Mon amie l'étoile
*Oyé oyé ! C'est de nouveau votre capitaine qui parle ! Juste un petit message pour vous dire qu'à l'heure actuelle, c'est LA nouvelle dont je suis la fière. Je souhaite donc de déguster ces huit pages de bonheur et sur ce, je vous laisse à votre lecture*
Il était une fois...dans une contrée lointaine, si lointaine que son emplacement est introuvable sur les cartes, un village où vivait un jeune garçon.
Ce jeune garçon, choyé par ses parents et aimé de ses amis, avait tout pour être heureux. Il vivait une existence des plus paisibles, se levant chaque jour plus souriant que le précédent. Et cela pour une raison. En effet, lorsqu'il quittait ses draps au matin et ouvrait ses volets, le soleil inondait sa chambre de ses rayons et l'enfant n'en était que plus joyeux. Ainsi, au moment du petit-déjeuner qu'il partageait avec ses parents, lors de la leçon matinale dispensée par les bonnes sœurs du couvent de son village, durant l'après-midi qu'il passait à travailler à la ferme familiale ou à s'amuser avec ses amis, il laissait toujours son regard s'attarder sur l'astre flamboyant.
Le tout petit garçon adorait le soleil ! D'ailleurs, il en était ainsi pour tous les villageois.
Certains l'aimaient car l'astre céleste apportait de la bonne humeur. D'autres car il permettait aux blés de grandir et aux récoltes d'être meilleures d'année en année. D'autres car de ses milles rayons, il apportait toute la lumière nécessaire pour bien y voir, même dans les endroits les plus isolés. D'autres encore l'aimaient car ils râlaient lorsqu'il faisait pluie et que de ce fait, avoir du soleil était toujours préférable.
Alors, bien qu'ils aient des raisons diverses de le faire, tous les villageois étaient d'accord sur un point : ils aimaient le Soleil. Ils le considéraient comme une bénédiction des Dieux et ne faisaient jamais rien qui aurait pu l'offenser. Le jeune garçon pour sa part, à l'instant précédent le début de son grand voyage au pays des rêves, ne manquait jamais une occasion de le remercier de briller toujours aussi fort.
Ainsi, plusieurs années durant, cette lointaine contrée fut baignée de la douce lumière de l'astre et cela ne fit qu'accroitre le bonheur qui y régnait.
Les rois des contrées voisines pouvaient bien jouer à la guerre avec la vie de leur peuple, le village du petit garçon, lui, ne connut pas un seul conflit. Oh il y avait bien quelques fois des querelles entre des villageois, mais ces dernières se soldaient toujours par un arrangement qui contentait les deux parties. Des épidémies ou des incendies pouvaient bien frapper les bourgades alentour, le village, lui, y échappait toujours. La sécheresse, le gel, ou quelque événement météorologique pouvait bien toucher les récoltes des autres paysans, le village du jeune garçon, lui, n'avait jamais connu cela. Leurs semences donnaient toujours de fières et belles plantes, les récoltes étaient toujours bonnes et les charrettes revenaient toujours vides du marché.
Ce fût donc dans une ère de calme, de prospérité et d'abondance que les premières années de la vie du petit garçon s'écoulèrent. La paix qui régnait en cette contrée était telle que toutes et tous étaient certains que rien ni personne ne parviendrait jamais à la briser.
Et cette certitude ne fit que grandir, grandir, grandir et grandir encore au fil des années. Les mois avaient beau passer, les saisons s'alterner et les nuages venir quelque fois cacher le Soleil, tout allait toujours pour le mieux. Tous les villageois s'entendaient à merveille et cette joie dont ils rayonnaient en permanence se ressentait même sur les récoltes. Les blés étaient couleur or, les grains de maïs pesaient plus lourds que des lingots, les fraises avaient tout des rubis et les feuilles de salades elles-mêmes semblaient avoir été taillées dans un riche tissu. Ah, comme il faisait bon vivre dans ce petit village !
Une année pourtant, les villageois ne purent rien vendre au marché.
Leur culture de choux avait été dévorée par les insectes et celle de betteraves ravagée par les corbeaux. Il n'y eut pas une seule patate qui eut été épargnée par le champignon et cette maladie avait rendu les tubercules si secs qu'ils tombaient en miettes dès qu'on osait les effleurer. Les plants de maïs avaient été piétinés par les vaches qui avaient été prises d'une envie soudaine de traverser les champs au triple galop. Les plants de lentilles, de menthe et de tomate n'avaient pas poussé au de-là d'un minable centimètre.
Le petit garçon adorait les pommes et les préférait bien au-delà de toutes les sucreries du monde. Des vertes, des jaunes, des oranges, des rouges, peu lui importait la couleur tant que le fruit pouvait lui procurer cette sensation qu'il aimait tant : celle de la toute première bouchée. Mais cette année-là, il poussa si peu de pommes que les villageois durent les rationner. Et comme si cela n'était pas déjà suffisant, ils eurent la surprise de découvrir qu'une grande partie de celles-ci était infestée par des vers.
Et puisque leurs récoltes étaient endommagées ou alors entièrement ravagées, que leurs animaux paraissaient atteints d'une étrange somnolence et que la Nature semblait soudain être prise d'un mal étrange, ce fut une année très difficile. Très sombre aussi.
Car en effet, l'obscurité planait sur le village. Et elle s'aggravait de jour en jour.
Le Soleil brillait de moins en moins fort et les nuages étaient toujours plus nombreux. A chaque nouvelle saison, ils dévoraient un quart du Soleil et à force, les villageois avaient peur de le voir disparaître. Et si cela se produisait, qu'adviendrait-il d'eux ?
Les villageois décrétèrent que ce dérèglement soudain de la nature provenait du fait que l'astre qui leur avait apporté sa lumière, sa chaleur et son bonheur durant toutes ces années était malade. Le jeune garçon cependant, savait que le mal était bien plus profond. Il n'y eut aucun adulte qui voulut bien le croire, mais il ne laissa pas décourager pour autant. Quoi que cela lui en coûte, le petit garçon se jura qu'il trouverait la source de ce changement.
Et il n'eut pas à attendre très longtemps.
La nuit suivante fut la plus sombre et la plus froide que l'humanité eu connu depuis son avènement.
Les villageois eurent beau tenter de s'assurer que cela n'était rien de plus qu'un rêve, ils durent très vite se rendre à l'évidence : le ciel était complètement, entièrement, absolument noir. Et pourquoi cela ? Car pas une étoile ne brillait. Le ciel n'était plus qu'un gigantesque infini, dont on ne pouvait distinguer ni la fin ni le début et à vrai dire, on ne le distinguait même pas lui-même tant il était sombre.
Alors, se retrouvant pour la première fois de leur existence sans Lune et sans étoiles pour les éclairer, les villageois se retrouvèrent complètement désemparés. Personne n'avait idée de ce qu'il fallait faire.
Et comme sans source de lumière, personne n'y voyait rien, certains villageois rentrèrent chez eux chercher des chandelles. Et comme sans source sans chaleur, tout le monde avait froid, d'autres villageois partirent quérir des édredons. Puis tous revinrent sur la place village, partagèrent leurs couvertures et allumèrent leurs cierges. Puis ... ils attendirent.
Ils attendirent longtemps.
Très longtemps.
Qu'attendaient-ils exactement ? Personne n'en savait rien. Tout comme personne ne connaissait la marche à suivre, personne ne savait ce qu'il était bon de dire en de telles circonstances, personne ne savait quels mots employer pour rassurer son voisin. Alors les villageois restèrent immobiles et silencieux. Il y eut bien quelques rares chuchotements qui s'élevèrent, cherchant à comprendre ce qui passait, émettant des théories plus invraisemblables les unes que les autres, demandant quand est-ce que tout cela allait prendre fin. Seulement personne n'avait les réponses à ces questions. C'est pour cela qu'à chaque fois la même chose se produisait : les chuchotements perdaient en intensité, se faisaient plus discrets, s'essoufflaient, puis finissaient par disparaître. Ainsi, les quelques curieux qui avaient osé briser le calme parfait de la nuit plongeaient à leur tour dans ce silence quasi divin qui s'était emparé des habitants de la bourgade.
Ce fut donc sans bouger, sans parler et sans penser un seul instant à retrouver leurs lits chauds et douillets que les villageois passèrent la nuit. Peut-être espéraient-ils assister au soudain réveil des étoiles – comme si cela n'avait été qu'une plaisanterie puérile de la part de ces dernières -, ou peut-être voulaient-ils être certains que le Soleil finirait effectivement par se relever, ou peut-être que même s'ils n'osaient pas l'admettre, cette obscurité soudaine était une telle source de frayeur qu'ils craignaient bien trop de s'assoupir seuls et qu'ils étaient rassurés d'être entourés de toutes ces personnes.
Ou peut-être que tout simplement, ils n'avaient pas la moindre idée de pourquoi ils restaient là.
Mais ils restèrent tout de même tous là, immobiles et silencieux, jusqu'au petit matin.
Et ce ne fut qu'une fois que le Soleil eut pleinement chassé la nuit que les villageois purent enfin retrouver l'usage de la parole et de leurs membres. Ils abandonnèrent sans vergogne leur rôle de statue et redevinrent ceux qu'ils étaient durant le jour.
Les agriculteurs et les éleveurs retournèrent à la ferme, les boulangers à la boulangerie, les forgerons à la forge, les cordonniers à la cordonnerie, les libraires à la librairie et tous les commerçants, quelques qu'ils soient, retrouvèrent leur commerce. Et tout comme s'ils venaient de passer une nuit des plus banales, les villageois se présentèrent à l'heure à leur poste, sans même songer à retourner se coucher. Ils étaient tous atteints d'une espèce de transe, rendant leurs gestes lents, leurs regards vitreux et leurs paroles quasi inaudibles.
Les villageois – enfin cela était surtout le cas des adultes, les enfants pour leur part étaient moins contaminés par ce mal étrange - semblaient persuadés que s'ils occupaient leur journée comme ils le faisaient habituellement, qu'ils ne dérogeaient en rien au programme qui forgeait leur quotidien, qu'ils reproduisaient exactement les mêmes actions que la veille, cette nuit de cauchemar ne resterait plus qu'un lointain souvenir.
Que s'ils n'y pensaient plus, qu'ils rejetaient ce souvenir tout au fond de leur esprit, qu'ils l'enfermaient dans une petite boite à double tour avant d'en jeter la clé et d'en colmater la serrure, ils finiraient de toute manière par l'oublier.
Que s'ils ignoraient le problème, alors il n'y aurait plus de problème.
Mais le petit garçon lui, avait le sentiment que les choses n'allaient pas se passer ainsi.
Le soir venu, le même manège recommença.
Et il recommença la nuit suivante, celle d'après, celle d'encore après et cela fut le cas pour toutes celles qui suivirent.
Aux premiers crépuscules, les villageois se rassemblèrent à nouveau. Puis arriva ce soir-là, où il n'y eut pas seulement une obscurité absolue qui s'abattit sur la bourgade, mais aussi un froid glaciaire. Et ni les bougies, ni les couvertures, ni la chaleur humaine ne suffirent à empêcher les membres de grelotter, les dents de claquer et les lèvres de devenir bleues. Pour ne rien arranger, la température ne fit que s'aggraver au cours des soirées suivantes. Alors, petit à petit, de plus en plus de villageois retournèrent dans leur maison, et peu importe qu'ils aient peur, ils préféraient toujours cela à mourir de froid. Il resta tout de même quelques irréductibles qui refusaient de s'en aller, certains qu'un jour viendrait où ils seraient les premiers à voir les étoiles se rallumer.
Ainsi, puisque les nuits étaient glaciales et que Soleil brillait à peine, les températures étaient en chute libre. Ce qui aurait dû être un doux mois de printemps ressemblait plutôt au mois le plus froid de l'hiver et ça, ni les hommes, ni les cultures ne le supportèrent. Ainsi les rares plantations qui avaient survécu aux insectes et aux maladies périrent. Il ne restait plus rien à échanger au marché et les réserves de vivres se vidaient à un rythme effrayant.
Ça en était fini de l'ère de calme, de prospérité et d'abondance. Il ne restait plus rien de cette fichue paix que prétendument personne n'arriverait jamais à briser.
Plus rien, si ce n'est quelques miettes, quelques vagues souvenirs de cette époque si lointaine, quelques images flous dont les villageois doutaient, n'étaient mêmes pas sûrs qu'elles aient réellement eu lieu ailleurs que dans leurs songes.
Ce fut par un matin d'automne que le petit garçon quitta le village.
Il n'emporta avec lui que trois choses : un balluchon rempli de vêtements et de vivres, un livre pour l'occuper durant le long voyage qui l'attendait, et son espoir bien à l'abri au fond de son petit cœur. Tout le reste, il le laissa derrière lui. Ses parents et le petit mot qu'il avait rédigé à leur intention, ses amis, son foyer, sa ferme, son petit village et tout ce qui avait fait sa vie jusqu'à présent. Il partit sans revenir sur ses pas, sans se retourner, sans leur accorder un dernier regard.
Il partit et ne revint pas.
Guidé par les histoires fabuleuses racontées par les vieillards lors des fêtes de village et les quelques contes qu'il avait pu trouver dans des livres, il se mit en chemin vers un lieu tenu secret depuis des millénaires. Le lieu où tant de légendes trouvent leur source. Le lieu où naissent les arcs-en-ciel, où des tonneaux remplis à ras bord de pièces d'or sont dissimulés par les lutins, où l'on trouve toutes sortes de créatures de magiques. Mais c'est aussi à cet endroit que l'on se trouve la plus proche des étoiles et voici donc la raison pour laquelle le jeune garçon tenait absolument à l'atteindre.
Il traversa monts et vallées, prairies et clairières, lacs et ruisseaux. Il fit la rencontre de jeunes gens et de vieilles dames, de paysans acariâtres et de bourgeois bien sympathiques, de solitaires ayant soif de récits de voyages qui lui offrirent le gîte et le couverts, d'artistes séduits par son tempérament aventurier et qui lui donnèrent du travail. Il vendit ses vêtements et s'en acheta d'autres plus colorés, il échangea son baluchon contre un sac en bandoulière qui n'était plus de première jeunesse mais qui avait malgré tout gardé tout son charme, il ne permit plus aux ciseaux de s'approcher de sa chevelure et laissa ses boucles s'échouer sur ses épaules.
Ainsi, les années passèrent.
L'enfant chétif qui avait autrefois quitté son village avait aujourd'hui disparu, cédant sa place à une tout autre facette de lui-même. Devenu adolescent, son corps s'était allongé, ses traits affinés et ses cheveux avaient grandement poussés. Avec sa peau couleur neige, ses cheveux d'ébènes et ses lèvres aussi rouges que les pommes qu'il aimait dévorer jadis, il ne ressemblait en plus en rien au jeune garçon d'autrefois.
Une telle beauté attisait les regards évidemment, aussi bien ceux des damoiselles que des damoiseaux, mais celui au regard ensorcelant et aux lèvres tentatrices n'en avait que faire. Il ne pensait qu'à ce pourquoi il avait entrepris ce si long voyage. De plus, le grand froid semblait l'avoir suivi car ici aussi, les nuits se faisaient de plus en plus glaciaires et les étoiles brillaient à chaque crépuscule avec un peu moins d'intensité.
Puis, un soir, son grand voyage prit fin.
Comment est-ce qu'il sut exactement qu'il avait trouvé là ce qu'il était venu chercher ? Cela est et restera un grand mystère. Ce qui est certain en revanche, c'est qu'une fois en haut de la colline, il sut qu'il venait de franchir la limite du monde des mortels pour entrer dans celui des elfes, des fées, des sorcières, des phénix et toutes ces créatures qui existent bel et bien même si les humains ne les voient pas toujours.
Le hasard – ou peut-être la magie du lieu – fit que justement, l'étoile qui se trouvait en haut de cette bute était celle à l'origine de tout ce bouleversement dans la nature et que l'aventurier était venu consulter.
Alors l'adolescent, du haut de la colline, là où naissent les arcs-en-ciel et où les phénix vivent leurs derniers instants, ôta son chapeau, s'assit en tailleur et s'adressa à l'étoile dans ces termes :
«
L'étoile, du haut du ciel, là où naissent les galaxies et où les plus vieilles étoiles trouvent leur fin en disparaissant dans le néant, abandonna ce qu'elle était occupée à étudier pour regarder ce petit bout d'homme, sécha ses grandes larmes d'astres céleste et s'adressa au mortel dans ces termes :
« Seulement si tu es prêt à écouter mon histoire. »
Cette grande dame aurait pu être effrayée par ce nouveau venu, en colère qu'un si petit être ose entrer dans le monde magique sans que personne ne l'ait autorisé à le faire, ou même surprise qu'un si jeune mortel trouve l'audace d'adresser la parole à elle, grande et flamboyante étoile née il y a si longtemps de cela.
Mais il n'en fut rien.
Elle se contenta simplement de s'adresser à ce mortel tout comme s'il était son égal. Et lorsque l'adolescent lui signifia d'un hochement de tête qu'il était tout ouïe, l'astre céleste pu enfin se libérer de tout ce qui lui pesait sur le cœur.
« Vois-tu, je suis née il y a des siècles de cela. Ou peut-être même il y a un millénaire. A vrai dire, je suis née il y a si longtemps que je m'en souviens à peine moi-même. Et depuis ce jour lointain, j'accomplis le destin qui est celui de chaque étoile : briller et veiller sur l'humanité. J'ai très vite été passionnée par toute cette vie qui se déroulait en permanence sous mes yeux et même si aucun mortel ne l'a jamais réalisé, j'ai toujours été là, à veiller sur vous autres du haut de ma colline. Il y a bon nombre d'humains et d'humaines auxquelles je me suis particulièrement attachée et que j'ai éclairé, choyé, protégé autant que cela m'a été possible. Ainsi, j'ai assisté à la venue au monde de chacun d'entre eux, puis, le temps passant, à leurs premiers pas et à leurs premiers mots, à leurs premières amitiés et à leurs premiers amours, à toutes leurs premières fois et à toutes leurs dernières fois. Puis je les ai vu mourir. Ceux que j'ai aimé sont morts et moi, je leur ai survécu. A chaque fois. Voici le châtiment de mon immortalité et de mes siècles d'existence, sans que je ne puisse rien faire pour y échapper. C'est pour cela que je ne comprends en rien pourquoi vous autres humains courrez après la vie éternelle. Il n'y a rien de bon à vivre pour toujours. Car si tu voulais en découvrir le mystique secret, voilà ce qu'il te faut accepter d'abord : l'immortalité te condamne à voir toutes celles et ceux que tu chéries périr. »
L'astre fit une pause, reprenant sa respiration, essayant à tout prix de ne pas perdre ses moyens mais ne parvenant tout de même pas à refouler cette seule et unique larme.
« Il m'a fallu les oublier. Ou du moins, cesser de pleurer leur disparition. Après tout mon rôle est de veiller sur les vivants, non pas d'espérer le retour des morts. Alors j'ai tourné la page, une fois, deux fois, trois fois, quatre fois... et à force, j'en souffrais de moins en moins. Aujourd'hui encore, il m'arrive d'avoir un petit pincement au cœur lorsque je repense à eux, mais cela ne me fait plus aussi mal qu'au départ. Et si la douleur s'est à ce point atténuée, c'est parce que j'ai fini par accepter l'évidence : aucun d'entre eux ne m'a jamais aimé en retour. Mais aimer sans que cela ne soit réciproque, peut-on vraiment appeler ça de l'amour ? Je ne pense pas. Je ne pense pas du tout que cela mérite le nom d'amour. »
Il y eut encore une pause. Et cette fois-ci, pas de sanglots douloureusement refoulés, pas de larmes impossibles à contenir. Il y eut un silence durant lequel l'étoile ne semblait pas vraiment être là : les yeux perdus dans le vide, fixant un point lointain, tout comme elle fouillait son esprit à la recherche d'un moment de son passé. Et lorsqu'enfin elle le trouva, elle releva la tête, planta son regard dans celui de l'adolescent et n'hésita pas sur un seul de ses mots.
« Ce qui mérite réellement le nom d'amour conduit à faire des choses insensées, complètement irréfléchies et parfois dangereuses. Ce qui mérite réellement le nom d'amour fait s'empourprer les joues, enflamme les cœurs et déchaîne les passions. Ce qui mérite réellement le nom d'amour en entraîne certains à déclencher des révoltes, à mener des révolutions, à remporter des guerres. Ce qui mérite réellement le nom d'amour pousse les âmes sœurs que les dieux jaloux ont séparées à la naissance à braver vents et marées, à parcourir la terre entière et à ne s'arrêter qu'une fois leur moitié retrouvée et fermement enlacée dans leurs bras. Voilà ce qui mérite réellement le nom d'amour. Je le sais car du haut de ma colline, j'ai assisté à la naissance de milliers de civilisations et à la disparitions de centaines d'entre elles, j'ai vu des générations se succéder et d'autres tomber dans l'oubli, j'ai entrevus les plus grands progrès mais aussi les plus affreuses régressions... et durant toutes ces années passées à vous observer, j'ai vu tant de choses changer, s'améliorer ou se détériorer mais il y a une chose, une seule et unique chose qui a toujours été celle qu'elle est : l'amour. Peu importe les époques, les continents, les mœurs et les interdictions, il y a toujours des femmes pour chérir des hommes, des hommes pour chérir des hommes et des femmes pour chérir des femmes. Ce sentiment, le plus puissant et le plus magnifique qui soit, j'ai vu tant d'âmes sœurs le partager que j'en suis devenue jalouse, regrettant milles fois d'être capable d'aimer sans jamais être aimée en retour. »
Un silence encore et une lueur de tristesse infinie dans le regard.
« J'ai la vie éternelle, mais à quoi cela me sert-il si je suis condamnée à passer mon existence seule ? Je brille toujours de mille feux, mais à quoi cela me sert-il si je n'ai personne pour qui scintiller en particulier ? Au fond, à quoi bon vivre si ce n'est pour être aimée de personne ?»
Et ce fut ainsi que l'étoile confia ses malheurs à celui qui était venue la trouver en haut de sa colline. Il se tut, l'écouta attentivement et rien qu'ainsi, l'astre sentit sa peine s'atténuer légèrement. Puis il lui parla de ce qu'il l'avait amené ici et à son tour, l'étoile se révéla être une auditrice irréprochable.
Il apparut alors bien vite que les deux s'entendaient à merveille et que leur conversation aurait pu se poursuivre encore de longues heures... mais déjà le soleil se levait à l'horizon.
Ainsi, alors que la nuit s'effaçait pour laisser place au jour, les deux protagonistes réalisèrent soudain qu'ils s'étaient pris d'affection l'un pour l'autre. L'amitié qui était née au cours de ces dernières heures avait beau être toute récente, ils surent immédiatement qu'elle avait déjà liés leurs destins à tout jamais. L'étoile promit alors au voyageur qu'il serait toujours le bienvenu sur la colline magique et le vagabond lui, posa genoux à terre et fit la sermon d'y revenir tous les sept jours et ce toute sa vie durant.
Et l'adolescent tint sa promesse.
A chaque cycle de sept Lune, il quittait l'appartement qui était désormais sien dans la ville la plus proche, s'enfonçait dans les champs et retrouvait le lieu magique. Le temps changea, les saisons passèrent, les années s'écoulèrent et pas une seule fois pourtant, il ne manqua à sa promesse. Et ainsi donc, qu'à chaque septième Lune, il gravissait la colline, s'y assoyait en tailleur, ôtait son chapeau et s'adressait à l'étoile en ces termes :
« Ô mon amie l'étoile, dis-moi donc ce qui te cause tant de chagrin. »
Chaque nuit la même question était posée et chaque nuit, sa tendre amie y répondait. Même si cette dernière n'éprouvait plus une once de chagrin depuis bien des années. Elle était désormais la plus heureuse des étoiles et avait recommencé à briller de tous ses feux. Et ses amies étoiles, qui avaient autrefois cessé de s'illuminer car elles ne supportaient de la voir triste s'étaient remises à leur tour à scintiller et toutes ces choses qui avaient autrefois connu un dérèglement fonctionnaient à nouveau parfaitement. Dans le village d'origine du jeune voyageur par exemple – même s'il n'avait aucun moyen de le savoir puisqu'il n'était pas une seule fois retourné sur les terres qui l'avaient vu naître - l'ère de calme, de prospérité et d'abondance s'était rétablie. Ainsi le problème pour lequel il avait fait tout ce voyage était résolu. Alors qu'est-ce qu'il l'empêchait de partir, de faire chemin inverse et de retrouver les siens ? Rien. Strictement rien si ce n'est l'immense bonheur qu'il éprouvait ici. Sa chambre était remplie de livres du sol au plafond, il s'épanouissait dans son métier de conteur car il s'était découvert un véritable de talent pour raconter les légendes, son salaire lui permettait de s'acheter autant de pommes qu'il en désirait et le groupe d'amis qu'il s'était formé au fil des années venait parfaire le tableau.
Oui vraiment, il se plaisait ici et il n'éprouvait aucune envie de retrouver son village d'origine. Mais surtout, il était heureux. Profondément et infiniment heureux.
Et lorsqu'à chaque nouveau cycle il lui posait l'exact même question : « Ô mon amie l'étoile, dis-moi donc ce qui te cause tant de chagrin. » tous deux réalisaient un peu plus à quel point ils tenaient à l'autre. A quel point l'amitié qui les unissait était forte, ou peut-être est-ce n'était plus de l'amitié mais désormais quelque chose de beaucoup plus puissant, même si aucun entre d'eux n'osait encore l'admettre. Peut-être était-ce quelque chose qui conduit à faire des choses insensées, complètement irréfléchies et parfois dangereuses. Ce quelque chose qui fait s'empourprer les joues, enflamme les cœurs et déchaîne les passions. Ce quelque chose qui entraîne quelques fois à déclencher des révoltes, à mener des révolutions, à remporter des guerres. Ce quelque chose qui finit toujours par rassembler les âmes sœurs à la fin d'un très long voyage.
Et après son premier voyage qu'il l'avait amené à traverser des dizaines et des dizaines de royaumes différents au cours de sa jeunesse, son second voyage, celui de la grande aventure de l'existence, arriva à son terme.
Si l'on s'attardait un instant, il était encore possible de distinguer à travers ses longs cheveux blancs, ses lèvres craquelées aussi rouges que le sang et sa peau blafarde quasiment épargnée par les rides, la beauté qui avait été autrefois sienne. Mais la vérité était que peu de personnes prenaient le temps de le faire et que pour la plupart, il n'était rien de plus qu'un vieillard un peu fou, animant les bals dansants et autres fêtes de villages avec tout un tas de légendes sordides. Certains avaient entendus dire qu'il avait autrefois été le conteur de la région, ce qui expliquait sans mal sans imagination sans bornes, mais beaucoup restaient tout de même persuadés qu'il était atteint de démence : il faut bien ça pour se prétendre être l'ami d'une étoile.
Le vieillard montait au sommet de la colline tous les soirs désormais. Ce voyage était harassant, mais il sentait sa fin proche et il ne voulait pas mourir ailleurs qu'au chevet de son amie. Et chaque matin, lorsque venait l'aube, il entreprenait le voyage en sens inverse et retrouvait la civilisation humaine ainsi que toutes ces rumeurs sur sa prétendue folie.
Mais un matin, il ne revint pas au village. Il n'en revint d'ailleurs ni l'après-midi, ni même en début de soirée.
En fait, il n'y revint jamais.
Son cœur avait cessé de battre durant la nuit et il avait rendu son dernier souffle sans parvenir à achever cette phrase qu'il avait répété de si nombreuses fois : « Ô mon amie l'étoile, dis-moi donc ... »
Mais cela eut beau signer la fin de son grand voyage de l'existence, cela ne signa pas pour autant la fin de son histoire. De leur histoire.
Car conquérir le cœur d'une étoile vous offre la vie éternelle et cela faisait bien longtemps que l'étoile avait entièrement dévoué le sien à ce vagabond courageux. C'est donc pour cette raison qu'en haut de la colline ce soir-là, il n'y eut non pas un astre qui s'illumina, mais deux. Et cela fut le cas pour la nuit suivante, celle d'après, celle encore d'après et ainsi que pour toutes celles qui suivirent.
Et on raconte qu'aujourd'hui encore, à la nuit tombée, si l'on cesse un instant ce qu'on est en train de faire et que l'on regarde par la fenêtre, il nous est possible de les apercevoir. Eux, les deux astres amoureux et heureux, scintillant de mille feux pour l'éternité toute entière.
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