En attendant que jeunesse se passe... ou pas
Une ambiance de folie régnait sur le quartier général de l'Ordre depuis quelques jours. Les Weasley au grand complet – excepté Charlie, occupé par ses dragons - avaient débarqué dès que la maison avait été habitable, ainsi qu'Hermione Granger. Remus avait retrouvé avec plaisir ses anciens élèves, mais celui qu'il attendait le plus n'était pas encore là. Il n'était d'ailleurs pas le seul à attendre que Harry vienne enfin : Sirius trépignait d'impatience.
Après l'arrivée de Harry et son passage au Ministère, l'été passa sans plus d'incidents notables. Evidemment, Tonks réveilla plus d'une fois Mrs. Black en faisant tomber le porte-parapluie en jambe de troll dans l'entrée. Lorsque Remus passait avec elle, il le déplaçait avant qu'elle ne le renverse, si bien que c'en était devenu une habitude. Il rattrapait toujours les gaffes de Dora, et ils en riaient ensuite tous les deux.
S'ils ne discutaient jamais au dîner, pour l'excellente raison que Dora papotait en général avec Ginny et Hermione, Remus et elle eurent d'autres occasions de se retrouver. Il n'avait jamais particulièrement aimé faire des patrouilles, mais lorsqu'on lui attribua Tonks comme partenaire il trouva tout d'un coup cela beaucoup plus palpitant.
Un soir d'août, deux semaines avant la rentrée, Maugrey les envoya surveiller un endroit suspect. On soupçonnait que des Mangemorts allaient s'y réunir. Mais lorsqu'ils arrivèrent sur les lieux, ils trouvèrent une fête foraine qui battait son plein malgré la soirée bien avancée. Dora éclata de rire et, au lieu d'écouter Remus qui lui disait qu'il fallait rentrer puisqu'il n'y avait aucune chance qu'un Mangemort se pointe, elle l'attrapa par la main et l'entraîna au milieu des moldus qui déambulaient joyeusement entre les stands.
Remus se crispa lorsqu'il sentit sa main dans la sienne, peu habitué aux contacts. Il évitait en général ce genre de démonstration. Si Dora s'en rendit compte, elle n'en montra rien. Il déglutit donc et prit son mal en patience. Il avait peur de la heurter s'il se dégageait.
Ils passèrent devant un marchand de barbe-à-papa et Tonks s'arrêta net. Remus faillit lui rentrer dedans mais s'immobilisa juste à temps. La jeune sorcière leva un regard suppliant vers lui, ses cheveux roses volant dans tous les sens autour de son visage de lutin.
- Pitié, dis-moi que tu as de l'argent moldu !
- Euh, oui, mais c'est en cas de besoin urgent, balbutia-t-il, perturbé par sa proximité et sa main qui ne lâchait toujours pas la sienne.
- Qui t'a dit ça ? Fol Oeil ? Ne l'écoute pas, il ne connaît rien à la vie. Et puis de toute façon, une barbe-à-machin c'est un besoin urgent.
- Tu ne sais même pas comment ça s'appelle, releva Remus avec un sourire.
- Bien sûr que si. Allez, achète-moi un de ces trucs !
Remus s'exécuta finalement et ils repartirent quelques minutes plus tard en dégustant leur sucrerie. Tonks avait enfin lâché sa main, mais Remus ne s'expliquait pas le sentiment qui l'habitait. Il ne cessait de lui jeter des regards à la dérobée, perplexe. Elle mangeait goulûment la barbe-à-papa, l'air ravie. En la voyant ainsi, avec ses cheveux roses, Remus se rendit compte à quel point elle était jeune. Il se rappela toutes les conversations qu'elle avait eues avec Hermione et Ginny et se surprit à se demander comment elle le considérait : un ami, un protecteur, un frère ? Si Sirius avait été là, il l'aurait forcé à le lui demander. Mais Remus n'était pas Sirius.
- Il va falloir qu'on invente une bonne histoire pour Fol-Oeil, commenta-t-il alors qu'ils déambulaient toujours.
- Je lui ferai les yeux doux, rétorqua joyeusement Tonks. N'oublie pas que je suis sa protégée !
- Oh, ça ne veut pas dire qu'il sera plus tendre avec toi.
- Tu ignores l'étendue de mon pouvoir, protesta-t-elle en lui faisant les gros yeux, ce qui lui donnait un air de savant fou pour le moins terrifiant.
- Je ne veux pas le savoir !
- Mon meilleur ami imaginaire le saura, lui, persifla-t-elle.
- Et comme ce n'est pas moi, je ne vois pas où est le problème.
Elle lui jeta un regard impénétrable, sérieuse pour une fois, et l'entraîna brusquement dans une allée qui menait vers la sortie.
- Il faut qu'on rentre.
- Tu n'as pas la permission de minuit ?
- Si, mais pas toi.
Sur cette réplique, elle le planta au milieu de la fête et partit à grands pas vers un coin sombre où transplaner discrètement. Surpris par cette brusquerie, il fallut quelques secondes à Remus pour comprendre qu'il devait la suivre.
- Eh, attends-moi !
- Tu te réveilles enfin, papy ? Railla la jeune femme en s'immobilisant près d'une poubelle dans une rue déserte.
- Je ne suis pas si vieux que ça, protesta-t-il.
- Tous les gens plus âgés que moi sont vieux.
- C'est pour ça que tu passes autant de temps avec les jeunes ?
Elle haussa un sourcil.
- Jaloux ?
- Non. Etonné.
A sa grande surprise, il n'avait même pas rougi à sa remarque.
Elle se détourna et continua à marcher, alors qu'ils auraient très bien pu transplaner aussitôt.
- Je profite de la compagnie avant qu'ils ne rentrent tous à Poudlard. Ça va être bien vide après.
Remus prit une profonde inspiration avant de lancer :
- Si tu as des envies de discuter, je serai là.
Il pensait qu'elle allait le rembarrer en arguant qu'il était trop vieux, mais elle se contenta de sourire, son visage à présent radouci. Enfin, elle lui fit un clin d'œil :
- Même si tu n'avais pas voulu, je serais venue quand même.
- Pour le plaisir de réveiller Mrs. Black ?
- Et de voir Sirius traîner des pieds en marmonnant dans toute la maison. S'il continue comme ça il va devenir comme Kreattur !
- Ça fait combien de temps que tu le connais ?
- Sirius ? Depuis le début de l'Ordre. J'ai cru comprendre qu'il se cachait jusqu'à ce que Dumby ait besoin de sa maison.
Remus faillit s'étouffer lorsqu'il entendit le surnom dont elle venait d'affubler le directeur de Poudlard et elle éclata de rire.
- Ça te choque ? Oh allez, je suis sûre qu'il trouverait ça à mourir de rire !
- Peut-être mais... Attends une minute, où est-ce qu'on va ?
- Aucune idée ! S'exclama Dora joyeusement. De toute façon on est censés transplaner pour rentrer au QG.
Remus s'arrêta et lui adressa son plus beau sourire de professeur, qui signifiait « On a bien ri mais maintenant il faut se mettre au travail. » Elle répondit par une moue boudeuse, soupira, et tourna enfin sur elle-même avant de disparaître. Remus suivit son exemple et laissa la ruelle vide et silencieuse derrière lui.
Enfin la fin du mois arriva et les Weasley, Hermione et Harry repartirent, laissant la maison dans un calme surréaliste. Le silence effrayait presque Remus, qui avait pris l'habitude de vivre dans le vacarme permanent produit par les jumeaux Weasley. Heureusement pour lui, Tonks était là pour faire à peu près autant de bruit qu'eux à elle toute seule. Remus en venait même à se demander comment il avait pu survivre aux premières réunions de l'Ordre auxquelles il avait assisté sans elle.
Mais la menace de Voldemort devint plus pressante et lesdites réunions furent bientôt le seul moment où ils purent se rencontrer. Les membres de l'Ordre ne cessaient d'être envoyés dans toute la Grande-Bretagne pour essayer de maintenir un semblant d'ordre, le tout dans la plus grande clandestinité. Il était même arrivé plusieurs fois à Tonks de se faire traquer par des agents du Ministère. Maugrey avait essayé de la convaincre que les cheveux roses, rouges ou oranges la rendaient trop visible, mais elle refusait d'avoir moins de couleurs lorsqu'elle se promenait simplement dans la rue. En revanche, Remus l'avait vue prendre des allures incroyables avant de partir pour certaines missions délicates. Elle avait déjà joué le beau brun ténébreux, le vieil homme acariâtre – Remus aurait juré que le modèle était ce vieux Slug, qu'elle avait connu lors de sa scolarité à Poudlard – ou encore la petite vieille sympathique. Ils passaient parfois plusieurs jours sans se voir mais ils finissaient toujours par se retrouver au QG à un moment ou à un autre. Tonks avait réussi à convaincre Remus qu'ils pouvaient bien s'accorder une heure de conversation avant de repartir pour la mission qui leur avait été confiée, aussi se cachaient-ils dans les chambres du 12 Square Grimmaurd en lançant un Assurdiato pour que Maugrey ne les trouve pas.
C'était, pour Remus, une deuxième jeunesse. Celle qui lui avait été volée lorsque tous ses amis avaient disparu. Avec Tonks, il avait vingt ans à nouveau.
Mais la joyeuse insouciance dans laquelle il vivait auprès de Tonks s'effaça brusquement lorsqu'on retrouva Arthur Weasley grâce à Harry, plus mort que vif. Il s'en voulut soudain d'avoir été aussi idiot, aussi inconscient. Peu attentif comme il l'était ces temps-ci, il aurait très bien pu lui arriver la même chose.
Il ne lui fut pas difficile de reprendre une attitude plus « professionnelle » car Tonks fut envoyée trois semaines en Irlande pour une mission secrète au moment de Noël. Remus ne l'apprit qu'après son départ et le sentiment d'abandon qui l'envahit l'étonna lui-même.
Elle n'était toujours pas rentrée lorsque les jeunes gens repartirent à Poudlard et, abandonné une nouvelle fois à sa quasi-solitude, Remus se prit à réfléchir. Cette prise de conscience avait en fait été provoquée par Sirius qui, un soir, passa derrière sa chaise et lança à voix basse :
- Alors, elle te manque ?
Remus rougit violemment à cette remarque et se tourna vers son ami pour protester, mais la porte de la cuisine s'était déjà refermée. Livré à ses pensées, Remus se rendit compte que Tonks lui manquait effectivement. Paniqué, il se redressa et commença à faire les cent pas dans la cuisine, sans tenir compte de Kreattur qui marmonnait des imprécations. Elle lui manquait et il était terrifié à l'idée qu'il lui arrive quelque chose.
- C'est mon amie, murmura-t-il pour lui-même. C'est normal que je m'inquiète pour elle. Ce serait pareil si c'était Sirius.
Mais lorsqu'elle revint enfin, au début du mois de janvier, il lui fut impossible de se mentir à lui-même plus longtemps. En effet, à peine franchi le pas de la porte, elle lui sauta au cou et le serra contre elle une fraction de secondes, avant de s'écarter en s'exclamant qu'elle avait des tonnes de choses à lui raconter. Son exubérance réveilla Mrs. Black et Fol-Oeil leur beugla dessus pendant une bonne demi-heure avant de les laisser disposer. Ils échouèrent dans le salon des Black et Tonks commença à lui raconter à force de grands gestes son périple. Remus ne retint rien du début, trop occupé à la détailler d'un œil angoissé en priant pour qu'elle n'ait rien. Mais malgré ses traits tirés et son air exténué, elle semblait en pleine forme. Un soulagement intense l'envahit et il rit avec elle plus fort qu'il ne l'avait jamais fait.
Lorsqu'il alla se coucher ce soir-là, il resta un long moment adossé à la porte de sa chambre, dans l'espoir que le sentiment d'euphorie qui l'habitait allait disparaître. Mais Remus ne pouvait rien y faire : pour la première fois depuis une éternité il était amoureux, et pour l'heure cela le comblait de joie.
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