me coucher. In-soon amena un drôle d'appareil, je la dévisageai, les sourcils froncés.

— C'est un échographe, il va me permettre d'observer à l'intérieur de ton ventre, me rassura-t-elle.

Elle disposa un gel visqueux sur mon abdomen et déplaça la sonde lentement. Le liquide était froid et je figeai mon regard sur l'écran. Quand d'infimes battements de cœur, nous firent tous fixer l'image. Il y avait un tout petit fœtus avec des minuscules mains et pieds. On aperçoit son minime cœur. Les larmes me montèrent aux yeux. J'allais être père...

— Félicitation. Vous allez être papa. Maintenant en vue de la situation, je vous suivrais pendant votre grossesse, me dit-elle d'un ton amical. Et toi, J, tu me dois un diner !

Je la remerciai et me rhabillai. J'avais plus qu'une chose en tête annoncé la nouvelle à Ji-min. In-soon nous raccompagna et nous salua. J-Hope était resté silencieux. Était-il fâché ? Je grimpai dans la voiture et caressai mon ventre. Je n'en revenais toujours pas. Un être grandissait en moi. Le monteur ronronna. Nous sortîmes du parking et prîmes l'autoroute. Est-ce que Ji-min sera heureux ?