Chapitre 6
La fin de l'année scolaire arriva beaucoup trop vite au goût de Gabriel. Il aurait aimé que le temps s'arrête. Mais, inexorablement, il se rapprochait du moment fatidique. Celui où il se séparerait de Noah. Il n'était pas prêt. Il angoissait à l'idée de voir son meilleur ami quitter Saint-Émilion.
Et sa mère prenait un malin plaisir à commenter matin, midi et soir ce futur départ. Victorine de Savignat exultait, en effet.
Deux jours après le début des vacances, Gabriel surprit une conversation entre ses parents. Ils se disputaient, encore. Selon Marceau, ils envisageaient de divorcer.
L'adolescent s'approcha à pas de loup du salon afin d'écouter la discussion houleuse. Sa mère semblait hors d'elle :
— Pierre, je me suis montrée tolérance jusqu'à présent. Mais ceci doit cesser au plus vite. Je croyais sincèrement que Gabriel s'éloignerait de ce garçon naturellement. Ils sont issus de deux milieux totalement différents, tu ne peux pas le nier.
— Victorine, voudrais-tu...
— Je n'ai pas terminé, Pierre. J'estime que notre fils a assez perdu de temps et qu'il doit se concentrer sur l'avenir. Je refuse qu'il continue à fréquenter un garçon comme Noah Castayre. Je ne tiens pas à me ridiculiser plus encore auprès de nos amis. Bon sang, Pierre, même si Gilles effectue un excellent travail, il fait partie de nos employés. Dieu merci, l'autre a été accepté dans une école privée à Paris. Il ne traînera plus à longueur de temps dans le domaine. D'après ce que j'ai compris, il reviendra lors de certaines périodes de vacances. Tu tâcheras d'emmener Gabriel ailleurs afin d'éviter tout risque de rencontre.
— Je te trouve excessive, Victorine. Puis-je savoir pourquoi tu en veux tellement à Noah ?
— Ce gosse entraîne toujours notre fils dans ses bêtises. Il a une très mauvaise influence sur Gabriel. Et l'image du domaine est en jeu. Nous sommes devenus leaders du marché grâce à notre réputation d'excellence et de sérieux. Je ne laisserai pas un garnement sans éducation venir tout gâcher. Je te rappelle également que nous avons une réunion importante la semaine prochaine avec de potentiels investisseurs. Nous avons besoin d'eux pour toucher de nouveaux marchés.
— Je suis au courant, Victorine. Nous discuterons de tout ceci plus tard. Je suis fatigué et j'ai encore quelques documents à examiner.
Gabriel avait toujours entretenu une relation conflictuelle avec sa mère. Ce qu'il venait d'entendre le mis dans une colère noire. Pendant plusieurs jours, il se montra particulièrement infect envers tous les membres de sa famille. Son attitude fut sévèrement sanctionnée par Madame de Savignat qui décida de priver son fils de vacances. Elle le contraignit également à passer plusieurs heures dans sa chambre à étudier. Quand il avait terminé ses leçons, il devait suivre son père dans les vignes jusqu'à une heure tardive. Loin de calmer Gabriel, ces punitions exacerbèrent sa colère.
À la mi-juillet, cependant, l'adolescent retrouva une certaine liberté. Sa mère lui annonça qu'il bénéficierait de deux journées de détente par semaine.
Ce matin-là, Gabriel crut qu'il allait enfin pouvoir retrouver Noah mais Victorine de Savignat doucha ses espoirs à la fin du petit déjeuner. Le visage rayonnant, elle se tourna vers son mari :
— Claude m'a confirmé que Gilles prend sa journée afin de conduire son fils à Paris. D'après ce que j'ai compris, les nouveaux élèves bénéficient d'un trajet d'intégration personnalisé afin qu'ils ne soient pas perdus le jour de la rentrée scolaire.
Gabriel blêmit. Il consulta discrètement sa montre. Il n'était pas encore neuf heures. Avec un peu de chance il pourrait s'éclipser jusqu'à la demeure de Noah avant le début de ses leçons. Cependant, comme si sa mère avait deviné ses intentions, elle s'adressa ensuite à son fils :
— Gabriel, j'ai engagé un professeur particulier afin qu'il t'apprenne les premières notions de gestion des entreprises. Il arrive dans dix minutes. Vous travaillerez dans la bibliothèque.
L'adolescent se leva en titubant. Il ne comprenait pas l'entêtement de sa mère. Ni sa haine pour Noah qu'elle ne cherchait même plus à dissimuler. Il chercha à croiser le regard de son père mais ce dernier était plongé dans la lecture de son journal. Le garçon songea un instant à laisser sa colère s'exprimer mais la présence de deux employés dans la pièce l'en dissuada.
Cependant, même s'il avait envie d'étudier, il refusait que sa mère continue de contrôler à ce point sa vie.
Alors que la leçon venait à peine de débuter, Gabriel prétendit à son professeur qu'il était malade. L'homme crut à sa comédie mais pas Victorine de Savignat. Elle se précipita dans la bibliothèque afin de sermonner son fils. Ce dernier se rendit alors aux toilettes du rez-de-chaussée et se força à y vomir son petit-déjeuner.
Sa mère l'y rejoignit, affolée :
— Oh seigneur Gabriel, que se passe-t-il ? Doux jésus, j'ai cru que...il faut appeler un médecin !
— Non, je...ça ira maman, murmura le garçon.
— Enfin Gabriel, tu es malade.
— Je vais aller dans ma chambre et me reposer.
— Je t'accompagne.
Après avoir rassuré sa mère, Gabriel attendit que cette dernière le quitte pour saisir son smartphone.
« J'ai appris que tu étais parti ce matin. Je regrette de ne pas avoir eu l'occasion de te dire au revoir »
Moins de cinq minutes plus tard, il reçut une réponse de son meilleur ami :
« Tu n'as pas à t'en vouloir. C'est ta mère qui exigé que je quitte le domaine le plus vite possible. »
« Je ne comprends pas pourquoi elle te déteste autant. Tu m'enverras un message lorsque tu seras arrivé ? »
« Bien sûr ! Et toi, tu as intérêt à me donner de tes nouvelles. Ce soir, je me créerai une adresse mail. Mes parents ont exigé que je leur écrive tous les jours. Gab' j'ai peur de me retrouver tout seul. Je pourrais t'appeler de temps en temps ? »
« Évidemment ! Noah, promets-moi de tout me raconter. Si ça ne va pas, je veux que tu m'en parles. Ne garde-pas tes problèmes pour toi, OK ? »
« Je vais essayer. »
Ils échangèrent encore quelques minutes avant que Gabriel ne dissimule son téléphone sous son oreiller lorsqu'il entendit la voix inquiète de son père résonner derrière la porte de sa chambre.
Le garçon discuta brièvement avec lui, le rassurant sur son état. Puis, il prétexta une grande fatigue afin de pouvoir rester seul.
Il passa la journée à réfléchir, à essayer de comprendre pourquoi sa mère agissait de telle façon avec lui et Noah. Il connaissait ses positions archaïques issues d'une éducation ultra conservatrice. Mais cela n'expliquait pas tout à ses yeux. De même, il s'expliquait difficilement l'attitude résignée et complaisante de son père.
Le soir venu, sa résolution était prise : ses parents avaient changé ces derniers mois et il comptait bien découvrir pourquoi.
À Paris, Noah inspecta d'un œil critique la chambre où il passerait normalement les trois prochaines années. Il s'attendait à une pièce austère et sommairement meublée. Il était loin de la réalité.
L'endroit se situait sous les combles et ressemblait plus à la suite d'un hôtel de luxe qu'à un pensionnat. Les lourdes poutres de bois au plafond, les murs en pierre et le mobilier ancien lui donnait l'impression d'avoir fait un bond dans le passé. Même s'il regrettait son départ précipité de Saint-Émilion, il appréciait ce qu'il voyait. La chambre était vaste. Elle disposait de sa salle de bain privative, d'un espace de travail et d'un coin salon. Noah découvrit également un balcon avec une vue imprenable sur le vaste parc. Il y avait pire comme logement.
Cependant, même si les bâtiments étaient agréables, il savait que dans quelques instants il serait seul.
Ne pas avoir eu l'occasion de revoir Gabriel avant son départ lui avait causé beaucoup de peine.
Heureusement, ils pourraient communiquer grâce au téléphone et à internet. Cela atténuerait un peu la distance.
Après la visite des lieux, Noah raccompagna son père jusqu'à l'entrée de la propriété. Il lui promit de l'appeler et de lui écrire régulièrement. Puis il gagna la pièce à vivre de l'internat. C'était un grand salon aménagé avec de confortables canapés, un billard, un baby-foot, une console de jeux vidéo et une télévision à écran plat. Il y retrouva Léo et Yanis, deux garçons qui intégraient, eux aussi, l'école. Ils avaient treize ans et semblaient mal à l'aise. Après des présentations maladroites, les trois jeunes donnèrent leurs impressions respectives au sujet de leur nouvel établissement. C'est ce qui permet de briser définitivement la glace entre eux.
Lorsque Noah gagna sa chambre après le dîner, il songea que les prochaines semaine ne seraient peut-être pas aussi difficiles qu'il l'imaginait. Léo et Yanis étaient sympathiques, de même que les cinq autres élèves avec lesquels il avait partagé son premier repas. Ils se comprenaient tous. Ils avaient vécu les mêmes problèmes et pour certains, se retrouver dans un pensionnat loin de leur famille représentait une véritable délivrance.
Comme promis, Noah livra ses premières impressions à Gabriel avant de se coucher :
« J'espère que je ne te dérange pas. J'ai rencontré plusieurs élèves aujourd'hui. Ils sont sympas. Mais ils ne te remplaceront jamais. Mon père m'a dit que je reviendrai à Saint-Émilion pour les vacances de Noël. Je vais compter les jours jusque-là. »
« Tant mieux. On sera très vite à la fin de l'année. Cinq mois, ce n'est pas si long. Comment est ta chambre ? »
« Trop cool. J'ai ma propre salle de bain, un petit salon, un bureau, un très grand lit. J'ai l'impression d'être dans un hôtel. L'internat possède aussi une salle de sport et une piscine intérieure. Par contre la déco...c'est pas terrible. »
« Ah non, pourquoi ?»
« Ce sont des meubles anciens. Le château date du dix-huitième siècle. Il n'y a que les salles de classe qui ne me donnent pas l'impression d'avoir fait un bond de deux cent ans en arrière ! »
« Et tu n'aimes pas ? »
« Je suppose que je m'y habituerai. Je dois te laisser, un surveillant passe à vingt-deux heures pour vérifier que nous dormons. Bonne nuit. À bientôt Gab'. Tu me manques. »
« Tu me manques aussi Noah. »
Ce soir-là, aucun des deux garçons ne trouva facilement le sommeil. Leur séparation brutale leur restait en travers de la gorge. Et Gabriel ne pouvait s'empêcher de songer à ces autres élèves que Noah côtoierait tous les jours. À nouveau, la jalousie le submergea. Le lendemain, il prétendit être encore malade et refusa de quitter sa chambre. Ainsi, il évitait d'exposer son désarroi aux yeux de tous.
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Mais quelle saleté de femme la mère de Gabriel hein ??? Oui oui ne niez pas, vous ne pouvez pas la sentir ! Je suis bien d'accord !
Première séparation pour nos deux amis. Merci le téléphone et internet qui leur permettront de garder le contact.
Mais...pensez-vous que la distance pourrait leur jouer de mauvais tours ?
(à moins que l'auteur....)
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