Une putain de série américaine



Leur vie était parfaite.

Personne n'avait une vie plus parfaite qu'eux.

Leur vie, c'était un putain de cliché de série américaine.

C'était le groupe populaire qui gouvernait le lycée.

Cassandra était destinée à être une fille populaire et ce dès lors de la rentrée de seconde, où elle avait fait se retourner tout celles et ceux sur son passage.

Ses bottines rouges se repéraient à des kilomètres et leurs imposantes semelles brisaient l'ennuyeux silence du couloir. Sa robe noire s'arrêtait juste au-dessus de ses genoux, ces derniers étant vêtus de bas résilles noirs, et mis à part la ceinture ornée d'un cœur brillant, aucun motif, aucun défaut, aucune erreur ne venait interrompre le noir absolu de sa tenue, contrastant avec le blanc pâle des murs. Son sac, noir, toujours porté sur une épaule, était couvert de pin's : groupes de musiques, mouvements anarchiques, causes diverses, sigle de saga littéraire ou cinématographique et autres symboles que les vieux d'un siècle dépassé étaient incapables de comprendre. Sa touche finale, c'était ses cheveux, jamais attachés, toujours libres, qui volaient au gré de ses mouvements. La couleur intriguait, attirait, passionnait : rouge flamboyant.

Ce n'était jamais le silence qui se brisait, mais ses bottines qui brisaient le silence. Ce n'étaient jamais une simple robe noire, des simples bas noirs ou un simple sac noir, c'étaient sa robe noire, ses bas noirs, son sac noir. Ce n'étaient jamais les autres qui faisaient l'action, c'était elle.

Elle faisait se retourner les lycéens sur son passage.

Elle attirait les jalouses et les admirateurs.

Elle choisissait déjà ses amis et en éjectait d'autres;

Elle désignait sa place pour toute l'année à venir.

Elle maîtrisait la moindre de ses premières impressions.

Elle, c'était toujours elle qui engendrait l'action, jamais qui ne subissait. Dans les phrases, les conversations, les rumeurs, elle était toujours active, jamais passive.

Et lorsque son autorité avait le malheur d'être contestée, le fautif avait droit à une humiliation. Publique ? Privée ? Tout dépendait du public visé. Professeure ou élève, l'important était que la victime comprenne la leçon : personne ne se mettait en travers de son chemin.

Elle possédait encore ce titre en fin terminale, mais le premier jour déjà, avec ses yeux maquillés de noir, ses oreilles couvertes de piercings et ses cheveux rouges flamboyants, sa réputation était déjà assurée. Cette fille, c'était la Bad Girl du lycée.

Mais navrée de vous apprendre qu'il avait plus populaire qu'elle.

Il y avait Sam, et il n'y avait pas plus populaire que Sam.

Un enfant, aux cheveux blond et aux yeux bleus, qui était né dans une famille blanche riche, un enfant, aux joues roses et aux sourires charmeurs, qui était né pour être adoré. Dès sa plus tendre enfance, son avenir parfait était tout tracé : il était inscrit au tennis et ne perdait aucune de ses compétitions, il accompagnait son père au golf et avait appris à y jouer même s'il s'en était rapidement lassé, il suivait sa mère dans les soirées mondaines et y avait pris goût.

En plus de ses qualités exceptionnelles, en plus de son corps sculpté comme celui d'un Dieu, en plus de ses sourires qui faisaient tomber toutes les filles, l'adolescent à la peau parfaitement blanche était intelligent. Que ce soit en sciences et vie de la terre, en histoire, en français, en philosophie, il connaissait tout sur tout.

Avec la beauté et l'intelligence, la fée qui s'était penchée sur son berceau doré lui avait offert la sociabilité. Depuis la rentrée de primaire jusqu'à celle de terminale, il n'avait jamais passé une minute seul. Il trouvait toujours quelqu'un avec qui traîner : ami sincère, camarade sympa, simple connaissance, bouche trou temporaire.

Il était bien possible que cet adolescent n'ait jamais connu la solitude et à cette époque, tout le monde pensait qu'il ne la connaîtrait tout simplement jamais.

Pourquoi y aurait-il été conforté ? Il avait tout pour réussir dans la vie.

Il était brillant, toute la famille plaçait de grands espoirs dans l'homme d'affaires qu'il se voyait déjà devenir.
Il était charmant, toutes les filles étaient à ses pieds et il ne manquait pas de le faire remarquer.
Il était confiant, tout le lycée voulait l'avoir dans sa bande et même s'il n'y avait pas une personne à qui il n'avait pas adressé au moins une fois la parole, peu avaient cet immense honneur de le côtoyer au quotidien.

Toute sa famille, toutes les filles, tout le lycée, tout, car voilà bien ce qu'il avait : tout.

Il avait tout pour réussir dans la vie et tout dans la vie lui réussissait.

Sam n'était pas son vrai prénom, mais un diminutif. Personne ne connaissait l'entier et cela ne faisait que rajouter une part de mystère au personnage, ne le rendant que plus populaire encore.

Il était parfait, mais il y avait un talent que les fées n'avaient pas donné à Sam : la musique.

Rose, elle, était une déesse vivante de la musique.

Aucun instrument ne lui résistait. Après le piano, le violon, la ukulélé, la guitare acoustique et électrique ainsi que quelques rares morceaux à l'accordéon, elle était en pleine apprentissage de la batterie.

Il fallait l'entendre jouer du piano, pour réaliser à quel point personne n'avait maîtrisé cet instrument avant elle.

Il fallait l'entendre jouer du violon, pour que des émotions cachées au plus profond de soi refassent surface.

Il fallait l'entendre jouer du ukulélé, pour que les cordes remplacent le haut parleur pour diffuser le tube du moment.

Il fallait l'entendre jouer de la guitare acoustique, pour réaliser qu'il était possible que tout un groupe d'individus, qui ne s'étaient jamais adressés la parole auparavant, se mettent à chanter un même refrain.

Il fallait l'entendre jouer de la guitare électrique, pour comprendre qu'un morceau suffisait à enflammer une foule de lycéens au bal de fin d'année.

Il fallait l'entendre jouer de l'accordéon, pour accepter qu'un instrument vieillot pouvait retrouver une seconde jeunesse s'il était touché par une musicienne de génie.

En bref, il fallait entendre Rose jouer. Mais il fallait aussi l'entendre chanter.

Quand la salle était plongée dans l'obscurité, que les uniques lumières étaient braquées sur elle, Rose devenait quelqu'un d'autre. Les premières notes fendaient le silence, et très vite, sa voix arrêtait le temps. Elle était possédée par la musique, aucun autre verbe n'était capable de désigner correctement son état. Une fois sur scène, ses lèvres suspendues au micro et son esprit envolé dans l'au-delà, elle était en transe.

Avec ses robes et ses jupes de toutes les couleurs qui étaient en accord avec son prénom, son teint caramel peu commun dans le lycée, ses cheveux noirs frisés qu'elle attachait toujours en chignon, ses bandeaux, bandanas, bijoux ou broches multicolores qu'elle affectionnait tant, elle était une fille intéressante. Mais avant tout, talentueuse.

Il n'y avait pas plus talentueux que Rose. Aucune personne ne pouvait la défier et aucun instrument n'était hors de sa portée. Aucune règle ne pouvait l'empêcher de jouer et aucun obstacle n'était trop dur à surmonter.

Rose était talentueuse et elle aurait pu devenir une grande star, si les prochains événements ne s'étaient pas produits. Rose était talentueuse, mais elle n'avait jamais encore participé à des compétions pour se mesurer à la concurrence.

Tom si, et ça lui avait permis de comprendre qu'il était doué dans son domaine, très doué même.

Son truc à lui, c'était le sport. Il n'était pas ce cliché du sportif sans cervelle qui ne pensait qu'à prendre du muscle et à draguer des filles en soirée, mais il n'en était pas non plus l'exact opposé. Disons qu'il ne pensait qu'à prendre du muscle et à avoir un avenir dans le monde du sport.

Il ne manquait jamais à l'appel lors des entraînements et était toujours prêt à relever d'autres défis. Il était féroce dans chacun de ses gestes et tel un guépard s'apprêtant à bondir sur sa proie, le moindre des ses mouvements était soigneusement calculé.

Il participait à des compétions au niveau de son département et parfois de sa région, sans jamais aller plus loin. Sur douze compétions, il en avait gagné douze. Ce n'est pas qu'il n'osait pas faire face à l'adversité, mais simplement qu'il préférait s'entraîner avant. Avant d'aller beaucoup plus loin, beaucoup plus haut : il visait les jeux olympiques.

À chaque fin de cession, le coach le félicitait plus que les autres. Cela se ressentait dans ses remarques, ses notes et son attitude dans les couloirs. Puisque tous les profs de sport l'encourageaient en permanence après les entraînements, que son dossier pour une compétition au niveau national venait d'être accepté, que tout lui réussissait, il se comportait comme un champion.

Il arrivait en retard en cours ?

Il utilisait son téléphone en classe ?

Il jouait au ballon dans les couloirs ?

Il doublait avec la bande des sportifs à la cantine ?

Il manquait de respect à des élèves? Il faisait une quelque action contraire au règlement ?

Il ?

C'était tout à fait normal ! Voici un athlète bouillonnant d'énergie !

Avec ses shorts noirs et ses débardeurs blancs, sa légère musculature n'était plus que jamais visible. Ses yeux légèrement bridés, ses cheveux noirs et les quelques mèches bleues, le rendait différent, mystérieux, attirant. Son corps en faisant baver plus d'un. Point de vue physique, il était au même niveau que tous les autres sportifs, mais il était plus intelligent que la moyenne.

Seulement, s'il avait bien une chose qu'il n'avait pas volé au cliché, c'était la popularité.

Tom aurait pu rester un simple sportif populaire, comme Rose aurait pu rester la musicienne populaire, Sam le beau gosse populaire et Cassandra la Bad Girl populaire.

Ils auraient pu continuer à être célèbres dans leur domaine et ne pas chercher à en être plus. Mais si cela avait été le cas, leur vie n'aurait pas été une putain de série américaine.

Peu avant la fin de l'année de seconde, ils s'étaient mis subitement à se parler. D'abord Cassandra et Sam, suivi de Tom et puis de Rose.

Depuis, ils n'étaient plus de simples populaires, ils étaient Les Populaires.

Au lieu de rester des champions uniquement dans leur compétence, ils avaient décidé d'unir leurs forces, pour que personne ne puisse les dépasser. Au premier jour de la seconde année, ils étaient devenus les rois du lycée, soudés par une force inconnue et paraissant les meilleurs copains du monde. Ça, tout le monde l'avait bien compris.

Leurs gestes étaient scrutés, leurs paroles reportées, leurs avis écoutés et leurs décisions approuvées. Le monde se pliait à toutes leurs volontés. Ils avaient leur table à la cantine, leur place en classe, leur banc dans la cours et tout ce qu'ils désignaient comme leur appartenant. Tous les événements intéressants se déroulant dans l'enceinte de l'établissement étaient forcément reliés à leur groupe.

Leurs commandements, leurs règles, leurs normes étaient appliqués à la lettre par les moutons sans personnalité. Les autres, celles et ceux qui se pensaient « libres » de leur emprise, étaient peut-être protégés par le règlement scolaire, mais les populaires prenaient un malin plaisir à les mettre à part. Ils étaient rebelles, intelligents, talentueux, beaux et ça, personne ne devait l'oublier. Personne ne devait oublier que les populaires étaient parfaits.

Les deux premiers sortaient un peu du lot. Cassandra et Sam était les populaires par excellence. Si jamais ils avaient été en couple, alors le lycée aurait été définitivement conquis. Mais malgré toutes les rumeurs – et elles étaient nombreuses – ils n'avaient jamais rendu officiel quoi ce soit. Pourtant, du groupe, ils étaient les deux plus complices. Leurs gestes affectifs n'étaient pas cachés et leurs rapprochements étalés à la vue de toutes et tous. C'est pour cette raison que le duo n'était jamais appelé Cassandra et Sam, mais Cas et Sam ou Sam et Cas.

À ces deux là particulièrement, mais il arrivait à la bande de taquiner, toujours très gentiment, un élève dans le couloir, que ce soit sur : son poids, ses cheveux de couleur guère plaisante, sa jupe pas à la mode, ses goûts musicaux démodés, ses opinions hors de l'ordinaire, son comportement inapproprié à leurs attentes. Mais cela n'arrivait qu'une fois et c'était toujours pour rire. Après tout, ils étaient des populaires, pas des tortionnaires.

Mais il y avait un élève, supposé gay, contre lequel ils s'acharnaient. Pas besoin de connaître son nom, juste de savoir qu'il était la victime de ceux contre lesquelles on ne peut pas se défendre, qu'il était jugé alors qu'il n'était pas coupable. Ou peut-être cela serait-il mieux de savoir son prénom. Il s'appelait... il se nommait... quel était son nom déjà ? Le monde entier semblait l'avoir oublié, comme les populaires avaient oublié l'humain qu'il était. Il n'avait plus de prénom, mais des insultes balancées par tout temps et toute heure à son égard dans les couloirs. Et puisque les rois s'acharnaient à le haïr, leurs sujets s'exécutaient sans attendre les ordres.

Le garçon allait de plus en plus mal. Les cernes noires grandissaient sous ses yeux et même ses larmes n'étaient capables de laver ses nuits d'insomnies. Il n'y avait peut-être pas de harcèlement physique, mais les mots devaient plus tranchants à chaque fois. Comme les lames de rasoirs.

Ces majestés ne semblaient se rendre compte de rien et se privaient pas pour recommencer. Les quatre savaient bien qu'ils allaient beaucoup plus loin que de simples commentaires rabaissant, mais cela les amusaient. Même si Cas, Sam et Rose trouvaient bien étrange que Tom s'amusait à chaque fois un peu moins, jusqu'à finir par complètement arrêter d'insulter la chose.

Mais les trois préféraient ne pas se préoccuper de ce détail, profitant un maximum de la sensation de satisfaction qui coulait dans leurs veines après chacun de leurs exploits.

Cependant, les injures ne franchissaient jamais les portes du lycée. Ils n'avaient jamais harcelé le garçon à l'extérieur, peut-être car ils possédaient encore un minium de lucidité ou peut-être car ils ne l'avaient tout simplement jamais croisé dehors.

Sauf que ça devait forcément arriver. On ne peut pas échapper à la fatalité, même si on vit dans une putain de série américaine.

Ils croisèrent le garçon un samedi, peu avant les vacances d'été. C'était un quartier éloigné de la ville, dans une forêt près d'un des nombreux domaines de la famille de Sam. La forêt était coupée en deux par une clairière et cette dernière était rapidement traversée par un pont, qui accueillait une route très peu empruntée.

Le hasard avait voulu que l'adolescent se promène au bord de cette même route et que les populaires, sortant tout droit de la forêt, se retrouvèrent à marcher quelques dizaines de mètres derrière lui. Lorsqu'il le réalisa, il prit ses jambes à son cou, espérant leur échapper.

Tom le rattrapa bien vite et les trois autres n'étaient pas très loin. Ces derniers courraient après lui, riant de son insouciance. Ils n'avaient fait que le rabaisser jusqu'à présent, parce qu'ils étaient toujours au lycée, mais maintenant qu'ils se trouvaient dehors, entourés d'une immense forêt et d'une route aux rares passages, qu'est ce qu'ils les empêchaient d'aller un peu plus loin ? Ils ne pensaient pas à des coups violents, mais à lui donner une légère leçon... pour s'amuser.

Encore à l'arrière, les trois lançaient des encouragements à Tom, pour qu'il l'arrête et qu'enfin le véritable spectacle puisse commencer. C'était à se demander de qui entre le garçon fuyant ou des populaires était le plus naïf.

L'ado ne pourrait courir sans pause pour leur échapper, mais le groupe d'amis ne se connaissait pas si bien que ça.

Si Tom était aussi proche de lui, ce n'était pas dans le but de le faire s'arrêter pour que ses camarades puissent se défouler, mais pour le supplier de courir plus vite, pour lui donner une chance de s'enfuir.

Ce qui était certain, c'est que ni Tom, ni les trois populaires, ni même tout ceux qui se pencheraient plus tard sur le dossier policier de sa mystérieuse disparition, n'avaient idée d'à quel moment exact l'adolescent avait décidé de mettre un terme à la course. Encore moins s'il lui avait fallu plus d'une fraction de seconde pour choisir la méthode.

Non, il n'avait pas dépassé ses limites, profitant que le seul ayant retrouvé ses esprits lui laisse une chance et courant plus vite qu'il n'en avait jamais été capable. Non, il ne s'était pas brusquement arrêté, faisant face à leurs injures et se recroquevillant sous leurs coups.

Il arrêta de courir.

Il s'approcha du bord.

Il monta sur la rambarde.

Il ferma les yeux, prit une inspiration.

Les autres se stoppèrent. Tom comprit. Tom courut.

Il sauta.

Tom s'arrêta au bord du pont, refusant encore de comprendre ce qu'il venait de se produire. Les trois autres firent demi tour, courant vers la clairière. Ce fut leurs cris qui ramena Tom à lui et qui le décida à descendre les rejoindre.

L'adolescent - si on pouvait encore l'appeler ainsi – était couché à plat ventre, ses membres tordus dans une bien étrange position. Ses jambes étaient dans le sens inverse, l'os de son bras droit était visible et sa tête n'était pas comme elle aurait dû l'être. Mais ce qui rendait cette vision d'horreur si réelle, c'était le sang... tellement de sang.

Il était mort, et c'était leur faute. Ils l'avaient tué. Cas, Rose et Tom l'avaient accepté, mais pas Sam. Il répétait qu'ils n'étaient pas coupables. Après tout, ils ne l'avaient pas poussé, il avait sauté, ils ne l'avaient pas menacé, il fait ce choix seul.

Rose sorti son téléphone, prête à appeler les urgences, les pompiers, la police, les parents ou n'importe qui d'autre.

Cas s'était agenouillée, essayant bêtement de se souvenir des gestes de premier secours, le suppliant inutilement de se réveiller tout en sanglotant.

Tom ne bougeait pas, ne prononçait pas le moindre son, ne comprenait tout simplement pas.

Sam, lui, comprenait et il comprenait même très bien la situation.

Il reprit ses esprits très rapidement. Il arracha le téléphone des mains de Rose, força Cas à se taire et fit revenir Tom parmi eux. Il ne pouvait pas appeler qui ce soit ou ils finiraient le reste de leurs jours en prison. Ils ne pouvaient pas essayer de le sauver, il était déjà mort. Ils ne pouvaient pas se contenter d'attendre, il fallait agir et vite.

Sur le chemin du retour vers la maison de Sam, il leur exposa son plan. Ils devaient faire disparaître le corps. Il ne laissa à aucun le temps de protester et ils auraient été de toute manière trop sonnés pour le faire. Ils prirent de grands sacs à dos et y fourrèrent tout le nécessaire sous les ordres de celui qui s'y connaissait. Le jardin de la maison bourgeoise était entretenu par un jardinier, alors ils trouvèrent ce qu'il leur fallait dans sa cabane. Graines de fleurs, pelle, sac en toile, eau, chaux vive, acide, alcool à brûler, allumettes.

Ils récupérèrent des vêtements de rechange dans son armoire et les trois zombies ne prient pas la peine de lui demander pourquoi. Alors qu'ils sortaient, ils croisèrent le père de Sam. Il salua Cassandra, qu'il avait l'habitude de voir avec son fils, prit de ses nouvelles. Elle lui répondit que tout allait très bien et qu'ils partaient en forêt. Elle termina avec un sourire, le plus hypocrite qu'elle n'avait eu à faire de sa vie.

S'il avait entendu les pleurs de Cassandra, s'il avait fait un minium attention à leur étrange paquetage, il aurait pu comprendre ce qui allait se passer. Mais à la place, il se contenta de sourire, de leur souhaiter une bonne expédition et de rappeler à Sam de rentrer avant 22 heures.

Ils avaient fermé le sac de toile, puis l'avait tiré de la clairière jusqu'à la forêt. Ils avaient trouvé un coin tranquille. À l'écart de tout, parfait pour observer la nature, pour écouter les oiseaux, pour une soirée entre ados ou pour dissimuler un corps.

Armés de leurs deux pelles, Rose et Tom creusaient. Équipée de gants, de lunettes et d'un masque, Cassandra ouvraient le sac de chaux et le bidon d'acide. Positionné comme un sergent, Sam s'assurait que ses instructions étaient respectées au détail près.

Une fois que le trou fut jugé assez profond, les quatre y enterrent le cadavre. Tom, au bord de l'évanouissement, et Rose, au bord du vomissement, retournèrent chercher les pelles. Ils voulaient remettre la terre pour enfin en terminer. Sam les rappela à l'ordre. Leur mission n'était pas terminée.

Cassandra versa la chaud vive et l'eau. Sam vida le bidon d'acide.

Parmi toutes les six sortes de chaux existantes sur cette Terre, la chaux vive est la plus prisée. Utilisée autant dans les milieux de l'industrialisation que de l'agriculture, elle sert à détruire les matières organiques riches en eau, comme les mauvaises herbes par exemple. La chaux vive, une fois mélangée à une grande quantité d'eau, devient bouillante et extrêmement toxique, c'est pourquoi il est conseillé, lorsque vous voulez dissoudre un corps, de porter des gants et des lunettes lors de la manipulation.

Si la quantité est assez importante, la poudre blanche est capable de le dissoudre en environ 48 heures. Cependant, des traces peuvent subsister. Il est alors conseillé d'emprunter à votre gentil jardinier familial un bidon d'acide, qui aidera à accélérer le processus. Ce merveilleux mélange devient alors très corrosif.

L'effet fut immédiat : la peau de son bras droit était déjà entrain de fondre. À peine eurent-ils repris les pelles que la mixture mortelle s'attaqua à l'os.

Le spectacle qui s'offrait à eux était écœurant, Cassandra avaient des hauts le cœur et Tom termina par vomir.

Avant la dernière couche de terre, Sam attrapa le paquet de graines, les balança puis jeta ce qu'il restait d'eau. Si au grand jamais de sales petits curieux passaient par là, les jeunes pousses éveilleraient bien moins les soupçons qu'un rectangle de terre nu. La dernière pelle de terre fut certainement la plus lourde.

C'étaient des adolescents parfaits, qui vivaient dans une putain de série américaine. Savoir se débarrasser d'un corps n'était qu'une de leurs nombreuses aptitudes.

Ils étaient réunis autour d'un feu, allumé à partir de branches trouvées aux alentours, d'une bouteille entière d'alcool à brûler et de quelques allumettes. Déplacer un corps qui avait trouvé sa fin en sautant d'un pont, ça tachait les vêtements. Ils étaient tachés de sang. Ce même corps qui par la suite dû être enterré, ça salissaient les habits. Ils étaient salis de terre. Sur ordre de Sam, ils avaient enlever leurs fringues, avant d'enfiler celles de rechange.

Ils avaient tout jeté dans le feu. Tandis que Tom, Rose et Cassandra fixaient les uniques preuves de leur crime partir en fumée, Sam leur demanda de se prendre la main. C'est qu'ils firent.

À ce moment encore, en cercle, leurs visages figés éclairés par les flammes, ils étaient toujours les populaires, les parfaits, les rois du lycée. Mais cela n'allait pas durer.

Peut-être qu'ils ne s'en doutaient pas, trop occupés à ressasser l'image du cadavre dissous par la chaux, ou peut-être qu'ils connaissaient déjà une partie de la vérité. Mais à cette seconde encore, aucun ne savait ce que l'autre allait devenir, espérant naïvement pouvoir reprendre le cours de leur petite vie insipide.

Aucun ne savait que Cassandra finirait en hôpital psychiatrique, que Tom raterait chacune de ses compétions avant de se blesser, que Rose ne toucherait plus jamais un instrument pour terminer caissière en grande surface et que Sam allait reprendre les entreprises de son père mais qu'il serait incapable de se faire de nouveaux amis ou d'approcher qui ce soit.

Ils ne savaient rien de tout ça, mais ils savaient, même avant que Sam leur demande de le jurer, qu'ils devraient garder le secret.

« Promettez qu'à partir de ce moment, personne ne nous verra plus jamais ensemble, que notre groupe n'existe plus, sinon nous finirons nos jours en prison. Promettez que malgré les remords et les souvenirs, aucun de nous n'ira nous dénoncer à la police, la peine de la famille n'est importante, notre secret est la priorité. Promettez de ne jamais rompre notre pacte, où nos destins à tous les quatre seront anéantis par votre faute. Promettez, que ce que nous avons fait dans cette forêt y restera à jamais et que notre secret sera gardé, pour toute la vie. »

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