- IV - Ausruhen

La nuit était tombée depuis longtemps, et le ciel, d'un noir d'encre, sublimait la lueur douce des étoiles du dôme céleste.

Le chef du Bataillon d'exploration, le major Erwin Smith, regardait les jeunes recrues qui voulaient rejoindre le Bataillon.

Avec un soupir, il leur fit un signe de tête avant de dire :

— Allons discuter dehors.

Les quatre jeunes suivirent Erwin qui ne devait pas être beaucoup plus âgé qu'eux.

Une fois dehors, le blond tourna la tête vers le ciel. Oui. Le temps était splendide et la lune, pleine, éclairait sans peine la cour de terre battue qui s'étendait à leurs pieds.

Elenore le regarda attentivement, le détaillant.

Le major Erwin était grand. Beaucoup plus grand qu'elle. Ses épais sourcils surmontaient des yeux bleus à l'intensité certaine.

Alors qu'elle le fixait du regard, Elenore s'interrogea soudain sur son rôle au sein du Bataillon. N'était-il pas trop jeune pour être Major ?

Elle avait 16 ans. Et Erwin devait en avoir 20 ou 21.. Quelles circonstances avaient poussé Erwin à endosser cette lourde responsabilité ?

Le major finit par toussoter en sentant le regard insistant de cette jeune fille.

Elenore détourna les yeux, s'excusant à mi-voix.

La prestance qu'il dégageait forçait l'admiration des aspirants au Bataillon. Il inspira avant de dire doucement :

— L'instructeur Shadiz vous a expliqué en quoi consistait cette.. nouveauté. Dans les prochains mois, vous allez être amenés à côtoyer les membres du Bataillon.

— Un peu comme.. un stage ? Interrogea Niels.

Le major hocha la tête.

— Oui, comme un stage. Vous ne pourrez pas participer aux expéditions extramuros mais en contrepartie, vous serez invité à participer aux entraînement, et on vous confiera quelques missions.

Les quatre plus jeunes regardaient leur aîné, écoutant attentivement ce qu'il disait.

Le chef du Bataillon finit par les regarder tour à tour avant de dire :

— Ce que je vous demande, ce soir, c'est de vous présenter succinctement chacun votre tour et de me dire quels sont vos projets pour l'avenir, quels sont vos rêves, quelle est la raison qui vous pousse à rejoindre le Bataillon.

Erwin soupira intérieurement. Il savait que s'attacher à ces recrues finirait par le faire souffrir mais il était ainsi. Il ne pouvait pas envisager de considérer ses soldats comme une simple assemblée de personnes anonymes.. Comme une foule de visages différents, camouflés derrière un même uniforme.

S'il refusait de connaître leurs noms, leurs rêves, leurs espoirs, ce serait comme s'ils refusait de reconnaître que chacun était un être à part. Comme s'il ne les voyait que comme des personnes remplaçables. En somme, comme s'ils n'étaient que de la chair utile à appâter les titans.

Quitte à pleurer dans ses moments de solitude, quitte à toujours voir leurs regards pesants sur lui, quitte à ne plus pouvoir supporter le poids de leurs jours perdus, il préférait encore ne jamais les oublier.

Il regarda les jeunes tour à tour avant de murmurer :

— Qui veut commencer ?

Niels leva timidement la main. Le major darda son regard bleu sur le jeune homme. Le jeune en question avait un regard intense, à cause de ses pupilles à l'aspect rougeâtre. Ses cheveux noirs, en bataille, camouflait son front et contrastait avec sa peau si blanche que l'on eu dit celle d'un vampire. 

— Quel est ton nom ? Demanda Erwin doucement. 

Il était un jeune assez refermé, ne côtoyait quasiment personne, à l'exception faite de Loreen Brahm, une jolie brune à l'air délicat. 

— Je m'appelle Niels Lazte. Je veux rejoindre le Bataillon pour me rendre utile. Je pense que le meilleur moyen pour cela c'est d'aller exterminer les titans à l'extérieur des murs.  

Le major acquiesça lentement, laissant le jeune continuer. 

—Je viens d'une humble famille au nord du district de Trost. Mes parents n'étaient pas pour mon entrée dans l'armée mais je préfère toujours ça au métier qu'ils me destinaient. Mon rêve.. Je rêverais que mon jeune frère me rejoigne à l'armée.

Elenore l'observa furtivement. Il paraissait assez froid dans sa manière de parler mais au fond de ses yeux, brillait une étrange lueur. 

Erwin le remercia et sourit en regardant Hansi. 

— À toi !

La brune sourit. Le blond lui était sympathique. 

— Je suis Hansi Zoe. Je suis orpheline, mes parents étaient scientifiques et sont morts lors d'une épidémie. Je n'ai plus de parents en vie mais je considère l'armée comme ma nouvelle famille. Mon rêve, c'est d'intégrer le Bataillon d'exploration pour mener des recherches sur les titans. 

Là, le major tiqua. 

— Des recherches ? 

Le regard d'Hansi s'illumina et Elenore savait qu'elle pourrait exposer ce projet des heures entières. Mais sûrement n'oserait-elle pas parler autant devant le major. 

— Oui. Il faudrait faire des expériences, pour connaître mieux les caractéristiques des titans.. Pour découvrir les points faibles qu'ils peuvent avoir..

Le blond la regarda avec un semblant de sourire. 

— Tu me fais beaucoup penser à une de mes collègues, Ida Herberger. Elle essaie de mettre au point une unité de recherche au sein du Bataillon. Je lui parlerais de toi, tu pourras sûrement la rencontrer. 

Les yeux bruns d'Hansi pétillèrent de joie. 

— J'en serais ravie ! 

Erwin souriait en coin. Elle était intéressante cette recrue. 

Le blond tourna son regard vers Egon et lui demanda :

— Comment t'appelles-tu ? 

— Egon Steinsaltz. Je suis entré à l'armée pour aider mon père. Enfin.. la vérité c'est que nous ne vivions que tous les deux et que suite à un accident, il a perdu son travail. Il se débrouillait comme il le pouvait mais je devais trouver un moyen de subsister à mes besoins et de l'aider un peu. Mais avec le temps, j'ai réalisé je me plaisais ici. Alors je compte bien faire de mon mieux pour que mon père soit fier de moi, en étant le plus utile possible à l'armée. 

Le major Erwin plongea ses yeux dans le regard azur d'Egon. Sous son apparence folle, Egon dégageait d'une douceur sans égale. Sa bonté devait sûrement être exemplaire. 

Pour finir, le chef du Bataillon se tourna vers la dernière recrue. 

— Et toi ? 

Il fut immédiatement saisi par l'étrange teinte des prunelles d'Elenore. Deux orbes d'or pur qui semblait briller d'un éclat sans faille. 

— Je m'appelle Elenore Brooke. Je suis.. orpheline et j'ai été recueillie par Dot Pixis, il y a cinq ans. Je souhaite rejoindre le Bataillon pour réaliser mon rêve. 

En une fraction de seconde, Erwin eut l'impression qu'une flamme s'allumait dans le regard de la jeune fille. 

— Je veux être libre. Tout ce que je veux c'est.. la liberté, l'infini, le monde qui s'étend au-delà de nos murs dans lesquels l'humanité croupit jour après jour ! Je veux libérer l'humanité des murs qui l'oppressent !

Le major ne retint pas un pouffement léger. 

Elenore afficha un regard surpris, voire un peu agacé. 

  — Pardon, Elenore. Je ne me moquais pas. Je suis surpris par ton ambition c'est tout. 

Le regard d'ambre sembla s'assombrir, aussi, il ajouta :

— Poursuis ton objectif.. Et tu iras loin, Elenore. 

Là, la jeune fille ne put camoufler la légère rougeur qui envahit soudainement ses joues. 

Hansi et Egon se moquèrent gentiment d'elle tandis que Niels les regardait sans rien dire. 

Le major esquissa un sourire. Ces recrues étaient vraiment intéressantes. Surtout ces trois là. Et leur niveau était vraiment bon en plus de cela. 

— Je suis heureux de faire votre connaissance.. et je serais vraiment fier que vous choisissiez le bataillon dans un an et demi, quand vous devrez faire votre choix. C'est avec un immense plaisir que nous vous accueillerons dans notre unité. 

Les quatre recrues sourirent, l'air heureux et le major ajouta : 

— Votre instructeur principal, Keith Shadiz, vous transmettra les emplois du temps aménagés pour vous. Maintenant, je suppose que vous aimeriez vous reposer ? 

Egon, Hansi et Niels saluèrent le major avant de s'éclipser mais Elenore resta un moment là, regardant le chef du Bataillon. 

— Elenore.. Que veux tu ? As-tu une question ? 

— Mmh. Acquiesça t-elle en silence. 

— Je t'écoute.

Elenore inspira et Erwin regarda cette jeune fille châtain qui était déjà si forte. 

— Et vous.. Pourquoi.. Vouliez-vous entrer dans le Bataillon ? 

Erwin s'attendait à tout, mais pas à cette question précise. Le regard surpris, il songea à son père et à sa théorie. 

Voilà des mois qu'il n'y avait plus pensé. Sa tâche de major lui prenait du temps, beaucoup de temps et il n'avait plus eu l'occasion de se souvenir en toute tranquillité. 

Et à présent, une recrue curieuse fixait sur lui un regard interrogatif. 

— C'est une question bien personnelle que tu me poses là, Elenore. Je me réserve le droit de ne pas y répondre. 

Elenore parut un peu déçue et il ajouta :

— Peut-être, un jour, si tu rejoins le Bataillon, je te donnerais la réponse. Mais pour l'instant, n'encombre pas ton cerveau d'informations inutiles..

La jeune fille effectua le salut militaire et tourna les talons. 

Alors qu'elle s'éloignait, il l'interpella. 

— Elenore !

— Oui, Major ? 

— Je crois savoir que le Commandant Pixis aimerait te parler. Il doit avoir terminé son entrevue avec les recrues. 

Elle sourit et le remercia. 

— Au revoir, Major. 

Erwin Smith, fermant les yeux, se remémora son enfance. Cette fois où il s'était levé en classe et où il avait demandé : Comment peut-on être sûrs que l'humanité n'a pas survécu au-delà des murs ?  

Il se souviendrait toujours de la lueur paniquée qui passa furtivement dans les yeux de son père. Et de sa plus grande erreur, d'en parler à un de ses camarades. Et de la disparition de son père, quelques jours plus tard, et de son décès, qu'il avait compris, bien plus tard, avoir été orchestré par la première unité des Brigades Spéciales. 

Pour cela, il ne pourrait jamais envisager rejoindre ses charlatans, ses menteurs au service du "roi" qui veulent plonger l'humanité dans l'ignorance la plus totale. 

Silencieux et extrêmement songeur, le major s'en alla rejoindre le quartier général du Bataillon où il finit par se coucher après quelques rapports rédigés. 

Elenore, elle, s'était empressée de rejoindre la pièce où elle avait vu entrer Pixis. 

Frappant quelques coups francs à la porte, elle entendit :

— Entre, Elenore. 

Comment avait-il su que c'était elle ? Il avait sûrement reconnu sa manière de s'annoncer ? 

Elle entra dans la pièce et le vieillard lui sourit. 

— Comment vas-tu ? 

Elenore sourit. 

— Très bien, Papixis. 

Le commandant esquissa un sourire et ouvrit ses bras. 

En l'espace de quatre ans, ils s'étaient progressivement rapproché au point qu'elle avait fini par le considérer comme le grand père qu'elle n'avait jamais eu. 

Elenore le rejoignit, acceptant volontiers cette étreinte affectueuse. 

— Je suis très fier de toi. Tu as tellement progressé. 

Elenore esquissa un sourire franc. 

— En revanche.. 

La jeune fille se raidit. 

— Keith m'a dit que tu n'étais pas la plus docile des recrues.. Que tu écopais souvent des corvées ou de punitions avec tes deux camarades. 

— Ah oui.. c'est que.. Commença t-elle à balbutier, gênée.

Mais quelle ne fut pas sa surprise de sentir la main calleuse de Pixis se poser sur sa tête. 

— Allons..  Je n'étais pas le plus sage non plus.. Il faut bien que jeunesse se fasse. Et puis tes excellents résultats compensent ton.. comportement. 

Il eut un rire. 

— Et puis.. On ne peut pas dire que tu aies passé beaucoup de temps à élaborer des plans machiavéliques quand je t'entraînais. 

Elenore sourit et enlaça Pixis qui lui raconta quelques banalités de sa vie tandis qu'elle lui relatait ses pires bêtises au sein de la brigade d'entraînement. 

  C'est en riant, que le commandant Pixis rejoignit ce soir là sa maison où il vivait seul depuis le départ d'Elenore pour l'armée.

Quand deux heures plus tard, Elenore rejoignit le dortoir, elle ne put pas saluer ses amis qui dormaient déjà. S'empressant de se mettre en pyjama, elle se glissa dans son lit et soupira doucement.

Sa dernière pensée avant de dormir fut qu'elle devrait offrir un repas à ses amis. Avec un sourire, elle songea qu'elle devrait leur dire d'être sympathiques et de ne pas prendre le plus cher des menus..

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