Liam – Pas si inconnu que ça vu que tu connais mon prénom.

Numéro inconnu – Pourquoi tu casses mes délires :(

Liam pouffa de rire en venant fermer l'écran de son ordinateur, après avoir décidé qu'il ne regarderait pas la suite de son épisode pour le moment. Un dimanche de flemmardise semblait être un bon plan. Et quoi de mieux pour flemmarder qu'un lit, un téléphone, et un correspondant mystère ?

L'adolescent s'affala entre les coussins, se repassant en mémoire la conversation qu'il avait eu la veille avec l'inconnu. Il se souvint alors des premiers messages échangés et du nom – ou plutôt du surnom – que l'inconnu avait donné. Vince. Très certainement un diminutif du prénom Vincent, se dit Liam en toute logique. Mais quelque chose ne collait pas dans tout ça. Qui était ce Vincent et comment l'inconnu avait fait son compte pour se tromper de numéro ? S'il devait revoir ce Vincent, il aurait dû en toute logique avoir déjà le contact d'enregistré dans son téléphone non ?

Liam vint se frapper le front avec son poing. Il réfléchissait trop ! Trop de questions en même temps se bousculaient dans sa tête. Il devait faire le tri et les poser petit à petit à son correspondant. Il demanda alors en premier lieu qui était ce Vince, demandant également si c'était bel et bien le diminutif d'un certain Vincent.

Numéro inconnu – Mon frère.

Liam – Ah et t'envoie des cœurs à ton frère toi ? 😂

Il ne put s'empêcher de soupirer en y pensant. Théo, son petit frère, était insupportable. Il rentrait parfois en furie dans sa chambre, sautant et criant partout, avant de repartir en trombe dans une autre pièce. C'était une vraie tornade. Il se demandait parfois comment un gosse pouvait avoir autant d'énergie à revendre. Bon. Oui, il l'aimait quand même. C'était son frère après tout. Mais des fois, il avait du mal à le supporter. Liam ne put s'empêcher de glousser en notant la contradiction entre ses pensées et le moment qu'il avait passé avec son frère devant la télé quelques minutes plus tôt. De toute façon, c'était un peu ça la famille non ? Passer de bons moments d'un côté et supporter de l'autre.

Numéro inconnu – Ouais on se voit pas souvent.

Liam – Comment ça se fait ?

C'était plus fort que lui, il ne pouvait pas s'empêcher de poser les questions qui lui traversaient l'esprit. Vincent était donc le frère de l'inconnu. Grand frère ? Petit frère ? Il penchait plutôt pour la première option. Si lui et l'inconnu n'étaient pas amenés à se voir souvent, c'était sûrement qu'ils n'habitaient plus ensemble. Peut-être même que ce Vincent vivait carrément à l'étranger.

Numéro inconnu – Il habite plus ici à cause de ses études du coup il vient que pendant ses vacances et quelques week-ends.

Ceci expliquait cela. Il était vrai que nombre de personnes quittaient le nid familial après le Bac pour faire leurs études supérieures ailleurs. Liam se dit qu'il ne ferait sans doute pas partie de ces personnes. Il voulait faire des études de médecine et devenir chirurgien. Il avait déjà regardé les universités où étudier et il avait été convaincu par la Faculté de Médecine dans le 6e arrondissement de Paris. Il savait d'avance que les cours allaient demander énormément de travail, alors il avait rapidement écarté l'optique de prendre un studio, et un petit boulot pour payer les frais divers. Ses parents allaient l'avoir sur le dos pendant encore quelques années... Il n'aimait pas trop l'idée de leur imposer sa présence jusqu'à la fin de ses études – surtout lorsqu'elles seraient aussi longues – mais il savait que ses parents ne le mettraient jamais dehors, au contraire.

Liam reprit le fil de la conversation. Le frère de l'inconnu faisait des études. Mais quoi comme études ? Non, cette question pouvait attendre. Comment l'inconnu s'était débrouillé pour se tromper de numéro en écrivant à son frère ? Il l'avait fait exprès, ce n'était pas possible autrement.

Liam – Sinon tu m'expliques comment t'as fait ton compte pour te gourer de numéro alors que tu envoyais un message à ton frère ?

« Liam ! A table ! » s'écria Hélène depuis la salle à manger.

L'adolescent sursauta brusquement à la voix. Il se rendit alors compte qu'il allait effectivement être midi – et ses parents étaient en général très assidus concernant l'heure des repas. Il se leva de son lit, s'arrêtant tout de même pour regarder l'écran de son téléphone. L'inconnu lui avait déjà répondu.

Numéro inconnu – Crois-moi tu veux pas savoir tellement c'est con.

« Liam, tu viens manger ? » réitéra sa mère à l'autre bout de l'appartement.

L'adolescent dû faire appel à une concentration monstre pour répondre à l'inconnu tout en criant à sa mère qu'il arrivait.

Liam – Balance toujours.

Liam s'arrêta un instant, se demandant s'il devait informer l'inconnu qu'il allait manger et qu'il allait donc lui répondre plus tard ou s'il allait prendre son téléphone avec lui. Il savait que ses parents n'appréciaient pas vraiment l'idée, mais il avait bien le droit de faire un écart pour une fois. Il garda donc le petit appareil dans sa main, le verrouillant tout de même avant de quitter sa chambre. A peine eut-il mit le pied dans le couloir qu'il fut accueilli par sa tante et marraine Isabelle.

« Bah alors ? Comme ça on vient plus dire bonjour ? » taquina gentiment la femme.

Il se baissa pour l'embrasser, avant de jeter un regard interrogateur à ses parents qui étaient déjà assis à table avec Théo. Il ne souvenait pas qu'elle venait manger avec eux ce midi.

« Toi, tu as encore grandi ! Quand est-ce que tu vas t'arrêter ? Je vais finir par investir dans une échelle, à force... » taquina Isabelle en lui pinçant la joue.

Liam ne sut réprimer un rire à la remarque. Sa marraine était petite. Elle devait faire un mètre cinquante-cinq, tout au plus. Lui il venait tout juste d'atteindre les un mètre soixante-dix. Ce n'était pas gigantesque en soit, mais la différence de taille était forcément notable entre eux. Il n'y pouvait rien s'il avait pris les gènes de son père de ce côté-là...

L'adolescent frémit en sentant son téléphone vibrer dans sa main, regardant instantanément l'écran pour voir la notification du message.

Numéro inconnu – Mon frère a perdu son téléphone du coup il en a racheté un et son opérateur téléphonique est tellement bien foutu qu'il a été obligé de changer de numéro.

Quoi ? C'était tout ? Ça n'expliquait pas le fait que l'inconnu s'était trompé de numéro. Liam fronça les sourcils malgré lui.

« Et bien, cache ta joie, dis donc ! Je vois que ça te fait plaisir de me voir... Espèce de petite fripouille va. » lâcha la tante en s'asseyant à table.

Liam sursauta à la remarque, relevant instantanément le regard, pris sur le fait.

« Non, pardon, désolé Isa'. Je me rappelais pas que tu venais manger avec nous ce midi. » expliqua-t-il en s'asseyant à son tour.

Ce fut ce qu'Hélène attendait pour commencer à servir tout le monde. Elle avait préparé un hachis-parmentier, et rien qu'à l'odeur qui se dégageait du plat, Liam en salivait déjà. Et il n'était visiblement pas le seul à raffoler de cette recette de sa mère, puis qu'aussitôt servis, Théo et Philippe s'empressèrent de manger sans attendre que tout le monde ait sa part.

Liam profita de ce moment pour répondre rapidement à son correspondant.

Liam – Ça m'explique pas le fait que ce soit moi qui ait reçu le message.

Il posa son téléphone sur la table à côté de lui, reportant son attention sur sa famille – et son hachis qui lui faisait de l'œil.

« Je passais simplement dans le coin, je me suis dis que j'allais faire un petit saut pour voir mon neveu et mon filleul préférés, sourit-elle en regardant Théo et Liam tour à tour.

- Oh, c'est sympa, répondit Liam en prenant une fourchettée de purée.

- Mais c'est moi ton préféré tout court ! Coupa Théo en se redressant vivement sur sa chaise, pratiquement au point de se mettre debout dessus.

- Théo, reste assis correctement à table.

- Ta mère a raison, ce ne sont pas des ma- »

Liam fut de nouveau happé par la vibration singulière du petit appareil, posant sa fourchette pour l'attraper.

Numéro inconnu – Mon frère est une brelle pour se souvenir des numéros de téléphone, il a juste noté celui de mon père au cas où et il lui a envoyé son nouveau numéro. Et au lieu de me l'envoyer direct (parce qu'il sait pas faire) mon père l'a noté sur un papier, sauf qu'il écrit comme un pied. Et avec moi qui suis teubé, j'ai essayé de déchiffrer son écriture plutôt que de vérifier direct sur son tel, alors voilà quoi j'ai mis un 7 à la place du 1.

Numéro inconnu – Et des 0 à la place des deux 6 aussi.

Liam ne put s'empêcher de glousser de rire, oubliant presque sa famille qui était attablée avec lui. Ça semblait tellement tiré par les cheveux qu'il avait un peu de mal à y croire. Et c'était ce qui rendait la situation aussi drôle.

« Bon, Liam tu pourrais laissé ton téléphone quand on mange, lâcha son père, visiblement agacé. Surtout qu'Isabelle est là.

- Laisse Philippe, il est jeune... » coupa la tante calmement.

Liam la regarda l'air désolé, mais cette dernière lui fit un clin d'œil comme pour lui dire qu'elle ne lui en voulait pas. Alors rapidement il tapa une réponse, faisant sûrement des fautes au passage puisqu'il ne prit la peine de se relire.

Liam – Ah oui quand même, c'est sûr que là je comprends mieux 😂 (Je mange en famille là je te reprends après)

Il délaissa de nouveau son téléphone à côté de lui et se jura mentalement de ne plus y toucher du repas – et ça allait être dur de résister à sa curiosité, il le savait d'avance.

Il reporta son attention sur ses proches et plus particulièrement sur sa tante, lui souriant faiblement, la honte se lisant un peu sur ses joues.

« Alors mon coco, c'est à une petite minette que tu écris comme ça ? »

Liam manqua de s'étouffer avec un bout de viande, recrachant amèrement ce qu'il avait dans la bouche dans son assiette – on repassera pour l'élégance et la grâce. Isabelle avait toujours ce franc parlé et ce tempérament collait tout à fait avec la voix un peu rocailleuse qu'elle avait. Elle adorait taquiner l'adolescent sur tout un tas de sujet, et celui des « minettes » n'avait pas été mis sur le tapis depuis un bon moment à présent. Liam avait eu besoin de temps et d'espace sur ce pan de sa vie privée et sa famille s'était jusque là montrée très compréhensive. Jusqu'à aujourd'hui visiblement. Hélène ne tarda pas à réprimander sa sœur.

« Isa' ! s'exclama-t-elle simplement sur un ton de reproche qui était suffisamment explicite.

- C'est quoi une minette ? demanda Théo innocemment.

- Quoi ? Ça fait des années maintenant ! Liam a peut-être enfin tourné la page après cette Ju-

- On peut parler d'autres choses, s'il te plaît ? » coupa l'adolescent en jouant machinalement avec sa nourriture.

L'invitation à changer de sujet en disait long sur le sujet et attestait le fait que Liam était encore bien loin d'avoir tourné la page, ou quoique ce soit qui pouvait s'en rapprocher d'ailleurs. Isabelle s'excusa très vite, un blanc s'étant installé sur la tablée avant que Théo ne brise le silence – merci à cet enfant d'exister. Il était encore trop jeune pour saisir la légère tension qui s'était installée, alors, son intervention fut la bienvenue.

« A qui tu parles Liam ? questionna-t-il en appuyant sur les syllabes qui comprenaient des voyelles.

- A personne. » répondit-il plus sèchement qu'il ne l'aurait voulu.

Il joua de nouveau frénétiquement avec sa fourchette, s'amusant à aplatir la purée pour former un cercle dans son assiette. Puis il sentit son téléphone vibrer, son regard s'orientant de suite sur l'écran. Si ça ne tenait qu'à lui, il lirait immédiatement la réponse de son correspondant, mais il se fit violence pour ne pas le faire comme il était encore à table.

Pour détendre l'atmosphère, Isabelle se leva brièvement pour ramener son sac, se rasseyant en farfouillant dedans à la recherche de quelque chose.

« Ah là là, j'ai trop de bordel là-dedans moi... » soupira-t-elle en posant quelques affaires sur la table pour y voir plus clair.

Liam la regardait faire intrigué et aussi assez dubitatif sur ce qu'elle mettait dans son sac à main qui semblait soudainement plus constituer un sac fourre-tout qu'un réel sac à main. Au câble de chargeur, à la lampe torche, aux piles, Liam se dit que cela pouvait constituer une montagne de « au cas où » mais en voyant carrément un mug sortir du grand sac, il conclut que sa tante figurait comme un mystère et que son sac était très certainement plus grand à l'intérieur qu'il en avait l'air. Sérieusement, comment réussissait-elle à mettre tout ça... là dedans ? Il devait forcément y avoir une faille spatio-temporel dans ce sac ou quelque chose dans le genre... Peut-être était-ce même une sorte de tardis comme la cabine téléphonique du Docteur Who ? Ce n'était très certainement pas la réponse la plus plausible – ni même crédible – mais Liam acceptait volontiers l'idée qu'Isabelle pourrait très bien être l'homologue féminine du Docteur Who, dans un univers parallèle.

« Ah voilà ! Je suis pas juste passée pour manger, je vous ai aussi apporté des cadeaux, dit-elle finalement en tendant deux livres à ses neveux, Pour toi Théo, je t'ai pris une BD de Spider-man.

- Ouais trop bien !! » s'écria le petit garçon en sautant de sa chaise pour récupérer son cadeau.

Il n'attendit pas plus longtemps pour se vautrer sur le canapé et commencer à feuilleter le livre qui semblait immense dans ses petites mains d'enfant. Isabelle se tourna ensuite vers Liam, lui tendant un livre qui semblait nettement plus petit que la grande BD de Théo.

« Et pour toi Liam, le dernier tome de One Piece, j'ai vu qu'il était sorti.

- Oh, merci Isa', je l'avais pas encore acheté.» sourit l'adolescent en examinant la couverture.

Une autre vibration capta son attention de nouveau, Liam se mordant la lèvre, luttant comme il le pouvait pour ne pas toucher à son téléphone.

« Bon, réponds, tu en meurs d'envie mon grand. » lâcha Isabelle en voyant la façon dont Liam fixait son portable.

Il sursauta, un peu embarrassé que ce soit si facile de le sonder, mais il se résigna, reprenant sa fourchette pour terminer son plat.

« Non mais j'ai dit que je mangeais, ça peut attendre. »

Son correspondant pouvait attendre oui. La réponse à son message également. Mais est-ce que Liam pouvait attendre ? C'était plutôt ça le gros du problème. Sa curiosité en devenait presque maladive à un certain seuil.

« C'est quelqu'un de ton lycée ? Interrogea son père.

- Mmh ? Heu oui, c'est pour les cours. » mentit l'adolescent.

Il n'aimait pas trop l'idée de mentir à ses parents mais évoquer son correspondant devant sa famille lui semblait prématuré, surtout lorsqu'il ne savait quasiment, voire, rien sur lui. Ils savaient déjà ce qu'ils allaient dire : « Méfie-toi », « Tu ne connais pas cette personne », « Ça pourrait être quelqu'un de mal attentionné », et bla, bla, bla... Il était certes curieux mais il n'était pas non plus naïf. Il n'allait pas révéler son adresse à son correspondant, ça c'était certain. Il pourrait à la limite envisager une rencontre, mais certainement pas dans l'immédiat et encore moins avant d'en savoir plus sur lui. Comme son prénom par exemple, ce serait une idée. Le fait que l'inconnu entretienne d'ailleurs le mystère à ce sujet était à la fois excitant et effrayant parce qu'il y avait d'une part le côté devinette et enquête que Liam appréciait mais de l'autre la méfiance et la crainte de se dire que ça pouvait très bien être un fou.

Liam restait lucide sur ce point là et il n'avait pas spécialement envie d'entendre les avertissements de ses parents pour l'heure. Il ne voulait pas se prendre trop la tête avec ça.

Lorsqu'il eut fini de manger, il aida à débarrasser la table puis ils jouèrent à un jeu de société en famille. Ils rirent de bon cœur, puis Isabelle rentra chez elle après les avoir embrassés.

Seulement à ce moment-là, Liam retourna dans sa chambre pour se laisser tomber sur son lit, déverrouillant rapidement son téléphone.

Numéro inconnu – Donc gros concours de circonstances tu t'en doutes. (Bon appétit)

Numéro inconnu – Et sinon t'habites quelle ville ? Moi je suis sur Paris mais je pense pas que le concours de circonstances ait poussé aussi loin au point de vivre dans la même ville quand même.

Liam se redressa brusquement, relisant encore et encore la même portion de phrase. Moi je suis sur Paris. C'était pas possible. Paris. La capitale de la France.

Bravo Liam, tu connais ta géo.

Bon sang. Pendant un instant il se dit réellement que ce n'était pas possible, remettant même carrément en question sa certitude qu'il avait de vivre dans la capitale depuis toujours. Il se gifla mentalement de vouloir vérifier mais son regard s'orienta tout de même sur les rangées interminables des immeubles haussmanniens qu'il pouvait apercevoir au loin. Il scruta la ville un instant – ayant une vue imprenable sur cette dernière – , ses yeux survolant une portion de La Seine. Il ne se souvenait plus le nombre incalculable de fois qu'il avait longé les quais, que ce soit avec ses amis de l'époque ou sa famille. Proche de l'Île de la Cité, il pouvait apercevoir la flèche de la Cathédrale de Nôtre-Dame. Il s'était arrêté plusieurs fois sur le parvis mais il n'avait jamais visitée l'édifice, il devrait y songer un jour, se dit-il, avant que son regard ne vagabonde de nouveau sur la ville. Culminant sur les hauteurs de Montmartre, il pouvait trouver le Sacré Cœur. Il se souvint du jour où il avait été le visiter avec sa famille, se perdant dans le dédale de petites ruelles au charme si atypique de ce quartier. Et à l'autre bout de la métropole, le symbole qui ne laissait plus aucun doute quand à la ville, s'élevant fièrement vers le ciel, toujours debout malgré le projet initial de la démonter après l'exposition universelle de 1889, la dame de fer surplombait tout Paris. La Tour Eiffel. Pas de doute possible, Liam vivait bien à Paris.

Il laissa échapper un rire à moitié nerveux en le réalisant. Ce niveau de coïncidences en devenait presque flippant sérieux. Il lui fallut d'ailleurs un moment pour s'en remettre avant de finalement répondre à son correspondant.

Liam – Et bah tu vas rire mais le concours de circonstances a vraiment poussé aussi loin que ça... J'habite à Paris aussi.

Il resta plusieurs minutes avec son téléphone dans ses mains à penser à l'absurdité de la chose, très certainement dans l'attente d'une réponse. Mais comme aucun message ne venait, il se dit que son correspondant devait être occupé, alors il récupéra son ordinateur qu'il avait posé sur son bureau pour continuer l'épisode qu'il avait commencé le matin même. Cependant il regarda à moitié, une partie de son esprit ailleurs. Il se surprit même à pouffer de rire en se disant une fois de plus à quelle point la situation était cocasse alors que ce qui se passait actuellement sur l'écran était d'un sérieux monumental.

Arrête de rire comme un con, sérieux.

Il tenta de reprendre le fil de l'histoire, sa main venant saisir la souris alors que le générique de fin commençait. Mais avant qu'il ne clique sur le prochain épisode, son téléphone vibra et il ne se posa pas mille questions pour l'attraper – il aurait très certainement pu rivaliser avec Lucky Luke niveau rapidité ce coup-ci.

Numéro inconnu – Nooon arrête tu me charries là !

Liam – J'avais tellement de mal à y croire aussi que j'ai vraiment vérifié en regardant par la fenêtre, mais vu la plâtrée de monuments parisiens que je peux voir depuis chez moi, le doute est difficilement possible (j'habite au 22e étage donc ouais j'ai une belle vue)

Liam vint fermer l'écran de son ordinateur du bout de son pied, le poussant légèrement sur le côté pour pouvoir s'étirer tranquillement. Il n'eut cependant pas le temps de bailler que la réponse arrivait déjà.

Numéro inconnu – Ah ouais, t'habites plutôt vers les banlieues du coup ?

Liam – Ouais je suis proche mais je reste dans Paris quand même.

L'adolescent se fit un schéma mental de son quartier en y pensant. Il était vrai qu'il n'était pas très loin d'Ivry-sur-Seine mais il n'était pas non plus à la lisière du boulevard périphérique. Il habitait dans le 13e arrondissement entre Place d'Italie et Olympiade. Ce quartier, il y avait vécu toute sa vie. De la crèche au lycée, il n'avait jamais eu beaucoup de trajet à faire pour aller en cours. Il avait la chance de faire partie de ces élèves qui pouvaient avoir une panne de réveil et tout de même arriver à l'heure, ce qui n'était pas le cas de tous ses camarades de classe, il le savait.

Heureusement que le parc de Choisy apportait un peu d'espace à son quartier, autrement les hautes tours et les immeubles pouvaient rapidement devenir oppressants. C'était le principe même de l'urbanisme en soit. Plus la ville s'étendait, plus les immeubles grandissaient pour loger le plus de monde possible. Ça pouvait vite paraître ennuyant mais il aimait son quartier car il était toujours animé et vivant. Connu pour être le cœur asiatique de Paris, c'était particulièrement à cet endroit que le nouvel an chinois était célébré, majoritairement dans l'avenue d'Ivry avec des défilés toujours hauts en couleurs. Liam appréciait s'y rendre, non seulement parce l'idée de fête lui plaisait mais aussi parce qu'il trouvait les différentes cultures passionnantes. Il aimait s'intéresser aux us et coutumes qui lui étaient étrangers pour les comprendre. Il s'était toujours dit que s'il en aurait les moyens plus tard, il adorerait faire toutes sortes de voyage pour découvrir des pays qui ne lui étaient pas familiers.

Lorsque son regard s'attacha de nouveau sur l'écran de son téléphone, il constata que son correspondant avait relancé la conversation.

Numéro inconnu – Et toi, t'as des frères et sœurs du coup ?

Liam – Ouais, un petit frère de 8 ans, il s'appelle Théo.

Liam lui étala aussi un peu sa vie fraternelle avec lui et les rapports parfois compliqués qu'ils avaient, en appuyant bien sur le fait que souvent, ses parents lui demandaient de le garder pendant qu'ils allaient faire une sortie « en amoureux » et qu'il se retrouvait à accepter par dépit – parce qu'il n'avait pas vraiment le choix au final. L'inconnu sembla s'amuser de sa situation plutôt que de compatir. Mais quel ingrat !

Boubou jaillit soudain d'un côté du lit, attirant le regard de Liam qui le fixa un instant. Le chat s'assit face à lui, le dévisageant, les pupilles fines, fermant faiblement les paupières. L'adolescent l'imita par réflexe. Il avait lu quelque part que cligner des yeux étaient un signe de confiance pour ces félins domestiques. Allez savoir si c'était vrai ou non...

Cependant, Boubou s'approcha de Liam après cette réponse, venant frotter sa tête contre le nez, les lunettes se tordant sur l'arête. Il ronronnait. L'adolescent vint donc lui grattouiller les joues, sachant pertinemment que son chat adorait ces petites attentions. Quelques secondes plus tard, le chat tigré se cala contre le flan du garçon, se couchant en boule après avoir fait deux ou trois tours sur lui-même. Liam lui fit une petite caresse sur la tête avant de reprendre son téléphone en main.

Liam – Sinon j'ai un chat qui s'appelle Boubou

Numéro inconnu – Faudrait p'têtre songer à arrêter les coïncidences Liam, ça commence à devenir flippant là (et c'est quoi ce nom sérieux ? 😂)

Liam – Quoi ? Toi aussi t'as un chat ? (Arrête ce nom est génial)

Numéro inconnu – Bah ouais, un mâle de huit ans (le bon gros pépère) on l'a appelé Olympe

Liam – Ouais j'avoue ça sonne mieux que Boubou 😂 Mais bon il se plaint pas de son prénom ça va

Numéro inconnu – Ça se saurait si les chats pouvaient parler

Liam gloussa. Imaginer Boubou en train de lui dire que c'était honteux de l'avoir appeler comme ça était quelque chose de comique, assurément. Enfin ne pas être doté de parole ne l'empêchait pas de se faire comprendre et vice versa. Liam pouffa de rire en se souvenant des longs échanges qu'ils avaient pu avoir, le chat miaulant de toutes les manières possibles et lui, essayant de l'imiter.

Liam – Perso on cause bien avec Boubou

Numéro inconnu – Ah ouais t'en es à ce point-là

Liam – J'ai pas d'amis je te rappelle

L'adolescent sentit qu'il y eut un blanc, étant donné que son correspondant semblait mettre plus de temps que d'habitude pour répondre. Liam regretta alors son message qui, bien qu'il se valait humoristique, pouvait aisément laisser la place au doute ou à une mauvaise interprétation. Il aurait peut-être dû rajouter un smiley à la fin de sa phrase pour lever tous soupçons...

Numéro inconnu – J'arrive pas à savoir si tu plaisantes quand tu dis que t'as pas d'amis ou si c'est vrai

Merde.

Liam jeta un coup d'œil à son chat, comme si la réponse allait jaillir de son pelage ou de ses moustaches. L'inconnu ne lui posait pas la question directement mais il était clair qu'il attendait une réponse. Il ne voulait pas lui faire pitié, mais l'idée de mentir en clamant avoir des tonnes d'amis ne le séduisait pas davantage. Il se dit alors que laisser la question en suspens pour le moment restait sa meilleure option. Le fameux coup du « p'têtre bin qu'oui, p'têtre bin qu'non ».

Liam – Mystère

Liam soupira en se laissant tomber en arrière sur son lit, lâchant son téléphone qui rebondit sur le matelas. Il fixa son plafond, réfléchissant activement. Il plaisantait avec l'inconnu évidemment, mais c'était aussi la stricte vérité. Il n'avait pas d'amis. Plus depuis le collège. Plus depuis cette histoire. Au lycée, il avait toujours été seul. Parce que les autres ne venaient pas vers lui, mais peut-être parce qu'il ne le voulait pas non plus. La solitude ne l'avait jamais dérangée. C'était, au contraire, ce qu'il recherchait. Peut-être qu'inconsciemment, il cherchait à ne pas commettre les mêmes erreurs. Peut-être que c'était ce qu'il y avait de mieux pour tout le monde. Peut-être que c'était mieux comme ça. Il ne devait pas... Non. Il ne voulait pas s'attacher aux gens. De peur de se faire du mal, de les faire souffrir, de les perdre. Il avait déjà assez souffert par le passé. Les choses n'avaient pas besoin de se reproduire.

Peut-être qu'il valait mieux qu'il ne parle plus à l'inconnu. Au fond, il avait peur de s'attacher. Peur de revivre le même calvaire. Peur tout simplement.

Pourtant, le lendemain matin, il avait attrapé son téléphone et ouvert la conversation de son inconnu. Ses doigts avaient écrit quelque chose sur le clavier et il avait cliqué sur envoyer.

Liam – Bonjour bel inconnu :)

Le premier message qu'il avait reçu de cet inconnu était peut-être le signe qu'il pouvait tourner la page, qu'il avait le droit de reprendre le cours d'une vie normale. Il voulait y croire, s'accrocher à cette idée, à cette chance. S'y accrocher plus que tout, comme si sa vie en dépendait. Parce qu'il avait peut-être besoin de renouer le contact avec des gens. Peut-être parce qu'il le voulait. Aussi avait-il peut-être envie de percer le mystère derrière l'identité de son inconnu. Non. En réalité, il en était sûr. Il voulait savoir. Il voulait le remercier de s'être trompé de numéro, d'avoir continué de lui parler, de vouloir être son ami.

Peut-être qu'il délirait. L'inconnu était peut-être simplement un psychopathe jouant le rôle d'un adolescent pour obtenir plus d'informations sur lui. Peut-être qu'il était simplement une distraction. Peut-être que c'était un coup monté de Julia ou de ses anciens amis. Peut-être qu'il se faisait des idées.

Mais il voulait y croire. Il voulait croire au destin. Il voulait croire que la roue pouvait tourner. Il voulait croire que cet inconnu était son échappatoire. Il voulait y croire.