Nous étions tous les deux très occupés et nous n'avions plus évoqué cette nuit-là. Pendant trois jours d'affilés, je n'avais que dormi et lorsque je me réveillai enfin tous les symptômes s'en étaient allés.

Une distance s'installa entre nous, depuis cette soirée. Suga ne me regardait plus dans les yeux, quand à moi je me reprochais de n'avoir pas pu résister à mon envie.

Je me jetai à corps perdu dans l'apprentissage des chorégraphies de Lee Bae-ja. Tout s'enchainait pour moi et mes doutes me prenaient par surprises à la nuit tomber. Je me réveillai trempé de sueurs et je peinai à savoir ou je me trouvais. Dans ces moments-là, seule la vision de mon ami sur le canapé me soulagea de mes chimères.

Je préparai pour le théâtre et refermai la porte, Suga était parti tôt pour le studio d'enregistrement. Le soleil éclaira mon visage de ses rayons, sa chaleur me faisait du bien et mon moral était bon. Je marchai tranquillement, j'avais le temps de profiter des rues de Séoul.

J'arrivai devant l'entrée, je me dirigeai au vestiaire pour me changer, tous les danseurs étaient déjà-là. Je ne mettais pas encore fait d'amis dans la troupe, je préférai rester sur mes gardes, évitant de tomber nez à nez avec ces deux hommes qui avaient eux des propos malsain à mon égard.

Aujourd'hui était le moment que je redoutai le plus : la pesée. J'angoissai tous les lundis, car si le chiffre n'était pas bon, mon rang d'étoile m'échapperait. Lee bae-ja arriva dans la pièce avec la balance sous son bras.

— Tous en ligne. De toute façon, vous y passerez tous, assura-t-il en plaçant le pèse-personne au sol.

Tout le monde fit la queue, je me situai en dernier. L'anxiété me remua le ventre.

Pourvu que je n'aie pas pris de kilos.

En même temps, je mange mal. La cuisine de Suga me manque.

L'individu devant moi avait fini. Je posai mes deux pieds nue sur le métal froid et l'aiguille bougea avant de se stabiliser. Lee Bae-ja leva un sourcil, nota le chiffre sur son cahier et ne dit rien.

Ça n'annonce rien de bon.

Il sortit pour se rendre dans les premiers rands, moi je marchai vers la scène pour m'échauffer.

La journée s'écoula comme de rien, entre enchainement et développements des chorégraphies. J'étais éreinté et n'aspirai qu'à une chose retrouvée mon lit. Une crainte naissait en moi.

Ai-je pris du poids ?

J'arrivai enfin au studio, il était tard et la fatigue fessait son bonhomme de chemin.

Suga demeura sur le canapé et devant lui se trouver de la nourriture. Il m'observa et un demi-sourire se dessina sur son visage, avant de dire clairement, cette phrase que personne ne veut entendre.

— Il faut qu'on parle !

— D'accord.

L'angoisse en serra ma gorge, les battements de mon cœur devinrent irréguliers. Je pris place au sol en face de lui. Je cherchai un contact visuel, mais il fixait les plats devant lui.

— Tu as mangé ? s'inquiéta-t-il en me tendant une assiette, que je déclinai en la reposant sur la table.

— Oui, j'ai mangé un truc vite fait en chemin. Je savais que j'allais rentrer tard.

Je répondis à la hâte, suspendue à ses lèvres dans l'attente de ses mots.

— Voilà, J-Hope me propose un appartement plus grand. Je pourrai, ainsi, rendre celui-là à mon ami Young-Jae.

Son visage était fermé, je ne pouvais lire en lui. Je me liquéfiai de l'intérieur.

— Je vois... C'est donc là que nos chemins se séparent, tentai-je de dire sans montrer mes émotions.

Je me relevai pour aller à la sale de bain, quand sa voix résonna.

— Non ! Tu viens avec moi. On aura chacun notre chambre, un grand salon et une sublime cuisine, énuméra-t-il avec joie en observant ma réaction.

Je restai stoïque, je n'étais pas sûr d'avoir bien entendu.

Il veut vivre avec moi ? C'est vrai...

J'exaltai, nous allions encore partager la même résidence. Tout ce qu'il disait avait l'air formidable. Un sourire illumina mon visage et je ne pus contenir mon enthousiasme.

— C'est génial.

— Donc tu viens avec moi ? chercha Suga à avoir une confirmation de ma part.

— Oh oui... surenchéris-je en riant.

Nous partions tous deux dans un fou rire.

La joie marqua mon être, alors que je repris le chemin pour la salle de bain. J'en levai mes vêtements et regardai mon corps. Je ne voyais que de la graisse, en me pinçant partout. J'étais gros, tout sauf le gabarit d'un danseur étoile. Je me dégoutai.

Comment puis-je prétendre au titre de vedette du spectacle avec une silhouette comme la mienne ?

L'eau ruissela sur ma peau, mes courbatures s'atténuèrent légèrement. Je me séchai et m'habillai à la hâte pour ne pas devoir poser mes yeux sur ma personne.

Lorsque j'entrai dans la pièce, Suga rangeait la table et préparait le canapé. Je l'observai du coin de l'œil, avant de me glisser sous les couvertures pour un repos bien mérité.

L'obscurité régna encore dans le ciel, alors que je sortais courir. J'avais pris la décision de me mettre au sport pour ainsi conserver ma place dans la troupe.

Il faut que je maintienne mon poids par tous les moyens possible.

Je rentrai après une heure à fendre les airs dans les rues de Séoul. Suga n'était plus là, il m'avait laissé une assiette. Je m'en saisis et la vidai dans les ordures ménagères. Je refermai le sac avant de le descendre aux conteneurs. 

À mon arrivée, tout le monde se trouvait sur scène pour les échauffements. Lee Bae-ja surveillait que tous les danseurs soient prêt pour lancer la répétition. Je n'avais eux que dix minutes pour me stimuler, avant de me lancer dans l'arène.

Les pas se succédèrent sans que j'aie le temps de tout assimiler. La figure suivante était un grand jeté.

Je m'élançai dans les airs, dans un faux mouvement, je perdis l'équilibre et me retrouvai à terre. Je mettais tordu la cheville et elle me faisait souffrir. Tous les regards se posèrent sur moi, je me sentais mal à l'aise.

Comment ai-je pu rater un enchainement aussi simple?

Je me relevai tout en m'excusant pour ma faiblesse. Lee Bae-ja monta sur l'estrade et vint à ma rencontre.

— Que t'arrive-t-il ?

— Je suis désolé. Je me suis déstabilisé, répondis-je les yeux baissés.

— Il va falloir que tu travailles avec acharnement. Car tu dois être au top, aucune erreur ne sera permise les jours de représentation. Tu comprends ? appuya Lee Bae-ja en déplaçant sur la scène, j'étais au plus mal quand il exigea. On recommence, tout le monde en rang !

La musique reprit, toute la troupe se positionna et démarra la chorégraphie. La faiblesse me gagna et je m'épuisai à vue d'œil.

Je dois tenir bon jusqu'à la fin de la mélodie.

Mon souffle était court et je retombai sur le sol en position assise.

J'ai réussi, enfin je l'espère.

Je visualisai mentalement tous les enchainements que je venais de faire. Mais mes doutes l'emportèrent, comme d'accoutumer.

Tous les danseurs partirent pour la pause déjeuner, ainsi que Lee Bae-ja. Je ne comptai pas les suivre, bien trop préoccupé par mon manque de justesse.

La scène était toute à moi et je voulais en profiter pour tout revoir, sans pression ni regard. Je me lançai à corps perdu dans la chorégraphie, volant tel un phénix dans l'air. Je m'affalai sur le sol froid pour reprendre ma respiration. Tout ce que je venais de réaliser me semblait nul et hors rythme.

Pourquoi, je n'arrive à rien de bon ?

Le chorégraphe était le premier à revenir, il m'observa et s'avança. Je me redressai au si sec.

— Tu t'entrainais ? Tu as bien fait. Tu es souvent en retard dans les pas, confirma-t-il tous mes doutes.

Son regard était froid et sa voix dure, il rajouta.

— Je ne voulais pas te le dire devant tous le monde, mais tu as pris deux kilos. Si cela continue, tu perdras ta place de danseur vedette.

Lee Bae-ja tourna les talons et se dirigea à son bureau, me laissant abattu.

Merde, je le savais ! Je ne suis bon à rien.

Je me maudis, révolté contre moi-même.

Pourtant ces derniers jours, je n'ai presque rien mangé. Comment puis-je prendre du poids ?

Ce n'est pas possible ! Je vais faire quoi, si je perds ma place ? Retourner dans la rue?

Non, c'est hors de question.

Le brouillas de la troupe me sortit de mes pensées.

L'après-midi se passa avec des remarques cinglantes à mon égard. La fatigue que j'éprouvais m'empêcher d'y voir clair et d'apprendre.

Quand j'arrivai à l'appartement, Suga dormait déjà. Je me faufilai tel un chat pour n'émettre aucun bruit. Je me dirigeai dans la salle de bain pour me laver. Je me fixai avec dégout dans le miroir, mon visage était gonflé et mon corps me semblait déformer.

Je ne peux pas laisser passer cette chance !

Je rentrai dans la douche, même l'eau tiède ne soulagea pas mes courbatures.

Une fois dans le lit, je me remémorai toutes mes erreurs en boucle.

Pourquoi faut-il que je gâche toujours tout ?

Je fermai les yeux sur mes reproches, les cauchemars marquèrent ma nuit à nouveau.

Les premiers rayons du soleil se posèrent sur ma tête, j'ouvris les paupières. Je me redressai et me retournai pour voir le canapé. Suga n'était plus là. Quand dans l'embrasure de la cuisine, je le vis. Son sourire illumina ses doux traits.

Il s'avança vers moi et prit place à mes côtés.

— On déménage la semaine prochaine, annonça Suga avec joie.

— C'était vrai ? Je suis content.

Je me laissai saisir par cette bonne nouvelle et affichai un visage radieux.

— Aller vient manger, m'invita-t-il, avant de se lever pour gagner la table.

— J'arrive.

Je ne pouvais décliner sa sollicitation et l'angoisse se décupla avec l'idée de trop me nourrir.

Quand je pris le chemin pour le théâtre, je me sentais léger.

Nous allons vivre ensemble dans un bel appartement rien que pour nous.

Mon cœur s'emballa à cette douce pensée.