4.
Lorsqu'il avait entendu son réveil sonner en ce jeudi matin, Morgan ne retint pas un grognement de mécontentement, en se retournant avec mal dans son lit pour atteindre l'engin sur sa table de chevet. Il fit glisser son doigt sur l'écran, la sonnerie s'arrêtant brutalement dans un silence qui fut agréable. L'adolescent se découvrit le visage avec réticence, après s'être rallongé sur le dos, fixant son plafond, encore à moitié somnolent. Il était sept heures et demi, et il savait déjà que mathématiquement parlant, c'était impossible qu'il ait assez dormi. En même temps à quoi s'attendait-il avec une insomnie qui ne lui avait permit de fermer l'œil qu'à trois heures du matin ? Toujours les yeux plantés sur son plafond, il soupira. Ses cours qui commençaient à huit heures et demi lui semblèrent bien dérisoires à côté de son envie – plutôt de son besoin – de prolonger sa nuit. D'autant que la date de ce jour ne lui donnait pas envie de faire grand-chose, si ce n'était ressasser...
Conforté dans cette idée, Morgan se tourna de nouveau dans le grand lit, la couette se rabattant sur sa tête pour récupérer la chaleur des draps. C'était sans compter sur son père, Fabrice, qui vint ouvrir la porte à la volée en s'écriant joyeusement.
« Allez, debout mon grand ! Tu as cours aujourd'hui ! »
Morgan se cramponna à la couette en maugréant, sachant pertinemment ce que son père s'apprêtait à faire. Et quand le tissu glissa entre ses doigts, il gémit en sentant le froid recouvrir son corps.
« Allez, Morgan, il faut se lever ! » s'écria le paternel toujours avec grand entrain.
L'adolescent se recroquevilla sur lui-même, enserrant fortement le coussin sur lequel reposait sa tête.
« Mmh, juste cinq minutes... » marmonna-t-il.
Mais l'instant d'après, l'oreiller se déroba sous lui et il décréta qu'il détestait son père à ce moment précis, lorsqu'il passait comme une tornade dans sa chambre, lui arrachant couette, oreiller et chaleur, avant de repartir en direction du salon. Parce que le pire dans tout ça, ce n'était pas tant qu'il venait tirer le drap – ça, ça passait encore... Non, le pire, c'était quand il ouvrait la fenêtre en grand, soit disant pour aérer, l'abandonnant en position fœtale sur le lit, à peine vêtu, alors qu'ils se trouvaient à la fin du mois de novembre, et que le froid était si glacial que Morgan n'avait d'autre choix que de se lever.
C'est de la torture... eut-il envie de dire, mais il grelottait trop pour se le permettre, préférant s'emmitoufler dans une couverture. Il récupéra rapidement son téléphone, sortant ensuite de sa chambre en prenant soin de refermer la porte derrière lui. Il resta un instant planté dans le couloir, se questionnant sur ce qu'il pouvait faire, avant de se décider à investir le salon, venant se vautrer en beauté sur la méridienne du canapé d'angle. Elle était suffisamment grande et confortable pour qu'il y termine sa nuit, et ce fut dans cette optique qu'il se cala entre les coussins. Seulement, il eut à peine le temps de fermer les yeux, que la voix de son père résonna de nouveau près de lui.
« Ah non, Morgan... Je ne t'ai pas viré de ta chambre pour que tu viennes te rendormir ici ! » réprimanda-t-il en s'approchant – dangereusement.
L'adolescent ouvrit les yeux pour croiser le regard de l'adulte. De ses deux parents, son père était clairement le plus stricte, étant toujours très à cheval sur les horaires, et beaucoup moins enclin à accepter qu'il sèche les cours. Mais où était sa mère lorsqu'il avait besoin d'elle pour le défendre ?
« Oh, chéri, laisse lui le temps d'émerger un peu, tu n'es pas tout frais au réveil toi non plus ! » taquina sa femme en ramenant un plateau sur la table basse.
Sauvé.
Sandrine prit place à côté de Morgan, venant lui embrasser le front tendrement avant de le recoiffer au mieux. Fabrice maugréa quelque chose dans sa barbe, n'appréciant visiblement pas le fait que son épouse ne divulgue une de ses faiblesses.
« Tiens, prends ton petit-déjeuner, mon cœur, ça te réveillera un petit peu. » glissa-t-elle en montrant le plateau du doigt.
Morgan se redressa, se découvrant un peu pour permettre à ses bras de s'extirper de la couverture, alors qu'il lâcha un petit merci à sa mère. Cette dernière lui caressa le dos, l'observant avec beaucoup de bienveillance dans le regard. Fabrice roula des yeux en la voyant être si prévenante.
« Ton fils n'a plus cinq ans, mon amour. » laissa-t-il échapper à moitié entre taquinerie et reproche.
Elle lui lança un regard réprobateur, qui voulait probablement signifier beaucoup de choses. Morgan préféra ignorer leur petite querelle. Il était trop tôt pour ça. Comment faisaient-ils, d'ailleurs, pour avoir la tête à se chamailler de si bonne heure ?
L'adolescent attrapa le plateau, sans retenir un sourire en voyant que sa mère lui avait préparé des pancakes. Elle savait qu'il en raffolait. Il se frotta les yeux, tout en baillant, se résignant cependant sur l'idée qu'il avait de poursuivre sa nuit. Il attrapa donc un pancake et prit une bouchée après l'avoir tartiné de confiture de framboise.
« Tu n'as pas assez dormi mon grand ? questionna son père en s'asseyant sur le fauteuil qui faisait face à la méridienne, Tu bailles comme si.
- Non, je me suis endormi vers trois heures...
- Tu as encore fait une insomnie ? » s'exclama Fabrice en haussant les sourcils.
Morgan grimaça au « encore » qui aurait presque pu sonner comme un reproche si le ton de son père n'avait pas été aussi étonné.
« Tes pancakes sont super bons maman. » glissa l'adolescent en se régalant visiblement.
Fabrice ne sut réprimer un rictus au changement de sujet. Cependant, avant qu'il ne dise quoique ce soit sur la question, Sandrine le devança, remerciant son fils du compliment en expliquant qu'elle avait juste suivi la recette à la lettre. S'en suivi un court silence, entrecoupé des légers bruits de mastications que produisaient Morgan en mangeant, les deux parents l'observant sans savoir quoi dire de plus. Puis, Fabrice se leva finalement, regardant sa montre, solidement fixée à son poignet – c'était à peine s'il s'en séparait.
« Bon, tu devrais passer la deuxième quand même Morgan, tu commences à huit heures et demi ce matin, il me semble ? »
Morgan s'arrêta dans son geste, sa mâchoire n'osant pas se refermer sur le pancake pourtant déjà fourré dans sa bouche. Il sembla prendre un instant pour réfléchir, avant de reposer la petite crêpe dans son assiette.
« Chui pas sûr de pouvoir y aller...
- Ah, non, pas encore ! Ne compte pas sur nous pour remplir ton mot d'absence cette fois, ça suffit de sécher les cours pour un oui ou pour un non. Tu y vas, un point c'est-
- Fabrice ! » l'interpella Sandrine pour le stopper dans sa logorrhée.
Le regard noir qu'il reçut de sa femme suffit pour le faire taire. Il vint pratiquement se pincer les lèvres, n'appréciant visiblement pas le fait qu'elle le reprenne devant leur fils, mais encore moins, le fait qu'elle se fâche de cette manière. Ce n'était pas dans ses habitudes, elle qui était d'ordinaire beaucoup plus calme, prenant presque tout à la rigolade. Presque. Parce que, vu le pli qui s'était formé entre ses sourcils clairs, il était évident qu'elle ne rigolait pas, cette fois. L'homme lui jeta alors un regard interrogateur, ne comprenant pas son emportement soudain – n'y voyant surtout aucune justification. Et comme il ne semblait toujours pas percuter, elle lâcha un soupir tout en venant passer une main derrière l'oreille de son fils pour replacer une mèche rebelle. Morgan n'avait pas décroché un mot depuis l'intervention de son père, ni osé relever les yeux vers lui.
« Ça fait deux ans aujourd'hui... commença-t-elle en tournant la tête vers son enfant pour jauger sa réaction. Soit un peu indulgent, c'est toujours difficile pour lui.
- Oh. » lâcha le père en comprenant de quoi il s'agissait.
Il s'en fallut de peu pour qu'il ne lâche un juron, l'étouffant rapidement dans sa barbe. Il passa une main nerveuse dans ses cheveux grisonnants, déviant le regard, avant de s'avancer vers la méridienne pour s'asseoir au pieds de celle-ci. Il chercha d'une main presque maladroite la jambe de son fils pour y faire une légère pression, tout en remontant ses lunettes sur l'arête de son nez.
« Pardon, fiston, j'avais oublié... » dit-il alors tout bas – si bas que c'était presque difficile à croire après le haussement de voix qu'il venait d'avoir.
Mais il n'avait pas besoin de plus s'expliquer. Morgan savait qu'il n'était pas doué pour se souvenir des dates, et encore moins de celle-ci. Il lui sourit alors doucement pour lui signifier qu'il ne lui en voulait pas.
Le père se releva alors, regardant une nouvelle fois sa montre, avant de dire :
« Bon, je vais y aller, sinon je vais arriver en retard. »
Il se pencha pour embrasser le crâne de son fils, passant une main rassurante dans sa nuque.
« Essaye de te préparer pour aller au lycée quand même, d'accord ? Même si ce n'est qu'une partie de la journée, mh ? »
Morgan hocha la tête lentement, n'étant pas habitué à ce que son père accepte si facilement l'idée qu'il puisse sécher les cours – même une partie de la journée. Fabrice se tourna ensuite vers sa femme, déposant un baiser sur ses lèvres.
« Tu lui feras un mot s'il ne peut pas ? »
Sandrine acquiesça, avant de se lever pour aller fermer la porte derrière son mari.
« A ce soir. » dit-il en l'embrassant une nouvelle fois.
Il s'engouffra dans les escaliers, Sandrine le regardant disparaître avant de pousser la porte, tournant rapidement la clef dans la serrure pour revenir près de Morgan.
L'adolescent en avait profité pour terminer ses pancakes, ayant repousser le plateau sur le canapé pour pouvoir rallonger ses jambes. La mère débarrassa rapidement le petit-déjeuner, revenant se réinstaller aux côtés de son fils. Il n'en fallut pas plus à Morgan pour venir se blottir contre elle, non pas parce qu'il avait froid, mais parce qu'il avait besoin de réconfort.
Deux ans. Cela faisait deux ans, et, il avait pourtant l'impression d'avoir vécu cette journée la veille. Il détestait ça. Il détestait cette sensation qui le ramenait dans son passé quand il faisait cependant tout pour s'en éloigner.
Cela faisait deux ans. Pourtant, il revoyait son visage comme s'il se tenait devant lui. Là. Maintenant. Tout de suite. Il détestait revoir les traits, même lorsqu'il fermait violemment les yeux pour les oublier.
Cela faisait deux ans, bon sang. Et, malgré tout, il pouvait sentir les lèvres contre les siennes comme si elles ne les avaient jamais quittées. Il détestait cette caresse, des années plus tard, quand elle n'en était plus une. Quand elle n'était plus qu'un lointain écho, pourtant incrustée dans chacun de ses nerfs. Quand cette même caresse se retournait soudain contre lui pour le mordre. Il détestait cette caresse. Néanmoins, il s'en souvenait, sur le coup, il n'était pas parvenu à lui en vouloir.
Cela faisait deux, putains, d'années. Et il haïssait que sa peau le trahisse de cette manière en lui renvoyant les coups qui l'avaient auparavant détruit. En lui rappelant amèrement à quel point il avait pu être naïf et bête...
Les bras de sa mère étaient rassurants contre lui, venant chasser cette impression de retour vers le passé et l'empêcher de se replonger dans ses souvenirs. Malgré lui. Il resta un long moment ainsi, sans parvenir à réellement fuir sa mémoire qui le trahissait.
Ce ne fut qu'au long de longues minutes qu'il se sépara doucement de sa mère qui l'avait simplement étreignit sans dire un mot. Parce qu'il n'y avait pas grand-chose à dire à cet instant, elle le savait. Aucun mot n'était capable de chasser l'ombre qui palpitait encore sous la peau de son fils. Du moins, ni venant d'elle, ni venant de son mari, ni même de la part de Vincent. Et c'était d'autant plus douloureux pour elle de savoir son enfant aller mal sans qu'elle ne puisse rien y faire.
Morgan se défit un peu de la couverture pour retrouver son téléphone entre les plis du tissu. Il déverrouilla l'engin rapidement, jetant un œil à l'heure. 8h12. Puis il consulta ses récents messages. Il en avait reçu un de la part de son frère. Un également de la part d'une de ses meilleurs amis Mina. Il n'y en avait pas de nouveau de la part de Liam qui figurait à la troisième ligne sur l'historique. Il ouvrit d'abord celui de son frère, le premier qu'il avait reçu.
Vince – Hey, t'oublies pas que je vais revenir t'embêter ce soir ! J'ai que des CM demain, je me suis arrangé avec un pote pour qu'il me prenne des notes, je voulais être avec vous ce week-end pour l'anniv de maman :)
Morgan sourit au message. Vincent ne l'avait pas précisé mais il savait que s'il revenait ce soir, c'était pour être présent pour lui. L'anniversaire de leur mère, c'était samedi, rien n'obligeait Vincent à rater une journée de cours pour rentrer le jeudi soir.
Morgan – Cool, j'ai hâte.
« Vincent t'as dit quand est-ce qu'il venait ? » questionna alors Sandrine.
Morgan releva les yeux vers ceux de sa mère, qui étaient aussi clairs que les siens. Il était sûr que c'était d'elle qu'il les tenait, contrairement à Vincent qui avait pris la couleur noisette de leur père. Il sourit faiblement, avant de lui répondre :
« Il vient ce soir. Il m'a dit qu'il s'était arrangé pour ses cours de demain. »
Les lèvres de Sandrine s'allongèrent alors qu'elle passa tendrement la main dans les cheveux ébènes de l'adolescent.
« C'est bien, ça... Est-ce que tu te sens d'attaque pour les cours ? » demanda-t-elle d'une voix infiniment douce.
Morgan ouvrit la bouche pour parler avant de la refermer en se souvenant que Mina lui avait envoyé un message. Il cliqua alors sur leur conversation pour le lire.
Mina – Tu fous quoi ? On t'attend avec Gab' on t'a prévu un repas d'enfer pour ce midi ! T'as pas intérêt à sécher aujourd'hui Morgan sinon t'auras affaire à moi !
L'adolescent réprima mal son rire. Gab' ou Gabriel était son deuxième meilleur ami, plus taciturne que Mina cependant. Si même lui l'attendait – malgré le fait qu'il ne lui avait pas envoyé de message – , il pouvait réellement craindre que l'adolescente allait lui tomber dessus le lendemain s'il ne venait pas en cours aujourd'hui. Et il n'était pas sûr de pouvoir lui faire face – même en faisant bien une tête de plus qu'elle.
« Je crois que je vais y aller, sinon Mina va me taper sur les doigts demain, gloussa-t-il pour répondre à sa mère. En plus, j'aurais apparemment droit à un « repas d'enfer » ce midi. »
Il avait accompagné la fin de sa phrase en mimant les guillemets avec ses doigts, toujours un sourire amusé aux coins des lèvres. Sandrine échappa un rire, avant de se lever.
« Je suis contente que tes meilleurs amis soient présents pour toi, glissa-t-elle en lui embrassant le front. Ça va faire un peu juste pour ton premier cours, non ? Qu'est-ce que tu avais ?
- Mmh, anglais.
- Bon, ce n'est pas très grave, tu as des bonnes notes dans cette matière, il me semble ?
- Ouais, j'ai eu dix-sept au dernier contrôle.
- Bien, je vais te faire un mot, ton professeur comprendra qu'une panne d'oreiller ça peut arriver à tout le monde ! » conclut-elle en faisant un clin d'œil.
Monsieur Myriel n'a qu'à bien se tenir, Morgan se fit-il la remarque en pouffant dans la couverture.
En quelques minutes, le billet d'absence était rempli et signé, et Sandrine avait même enfilé ses chaussures et son manteau.
« J'y vais mon chéri, j'ai déjà un peu de retard. Amuse-toi bien, dit-elle en lui embrassant le front pour la énième fois de la matinée. Mais écoute un peu en cours aussi quand même ! » renchérit-elle en lui faisant un dernier signe de la main.
La lourde porte blindée claqua derrière elle dans un bruit sourd. Morgan entendit ensuite le bruit de la serrure, toujours calé sur la méridienne. Il ne pouvait pas voir l'entrée depuis le salon, étant donné qu'ils partageaient une même cloison en guise de mur. Vincent avait évoqué une fois l'idée de casser cette séparation qui assombrissait et étriquait l'entrée mais les parents avaient vite écarté ce projet, en réalisant qu'ils devraient se débarrasser des immenses bibliothèques qui se trouvaient justement de part et d'autre de cette cloison – et quel sacrilège cela aurait été ! Qu'auraient-ils fait des montagnes de livres qu'ils avaient lus et adorés, qui avaient bercé leur jeunesse ?
« Mrrowww ! »
Morgan se redressa brusquement au miaulement. Il fixa un moment la porte entrouverte de la cuisine qui se trouvait en face du salon, tendant une oreille attentive parmi le silence qui régnait dans l'appartement. Il reconnut sans mal le bruit de son chat qui bondissait sur l'îlot central. Un second bruit lui indiqua que le félin était passé sur le plan de travail contre le mur. Et puis...
« Mrraaoow ! »
D'accord, d'accord, si même Olympe s'y met maintenant...
Morgan s'extirpa des couvertures, le regrettant à l'instant même ou la chaleur quittait son corps pour laisser la place à l'air beaucoup trop froid de ce salon beaucoup trop grand et glacial lui aussi. Le chat réitéra ses miaulements, alors que l'adolescent attrapait son téléphone avant de traverser la pièce à vivre. Il contourna une chaise qui avait été laissé en plan après le petit-déjeuner, poussa la porte de la cuisine et trouva Olympe en train de se frotter à sa boîte de croquettes.
« Mrooow !
- Ça va, ça va, j'ai compris, tu vas pas mourir de faim, t'inquiètes... » soupira-t-il en se penchant sous le comptoir pour attraper la gamelle vide.
Le chat fit plusieurs tour sur lui-même en comprenant que l'heure du repas était arrivée. L'adolescent ne mit pas longtemps pour remplir le récipient de croquettes, allant rapidement la remettre à sa place, Olympe à ses trousses. Il se rua immédiatement sur la nourriture, ronronnant et mangeant en même temps. Morgan resta un instant accroupi à côté de lui pour le caresser.
« T'es vraiment un morfale... » souffla-t-il dans sa barbe.
Le félin ignora royalement ses dires, continuant de s'empiffrer joyeusement. L'adolescent se releva alors, récupérant son téléphone qu'il avait posé sur le comptoir le temps de remplir la gamelle de croquettes. 8h26. Il aurait tout juste assez de temps pour se préparer et aller au lycée. Sur cette résolution, il fila prendre sa douche, ne s'éternisant pas sous le jet. Il avait pioché ses fringues un peu au hasard dans sa penderie – après avoir lâché un juron en pénétrant dans sa chambre gelée à cause de la fenêtre qui était restée près d'une heure grande ouverte. Merci, papa.
Morgan enfila le jean délavé, et passa sa tête dans le t-shirt noir avant de se raviser sur ce dernier. Il farfouilla de nouveau dans son armoire et préféra plutôt un haut à motif imprimé. Les lettres « AC/DC » étaient clairement lisibles et nuls doutes qu'elles faisaient référence au groupe de rock du même nom. Il attrapa ensuite un gilet à capuche qu'il balança sur son lit avant de retourner dans la salle de bain.
Morgan se dévisagea dans le reflet du miroir. Un coup d'anticerne devrait suffire à masquer la fatigue qui pouvait se lire sur son visage. L'adolescent plongea ensuite sa main dans le pot de gel, en étalant légèrement sur ses mèches rebelles pour leur donner un peu de contenance. Un rapide brossage de dents et il quittait la pièce pour retrouver sa chambre où il enfila son gilet et attrapa son sac de cours. Il n'était pas sûr d'avoir ne serait-ce qu'un véritable cahier ou manuel là-dedans mais bon, tant pis. Au pire, si l'envie lui prenait vraiment d'écouter, ou même de noter un semblant de quelque chose, il devait bien avoir des feuilles volantes et un stylo. Au moins. Il soupira en se laissant lourdement tomber sur la banquette de l'entrée pour enfiler ses converses noires. Une veste en cuir par dessus le gilet, son sac sur une épaule, une paire d'écouteurs solidement enfoncée dans ses oreilles et il était paré à sortir.
Lorsque la porte claqua derrière lui, il verrouilla d'un geste habituel la serrure, avant de glisser ses clefs dans la poche de son jean. En voyant que l'ascenseur ne se trouvait pas à son étage, il opta pour dévaler les escaliers, en profitant pour lancer sa musique en activant la fonction répétition de la même chanson. Il avait toujours pris l'habitude d'écouter une seule chanson en boucle sur le trajet qui le menait à son lycée. Les douces mélodies au piano le calmaient avant d'attaquer une nouvelle journée. Alors ce matin-là, quand les premières notes de La signification du verbe oublier de Lonepsi avaient retenti dans ses oreilles, les battements de son cœur s'étaient apaisés.
Les mains profondément englouties dans les poches de sa veste, elles ne pouvaient pas s'empêcher de frémir, les doigts tremblants au rythme des notes, comme si c'étaient eux-même qui jouaient la musique. Alors, Morgan se retrouvait dans son monde, ne sentant pas le temps passer alors qu'il remontait la Rue de la Glacière pour rejoindre la Rue de Tolbiac. C'était comme s'il faisait son trajet inconsciemment, par pure habitude, sans réellement s'en rendre compte. De la même manière, il monta dans le bus en validant son pass Navigo, se calant contre une fenêtre, à défaut de trouver une place assise. Son regard se posa sur les immeubles qui défilaient, encore et encore, sur les gens qui allaient dans un sens et venaient dans l'autre, les multiples commerces qui venaient tout juste d'ouvrir ou y étaient sur le point. A ce moment-là, les paroles de la chanson tombèrent à pic, comme il se sentait noyé au milieu de toute cette foule.
Le plafond de la ville m'absorbe, et je ne peux rien faire contre sa volonté.
Morgan ferma alors les yeux pour profiter de la mélodie divine qui résonna par la suite, les notes faisant frémir tout son corps.
Oublier. Qu'est-ce qu'il aimerait pouvoir oublier. Fermer les yeux et simplement ne plus y penser. Mais c'était toujours plus compliqué que de simplement se le dire. Il voulait oublier. Il essayait. Mais c'était tellement dur. Non seulement parce que tirer un trait sur une histoire qui avaient duré tant d'années, c'était douloureux. C'était douloureux de tenter de tout oublier, y compris les moments dont il se souvenait avec un brin de nostalgie. Tout n'avait pas toujours été douloureux. Les choses s'étaient simplement mal terminées. Il ne voulait pas oublier. Morgan aimerait simplement pouvoir dissocier ses souvenirs de ce qu'il avait pu ressentir à l'époque. Et ça, il n'y parvenait toujours pas. Même après deux ans.
Il rouvrit les yeux en entendant le nom de son arrêt, Choisy-Tolbiac. Il descendit, en tentant de reprendre un peu ses esprits, comme il rejoignait l'Avenue de Choisy où se trouvait son lycée. En passant la grille, il sortit son téléphone de sa poche pour couper sa musique, retirant par la même occasion les écouteurs de ses oreilles. Encore un peu ailleurs, Morgan ne se rendit pas compte qu'il avait déjà rejoint sa salle de classe. Il le réalisa lorsqu'un poing vint s'écraser sans violence contre son épaule.
« J'ai cru que tu viendrais jamais ! » s'écria la personne à l'origine du coup.
Il dut baisser les yeux pour croiser le regard de Mina. Elle était plus petite que lui – non, à la réflexion c'était définitivement lui qui était plus grand que la moyenne avec son mètre quatre-vingt-cinq. Il dépassait également Gabriel qui se trouvait à côté de l'adolescente.
Morgan se décolla du mur, posant son coude sur l'épaule de Gabriel pour descendre à leur hauteur.
« J'allais pas prendre de risque vu le message que tu m'as envoyé ce matin. »
Un sourire carnassier avait prit place sur ses lèvres alors qu'il avait présenté son poing à Gabriel qui lui avait fait un check en guise de salutation. Mina fronça les sourcils, en souriant cependant.
« Ouais, c'est ça... souffla-t-elle peu convaincue.
- Avoue que c'est plutôt le repas qui t'a décidé. » ricana Gabriel en réajustant ses lunettes.
Morgan laissa échapper un rire avant de passer son bras autour des épaules du garçon dans une accolade amicale.
« Voilà ! Lui, il me connaît, tu d'vrais en prendre de la graine Mina, la taquina-t-il.
- Mais, c'est que je vais vraiment finir par t'en coller une, Morgan... » crissa la jeune fille entre ses dents.
Les trois amis rigolèrent avant que la seconde sonnerie ne retentisse, indiquant le début de la deuxième heure de cours de la matinée.
« Merde... Bon on te laisse, on se retrouve à la pause ? demanda-t-elle.
- Ouais, à toute. » répondit Morgan.
Gabriel et Mina lui firent un signe de la main avant de rejoindre leur salle de classe qui était voisine à la sienne. Ils étaient tous les deux en terminale ES, et ne partageaient donc jamais les mêmes cours que Morgan qui était en L. Malgré tout, leurs emplois du temps coïncidaient assez l'un avec l'autre, leur permettant de se retrouver avant les cours, de manger ensemble le midi et de traîner parfois à la sortie du lycée.
Morgan tourna les talons pour rejoindre son cours. Il s'installa dans le fond de la salle, balançant pratiquement son sac sur la table adjacente à la sienne, presque dans le but de dissuader quiconque aurait eu l'idée de s'asseoir à ses côtés. Il ne prit pas la peine de sortir de quoi noter, jugeant qu'il n'allait pas le faire pour un cours d'histoire, alors il mit sa tête dans ses bras dans l'espoir de glaner quelques minutes de sommeil supplémentaires.
« Monsieur Pereira. »
A l'entente de son nom, il redressa difficilement la tête vers son professeur qui le toisait du regard.
« Si vous êtes venus pour dormir durant mon cours, ce n'était pas nécessaire de vous donner cette peine, continua l'adulte.
- Désolé M'sieur, s'excusa-t-il en adoptant une pose un peu plus convenable.
- Moui, que mon cours ne vous passionne pas, je peux le concéder mais vous pourriez tout de même faire semblant de vous y intéresser. »
Quelques rires fusèrent.
« Et ça ne vaut pas seulement pour lui... glissa le professeur en regardant d'autres élèves avec insistance. Bien, sur ce, ouvrez vos manuels page quarante-huit, aujourd'hui on va- »
Morgan décida de se déconnecter, posant sa tête dans le creux de sa paume pour regarder par la fenêtre. Sérieusement. A quoi ça allait lui servir de savoir que quarante-huit des cinquante villes les plus dangereuses du monde se trouvaient aux États-Unis ? Ça ne lui donnait juste pas envie d'aller y faire un séjour, voilà tout. Il soupira. L'heure allait être longue. Très longue...
Morgan eut du mal pour ne pas somnoler. Il fallait dire que la voix de Monsieur Lambert avait quelque chose de soporifique. Entre le timbre, la lenteur pour dire les phrases et le fait qu'il les répétait au moins trois fois presque comme s'il faisait une dictée, il y avait de quoi s'endormir. La sonnerie fut une délivrance malgré le retour brutal à la réalité. Il mit un temps pour se lever de sa chaise, se demandant un instant s'il en serait capable – et, miracle, il y était parvenu sans que l'assise ne reste collée à ses fesses !
En passant la porte de la classe, il sentit que Monsieur Lambert lui décocha un regard noir mais il préféra ne pas relever. L'adolescent s'avança de quelques pas dans le couloir, puis s'arrêta en face de la salle de ses deux comparses. Il prit appuis contre le radiateur dont la chaleur fut la bienvenue après sa micro-sieste qui avait fini par lui donner froid – quelle idée de garder ses vestes durant son cours aussi.
La porte s'ouvrit brusquement, la voix du professeur porta hors de la pièce, comme il semblait visiblement crier sur l'élève qui venait de l'ouvrir.
« Aminata, je ne vous ai pas donné l'autorisation de quitter mon cours, il me semble ! » s'écria l'adulte depuis son estrade.
La jeune fille fit volte-face en brandissant son carnet devant elle.
« La sonnerie a retenti Monsieur, commença-t-elle doucement. Vous n'avez pas le droit de nous retenir, c'est écrit dans le règlement intérieur ! » termina-t-elle en pivotant pour sortir de la salle.
Elle avait accompagné ses mots en brandissant son carnet au dessus de sa tête, le secouant, presque pour narguer son professeur. Ce dernier fumait derrière son bureau alors que les autres élèves avaient décidé de quitter les lieux également.
« Toujours dans la provoc à ce que je vois... souffla Morgan alors que Mina se postait face à lui.
- Mais, nan, pas du tout ! Au contraire, je respecte les règles du lycée ! Se défendit-elle.
- Un de ces jours, tu vas vraiment finir par te prendre une heure de colle. » intervint Gabriel qui venait de sortir de classe.
Les élèves affluaient dans le couloir, créant un brouhaha général comme diverses voix s'élevaient. Les adolescents profitaient de la pause pour discuter, plaisanter, intercepter leurs amis qui n'étaient pas dans la même classe que la leur. Le paradoxe que devenait le lycée en l'espace de quelques secondes était impressionnant. Il y avait deux minutes à peine, les classes étaient fermées et le bruit qu'elles pouvaient renvoyer sur le couloir était moindre. Peu d'élèves y déambulaient avant la sonnerie, ou du moins, ils le faisaient en silence. Désormais, Mina s'en retrouvait à hausser la voix pour être sûre que ses amis l'entendent.
« Aucun risque ! Je connais le règlement par coeur, ils auront jamais rien contre moi. » se vanta-t-elle en riant.
Morgan et Gabriel échangèrent un regard entendu qui en disaient long sur ce qu'ils pensaient de la situation. Mina s'empressa de leur asséner une petite tape sur leur épaule en comprenant de quoi il retournait. Ils n'avaient aucune confiance en elle, ça faisait plaisir...
« Faut que j'aille voir la CPE pour justifier mon absence de ce matin, on se retrouve devant le bahut pour la pause dej' ? » questionna Morgan en se décollant du radiateur.
Il parlait d'une voix si calme que si Gabriel et Mina ne s'étaient pas trouvés à ses côtés, ils ne l'auraient probablement pas entendu.
« Bah, on peut t'accompagner sinon. » proposa Gabriel.
Morgan se contenta de hausser les épaules, même si intérieurement il se voyait leur faire une accolade en les remerciant de se montrer si présents. Il garderait le moment émotion lorsqu'ils seraient seuls autour du repas d'enfer promis par Mina plus tôt dans la matinée. Il ne manqua pas de le leur rappeler d'ailleurs, espérant glaner un indice sur ce qu'ils allaient manger, mais les deux acolytes ne lâchèrent rien.
Quelques lycéens patientaient déjà devant le bureau de la CPE, les trois amis attendirent donc quelques minutes que le tour de Morgan arrive en plaisantant encore sur des broutilles.
« Vas-y, on t'attend là. » indiqua Mina avant que Morgan ne rentre dans le bureau.
Madame Lapayre terminait de noter le justificatif du précédent élève sur son ordinateur. L'adolescent tira une des chaises pour s'y asseoir, tandis que la CPE relevait les yeux.
« Bonjour, qu'est-ce que- Ah ! Monsieur Pereira, quel bon vent vous amène ? » demanda-t-elle en souriant chaleureusement.
Morgan ouvrit rapidement la fermeture de son sac presque vide pour attraper son carnet qui nageait pratiquement dedans.
« Bonjour, je- Heu, je viens pour justifier mon absence de ce matin... en cours d'anglais. » dit-il d'une petite voix en présentant le billet d'absence.
La CPE reporta un instant son regard sur l'écran de son ordinateur pour vérifier que l'absence avait bien été signalé par Monsieur Myriel lors de l'appel.
« Ah oui ! Vous êtes rapide dis donc, gloussa-t-elle en venant plier le papier au niveau des pointillés pour le déchirer plus facilement de la page.
- Hum, oui ma mère n'était pas encore au travail quand- je me suis levé... » termina-t-il peu convaincu lui-même par cette histoire de panne de réveil.
Madame Lapayre releva les yeux vers lui. Ses lunettes pendaient sur le bas de son nez, permettant ainsi aux pupilles de dévisager l'adolescent qui se trouvait face à elle. Elle remonta finalement ses lunettes en faisant glisser le carnet sur la table.
« Je vois. » souffla-t-elle calmement.
Morgan récupéra le cahier, le fourrant de nouveau dans son sac. Il amorça un geste pour se lever mais la voix de sa CPE l'en dissuada.
« Est-ce que tout va bien pour vous en ce moment ? » interrogea-t-elle d'une voix douce.
Elle avait délaissé ses lunettes sur un coin de son bureau et avait joint les mains sur le set en cuir. Morgan releva le regard vers elle, hésitant. Ses yeux divaguèrent de nouveau sur la montagne de choses qui se trouvaient sur la table. Plusieurs stylos traînaient encore, la CPE ne s'étant visiblement pas encore donné le temps de les remettre dans le pot à crayons. Une pile de papiers- Non, des piles de papiers encadraient le set en cuir rouge qui détonait sur la table blanche.
« Heu, oui, on peut dire ça. » répondit l'adolescent sans relever les yeux.
Morgan préférait ne pas avoir à supporter le regard sur lui, à ne pas le voir. Il sentait que Madame Lapayre l'observait avec attention et ça le mettait mal à l'aise. Il n'avait jamais aimé faire face à l'autorité, quelle qu'elle soit. Sa CPE, ses parents, les médecins qu'il avait vu par le passé.
Tiens, les branches des lunettes de sa conseillère étaient rouges, il n'y avait jamais fait attention...
« Ce n'est pas ce que semble me dire votre absence de lundi et celle de ce matin, Monsieur Pereira. »
Le ton s'était valu un peu plus ferme que précédemment. Évidemment, elle n'était pas née de la dernière pluie, elle savait.
L'agrafeuse avait été laissé de travers sur une pile de documents. Un tampon de l'établissement était tombé un peu plus loin et quelques punaises erraient près d'une tasse de café très certainement.
« Heu, je...
- Écoutez, Morgan. »
A l'emploi de son prénom, l'adolescent releva les yeux vers l'adulte qui lui octroya un sourire rassurant avant de poursuivre.
« Votre situation me paraît toujours être assez compliquée, mais ne vous relâchez pas d'accord ? Vos résultats sont très encourageants dans la plus part des matières et ils sont même excellents en langues et littérature. Vous pouvez être fier de vous, et je vous invite à continuer sur cette lancée jusqu'au Baccalauréat. Je ne peux que constater les efforts que vous faîtes et je souhaite réellement de tout cœur vous voir réussir votre année. Je sais que vous en êtes capable. » poursuivit-elle doucement.
Morgan déglutit nerveusement en baissant le regard. Capable d'avoir son Bac ? Il avait clairement conscience de s'impliquer beaucoup plus que les années précédentes qu'il avait pu passer – ou plutôt subir – dans cet établissement, mais était-ce réellement au point de pouvoir espérer avoir son Bac ? Tout ça semblait tellement loin pour lui. Il avait juste décidé de travailler les matières qui l'intéressait le plus parmi celles qu'il avait en cours, mais...
La dernière phrase de Madame Lapayre tourna en boucle dans sa tête. « Je sais que vous en êtes capable. » Vraiment ? Était-il le seul à penser ne pas l'être ? A la fois, c'était motivant d'apprendre que des personnes croyaient en lui, mais cela représentait également une pression à laquelle il n'était pas sûr de pouvoir faire face.
« Monsieur Pereira ? »
Il cligna brusquement des yeux pour se reconnecter à la réalité. Il était toujours assis sur cette chaise, face à sa CPE qui le dévisageait.
« Inutile de vous mettre la pression, continuez simplement comme ce que vous avez fait jusque là. »
Il se sentit faiblement hocher la tête.
« Allez, filez en cours, la sonnerie a retenti depuis un petit moment déjà.
- Heu oui. Merci Madame, au revoir. » dit-il en se levant.
La cloche avait sonné ? Il ne s'en était même pas rendu compte tellement il était perdu dans ses pensées. Mina et Gabriel ne l'avaient probablement pas attendus, ils avaient déjà dû retourner en cours et-
« Hé bah alors, t'en a mis du temps ! s'écria Mina en lui frappant le bras, avant de s'y accrocher.
- Elle commençait à se dire que Madame Lapayre voulait te séquestrer, lâcha Gabriel d'un calme olympien.
- Mais que- Pas du tout ! T'arrêtes de dire n'importe quoi, toi ! » s'emporta la jeune fille en s'en prenant à l'asiatique.
Morgan se vit esquisser un sourire sans que ce ne soit réellement le cas. Il cligna des yeux pour chasser le picotement qui s'en était emparé.
« Vous m'avez attendu ? demanda-t-il d'une voix beaucoup plus faible que ce qu'il aurait pensé.
- Évidement gros malin ! Tu nous prends pour qui ? On est pas des lâcheurs, nous. »
Mina appuya volontairement sur le dernier mot alors qu'elle croisait les bras, une pointe de malice au coin des lèvres.
« Touché. » rit Morgan en souriant – enfin.
L'adolescent passa ses bras autour de ses amis, octroyant une pression légère sur les corps qui se laissèrent faire. La réponse fut immédiate comme Gabriel passa une main amicale dans le dos de Morgan et que Mina saisit le poignet qui s'était présenté près de sa joue.
Morgan laissa échapper un souffle presque nerveux, resserrant légèrement sa prise sur ses amis quand les mots lui manquaient pour s'exprimer. Mais, il avait conscience de ne pas avoir besoin de toujours dire les choses. Ils comprenaient. Par son expression, par ses gestes, ses attitudes. Mina et Gabriel savaient lire en lui comme dans un livre ouvert. Et ça, Morgan leur en était reconnaissant. Parce qu'il y avait ces instants où tout ce qui lui traversait la tête n'était que des idées, des images, des concepts abstraits impossibles à décrire... Du moins, il n'y parvenait pas dans ces moments-là. Les deux regards bienveillants qui le scrutaient durant ses absences étaient alors les bienvenus pour déchiffrer ses états d'âme.
Les trois amis s'étaient automatiquement dirigés vers les escaliers pour rejoindre leurs cours d'un pas assez nonchalant. Arrivés au premier étage, ils s'arrêtèrent, Morgan abandonnant leur étreinte pour gagner sa salle de classe.
« On se retrouve devant le bahut, indiqua Gabriel.
- Ouais. J'espère que votre repas vaut le coup, j'commence à avoir la dalle.
- Courage, il te reste moins d'une heure à tenir. » répondit Mina, optimiste.
Morgan grimaça à l'idée de rejoindre la professeure de mathématiques. Pourquoi diable avait-il prit l'option maths déjà ? Ah oui, parce que son père l'y avait obligé... Merci papa.
Mina ne manqua pas de rire à l'expression dépitée que Morgan arborait, l'encourageant une dernière fois avant de reprendre l'ascension des escaliers aux côtés de Gabriel.
Morgan s'avança dans le couloir sans grande hâte. Était-ce réellement nécessaire qu'il se donne la peine d'assister à ce cours ? Une option ne pouvait que lui faire gagner des points, pas lui en faire perdre et il ne pouvait pas vraiment espérer avoir au dessus de la moyenne dans cette matière.
Il soupira alors qu'il s'arrêtait devant la porte de sa salle, prenant son courage à deux mains pour toquer. La manière dont Madame Heulart le toisa lui fit ravaler sa salive nerveusement, et le silence qui régnait dans la salle était loin de l'aider à reprendre contenance.
« Monsieur Pereira, quelle surprise, prononça-t-elle avec sarcasme. Allez prendre place, nous étions justement en train de revoir les probabilités. Auriez-vous un exemple à nous soumettre ?
- Heu... »
Morgan s'installa au fond de la salle, sa professeure le fixait toujours, semblant visiblement attendre une réponse.
« Heu je dirais que... si on considère que l'événement A est « avoir la moyenne au Bac de maths », je dirai que la probabilité que je réalise l'événement A est de zéro. » balbutia-t-il d'une voix monotone.
Certains élèves gloussèrent en saisissant la blague, d'autres semblèrent réfléchir sans comprendre – il n'était pas le seul à être largué en mathématiques, c'était rassurant quelque part. En revanche, Madame Heulart lui décocha un regard noir.
« Brillant... » soupira-t-elle d'un ton lasse.
Elle reprit son cours comme si cette altercation n'avait jamais eu lieu, permettant ainsi à Morgan d'enfouir sa tête dans ses bras. Lorsque la sonnerie retentit, il eut l'impression de n'avoir somnoler que pendant cinq minutes, alors qu'il avait bien piqué un somme de trois quarts d'heure. Il s'étira pour se réveiller avant de se lever pour sortir du lycée. Son ventre criait famine. Le repas promis par Mina et Gabriel avait plutôt intérêt à être copieux...
Il s'était fait tiré – ou plutôt traîné – par le bras jusqu'à la dalle des olympiades par ses amis, comme il avait les jambes trop engourdies pour suivre leur rythme. Quand ils s'étaient arrêté devant le restaurant asiatique, ses sens s'étaient soudain réveillés en comprenant où ses deux comparses l'avait conduit – l'enseigne « Pho 13 » y aidait grandement. Il se souvenait de la première fois que Gabriel l'avait emmené manger ici, il s'était montré réticent, et n'ayant pas l'habitude de la nourriture asiatique, il s'était retrouvé à commandé quelque chose un peu au hasard sur la carte. Il s'avérait que ce quelque chose constituait désormais son plat favori du petit restaurant vietnamien.
Le temps qu'il vagabonde dans ses souvenirs, Gabriel avait déjà poussé la porte de l'établissement pour aller commander, Mina le suivant de près. Quelques minutes plus tard, ils ressortaient avec leurs plats chauffés dans des sacs en plastiques. Ils s'étaient posés un peu plus loin, vers un petit parc comprenant une aire de jeu pour enfants.
« Alors ? J'avais pas raison pour le repas ? » questionna Mina fière d'elle.
Morgan prit le temps d'ouvrir sa barquette, s'armant de ses baguettes pour attraper du riz et un morceau de de viande avant de les fourrer dans sa bouche.
« Mmh, si. » acquiesça-t-il la bouche pleine.
Il marqua une pause pour avaler sa bouchée avant de poursuivre.
« J'avais vraiment besoin de ça aujourd'hui, merci. »
Il releva les yeux vers ses amis pour leur dédier un faible sourire avant de reporter son attention sur son plat. Il avait l'impression que cela faisait une éternité qu'il n'avait pas mangé vietnamien, alors il ne pouvait qu'apprécier l'explosion de saveur sur sa langue. Les trois adolescents mangèrent en discutant de quelques futilités sans importance, laissant les barquettes vides dans les sacs en plastiques d'un côté du banc. Gabriel se dévoua pour aller les jeter, Morgan avança le fait qu'il était fatigué et Mina demanda au vietnamien de faire preuve de galanterie. L'adolescent revient vers eux en remontant ses lunettes sur son nez et en réajustant sa casquette à l'envers sur sa tête.
« Oh, au fait, j'vous ai pas dit. Mes parents sont enfin d'accord pour que j'me fasse un piercing, dit-il en restant debout.
- Ah ouais ? Cool, tu vas le faire où ? » Interrogea Morgan en levant les yeux vers lui.
Gabriel pointa le côté droit de sa lèvre inférieure avec son doigt.
« Là.
- T'es sûr de toi ? Questionna Mina en s'asseyant en tailleur.
- Bah, ça fait bien deux ans que j'veux m'le faire, donc je dirais que ouais. Au pire, c'est pas irrémédiable, si ça me plaît plus je laisserai le trou se reboucher.
- Tu crois que quand tu vas boire, l'eau passera dans le trou ? Plaisanta l'adolescente en se tapant les cuisses.
- Mais n'importe quoi, t'es trop bête ! »
Mina explosa de rire alors que Gabriel lui assénait une petite tape sur l'épaule. A côtés d'eux, Morgan semblait bien loin, les yeux rivés sur le sol, un genou ramené contre son torse. Il sortit un instant son téléphone de sa poche pour consulter son historique de conversation. Liam figurait toujours sur la troisième ligne. Ils avaient brièvement échangés la veille, mais aujourd'hui, c'était visiblement silence radio. Il ne voulait pas l'admettre mais ça le minait un peu. Il aurait sans doute vu cette journée d'un meilleur angle s'il avait échangé quelques vannes douteuses avec son correspondant. Il espérait pouvoir discuter dans la soirée avec lui. Ça lui changerait sûrement les idées.
« Morgan, t'es avec nous ? »
Morgan releva le regard vers Mina, se reconnectant à la réalité.
« Mmh ?
- Ça va pas ? T'as l'air ailleurs.
- Ouais, j'pensais juste à... un truc. »
L'adolescente échangea un regard concerné avec Gabriel avant de reporter son attention sur Morgan qui fixait le sol de nouveau.
« Tu veux en parler ? proposa-t-elle doucement.
- Heu, je... »
Morgan s'interrompit, triturant ses doigts pendant quelques secondes, alors qu'il réfléchissait à toute vitesse. Après tout, pourquoi pas ? Il ne connaissait pas Liam depuis longtemps, mais il pouvait bien en parler à ses meilleurs amis. Dans le pire des cas, cette discussion deviendrait la vieille anecdote de la fois où il avait correspondu pendant quelques jours avec un parfait inconnu. Il en avait déjà parlé avec son frère qui avait étonnamment été de bons conseils. Peut-être que ses acolytes en auraient également quelques-uns à lui soumettre ?
« Vous vous souvenez que je vous ai dit que mon frère a du changer de numéro parce que-
- Oui, oui, parce que son opérateur est mal foutu, ouais. Il ferait mieux d'en changer si tu veux mon avis, coupa Mina.
- Ouais, sûrement, sourit Morgan avant de reprendre. Enfin, le truc c'est qu'il a pu envoyé son nouveau numéro qu'à mon père qui me l'a noté pour que je l'ai aussi. Du coup-
- Attends... c'est pas ton père qui écrit super mal ? » Intervint Gabriel.
Morgan hocha la tête pour acquiescer lentement.
« Oh, je crois que je vois où tu veux en venir... souffla Mina en plissant les yeux. T'as pas rentré le bon num' c'est ça ?
- En gros, ouais, c'est ça, confirma l'adolescent sans pouvoir s'empêcher de pouffer de rire. Sur les dix chiffres, j'en avais trois qui était pas bons.
- Merde, t'avais pas envoyé un message chelou au moins, j'espère ?! S'exclama la jeune fille.
- Pourquoi il enverrait un message chelou à son frère ? Ça va pas toi... » soupira Gabriel, à moitié exaspéré.
Morgan ne sut retenir un rire à nouveau. Ces deux-là avait le don de rendre la situation encore plus saugrenue qu'elle ne l'était déjà. Ils s'échangèrent encore quelques piques gentillettes avant que le tatoué ne décide d'intervenir.
« Breeef. Je disais, reprit-il pour s'attirer leur attention. Je suis donc tombé sur un parfait inconnu, et je sais pas c'est quoi le pire dans tout ça : d'avoir été assez teubé pour essayer de déchiffrer l'écriture de mon père ou d'avoir discuter avec un inconnu toute la soirée.
- Quoi ?! » s'écrièrent ses meilleurs amis en même temps.
Les trois adolescents se dévisagèrent dans le blanc des yeux à tour de rôle, Mina et Gabriel avec les yeux quasiment exorbités.
« J'en reviens pas que tu nous ai rien dit ! gémit l'adolescente faussement indignée.
- Et heu, tu lui as reparlé à cet inconnu... ? Tenta le vietnamien intrigué.
- Ouais.
- Mais ! Morgan ça va faire deux semaines ça, j'y crois pas ! Il a quel âge ? Est-ce que c'est un gars, même ? Et puis, tu sais son nom ? Il habite ici ? Et-
- Oh là, doucement Mina... Tu vas me noyer avec toutes ces questions là. » coupa Morgan en regardant ailleurs.
L'adolescente se pinça les lèvres en réalisant qu'elle s'était emportée.
« Désolée... Mais, c'est de ta faute aussi, tu nous as rien dit ! »
Morgan lâcha un soupire, reportant son regard sur les structures de jeux vides. Il était vrai qu'il aurait pu leur en parler tout de suite, mais ce n'était pas vraiment son style d'étaler ce genre de futilités lorsqu'elles lui arrivaient.
Morgan eut une journée banale au lycée : traîner avec ses potes, se friter avec des cons, s'ennuyer à mourir en cours. Ça ne changeait pas réellement de son quotidien. Peut-être avait-il eu un peu plus hâte que d'habitude que cette journée ne se termine. Et pour cause : en sortant de son lycée, il prit l'avenue de Choisy, à la seule différence qu'il traversa pour prendre la rue du Docteur Magnan. Il n'y avait personne devant l'établissement, les cours ne devaient pas encore être finis. Il décida de s'adosser aux grillages qui délimitaient le stade Charles Moureu, sortant son téléphone de sa poche de blouson.
Morgan - Salut beau gosse :)
Liam - Je crois que tu t'es trompé de numéro lol
Morgan - Ah ouais merde
Liam - Mais je t'emmerde 😂
Morgan - :D
Morgan - Alors mon pitit Liam comment s'est passé ta journée ?
Liam - Plutôt normalement et toi ?
Morgan - A part deux trois bagarres ordinaires, normale aussi
Liam - Heu comment ça bagarres ? Comment ça ordinaires ?
Morgan - Je me suis juste frité avec des débiles, pas de quoi fouetter un chat je te rassure
Liam - Mais heu tu fais ça souvent ?
Morgan - Ooooh je rêve ou t'inquiète pour moi ?
Liam - Non mais tu pourrais avoir des problèmes...
Morgan - Tkt je gère ;)
Liam - Si tu le dis...
Morgan - Oui je le dis :)
Morgan releva la tête en entendant une petite musique retentir, très certainement la sonnerie – un peu étrange d'ailleurs. Il baissa de nouveau le regard sur son écran pour tapoter un message, relevant la tête de temps à autre pour scruter les élèves qui sortaient de l'établissement
Morgan - Sinon moi je suis à Gabriel Faure
Liam - Ah ? On est pas très loin en vrai alors
Morgan releva la tête en esquissant un sourire, cherchant une tête brune du regard. Un petit brun s'était arrêté un peu après la grille, son téléphone entre les mains. Il ne pouvait pas voir la couleur de ses yeux étant donné la distance qui les séparait, mais il vit qu'il portait des lunettes.
Morgan - Ouais pas du tout même
Liam - A quand que tu viens me voir mdr
A cela, le noiraud se redressa, relevant le regard vers Liam. Ses jambes étaient hésitantes, il ne savait pas s'il devait aller le voir ou non. Son téléphone vibra de nouveau dans sa main, alors il se reposa contre le grillage, ouvrant ses messages.
Liam - J'aimerais bien voir les gens de mon lycée devenir vert de jalousie à l'idée que je traîne avec quelqu'un comme toi
Morgan - Quelqu'un comme moi ? C'est à dire ? Je suis comment ?
Liam - Je sais pas t'es sympa, t'as l'air cool, puis honnêtement t'es beau mec, alors tu vois...
Morgan - Non. Non je vois pas non. Tu veux me rencontrer juste pour te la péter au lycée
Après cette conversation, l'envie d'aller se présenter au brun lui était totalement passée. Il ne pensait pas qu'il était comme ça. Il releva les yeux vers Liam une nouvelle fois et il remarqua qu'il s'était dirigé vers l'entrée du parc. C'était sûrement le signe qu'ils ne devaient peut-être pas se voir en vrai finalement.
Morgan soupira en entrant dans le parc de Choisy pour rentrer chez lui. Il vit que Liam s'était arrêté en plein milieu du chemin, le nez collé à son téléphone. Il profita du fait qu'il ne regardait pas autour de lui pour passer à côté de lui, pressant légèrement le pas pour sortir du parc et enfin rentrer chez lui.
Liam - Quoi ? Non non non pas du tout ! Je disais ça pour plaisanter
Morgan - Ah bah c'était super drôle je suis mort de rire
Liam - Excuse moi j'ai jamais vraiment été doué avec les gens, c'est sûrement pour ça que j'ai toujours été seul
Morgan - ... Alors quand tu disais que t'avais pas d'amis c'était vrai ?
Liam - J'en ai eu mais ils m'ont tous laissé derrière eux
Morgan - Pourquoi ?
Liam - Parce que...
Liam - Je te le dirai peut-être un jour qui sait ?
Lui le savait. Liam n'aurait jamais le courage de le lui dire. Seuls ses parents étaient au courant. Il n'en avait jamais parlé autour de lui parce que c'était mieux comme ça. Que les autres ne sachent pas. Et c'était mieux que Morgan ne le sache pas.
Il reprit sa route, sortant du parc pour rentrer chez lui, tout en continuant de correspondre avec Morgan.
Morgan - J'ai remarqué que tu n'aimais pas beaucoup parler de toi
Liam - C'est vrai
Morgan - Je voulais pas paraître insistant désolé
Liam - T'inquiètes
L'adolescent entra dans un des ascenseurs de son immeuble, celui qui desservait les étages pairs. Il profita de la longue ascension – il habitait au vingt-deuxième étage – pour relancer la conversation.
Liam - Au fait t'as revu ton frère du coup ?
Morgan - Ah ouais je regrette presque mdr
Liam - Pourquoi ça ? Qu'est-ce qu'il a fait ?
Morgan - Oh rien j'ai juste l'impression d'être redevenu le petit gamin qu'il martyrisait 😂
Liam - D'accoooooord
Morgan - Non mais je plaisante ça fait plaisir de le revoir ouais
Liam - Je t'ai pas demandé il fait quoi comme études ?
Liam était ce genre de personne qui ne parvenait pas à s'arrêter de réfléchir, de penser. Il avait toujours un nombre incalculable de questions en tête et il n'hésitait généralement pas pour les poser. S'il n'avait pas voulu être chirurgien, il se serait très certainement tourné vers l'école de police pour devenir enquêteur ou quelque chose comme ça.
Il profita du temps de réponse pour ouvrir sa porte et se mettre à l'aise, allant jusqu'à la cuisine pour se servir un verre de jus d'orange.
Morgan - Il est en cinquième année de droit international autant te dire qu'il en chie
Liam - Wow et pourquoi le droit international en particulier ?
Morgan - Il aimerait changer les choses concernant les personnes LGBT+ dans le monde pcq dans certains pays on réserve la peine de mort pour le homosexuels
Liam - La peine de mort ? Carrément ?
Morgan - Ouais on vit dans un monde de dingues, je sais qu'en Inde c'est prison à vie
Liam manqua de cracher sa boisson en lisant les messages de Morgan. Peine et de mort et prison à vie ? C'était tout de même assez extrême comme punition. Est-ce que seulement les homosexuels méritaient d'être punis à cause de leur sexualité ? Liam ne connaissait aucun homosexuel, mais il était persuadé qu'ils ne devaient pas être si différents des autres. Pas du tout même. Ils étaient des êtres humains. Il avait du mal à saisir comment on pouvait se montrer aussi cruel.
Il but son jus d'orange d'une traite, estimant que c'était plus prudent. Il savait qu'il poserait d'autres questions – il était toujours avide d'en savoir plus sur les sujets qu'il ne connaissait pas – et il ne voulait pas risquer de recracher son verre sur le comptoir de la cuisine, ni même sur son téléphone – encore moins.
Liam - Mais comment on peut faire ça ?
Morgan - Je sais pas
Liam - Du coup ton frère il veut essayer de légaliser le mariage pour tous dans tous les pays ?
Morgan - Ouais mais aussi changer les choses pour les transgenres etc
Le brun avait déjà entendu ce mot avant. Un reportage était passé sur M6 et il avait supplié à ses parents de le regarder toujours dans cette optique de comprendre mais surtout d'apprendre plus de choses.
Liam - Et comment lui est venu cette idée à ton frère ?
Morgan - Il a fait un voyage en Inde une fois et il a rencontré un garçon gay seulement rien n'a jamais pu se passer entre eux à cause des lois indiennes, ça a un peu été le fil conducteur si tu veux
Liam - Oh je vois... Du coup ton frère est gay ?
Morgan - Non il est bi
Liam - Oh et ils se sont revus avec l'indien ?
Morgan - Ils ont gardé contact il me semble ouais
Liam - Et...
Morgan pouffa, réprimant aussitôt son rire en se souvenant qu'il était dans le métro. La curiosité de Liam l'amusait, mais sa gêne également. Cela se voyait qu'il n'était pas à l'aise avec ce genre de sujets. Ça le fit sourire alors qu'il décida de devancer sa question en terminant sa phrase.
Morgan - Et ils sont en couple ? Non mon frère a une fiancée, ils ont juste gardé contact pcq ils s'entendaient bien
Liam - Oh je vois... pardon je voulais pas paraître trop curieux
Morgan - Nan tkt, et toi ton frère il veut faire quoi plus tard ?
Liam - Oula il cri à tue-tête qu'il veut devenir astronaute mais bon tu sais comment sont les gosses...
Morgan - Je me rappelle que je voulais devenir pilote d'hélicoptère
Liam - Wow c'est précis 😂
Morgan - Arrête c'est trop stylé
Liam - Ouais j'avoue, mais tu veux toujours faire ça ?
Morgan - Non
Liam - Bon bah voilà 😂
Morgan - Et toi alors ?
Liam - Moi ? J'ai toujours voulu devenir chirurgien
Morgan - T'es en S du coup ?
Liam - Ouais et toi ?
Morgan - En L, tu sais la filière des branleurs et ou y a des filles 😏
Liam - Pouah ces motivations
Morgan - Bon
Liam - Oui ?
Morgan - Demain on est vendredi
Liam - C'est exact
Morgan - Alors on va parler toute la nuit je te préviens
Liam - je crois que je pourrais pas tenir une nuit entière 😂
Morgan - Ah ouais ? Je t'appellerai tkt, je te chanterai du métal tu seras obligé de rester éveillé
Liam - Tu sais que je peux couper mon téléphone ?
Morgan - Merde
Morgan - Ouais mais non, tu le feras pas parce que je suis ton ami
Liam - Ouais on verra
Morgan - Okey à demain ;)
« Encore en train de parler à ton inconnu ? »
Morgan releva la tête de son téléphone pour voir son frère s'asseoir au pied de son lit. Il se redressa, posant son téléphone à côté de lui.
« Alors déjà, c'est pas « mon » inconnu, et ensuite, qu'est-ce que ça peut te faire ?
- Je sais pas, je m'intéresse. Il s'appelle comment ?
- Tu t'intéresses, c'est ça ouais... » souffla-t-il en croisant le bras.
Il tourna la tête dans un geste d'ignorance totale à l'égard de Vincent, mais ce dernier ne bougea pas d'un pouce, continuant de fixer son cadet, un sourire amusé aux coins des lèvres.
« Liam, répondit alors le noiraud en lui accordant un regard de biais.
- Non, comme dans les One Direction ?
- Bon, si c'est pour dire des conneries, tu peux te barrer ! » s'écria-t-il en lui jetant un coussin à la figure.
L'aîné éclata de rire, esquivant avec agilité l'oreiller – l'agilité c'était de famille chez eux.
« Bon, dis-moi... Il est mignon ? Demanda-t-il un sourire malicieux sur le visage.
- Mais barre-toi en fait ! »
Cette fois-ci, Morgan saisit l'oreiller avant de mettre tout son poids pour l'étouffer dans les règles de l'art, comme leur fratrie en avait l'habitude. Seulement, l'imbécile qui lui servait de « grand » frère continuait de rire, même sous la torture. Le cadet se décida donc à se rasseoir correctement, sans oublier de décrocher un regard noir à Vincent.
« Quoi ? Il t'a bien envoyé une photo non ?
- De ses yeux. Mais- »
Il se coupa dans sa phrase, détournant le regard. Est-ce que c'était vraiment une bonne idée de lui dire qu'il l'avait vu aujourd'hui mais qu'il n'avait pas osé l'aborder ? Vincent se pencha vers lui en plissant les yeux, toujours un sourire lui étirant les lèvres.
« Mais ? » Répéta-t-il pour l'inciter à continuer.
Morgan soupira. Il ne le lâcherait pas, alors autant qu'il lui dise maintenant. Ça lui ferait gagner du temps et de l'énergie.
« Je l'ai vu aujourd'hui.
- Oh quoi ? Genre vu pour de vrai ? C'était comment ? Il est sympa ? Mieux- s'emporta le plus vieux.
- Oh calme-toi ! Je suis pas allé lui parler ! Le coupa-t-il.
- Hein ? »
Son frère lui fit les gros yeux, le fixant la bouche béante.
« C'est une blague ? Pourquoi ?
- Je... je sais pas, j'ai eu peur.
- Mais de quoi ?
- Roh ! Mais je t'en pose des questions moi ? »
Morgan se leva, lassé que Vincent ne le bombarde de questions. Il s'assit sur le tabouret, face à son piano avec nonchalance. Son frère le suivit du regard, l'air coi. Il ne dit rien. Et même s'il voulut parler, il s'interrompit en entendant son cadet commencer à jouer. C'était un air doux, assez mélancolique dans le fond. L'aîné baissa le regard, bougeant lentement la tête au rythme de la mélodie.
Il la releva soudainement en entendant un grain de voix se superposer à la musique. Il ne l'avait jamais entendu chanter. Il ne savait même pas qu'il chantait, ni qu'il composait ses propres chansons.
« I felt overwhelmed
In fact I was broken
Would never feel better
Couldn't fall in love again
But all the pain, all wounds belong in the past
And myself is hurt, but you bound me up... »
La mélodie au piano se retrouva de nouveau seule et reprit, plus forte et plus puissante, avant de ralentir et de doucement s'éteindre. Vincent resta silencieux, les sourcils arqués, ne comprenant que trop bien le sens des paroles.
« J'ai pas la suite. » glissa alors le cadet en se tournant pour faire face à son frère.
Ce dernier le dévisagea, toujours un peu surpris, et peut-être aussi un peu flatté d'avoir entendu son petit frère chanter alors que jusqu'alors, il se contentait de quelques mélodies simples au piano.
« Je savais pas que tu chantais, dit-il alors, Ni que tu composais tes chansons. »
Morgan se leva du petit tabouret pour revenir s'asseoir sur le lit, auprès de son frère.
« C'est récent. Mais j'ai toujours aimé chanter par contre. Je le faisais quand j'étais sûr d'être seul à la maison.
- La personne à qui tu t'adresses dans la chanson, c'est...
- C'est Liam. »
A cela il relava la tête pour croiser le regard de Vincent. Ce dernier se passa la main dans ses cheveux bruns, sans comprendre ce que son petit frère cherchait à lui dire. Mais il soutint son regard, lui souriant faiblement.
« Depuis que je lui parle, j'y pense plus Vince... il me fait du bien. » souffla le plus jeune.
Alerter par les yeux brillants de son cadet, Vincent le ramena contre lui, l'enserrant dans ses bras pour le rassurer. Et la seconde d'après, il se dit qu'il avait bien fait puisqu'il sentit les épaules du noiraud remuer contre lui. Quand il entendit Morgan sangloter, il se mordit la lèvre. Ça le rendait malade de le voir comme ça. Ça le rendait juste dingue. Il avait juste envie de cogner partout, mais surtout sur la personne à l'origine de toute la peine du plus jeune. Ça durait depuis trop longtemps. Il fallait que ça s'arrête. Morgan aussi avait le droit de vivre une vie normale merde !
« S'il te change les idées, la prochaine fois n'aies plus peur d'aller lui parler. Ça me tue de voir que t'as toujours aussi mal Morgan... Ça me tue de pas réussir à te faire penser à autre chose. Mais si lui, il y arrive, alors n'aies plus peur. » murmura-t-il dans un souffle à peine audible.
Ne plus avoir peur. Ne plus y penser. Confier sa reconstruction à un inconnu. C'était juste effrayant comme idée. Mais Morgan avait déjà tenté tellement de choses qui n'avaient pas marché. Puis Liam n'était pas inconnu. Plus maintenant. Lui aussi semblait être torturé. Peut-être qu'ils avaient besoin l'un de l'autre. Leur rencontre n'était certainement pas le fruit du hasard. Liam pouvait l'aider. Et inversement.
Morgan n'aurait plus peur.
Il voulait avancer. Tout oublier. Se reconstruire.
Et Liam arrivait par il ne savait quel miracle à lui faire tout oublier.
Morgan n'aurait plus peur.
Parce que désormais, il avait trouvé son échappatoire.
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"Je me sens submergé.
En réalité je suis brisé.
Je ne pourrais pas aller mieux.
Ni tomber amoureux de nouveau.
Mais toute la peine, toutes les blessures font parties du passé.
Et je suis blessé mais tu me fais aller mieux."
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