- XII - Reisen
Dans la calèche, Elenore inspira lentement. Un flot d'émotion l'envahissait. À la fois joyeuses et tristes. Elle était enthousiaste à l'idée de retrouver son père d'adoption, la maison du district de Yarckel, avec ses murs de chaux blanche et ses colombages en bois brun. Et puis, retrouver ses quelques connaissances, l'ambiance calme de ce district au sein du mur Sina, les rues propres et dallées.
Ses quelques amis au sein du district de Yarckel étaient les seuls, avec Pixis, qui lui avaient vraiment manqué. Elle n'aimait pas beaucoup les gens de la noblesse, arrogants et méprisants bien souvent. Et pire encore, il y avait les soldats des Brigades Spéciales qui donnaient l'impression de se pavaner, tout en ne faisant strictement rien de constructif ou d'efficace.
D'un autre côté, même si ces quelques semaines avaient une perspective de vacances, elle était attristée de quitter le Bataillon. Hansi et Egon, tout à leur couple, ne verrait sûrement pas le temps passer, et cela lui provoqua un léger pincement au cœur.
Elenore appuya sa tempe contre la vitre du véhicule. Ses cheveux châtains se défirent légèrement de son chignon mais elle n'eut pas l'envie de les rattacher. En soupirant, elle songea à sa plus grande déception. Celle de s'être disputée si sévèrement avec Livaï.
Certes, depuis quelques temps, il n'allait pas bien. Certes il avait perdu sa famille, ses proches. Mais était-ce une raison de se montrer aussi désagréable ?
Les pensées d'Elenore se firent plus négatives et une profonde rancœur lui prit la gorge. Quel enfoiré ! Il avait bien mérité son insulte !
Mais alors, elle pensa à sa peine et son chagrin. N'aurait elle pas été dans le même dans le même état si elle avait subitement perdu Egon et Hansi ? Elle soupira longuement. Peut-être avait-elle été un peu sèche ?
Sa gentillesse naturelle reprit le dessus et elle regretta de l'avoir insulté.
Combien de temps avait passé depuis qu'elle avait quitté le Quartier Général du Bataillon ? Une heure peut-être ?
Elle était fatiguée. Visiblement, son corps avait encore grandement besoin de repos. Son sac entre les pied, sa cape sur ses épaules et ses cheveux à moitié défaits, la tête appuyée sur le rideau qui encadrait la vitre, elle finit par s'assoupir, certaine que le cocher la réveillerait quand ils arriveraient au quai d'embarquement.
Environ une heure plus tard, la voiture s'arrêta en douceur et un léger coup se fit entendre à la portière de la calèche.
Elenore se redressa, frottant rapidement ses paupières ensommeillées. Assise sur la banquette, elle refit rapidement son chignon, rajusta sa cape sur ses épaules et prit son sac avant de sortir de la voiture.
Remerciant le cocher, elle le paya et se dirigea vers le bateau qui partirait dans quelques minutes. Un homme se tenait là, qui vérifiait que chaque passager payait bien son transport.
— Bonsoir Mademoiselle, quelle sera votre destination ?
Elenore sourit à l'homme blond qui se tenait devant une table où se trouvait les billets.
— Bonsoir, je me rends au district de Yarckel.
— Vous n'avez que ce bagage ? Demanda encore l'homme.
— Oui, je voudrais le garder avec moi, si cela est possible.
Il sourit largement.
— Oui, sa taille le permet. Tenez, voici votre billet. Je vous souhaite un excellent voyage !
Elenore sourit en retour à l'homme et lui souhaita une bonne soirée avant de monter le long de la rampe du bateau. Son bagage en main, elle remarqua le cocher qui attendait non loin de son véhicule, regardant dans sa direction. Il lui fit un geste de la main auquel elle répondit.
Une fois à bord, la jeune femme s'appuya au bastingage en grimaçant. Certains mouvements lui faisaient encore mal. Regardant pensivement son poignet toujours immobilisé par l'attelle, elle songea qu'elle s'en était plutôt bien tirée pour une première expédition où beaucoup avaient perdu la vie.
Le trajet se passa sans encombre. Les paysages des lieux dans lesquels le canal passait étaient très différents les uns des autres.
Deux ans auparavant, quand Pixis l'avait accompagnée pour se rendre aux inscriptions à la brigade d'entraînement, ils avaient fait la route sur la terre ferme.
Ce n'était que la deuxième fois qu'Elenore empruntait le canal pour se déplacer.
Le soleil commençait à décliner quand elle aperçut enfin le contour du district de Yarckel. Ses hauts murs cachaient encore pour l'instant les maisons et, songeuse, elle contempla la barrière de pierre lisse et froide. Qui avait construit ces murs ? Et comment ?
Pour construire des murs de cinquante mètres de haut, il fallait forcément être un ingénieur hors du commun ! Un tel homme existait-il seulement ?
La porte du district de Yarckel, donnant sur le canal s'ouvrit, permettant au bateau d'entrer.
Ils y étaient. Dans quelques minutes, elle pourrait enfin descendre et retrouver la terre ferme.
Les rayons du soleil, encore assez obliques, commençaient à disparaître derrière le mur et elle frissonna. Lorsque le soleil se couchait, la température diminuait rapidement.
Resserrant sa cape autour d'elle, elle tint plus fortement son bagage dans sa main indemne.
Lorsque l'immense bateau s'immobilisa, la rampe fut installée et plusieurs passagers commencèrent à descendre.
Les quelques marins, à bord du navire, saluaient ceux qui descendaient.
— Au revoir, Mademoiselle. Lui dit l'un d'entre eux, au regard vert profond et clair et à la barbe hirsute.
Elle lui sourit en le saluant de la main.
— Bonne soirée Monsieur.
Mettant le pied à terre, Elenore ne résista pas à l'envie de s'étirer. Posant sa valise au sol, elle tendit les bras au dessus de sa tête, et malgré la douleur dans sa cage thoracique, sentit sa colonne vertébrale craquer.
Davantage détendue, elle reprit son bagage en main, observant tout autour d'elle.
Quelqu'un devait-il venir la chercher ? Elle se souvenait du chemin pour rejoindre la maison de Pixis mais devait-elle plutôt attendre ici ?
Un peu indécise, elle resta immobile, s'interrogeant.
Alors qu'elle restait plongée dans ses pensées, une voix grave et chaude l'en tira.
— Elenore Brooke ?
La jeune femme se retourna en entendant cet appel et ses yeux s'écarquillèrent légèrement.
Un jeune homme se tenait là, droit et fier. Ses cheveux courts et blonds étaient soigneusement coiffés. Son regard bleu clair brillait sous des sourcils expressifs. Ses traits étaient volontaires et il était rasé de près. Grand, sa stature était celle d'un athlète et il avait plus d'une tête de plus que la jeune femme. Sa tenue, soignée, était mise en valeur par une veste de velours bleu nuit aux boutons d'argent.
Elle eut bien du mal à reconnaître en cet individu des traits familiers.
— Swen ?
Sitôt qu'il entendit la voix de la jeune femme, il sourit largement en se rapprochant d'elle et en lui saisissant les mains avec chaleur.
Si elle avait eu du mal à le reconnaître, c'était aussi son cas. Elle avait un petit peu grandi, mais pas beaucoup. Ses cheveux châtains étaient plus longs qu'avant, soigneusement attachés en un chignon. Ses yeux dorés étaient toujours aussi vifs et expressifs. Son visage était toujours aussi beau qu'autrefois, même davantage. Et puis, elle était devenue en peu de temps, une femme.
Il se put s'empêcher de se faire la réflexion que cette robe mettait en valeur ses formes mais se fustigea intérieurement.
— Elenore ! Je suis si heureux de te revoir !
Elle, spontanée, lâcha les mains de son ami pour l'enlacer. Bien que surpris, il passa ses bras autour de la taille de la jeune femme.
— Moi aussi, Swen ! Tu as tellement grandi !
Le jeune homme explosa de rire.
— Ce qui n'est pas vraiment ton cas !
Elenore prit la mouche :
— Hé ! J'ai pris cinq centimètres !
Leurs rires respectifs se mêlèrent et la chaleur de ce moment envahit le cœur d'Elenore.
Ils restèrent un moment ainsi avant qu'il se se sépare d'elle et lui prenne la main indemne en saisissant le bagage de son amie.
— Allons-y ! Je t'emmène chez le Commandant, il ne rentre que tard ce soir, alors je resterais un moment avec toi !
Elenore sourit, serrant les doigts de Swen en retour. Il savait qu'elle était en rémission.. Et comment ne pas remarquer l'attelle à son poignet ? Son air blême ? Mais elle l'interrompit, répondant joyeusement :
— Tant mieux ! J'ai une multitude de choses à te raconter !
Il avança vers une calèche confortable et s'y installa, Elenore s'installant à ses côtés.
— Depuis combien de temps ne nous sommes nous pas vus ? Demanda le jeune homme.
Elenore réfléchit un instant avant de dire :
— Et bien.. Six mois avant mon départ pour le sud, avant la brigade d'entraînement. Tu avais été envoyé par ta famille à Mitras pour terminer ta formation. D'ailleurs.. Est-elle terminée ?
Swen sourit :
— Oui, je suis diplômé depuis un peu moins d'un an ! Je suis depuis devenu l'assistant du gouverneur Roman Korn, le dirigeant de notre district. Pour le moment, je ne lui suis pas extrêmement nécessaire aussi, j'ai pas mal de temps libre !
Elenore s'en étonna :
— Ah oui ?! Je pensais que tu voulais intégrer l'armée..
Swen tourna le regard vers la fenêtre de la calèche où les rues défilaient.
— C'était le cas, oui. Mais depuis.. Mes parents ne m'ont pas laissé le choix.. Et puis, avec le temps, je me suis dit que si je devenais gouverneur à la suite de Roman Korn, je pourrais participer au développement de notre district.. Tu n'es pas sans savoir tous les problèmes qu'il y a ici.. Entre le marché noir et les esclaves.. Les pauvres qui vivent dans la misère.. Il y a fort à faire et j'aimerais pouvoir contribuer au bonheur de ces gens-là.
Le regard de Swen s'était éclairé, plein d'espoir tandis qu'Elenore le regardait avec un soupçon d'admiration.
Un silence passa durant lequel ils se regardèrent sans rien dire avant qu'elle ne finisse par détourner les yeux en disant :
— Ce sont de nobles aspirations. J'espère pour ce district que tu seras un jour gouverneur.
Le jeune homme sourit encore en pressant furtivement la main d'Elenore.
— Merci, Elenore.
Elle ne saurait expliquer pourquoi mais elle se sentait légèrement gênée en cet instant. Était-ce parce qu'il y avait longtemps qu'ils ne s'étaient pas vus ? Ou bien parce qu'ils avaient grandis ? Ou alors que Swen dégageait à présent une aura toute masculine qui la mettait un peu mal à l'aise.
Le silence qui s'allongea quelques secondes fut un peu embarrassant et quand elle se décida à parler, il en fit de même au même instant :
— Ah ! Et..
— Et que..
Elenore sentit ses joues s'échauffer.
— Pardon. Commence. S'excusa t-elle.
— Non, je t'en prie, à toi.
— Non vraiment, je te dirais plus tard.
Il esquissa un sourire un peu crispé en demandant :
— Et.. comment se sont passées ces années pour toi ? Je veux dire.. La brigade d'entraînement ? Et j'ai su que tu étais entrée au Bataillon, comment est-ce possible ?
La jeune femme passa une main nerveuse près de son oreille pour remettre une mèche de ses cheveux en place.
— L'entraînement s'est très bien passé, je me suis liée d'amitié avec d'autres personnes. Hansi Zoe, qui est complètement folle des titans mais que j'adore, Egon Steinsaltz, qui est un très bon ami, et aussi Furlan, Isabel et Livaï mais c'est compliqué.
— Compliqué ?
— Furlan et Isabel sont morts. Et Livaï.. Disons que nous sommes en froid.
— Morts ? Attend.. En froid avec Livaï ?! Qui est ce type ?!
Elenore replongea dans ses pensées et son visage s'assombrit.
— Au milieu de notre formation, le classement de la brigade d'entraînement a permis aux trois chefs d'armée de rencontrer les dix premiers. Nous en faisions partie avec Hansi et Egon. Et, le major Erwin nous a proposé comme une période d'essai au Bataillon que nous voulions rejoindre, puisque nos résultats étaient si bons. Finalement, nous avons définitivement quitté les brigades d'entraînement pour le Bataillon.
Elle inspira, se rappelant cet instant inestimable où, juchée sur le dos de son cheval, elle avait franchi avec le reste du Bataillon la porte du district de Shiganshina. La beauté du ciel, loin des murs, lui avait paru être la plus belle chose qu'elle n'avait jamais vu.
— Au même moment, le Bataillon a accueilli trois nouvelles recrues : Furlan, Isabel et Livaï. Nous avons, en leur compagnie perfectionné notre formation avant de partir pour notre première expédition il y a onze jours. Elle.. enfin. L'expédition ne s'est pas très bien passée. Beaucoup de jeunes recrues ont perdu la vie. Et parmi elles Furlan et Isabel. Et moi.. J'ai bien failli ne pas en revenir non plus.
Swen attrapa la main indemne d'Elenore pour la serrer dans la sienne.
— Grâce au ciel, tu en es revenue.
La jeune femme détourna encore les yeux, un peu embarrassée de soutenir le regard bleu et reprit :
— Oui. J'ai mis six jours à me réveiller et j'étais tellement épuisée que je me suis beaucoup reposée. Mais je vais vraiment mieux !
Conclut-elle en le voyant la regarder avec un air soucieux.
— Je dois juste bien me reposer ! Ajouta t-elle.
Swen, lui, soupira avant de dire :
— Je savais bien que c'était une mauvaise idée. Je ne doute pas de ton talent. Mais tu n'aurais pas du entrer dans l'armée et encore moins au Bataillon d'Exploration.
Elenore se renfrogna. Elle savait ce qu'il en pensait. Elle savait qu'il aurait préféré qu'elle n'aille jamais s'engager mais elle en avait toujours rêvé.
— Swen.. Entrer dans le Bataillon, c'était mon souhait le plus cher. Ni toi ni personne n'aurait pu rien y faire. Dit-elle en le regardant avec une pointe d'agacement dans la voix.
Le jeune homme cligna des yeux.
— Je sais, Elenore.
Le silence qui s'installa fut vite rompu par le cocher qui arrêtait la calèche devant la belle bâtisse qui appartenait à Dot Pixis.
— Nous sommes arrivés. Dit alors Swen.
Il ouvrit la porte et sortit le premier de la calèche avant de saisir le bagage de la jeune femme et de lui tendre sa main pour la faire descendre.
Elle accepta son aide, ses côtes étant redevenues douloureuses à cause des longs trajets de la journée.
La voyant grimacer, il ne put s'empêcher de l'assister au mieux. Il passa un bras autour de sa taille pour bien la soutenir et la regarda avec compassion.
— Est-ce que ça va aller ? interrogea t-il.
Elle hocha la tête.
— Oui, merci Swen.
Elle leva les yeux vers la maison qui avait été la sienne pendant près de quatre ans. La lune éclairait la façade blanche recouverte d'une glycine aisément quarantenaire. En souriant tristement, elle se remémora une foule de bons souvenirs avant de murmurer :
— Rentrons.
Il acquiesça et frappa le battant de la porte du poing, attendant que quelqu'un vienne leur ouvrir.
La porte s'ouvrit sur un homme qui approchait de la soixantaine. Ses cheveux gris, nombreux et longs, étaient soigneusement attaché à l'aide d'un ruban noir. Son habit, noir et blanc, était sévère mais son visage âgé exprimait à lui seul toute la gentillesse du monde. Ludwig Tangeman était le majordome de Pixis depuis de longues années, et avait lié une forte complicité avec Elenore.
— Mademoiselle Elenore ! Quelle joie de vous revoir !
Il souriait largement, et, tout à sa joie, cria :
— Elina, Miriam, Carl ! Elenore est arrivée !
Les trois autres domestiques de la demeure se présentèrent dans l'entrée au moment ou Swen débarrassait Elenore de sa cape.
Elina était jeune, à peine vingt trois ans, et s'occupait du ménage. Brune, ses yeux noirs étaient vifs et joyeux. Son visage fin était souriant.
Miriam était l'épouse de Ludwig et ses cheveux blancs coupés au niveau de ses épaules étaient épais. Son visage rond et ridé encerclait des yeux vert perçants.
Quant à Carl, il devait avoir la quarantaine et ses folles boucles rousses retombaient sur son front haut, surplombant un regard bleu.
Leurs visages ravis contemplaient la jeune femme qu'ils avaient plaisir à revoir.
— Avez-vous fait bonne route ? Interrogea Elina.
Elenore sourit à la femme de ménage.
— Oui, excellente.
— N'êtes-vous pas trop épuisée ? Je vous ai préparé un bon repas pour Monsieur Lauer et vous. Ajouta Miriam.
— Et votre chambre est déjà prête, vous pourrez l'investir dès la fin du dîner. Acheva Ludwig.
Elenore eut un sourire pour tous et les remercia.
Miriam leur somma de rejoindre la salle à manger où le feu était allumé, rendant la pièce chaleureuse malgré l'obscurité extérieure.
S'installant à table, Elenore savoura le confort de sa chaise, la bonne température de la pièce et ses narines étaient déjà comblées par les exquises odeurs qui provenaient des plats posés sur la table.
Ce fut le meilleur repas qu'elle prit depuis, lui semblait-il, une éternité. Une pièce de viande accompagnait des pommes de terres et des légumes frais. Une soupe riche ouvrait le repas tandis qu'une pâtisserie dont elle ignorait le nom le terminait.
Ils se régalèrent, continuant à discuter, tantôt avec Swen et Elina, tantôt avec Ludwig.
Elenore était contente de les revoir.
Trois heures plus tard, après un bon bain chaud, Elenore se glissa sous ses draps fins, son dos appréciant la douceur de son lit. Elle s'endormit, faisant dans son esprit le vide le plus total.
Ce ne sont que deux heures plus tard que Pixis, revenant de sa réunion, passa la tête dans la pièce pour voir si elle dormait.
Il sourit en entendant sa respiration lente et apaisée. Désireux de la voir dès le lendemain, il rejoignit sa chambre et ne tarda pas, lui non plus, à s'endormir.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top