Le monde parfait ( ou je n'aime pas tellement ma prof d'svt, du coup...)
Dans le monde parfait, tout était parfait.
Dans le monde parfait, rien n'était imparfait.
Dans le monde parfait, le soleil était un temps parfait. Alors, lorsqu'il faisait soleil, tout était parfait. Et même lorsqu'il faisait pluie, on répétait que c'était le signe d'un arc-en-ciel et donc, du soleil. Là encore, tout était parfait.
Dans le monde parfait, il n'y avait pas de problèmes d'argent. Pas de famine. Pas de crise. Pas de crash boursier. Pas de de dettes. P as de fins de mois difficiles. Ou du moins, la télévision n'en parlait jamais. Alors, tout était parfait.
Dans le monde parfait, tout était toujours tout beau tout rose. Rien n'était tout moche tout noir. On attachait d'ailleurs une importance toute particulière à la beauté. Des femmes. Des hommes. Des choses. Des fours à micro-ondes. De ce fait, on avait interdit le noir et toutes les couleurs ternes depuis bien longtemps. Donc, tout était parfait.
Dans le monde parfait, il n'y avait pas de gens tristes. Tout le monde était heureux tout le temps. Tout le monde souriait à s'en déchirer les lèvres et à s'en faire mal aux joues. Tout le monde était si heureux que dès lors qu'une personne était malheureuse, on la regardait de travers. On changeait de trottoir. On la jugeait. On parlait dans son dos. On faisait des messes basses. On en riait et on en riait encore. Bien heureusement, il y avait peu de personnes malheureuses. Une unité gouvernementale spéciale était chargée de veiller au bonheur permanant du pays.
Quelques fois, des personnes se demandaient ce qui arrivait aux personnes malheureuses. Et encore fois, bien heureusement, la milice intervenait et réglait ce petit différent.
Alors, à nouveau, dans le monde parfait, tout était parfait.
Géraldine, elle, n'était pas parfaite.
Elle n'en pouvait plus de vivre dans un monde parfait, à la météo parfaite, à l'économie parfaite, à la population parfaite, au bonheur parfait. Mais surtout, elle n'en pouvait plus de sourire du matin au soir.
Car Géraldine n'était pas heureuse. Géraldine était en colère.
A chaque affiche de propagande de l'état qu'elle voyait plaquée sur un mur, elle sentait ses lèvres se crisper. A chaque fois que ses parents racontaient leur journée de travail tout fait ennuyeuse et exaspérante avec un sourire mièvre, elle savait qu'une nouvelle fissure venait de s'ajouter à toutes celles qui fragilisaient déjà son masque. A chaque sortie en ville, à chaque voyage en bus, à chaque entrée dans le lycée, à chaque début de cours, le même slogan était scandé « le monde parfait » et elle sentait ses poings se serrer.
D'ailleurs, elle ne savait plus vraiment pourquoi elle se mettait dans cet état. Comme plus personne ne savait vraiment comment ce fameux monde parfait avait été instauré. En tout cas, s'ils en avaient qui se souvenaient, ils n'étaient plus là pour le raconter.
Alors, bien qu'elle ne savait plus pourquoi, elle ne pouvait cesser d'être en colère. Puis soudainement, elle entrait dans une certaine salle de classe et la raison même de ce sentiment lui revenait en pleine figure. Une raison, banale et anodine, qui pouvait se résumer à trois mots : sa prof d'svt.
Avec son sourire mièvre au possible, son intention joyeuse bien trop exagérée pour être réelle, ses blagues qui donnaient mal au crâne et sa manière de se comporter comme si tous ses élèves tombaient d'extase devant ses cours, tout cela faisait d'elle la prof parfaite selon le gouvernement. Elle était l'exemple à suivre pour bon nombre de ses collègues. Par ailleurs, pour appuyer son soutien à l'état, elle avait placardé les murs de sa salle de classe d'affiches et scandait le slogan à longueur de journée.
Géraldine avait toujours réussi à faire. Puis... ce fameux jour arriva.
Celui où la prof surchargea ses élèves de devoirs, qui étaient évidemment à lui rendre pour le soir-même, et leur rendit leurs contrôles, pourtant catastrophiques, avec son immense sourire.
Son putain de sourire à la con.
Lorsque vint le tour de Géraldine et que l'enseignante lui tendit sa copie, elles croisèrent leurs regards. L'adolescente eut alors la certitude, profonde et irrévocable, que la prof savait.
Qu'elle savait que la lycéenne crispait ses lèvres, qu'elle serrait ses poings et qu'elle faisait semblant. Cette dernière voyait-elle à quel point elle était en colère ? Allait-elle appeler la milice ? Dans ce cas, où serait-elle ce soir ? La terminale connaitrait-elle véritablement enfin le sort qu'on réservait aux malheureux ? Alors que les questions l'assaillaient, la professeure concéda enfin à lâcher sa copie. Sans un mot. Puis, avec un sourire, elle ajouta du travail supplémentaire à Géraldine.
Au même moment, un haut-parleur s'alluma et son habituel message résonna dans les couloirs : « Vive le monde parfait ! »
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