Voulez-vous une tasse de thé ?


Cette nuit, avant que La Chapelle ne sonne minuit, laissez-vous porter le fantastique, par les flammes de la cheminées et la conversation de la dame en rouge, et surtout n'oubliez pas, le thé est bien meilleur avec du sucre !




In'était pas loin de onze heures du soir lorsque j'ai aperçu les deux ombres.

Je lisais, et en me levant pour ajouter deux bûches sur le feu, j'ai jeté distraitement un coup d'œil à travers les vitres. Deux ombres venaient de traverser la cour et disparaissaient derrière la masse noire du hangar. Deux silhouettes humaines.

J'ai arrêté mon marque page doré à la page 205. J'ai reposé mon livre. Éclairée par les flammes, la couverture bordeaux à la reliure doré sur la table en bois créait une image étrange, un peu fantastique. J'ai pris une grande inspiration, puis, je me suis levée du fauteuil.

Il n'était pas rare de voir quelques personnes traîner près de la grange, surtout durant la nuit et particulièrement durant les vacances d'été. Se trouvant juste après la chapelle, ma maison était la dernière du petit village. La grange, elle, se situait juste après le panneau et à quelques pas à peine de l'habitation. Le dernier lampadaire, sensé l'éclairer, s'était cassé il y a bien des années avant, laissant le hangar dans l'obscurité totale après le crépuscule.

L'ensemble créant une atmosphère propice aux histoires du soirs, aux légendes anciennes et aux contes d'horreurs inventés.

Le hangar appartenait à mes grands-parents. Dans leur jeunesse, ils y gardaient toutes leurs récoltes. Aujourd'hui, il était surtout à l'abandon. Bien qu'inutile désormais, ils tenaient toujours énormément à cet endroit. Seulement, il n'était plus très sécurisé.

Il arrivait que les visiteurs nocturnes dégradent leur précieux monument de bois. Alors, les soirs où je restais un peu plus longtemps dans le salon, j'étais chargée de surveiller la grange. Pourtant, je n'aimais pas cette grange et je n'aimais pas sortir la nuit, puis encore, je détestais par dessus tout devoir aller à cette grange, non éclairée, en pleine nuit. Je n'avais pas peur, ce n'étaient en général que des jeunes voulant s'effrayer, mais j'étais légèrement méfiante vis à vis de l'obscurité. De plus, j'aurai bien mieux préféré rester lire au près du feu.

Une fois parée pour ma petite sortie, vêtue d'un t-shirt vert et d'un pantalon blanc ainsi que d'un gilet blanc avec des poches, j'ouvris la porte. À l'extérieur, armée d'une lampe de poche, je quittais ma maison. Je fis quelques pas en direction du hangar, anxieuse, certes, le lieu en lui-même ne m'effrayait pas, mais ce que je risquais d'y trouver, je l'appréhendais.

Si je tombais sur des personnes violentes ? Je ne savais pas me battre. Si je tombais sur des voleurs ? Je n'avais pas pris mon téléphone pour appeler qui que ce soit. Si je tombais sur des personnes alcoolisées ? Je ne savais pas gérer le problème.

J'avançais pas à pas, doucement. J'approchais, discrète dans l'obscurité de la nuit. J'y parvenais, rendue invisible par le lampadaire défectueux.

Il ne faisait pas froid et la canicule de la journée semblait bien loin, la température de ce début d'été était idéale. La nuit était fraîche, je sentais une légère brise sur mon cou et mon visage. La nuit était magnifique, la nature m'offrait un présent hors normes.

Bien bas sur le sol, les fleurs, fermées pour la nuitée, se balançaient tendrement. Bien haut dans le ciel, se tenait, en reine, la Lune. Ce soir, aucun nuage ne peinait le tableau. L'astre possédait l'entièreté de l'étendue bleue. Il la colorait à sa guise, créant des nuances insoupçonnées, plongeant les témoins de ce spectacle dans un tout autre univers.
Mais bien au milieu, droit devant moi, se situait la grange.

J'étais à un pas de la première porte, pas de bruit. J'étais devant le bâtiment de bois, pas de bruit. Je fis le tour, une première fois, pas de bruit, une deuxième fois, pas de bruit. J'entrai, pas de bruit. Je vérifiais le moindre recoin, pas de bruit.

Je soupirai, soulagée, il n'y avait donc aucune crainte à avoir. Les ombres humaines étaient simplement passées devant le hangar. Je me décidai à rentrer chez moi, près du feu, retrouver mon livre. J'entrepris donc de me diriger vers la porte, je fis un pas, deux pas, trois pas, du bruit.

Mon souffle s'était coupé, j'étais incapable de respirer. Mon pas s'était arrêté, il m'était impossible de bouger. Je n'arrivais plus à avaler ma salive et je ne sentais plus la moindre once de brise sur ma nuque. Si mes tous mes sens s'étaient tus, mon ouïe, elle, était alerte.

Il n'y eut pas de bruit durant un moment, ma lampe était braquée contre le sol. Est ce que j'avais enfin peur cette grange ? Est-ce que pour la première fois, je comprenais enfin pourquoi tant d'histoires fantastiques étaient racontées ici ? Est-ce que je regrettais de ne être pas restée lire à l'intérieur de ma très chère maison ? Complètement, ce lieu était sacrément dérangeant.

Un pas, deux pas, trois pas, l'intrus se dirigeait vers la porte.
Je pris mon courage à deux mains et relevait ma lampe, plaquant le faisceau lumineux sur la porte.

Un chat.

C'était un chat. Juste un chat.

Je respirais à nouveau. Je sortis de cet obscur endroit, le chat à mes côtés. Tandis que je marchais vers ma maison, le chat m'abandonna pour la maison des voisins. J'étais à quelques pas à peine de ma porte d'entrée.
Je n'eus pas le temps de l'ouvrir.

Il y avait du bruit.

Le son provenait de plus loin, il arrivait du village, il appartenait à la chapelle.

Si j'étais parfaitement logique, surtout à la suite des précédents événements, je ne me serais en aucun cas inquiétée du bruit du bâtiment et n'aurais pas attendu plus longtemps avant de me réfugier à l'intérieur. Mais, j'étais curieuse, vraiment très curieuse. Ma curiosité semblait avoir éloigné toute crainte, car désormais, j'avais pour unique volonté de m'approcher.

De l'endroit où je me tenais, il était nécessaire de passer à travers les haies, un passage ayant été créé bien des années plus tôt. Ensuite, au milieu d'une étendue d'herbe à sa droite et d'une lignée de haies cachant le cimetière communal à sa gauche, se trouvait un chemin de cailloux. Une fois traversé, il y avait un large rectangle de béton, puis, enfin, l'entrée arrière de la chapelle.

La façade était orange, même si par endroits, des bouts des murs se détachaient et des fissures apparaissaient.
L'entrée était constituée d'une certaine manière. Une porte, en bois brun foncé, rendue noir avec la nuit, d'un mètre cinquante de hauteur. Juste à sa droite, une fenêtre, presque de taille identique, rendant la porte plus petite qu'elle ne l'était déjà. Sur la vitre, de grands barreaux bordeaux cachaient l'intérieur. Au dessus la vitre, se tenait le réverbère, entièrement noir, dont l'ampoule projetait une pauvre lumière jaune.
Si le bruit n'avait pas cessé, la lumière, elle, baissait de plus en plus.
Le vent lui même semblait s'être arrêté.

Je tournais la poignée, doucement, tout doucement. J'entrai.

L'intérieur était plongé dans l'obscurité. Tout était sombre et recouvert d'un voile de nuit. Les seules sources de lumière étaient la fenêtre à barreaux d'où venait un léger reflet de la Lune et le feu.

Des flammes crépitaient dans la cheminée, colorant les murs de nuances plus intenses les unes que les autres. En laissant libre cours à mon imagination, des formes apparaissaient et semblaient conter des histoires. Des mots se liaient sur le papier, des messages étaient avoués, des secrets étaient gardés, des légendes étaient racontées.
Les braises, rouges, rouges de feu, rouges de sang, rouges d'une robe écarlate, rouges coquelicot, brillaient. Elles scintillaient dans l'obscurité, se vantant d'être les étoiles de cette nuit artificielle dans le sein de la chapelle.

Au bord du feu, sur la table, il n'y avait point de livre, mais un vase de cristal et à l'intérieur, un coquelicot rouge. Dans le bois de la table ancienne, des fleurs délicates étaient taillées.

Accompagnant le coquelicot, il y avait une théière et deux tasses en émail blanc, partageant la particularité d'avoir le haut décoré d'une ligne verte et d'arabesques dorées. Il y avait aussi deux petites assiettes, décorées de la même manière ainsi qu'un mignon petit sucrier aux mêmes dessins, à la différence du couvercle entièrement vert.

L'origine du bruit étrange trouvait son explication au sommet des flammes. Une bouilloire sifflait, du thé s'infusant à la chaleur du feu.

Mais le plus étrange dans le cours des événements, c'était la forme derrière la table. Une dame fixait le feu, souriante.

Ses cheveux étaient coiffés en chignon, ses yeux étaient soulignés de noir, sa nuque était nue de bijoux et des gants noirs recouvraient ses avant-bras. Le plus fascinant dans l'apparition de cet être fantastique était la finalité de sa tenue : une robe, entièrement rouge, découvrant ses épaules et ses bras, serrant le haut de son corps jusqu'à sa taille, tombant en évasée le long de ses jambes jusqu'à ses chevilles, se terminant par de larges bandes de tissus, laissant apercevoir ses jambes blanches.

Je n'arrivais pas à détacher mon regard de l'apparition, je ne voyais plus qu'elle à ce moment. Elle, en revanche, semblait ne pas avoir remarqué ma présence. Un instant plus tard, elle se tournait vers moi, un air surpris sur le visage, tout comme si c'était moi qui venait d'apparaître. Puis, elle me sourit.

- Je vous attendais.

J'étais restée paralysée. Elle parlait, l'apparition était bien réelle. Je ne rêvais pas. La dame continuait à me sourire. Elle releva sa main, m'indiqua la chaise en face d'elle.

- Je vous en prie, asseyez-vous.

C'était étrange, mais la situation me paraissait de plus en plus réelle. Je ne m'étonnais même pas d'être invitée par une femme en robe rouge à m'asseoir dans la chapelle du village qui, en temps normal, est parfaitement vide en pleine nuit. Je m'étais assise sur la chaise en bois décorée de fleurs quand bouilloire a émis un bruit plus strident que les précédents, puis, s'est tue.

- Le thé est prêt. Au bon moment, comme cela était prévu.

La dame en rouge la retira des flammes et la posa délicatement sur la table. Elle remplit la théière avec l'eau de la bouilloire. Toujours avec le même sourire, elle versa du thé dans la première tasse en émail blanc. Elle s'apprêtait à reposer la théière, mais se ravisa.

- Désirez- vous une tasse de thé ?

J'avais temporairement perdu la capacité de prononcer le moindre son, je ne me contenais de hocher la tête.

- Vous avez raison, c'est du très bon thé. L'eau est infusé avec mes propres feuilles de tilleul. J'aime beaucoup le tilleul. Vous aimez le tilleul ?

Nouveau hochement de tête, nouveau sourire. Elle approcha l'élément en émail de ma tasse et me la remplit à moitié. Elle reposa la théière. Puis, elle mis ses deux coudes sur la table, remonta ses mains sous son menton et me fixa.

- Vous avez certainement des questions, n'est ce pas ? Je me ferai une joie d'y répondre.

La discussion me semblait devenir normale et pour la première fois de la soirée, je trouvai ma voix.

- Qui êtes-vous ?

-Qui je suis ? C'est une grande question.

La dame laissa tomber ses deux bras et attrapa le sucrier.

- Vous désirez du sucre ? Moi, j'en prends toujours deux.

Je hochai la tête. Elle reposa le sucrier et déposa les sucres dans sa tasse.

- C'est dommage, le thé est meilleur avec du sucre.

- Vous aviez dit que vous répondriez à mes questions. Qui êtes-vous ?

La dame laissa sa tasse et replia ses bras sur la table.

- Je m'appelle Louise, et je suis une dame qui offre du thé à ses invités.

- Vous habitez ici depuis longtemps?

- Cela dépends de mes invités, j'ai déjà exploré de nombreux endroits. Simplement, disons que pour ce soir, j'habite ici.

- Quel âge avez-vous ?

- Cela dépend toujours de mes invités. J'ai déjà vécu de bien nombreuses nuits, et bu de bien nombreux thés. Pour ce soir, j'ai l'âge que vous voulez.

- Que faites-vous réellement ?

La dame gloussa discrètement, puis, elle m'indiqua le service à thé.

- Je sers du thé à mes invités. Elle but une gorgée de son thé. Je discute aussi, j'écoute ceux et celles qui en ont besoin, puis, surtout, je garde les secrets révélés durant la demi-heure.

- Une demi-heure ? Vous n'avez plus de temps pour répondre à mes questions ?

- La conversation se termine toujours lorsqu'il revient. À minuit, nous aurons fini de boire le thé.

Je m'apprêtais à lui poser encore une autre question, mais elle me coupa d'un geste de sa main gantée de noir.

- Ne vous inquiétez pas, nous aurons suffisamment le temps d'évoquer tous les sujets qui vous plaisent, une durée peut tout à fait être longue et enrichissante lorsqu'on sait l'utiliser de la bonne manière.

Elle approcha le thé de ses lèvres. Mais elle ne but pas tout de suite, avant, elle me regarda moi, puis ma tasse, puis de nouveau moi.

- Vous êtes bien certaine de ne pas vouloir de sucre ?

Elle but son thé, reposa son assiette puis sa tasse. Ensuite, elle me sourit et je lui rendis son sourire.

À ce moment, une conversation des plus étranges débuta. J'avais une oreille attentive et une source infinie de réponses. Je parlais beaucoup de moi et Louise m'écoutait. Je me libérai de nombreux poids, confiant des secrets à la dame en robe rouge. Le temps d'un thé, elle était devenue ma confidente.
Des tasses furent vidées, des sucres déposés, la théière resservit du thé au tilleul. La chaleur du feu était toujours présente, ses dessins sur les murs et les rideaux aussi. Il n'était plus question de rêve, la situation était tout à fait réelle.

Pourtant, à un moment, toute cette magie vola en éclat.

La théière était vide, nos tasses aussi.

Juste au-dessus de nous, les cloches de la chapelle sonnèrent minuit.

Louise avait radicalement changé d'expression, elle était effrayée. Dans ses yeux, plus de lueur chaleureuse ou de confidence et plus le moindre sourire.

Tout à coup, la chaleur de la pièce avait augmenté. Le feu était plus ardent, les braises plus rouges. Mais surtout, près de la porte menant à l'intérieur de la chapelle, il y avait quelqu'un, ou plutôt, quelque chose. Une ombre, juste une ombre.

- Il faut que vous partiez maintenant, nous avons terminé pour ce soir. Revenez quand bon vous semble, je serai toujours ravie de partager une tasse de thé avec vous.

J'étais incapable de répondre, fascinée par la nouvelle apparition. Je la regardais à nouveau.

- Comment est-ce que je pourrai être certaine que tout cela est bien réel ?

- Vous n'avez qu'à emporter une preuve.

- Une preuve ? Mais que voulez-vous que j'emmène qui me certifiera que cette soirée fantastique a vraiment eu lieu ?

Louise me regarda moi, puis la table, puis moi, puis le sucrier. Elle en enleva le couvercle doré, avant d'attraper un morceau de sucre.

- Croyez-moi, le thé est bien meilleur avec du sucre.

De sa main toute gantée de noire, elle posa le morceau au creux de ma main. Je le rangeai directement dans la poche gauche de mon gilet blanc.
Après, sans que j'eus le temps de dire un mot de plus, Louise se leva, regarda une dernière fois le feu, puis, se dirigea vers l'ombre. Juste avant t'arriver à sa hauteur, elle se tourna vers moi.

- Vous devriez sortir par là où vous êtes venue. Enfin, si vous voulez échapper au feu.

Un instant plus tard, Louise avait disparu et la chaleur de la pièce avait encore augmenté. L'ombre était toujours là.

Soudain, les flammes devinrent de plus en plus grandes, jusqu'à sortir de la cheminée et avancer lentement vers la table. Je me levais d'un bond, et aussitôt, le feu s'attaqua au premier pied de bois. Puis, quelques secondes après, à la table toute entière.
Les flammes devinrent plus grandes encore, elle avalèrent la chaise de Louise. Plus grandes encore et les murs s'empourprèrent d'une lueur fascinante. La pile de bois près de la cheminée s'était écroulée dans un fracas épouvantable, en proie à la folie du feu.

L'incendie continuait, le plafond commençait à s'effondrer, les rideaux fumaient. S'approcher de la fenêtre était impossible, le rouge léchait la vitre. Les journaux près de la cheminée formaient une née de papillons noirs. Les vols incessants de papiers brûlés retombaient en gouttes de pluies et contaminaient tous les objets épargnés.

Animée par l'instinct de survie, mes pas me guidèrent jusqu'à la porte.

Une fois dehors, je passais plusieurs minutes à tenter de reprendre une respiration normale, le cœur totalement affolé. Quand, enfin, j'arrivais de nouveau à respirer convenablement, je ne compris point. Il y avait un incendie, pourtant il n'y avait aucune odeur de fumée.

Soudain, je relevais les yeux vers le bâtiment. Aucun incendie, il n'y avait pas la moindre flamme à l'extérieur. La chapelle se portait à merveille. Il n'y avait pas de flammes, ni le moindre signe concret d'un feu.

Un rêve, j'étais en train de rêver. Voilà, je rêvais, simplement. Je pris le chemin inverse et sans accorder un seul regard à la grange, je rentrais chez moi.

Une fois à l'intérieur, je regardais le feu et la table en bois. Je posais mon gilet blanc sur le fauteuil. Puis, je partis me coucher.

Le lendemain matin, les rayons du soleil me réveillèrent. Dans mes draps rouges, je m'étirais, profitant du début parfait de cette nouvelle journée. Tout commençait à merveille, même si je me rappelais vaguement d'avoir fait un drôle de rêve. Le plus étrange, c'est que ce rêve me paraissait presque réel.

Je partis vers la cuisine pour prendre le petit-déjeuner. J'étais bien décidée à oublier ce rêve. Je devais sortir, car je prenais toujours mes tartines avec le journal. Je m'approchais du fauteuil, attrapais mon gilet et l'enfilais.
Je me dirigeais vers la porte et je réalisais que la clé n'était pas dans la serrure.

Je regardais ma poche droite, rien, puis, je fouillais la gauche, je ne trouvais pas mes clés, mais autre chose...
un morceau de sucre.

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