- X - Obskuren
Après leur discussion, les trois amis, dont le couple nouvellement formé, se rendit dans les dortoirs. Elenore ne fut pas en reste. Elle n'aimait pas l'infirmerie, elle n'avait jamais aimé ce genre d'endroit. Ces murs blancs, désinfectés, cette ambiance, tout lui rappelait dans cet environnement le décès de sa mère de nombreuses années auparavant.
'Je suis désolée.. de te laisser seule. Pardonne moi.'
C'était sur ces mots, d'une voix faible et étouffée qu'elle avait rendu l'âme, abandonnant sa fille unique.
Le visage d'Elenore devait s'être assombri, puisque Egon, penchant la tête sur le côté, demanda :
— Tout va bien Elenore ? Tu es encore fatiguée ?
— Ce n'était peut-être pas une bonne idée de sortir si tôt de l'infirmerie.. Murmura Hansi.
À l'entente de ces mots, Elenore se renfrogna et croisa ses bras sur son torse.
— N'importe quoi ! Je vais très bien et en plus vous croyez vraiment que j'allais rester allongée à ne rien faire ?!
Hansi eut un sourire en coin.
— Il est vrai que cela ne te ressemble pas
Egon sourit lui aussi et regarda Hansi :
— On se retrouve après ? Je voudrais aller me doucher.
La brune acquiesça.
— Oui moi aussi. Et toi Elenore ?
La châtain fit une moue dégoûtée.
— Je voudrais bien me laver aussi. J'ai l'impression de puer à trois kilomètres à la ronde.
Hansi lança un regard amusé à Egon.
— Ah mince, Egon, on dirait bien qu'elle s'en est rendue compte..
— Nous qui voulions lui épargner cette cruelle réalité ! Ajouta Egon en souriant de plus belle.
Elenore écarquilla les yeux, faussement furieuse.
— Dites-donc vous !
— Tu crois que si on la balançait dans la rivière elle sentirait moins mauvais ?! Demanda innocemment Egon.
— Oh non, je pense qu'elle polluerait l'eau et même que les poissons en mouraient. Renchérit Hansi en haussant les épaules, l'air désabusé.
Elle avait dit ça avec tant de sérieux qu'Elenore fut étonnée.
— Je sens si mauvais que cela ?!! Interrogea t-elle, le doute l'assaillant.
Egon se pinça le nez, ignorant sa question, comme pour s'épargner une odeur nauséabonde.
— Hélas.. Ces pauvres poissons.. Ils ne seraient même plus comestibles après cela !
— Je suis certaine qu'elle pourrait même donner une indigestion à un titan s'il l'avalait ! Assura Hansi avec emphase.
— Oh mais tu as bien raison !
Egon parut réfléchir et pris un air où transparaissait une compréhension totale du monde avant d'ajouter :
— En fait, c'est peut-être ça la solution !
— Il faut la découper en petits morceaux et la donner à bouffer aux titans ! Continua Hansi avec un air dément cette fois-ci.
Elenore était scandalisée.
— Vous êtes pas sérieux j'espère ?!
L'air offusqué de la châtain déclencha les rires de ses amis qui se plièrent en deux, les larmes aux yeux.
Elenore, plantée là, restait bouche bée avant que finalement Hansi, un peu plus calmée, finit par la regarder :
— Mais non patate ! On plaisante ! Répondit Hansi en riant.
— Enfin, sauf pour l'odeur ! Susurra Egon.
Sur ces derniers mots, il s'enfuit en courant dans le couloir, semant Elenore et Hansi qui le poursuivirent quelques secondes.
— On se retrouve au dîner, ça marche ? Lança Egon de l'autre bout du couloir.
Les filles répondirent par l'affirmative avant de rejoindre leur chambre afin prendre leur affaires pour se laver.
Elenore, plantée devant son armoire, hésitait sur la tenue à prendre. Optant finalement pour l'uniforme, elle songea avec bonheur qu'elle allait quitter cette horrible tenue qui sentait la sueur passée de plusieurs jours.
Sans attendre Hansi, elle se précipita dans la salle d'eau et entra dans une des cabines après avoir rempli trois seaux d'eau fraîche.
Il faisait assez chaud et elle voulait se débarrasser de cette sensation fiévreuse qui l'assaillait depuis quelques minutes.
Renversant au dessus de sa tête le premier seau, elle savonna avec application ses cheveux, les rendant presque immédiatement souples et brillants. Puis, en mouillant son corps, elle se lava entièrement.
Quand elle se sécha, elle se sentait un peu plus propre mais la sensation fiévreuse n'était toujours pas passée et elle frissonna à cause de ses cheveux trempés.
S'habillant promptement, elle ne tarda pas à se réchauffer un peu mais cela ne suffisait toujours pas à enlever l'engourdissement qui prenait sa tête.
Elle refit son attelle avec les morceaux de bois et des bandages propres et ressortit de la pièce avant de rejoindre le réfectoire.
Hansi et Egon y était déjà installés, côte à côte et lui firent signe.
— Elenore ! Ici !
La châtain sourit et attrapa une cuillère et une écuelle, la remplit avec la bouillie, attrapa un morceau de pain et un verre et rejoignit ses amis, s'asseyant avec eux.
— Je pense partir demain rejoindre Papixis. J'ai hâte de le revoir et puis, honnêtement, je sais que lui me surveillera en permanence. Me connaissant, je ne respecterai jamais mon temps de rémission et de rééducation.. Pauvre Magdalene.. elle pourrait en voir de toutes les couleurs avec moi.
Les visages d'Hansi et Egon parurent soudain mi effrayés mi amusés.
— Qu'est-ce qu'il vous prend ?
Maintenant qu'elle pensait, un silence inhabituel régnait dans la pièce. Les visages de tous étaient tournés vers elle, ou plutôt vers un point derrière elle. Une sorte d'atmosphère tendue lui serra soudain sa gorge.
Une voix sévère résonna derrière la jeune femme qui sursauta brusquement :
— Oh, vous m'en faîtes déjà voir de toutes les couleurs, Elenore !
La châtain se figea, et, blême, elle se tourna lentement. Depuis quand était-elle là ?
— Magdalene ! Je suis contente de vous voir, je vais tout vous expliquer ! Dit-elle précipitamment.
L'infirmière rousse, l'air furieux, tenait ses poings sur ses hanches, et était penchée sur Elenore qui ne faisait pas la fière. Elle était effrayante. Ses cheveux semblaient de feu, et son regard transperçait de part en part le corps de la jeune femme qui était assez apeurée. Qui aurait cru que la gentille Magdalene soit aussi flippante ?
— PUIS-JE SAVOIR QUI VOUS A AUTORISÉ À QUITTER VOTRE LIT ??!!
Sa voix, enflait, furieuse, dans la pièce pleine d'oreilles attentives.
Elenore, pas rassurée néanmoins, et nerveuse, tenta un brin d'humour pour détendre l'atmosphère et tendit ses bras en devant d'elle :
— Euh.. Moi-même ?!
Plusieurs rires retentirent dans la pièce et Elenore capta du regard l'air amusé du major Erwin. Elle ne rêvait pas.. elle venait de le voir sourire ?!
Mais Magdalene n'était pas ravie de cette réponse. Mais alors pas satisfaite du tout. Le visage rouge, elle attrapa Elenore par le col de sa veste et la souleva du sol avant de la secouer comme un prunier :
— J'ai passé des heures à vous chercher dans tout le quartier général !
Elenore, étourdie, eut l'impression qu'elle allait vomir ses trippes.
— Laissez-moi vous dire, ma belle, que vous finissez votre déjeuner et vous retournez immédiatement à l'infirmerie. Me suis-je bien fait comprendre ?
Elenore, profitant du fait que Magdalene avait enfin cessé de la secouer, hocha la tête :
— C'est.. très clair, Magdalene. Très clair.
Une goutte de sueur parcourut la tempe de la jeune femme, finissant par échouer dans son cou.
L'infirmière lâcha Elenore qui tomba sur les fesses au sol et sortit de la pièce alors que la châtain passait mécaniquement sa main sur son derrière.
— Aïe..
Aussitôt que la porte claqua derrière Magdalene, des rires retentirent franchement tandis qu'Elenore honteuse, regardait la porte, hébétée.
C'est Erwin qui la sauva de cette situation fâcheuse. Il se leva et lui tendit la main pour la relever.
— Heureusement que vos blessures ne concernaient pas tes hanches, Elenore.
Elle acquiesça en silence, se rasseyant sur son banc.
— J'imagine que je l'ai bien mérité..
Erwin eut un fin sourire. Il sourit à cette jeune femme si prometteuse et murmura :
— Quand Magdalene vous laissera un instant, venez dans mon bureau, j'aurai à vous parler.
Elenore redevint immédiatement sérieuse et acquiesça.
— Bien, Major.
Puis le blond se tourna vers le reste des occupants du réfectoire et prévint :
— Retenez, chers soldats, qu'il faut éviter de contrarier notre très chère infirmière, à moins que vous ne soyez prêts à en assumer les conséquences ultérieures..
Elenore regarda le major s'éloigner et elle eut encore cette fois l'impression qu'il portait toute la misère du monde sur son épaule. il avait pourtant souri tout à l'heure.. Pourquoi ses yeux.. Avaient-ils l'air si tristes ?
Le grand blond ne tarda pas à achever son repas et quitta le réfectoire seul, sans le moindre bruit.
Peu à peu, le réfectoire redevint animé et à nouveau, les conversations fusaient dans tous les sens. Elenore, assez silencieuse, mangeait son déjeuner avec plus ou moins d'appétit.
— Tu mangeras ton pain ? Demanda Egon, affamé.
— Non non, vas-y, prend le. Répondit Elenore, ne manquant pas le regard désapprobateur d'Hansi.
Achevant son repas, Elenore se leva du banc et regarda ses amis.
— J'y vais. On se voit plus tard ?
Egon hocha la tête et Hansi adressa un sourire éclatant à la jeune femme.
— Bon courage face à ta tortionnaire !!
— Aha.. C'est drôle.. Marmonna Elenore en tournant le dos à la salle.
Marchant dans les couloirs, pour se diriger vers l'infirmerie, un mal de tête vint enserrer son crâne et elle vacilla brutalement.
Il n'y avait personne dans les couloirs. Tout le monde devait être soit dans sa chambre, soit au réfectoire. Malgré l'heure -il devait être près de quatorze heures-, le ciel s'était assombri, et d'immenses nuages noirs empêchaient les rayons du soleil de pénétrer dans le couloir au travers des fenêtres. Pour cette raison, quelqu'un avait dû allumer les torches du couloir afin que l'on puisse y voir plus loin que ses pieds.
S'approchant du mur, elle posa sa main dessus et remarqua la fraîcheur de la pierre. Soupirant intérieurement, elle appuya son front sur la surface froide.
Je dois encore être faible.. Ou alors, j'ai un peu de fièvre.. Songea t-elle en inspirant lentement.
Un instant passa, et, les yeux fermés, elle se rendit à l'évidence. Elle était épuisée et se reposer était devenu primordial. Se détachant du mur, elle hâta le pas.
Alors qu'elle tournait à un coin de couloir, elle heurta violemment un obstacle qui se trouvait là.
Ledit obstacle la regarda tomber sur son séant sans la moindre expression et soupira en tiquant d'agacement.
— Tch. Sérieux. Tu peux pas faire gaffe à où tu marches ? T'es pas devenue aveugle à ce que j'sache non ? Alors ouvre les yeux, idiote !
Elenore, qui avait reconnu la voix avait levé la tête avec étonnement vers son interlocuteur.
Le regard gris acier qu'elle croisa la tétanisa. Livaï était froid. Si froid qu'elle sentait ses membres comme se geler de l'intérieur.
Une seconde passa durant laquelle ni l'un ni l'autre ne broncha et où leurs regards se fixèrent.
Puis il souffla, eut un rictus de déplaisir et la dépassa sans dire un mot.
Elenore se releva précipitamment, le sang montant violemment à sa tête et lui provoquant un vertige soudain. Tendant la main vers lui, elle l'interpella.
— Attend ! Livaï ! Je voulais justement te voir ! Je voulais..
Mais il lui coupa la parole, se retournant juste pour la foudroyer du regard.
— Pas la peine.
Un silence régna quelques secondes qui parurent écraser de tout leur poids Elenore qui ne comprenait pas ce qui se passait.
— Mais.. Je.. Essaya t-elle.
— Garde ta salive pour les autres, moi je n'ai aucune envie de perdre mon temps à te parler. J'ai mieux à faire.
Puis il tourna les talons sèchement et s'en alla à pas vifs.
Elenore resta interdite. Certes, Livaï n'avait jamais été très chaleureux mais là.. Sa gentillesse frôlait le néant. Elle se souvenait pourtant d'une ou deux fois où elle l'avait vu sourire, ne serait-ce qu'en coin !
Mais là, il était sévère, le visage fermé, les traits durs et les yeux perçants. Le Livaï qu'elle avait un moment côtoyé, qui était presque devenu son ami n'était plus là.
Perdue, et un peu triste de ce constat, elle marcha en silence dans le couloir sombre. Le parquet grinçait légèrement et les torches, réparties régulièrement sur les parois, éclairaient le visage blafard de la jeune femme.
Quand, après quelques minutes, elle arriva à l'infirmerie, Magdalene lui ouvrit la porte et se radoucit soudain en voyant son air peiné.
— Vous avez l'air épuisée, Elenore. Je ne veux pas de protestations, vous allez au lit sur le champ !
La jeune femme n'avait de toute façon qu'une envie, se débarrasser de ce mal de crâne atroce qui lui déchirait les tympans depuis environ une heure et demie.
Quand elle fut, en pyjama, dans son lit, Magdalene tira les rideaux, pour plonger l'infirmerie dans l'obscurité quasi totale et lui apporta une infusion après avoir allumé une bougie sur la table de chevet d'Elenore.
— C'est de l'écorce de saule.. Pour les douleurs. Avec un peu de miel. Dit-elle en tendant le bol à la convalescente.
Elenore releva son visage vers l'infirmière. Dans l'obscurité, seule la chaude lumière de la bougie éclairait le visage de l'infirmière de sa lueur orangée si douce.
— Merci Magdalene. Et pardon pour tout à l'heure.
La rousse sourit en coin.
— Ne vous en faîtes pas, c'est vite oublié, à condition que vous ne recommenciez pas !
Elenore hocha la tête et approcha le bol de ses lèvres. La boisson était brûlante et, perdue dans ses pensées, elle but une gorgée avant de réaliser qu'elle venait de se bruler la langue.
Elle perçut près d'elle un léger rire et se tourna en grimaçant vers l'infirmière.
Magdalene ajouta :
— Faîtes attention, c'est chaud.
Elenore n'eut pas la force de la remercier ni même de râler et se contenta de souffler sur le liquide afin de le refroidir. Ses papilles endommagées lui procuraient une désagréable sensation en bouche.
Dans son esprit, les éléments de ces quelques heures tournaient en boucle. D'abord Papixis, puis Egon et Hansi, puis la réprimande de Magdalene et l'air peiné d'Erwin. Et pour finir.. La froideur de Livaï..
Une multitude de sentiments contradictoires l'animaient et elle se sentait bien trop fatiguée pour y réfléchir plus longtemps.
Elle posa le bol sur la table chevet, réalisant à ce moment que Magdalene l'avait laissée seule.
L'obscurité apaisait son mal de tête. Magdalene l'avait-elle remarqué ? Sûrement. Elle était, selon les dires des soldats du Bataillon, la meilleure infirmière qu'ils aient jamais eu.
Un fin sourire parut sur les lèvres fines d'Elenore qui approcha son visage de la bougie pour souffler la flamme.
S'allongeant et posant sa tête sur l'oreiller, elle huma l'odeur si particulière de la bougie éteinte. Elle aimait cette odeur. Cela lui rappelait de bons souvenirs. Des souvenirs où sa mère était encore là pour veiller sur la petite fille qu'elle était alors.
Ses paupières, lourdes de fatigue, ne tardèrent plus à se fermer doucement. Elle finit par s'endormir tout à fait, l'image obsédante d'un Livaï aigri régnant dans son esprit.
***
— Comment va t-elle ? Demanda t-il à la rousse qui lui sourit.
Magdalene regarda le Major qui venait de lui parler.
— Bien, compte tenu de ce qu'elle a vécu. Elle doit encore être assez faible. Je pense que la proposition de Pixis est une excellente idée. Cet homme là a du bon sens, il saura veiller à ce qu'elle respecte sa convalescence.
— Ainsi cela ne vous pose aucun problème ? Demanda encore Erwin.
— Non, aucun. Elle peut partir dès demain si elle est assez en forme pour supporter deux heures de calèche.
Le blond s'assit dans son sofa gris, arborant un air pensif.
— Tant mieux alors.. Nous aurons besoin d'elle. Le Bataillon aura besoin d'elle. Il faut qu'elle soit parfaitement remise.
Soupirant, Erwin passa une main lasse sur son visage.
— Et avez-vous vu Livaï ?
— Ah, lui.. Non, il évite soigneusement de me croiser.. Nous ne devons pas trop nous en faire. Il est normal qu'il réagisse ainsi.
— Je suis soucieux, Magdalene. Fynn le trouve changé, et je reconnais qu'il n'a pas tort. C'est comme si.. comme s'il était habité par quelqu'un d'autre. Il paraissait plus vivant avant.
Magdalene osa s'asseoir à côté d'Erwin et posa timidement une main sur son bras gauche.
— Erwin.. C'est normal. Laissez-lui du temps. Tout rentrera dans l'ordre.
Le blond releva ses yeux bleus vers l'infirmière et la remercia.
— Merci, Magdalene.
***
Dans la pièce obscure, la jeune femme dormait profondément, l'air serein. Le battant de la porte en bois grinça quand quelqu'un l'ouvrit avec précaution. L'individu entra, et, profitant de la faible lumière qui éclairait le lit, il s'approcha et s'assit un moment sur le bord du lit.
De ses yeux perçants, il jaugea du regard la forme endormie. Il ne regrettait pas de s'être montré si véhément tout à l'heure mais il ne savait pourquoi, ses pas l'avaient mené jusqu'ici. En silence, il vit la poitrine de la jeune femme s'élever puis s'abaisser.
Elle était vivante. Elle vivait, Elle. Soudain, il comprit pourquoi il éprouvait tant de ressentiment à son égard. Elle avait survécu quand sa seule famille avait péri. Et il ne pouvait pas se faire à cette idée.
— Tch.
Se levant dans un accès de colère, il se leva et quitta précipitamment la pièce, refermant soigneusement la porte.
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